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Date : 20141028


Dossier : A-317-13

Référence : 2014 CAF 243

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TERRY PIERSANTI

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 octobre 2014.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 28 octobre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20141028


Dossier : A-317-13

Référence : 2014 CAF 243

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TERRY PIERSANTI

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 28 octobre 2014.)

LA JUGE TRUDEL

[1]               La Cour est saisie d'un appel interjeté par Terry Piersanti à l'encontre d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt rendu par la juge V A. Miller (la juge) le 10 juillet 2013 (2013 CCI 226).

[2]               Peu de faits sont nécessaires pour comprendre la thèse de l'appelante en l'espèce. En 1999, l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) a mené une enquête en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la LTA), portant sur des allégations selon lesquelles des sociétés contrôlées par l'appelante et son conjoint ne déclaraient pas la taxe sur les produits et services qu'elles percevaient. Lors de l'enquête, l'ARC a obtenu un mandat de perquisition qu'elle a exécuté au cabinet d'avocats du conjoint de l'appelante — la perquisition a donné lieu à de nombreuses instances devant la Cour de justice de l'Ontario qui n'ont aucune incidence sur l'issue de l'espèce. Il suffit de savoir que 68 accusations criminelles ont ensuite été portées contre l'appelante, son conjoint et certaines des sociétés qu'ils contrôlaient. À la fin, l'appelante a plaidé coupable à 35 chefs d'accusation prévus par la LTA relativement à des infractions commises entre 1995 et 1998.

[3]               Lors de son enquête, l'ARC a également envoyé des demandes à des tiers pour obtenir des documents ou des renseignements conformément à l'article 289 de la LTA. La plupart des demandes concernaient les sociétés, mais quelques‑unes faisaient référence à l'appelante. Le ministre s'est fondé sur ces documents pour établir une nouvelle cotisation à l'égard des obligations fiscales de l'appelante conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997.

[4]               Au procès, l'appelante a présenté une requête priant la juge d'exclure tous les documents utilisés par le ministre du Revenu national (le ministre) pour établir les avis de nouvelle cotisation du 14 novembre 2001 au motif que les documents ont été obtenus sans autorisation judiciaire au cours d'une enquête criminelle et en violation des droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte). La juge a rejeté la requête et a confirmé les nouvelles cotisations. Cela explique le présent appel. L'appelante prie la Cour d'annuler le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et les avis de nouvelle cotisation. Pour les motifs qui suivent, l'appel sera rejeté.

[5]               Avant de rejeter la requête de l'appelante, la juge a affirmé à juste titre que la question dont était saisie la Cour canadienne de l'impôt était celle « de la dette fiscale de l'appelante, et non celle de sa responsabilité pénale » (motifs de la juge, paragraphe 20). La juge a tenu compte des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Ling, 2002 CSC 74, [2002] 3 R.C.S. 814, qui a été décidé sur le fondement des principes énoncés dans l'arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757 (Jarvis) : une distinction doit être établie entre le processus de vérification administrative et l'enquête relative à des infractions criminelles. Les droits qui sont garantis au contribuable par la Charte sont en jeu lorsqu'une vérification devient une enquête criminelle.

[6]               En l'espèce, la juge s'est demandée s'il y avait eu atteinte aux droits de l'appelante garantis par la Charte lorsque les documents obtenus au moyen des demandes ont été plus tard utilisés pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de ses obligations fiscales. L'appelante affirme que la juge a commis une erreur dans sa formulation de cette question. L'atteinte est plutôt survenue lorsque les documents ont été saisis sans autorisation judiciaire.

[7]               En rejetant la requête de l'appelante, la juge s'est appuyée sur l'arrêt récent de notre Cour Romanuk c. La Reine, 2013 CAF 133 (autorisation d'appel à la CSC refusée, no 35480, 21 novembre 2013), et a conclu que l'ARC pouvait utiliser des documents obtenus en vertu de ses pouvoirs de vérification à des fins administratives, telle une nouvelle cotisation.

[8]               L’arrêt Romanuk est déterminant quant à ce motif d'appel. Dans cet arrêt, le juge Webb a renvoyé au paragraphe 103 de l'arrêt Jarvis et a conclu que « les résultats [d'une vérification] [...] peuvent encore servir à des fins administratives, comme une nouvelle cotisation ». C'est ce qui a été fait en l'espèce. Nous ne sommes pas convaincus qu'une distinction peut être établie entre l'arrêt Romanuk et le cas qui nous occupe.

[9]               La juge n'a commis aucune erreur de droit lorsqu'elle a conclu que l'ARC n'a pas porté atteinte aux droits de l'appelante garantis par les articles 7 et 8 de la Charte lorsqu'elle a utilisé les renseignements recueillis pendant l'enquête criminelle pour établir de nouvelles cotisations à l'égard des obligations fiscales de l'appelante pour les années en question. La conclusion juridique de la juge est compatible avec l'arrêt Jarvis et avec le régime fiscal d'autocotisation et d'autodéclaration. La question de savoir si l'ARC pouvait utiliser à bon droit ces documents pour poursuivre l'appelante pour des infractions criminelles à la LTA n'est pas pertinente quant à la procédure civile en cours. Comme l'a conclu la juge, il revenait à la Cour supérieure de justice de l'Ontario, qui a instruit l'instance criminelle et a rendu une décision à cet égard, de déterminer si l'usage des renseignements provenant des demandes pour poursuivre l'appelante sur le fondement de la LTA a porté atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Dans tous les cas, même si l'appelante avait raison d'établir une distinction entre la vérification civile et l'enquête criminelle, nous sommes tous d'avis que les faits de l'espèce, qui soulèvent tout au plus un manquement technique, ne sauraient donner lieu à une réparation fondée sur le paragraphe 24(2) de la Charte.

[10]           Sur le fond des nouvelles cotisations, l'appelante conteste surtout les conclusions de fait de la juge. Plus particulièrement, elle fait valoir que les décaissements faits par les sociétés dont elle avait le contrôle ne devraient pas être inclus dans son revenu puisqu'ils constituaient des remboursements d'un prêt qu'elle avait consenti à une fiducie familiale. La juge ne l'a pas crue et a rejeté cet argument (voir en particulier les paragraphes 46, 55, 57, 58 et 60 des motifs de la juge).

[11]           L’appelante n'a pas démontré que la juge a commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve. En particulier, après avoir examiné le dossier, nous sommes tous d'accord pour dire que la juge était en droit de conclure que l'appelante n'avait pas consenti un prêt personnel à la fiducie familiale ou aux sociétés qu'elle contrôlait. Par conséquent, il était inutile pour la juge d'intervenir sur les pénalités.

[12]           Par conséquent, l’appel sera rejeté avec dépens.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-317-13

 

 

INTITULÉ :

TERRY PIERSANTI c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 octobre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LA JUGE TRUDEL

 

COMPARUTIONS :

V. Ross Morrison

Samantha Chapman

 

Pour l'appelante

TERRY PIERSANTI

 

Laurent Bartleman

Carol Calabres

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morrison Brown Sosnovitch LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

TERRY PIERSANTI

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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