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Date : 20141121


Dossier : A-392-13

Référence : 2014 CAF 272

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

PAUL ABI-MANSOUR

appelant

et

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20141121


Dossier : A-392-13

Référence : 2014 CAF 272

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

PAUL ABI-MANSOUR

appelant

et

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               L'appelant, M. Abi‑Mansour, interjette appel de la décision du juge Roy (le juge des requêtes). Bien qu'elle soit appelée « ordonnance », et ne soit donc pas publiée, la décision comprend des motifs sous forme de récit ainsi que l'ordonnance disposant de la requête de M. Abi‑Mansour en vue d'obtenir une prorogation de délai pour produire son dossier. La première tentative de M. Abi‑Mansour de produire son dossier a été refusée par le greffe parce qu'il manquait son mémoire des faits et du droit. M. Abi‑Mansour a ensuite demandé une prorogation de délai pour produire son mémoire des faits et du droit sur le fondement de l'article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/1998‑106 (les Règles). Bien qu'il ait exprimé des réserves au sujet du bien‑fondé de la requête, le juge des requêtes a accordé une prorogation, mais pour un délai plus court que celui sollicité par M. Abi‑Mansour. S'appuyant sur le paragraphe 410(2) des Règles, le juge des requêtes a adjugé les dépens de 250 $ contre M. Mansour, à payer immédiatement. Le paragraphe 410(2) dispose que sauf ordonnance contraire, les dépens afférents à une requête visant la prorogation d'un délai sont à la charge du requérant.

[2]               À la suite de cette ordonnance, M. Abi‑Mansour a produit un mémoire des faits et du droit dans le délai prévu par l'ordonnance. Toutefois, il allègue que ce mémoire est incomplet et qu'il l'a produit uniquement pour protéger ses droits. Il cherche toujours à obtenir une prorogation de délai pour produire un mémoire des faits et du droit qui reflète plus exactement sa thèse dans le litige. L'affaire sera instruite par la Cour fédérale le 25 novembre 2014.

[3]               Monsieur Abi‑Mansour a soulevé à titre préliminaire le fait qu'il désirait avoir des lignes directrices quant à la façon de régler un problème quelque peu différent, à savoir son désir d'interjeter appel ou de demander le contrôle de quatre ordonnances interlocutoires rendues par un juge de notre Cour relativement au présent appel et à un autre. Sa tentative de saisir la Cour suprême de ces questions a échoué lorsqu'il a été avisé qu'il pouvait exercer d'autres recours devant notre Cour.

[4]               Il n'appartient pas à notre Cour de fournir aux parties des conseils quant aux questions procédurales. En règle générale, notre Cour n'examine pas en appel les décisions rendues par un seul juge de la Cour siégeant à titre de juge des requêtes. Une partie peut demander le réexamen d'une décision sur le fondement de l'article 397 des Règles, mais les conditions de son application sont relativement restreintes : 1344746 Ontario Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CAF 314, [2008] A.C.F. no 1483 (QL), aux paragraphes 7 à 10. Autrement, l'ordonnance du juge est définitive et n'est pas susceptible de contrôle sauf dans l'exercice par le tribunal da sa compétence inhérente de prévenir une erreur judiciaire. Comme les requêtes interlocutoires portent presque exclusivement sur des questions procédurales, des cas semblables sont extrêmement rares.

[5]               L'avocate de l'intimé a également soulevé une question préliminaire. Dans son mémoire des faits et du droit, elle a demandé que l'intitulé en l'espèce soit modifié pour remplacer le ministère des Affaires autochtones par le procureur général du Canada en tant qu'intimé. Bien que la requête soit fondée, elle devrait être présentée devant le juge de la Cour fédérale qui instruira la demande de M. Abi‑Mansour le 25 novembre 2014.

[6]               Je me penche maintenant sur le bien‑fondé de l'appel. Étant donné que M. Abi‑Mansour a produit un mémoire des faits et du droit comme l'autorisait l'ordonnance faisant l'objet de l'appel, le présent appel est théorique. Une partie ne peut obtenir une prorogation de délai pour faire ce qu'elle a déjà fait. Il se peut que le mémoire ne traite pas entièrement des questions que M. Abi‑Mansour désire soulever (une question dont il avait entièrement le contrôle), mais il n'en demeure pas moins qu'il a obtenu une prorogation de délai pour produire son mémoire des faits et du droit et qu'il l'a produit. De plus, comme la demande de M. Abi‑Mansour sera instruite au fond le 25 novembre 2014, une prorogation de délai pour produire un meilleur mémoire des faits et du droit entraînerait un ajournement de l'audience prévue et retarderait encore plus le règlement du présent différend au fond. Pareil retard n'est pas dans l'intérêt de la justice.

[7]               Monsieur Abi‑Mansour fait valoir que si son appel est rejeté, notre Cour devrait rendre une ordonnance lui permettant de présenter des arguments qui appuient sa thèse, qu'ils figurent ou non dans son mémoire des faits et du droit. L'objectif du mémoire des faits et du droit est de permettre au tribunal et à la partie adverse de se préparer à l'audience en toute connaissance des arguments qui seront présentés. L'ordonnance sollicitée par M. Abi‑Mansour est contraire à cet objectif. Aucune ordonnance de cette nature ne sera rendue.

[8]               La décision démontre que le juge des requêtes n'a pas été impressionné par certaines observations de M. Abi‑Mansour. Il a néanmoins accueilli la demande de prorogation de délai même s'il a accordé à M. Abi‑Mansour moins de temps qu'il voulait. Compte tenu de cette décision, M. Abi‑Mansour allègue que le juge des requêtes était partial.

[9]               Monsieur Abi‑Mansour affirme que les caractéristiques personnelles du juge des requêtes le prédisposaient à tirer certaines conclusions, compte tenu de la nature de sa demande. Il cherche à étayer cette affirmation en renvoyant à des observations ou conclusions du juge dans ses motifs, dont aucune n'étaye la conclusion que M. Abi‑Mansour cherche à en tirer. Rien de cela ne persuaderait une personne raisonnable, qui étudierait la question objectivement et qui serait au courant de l'ensemble des faits pertinents, que le juge des requêtes était prédisposé à favoriser une partie plutôt qu'une autre. Ceci n'empêche pas le juge de conclure que les arguments d'une partie sont plus convaincants que ceux de l'autre, ce qui s'est produit en l'espèce.

[10]           Ce n'est pas la première fois que M. Abi‑Mansour allègue la partialité à l'appui d'une contestation de la décision d'un juge. Dans l'arrêt Abi‑Mansour c. Commission de la fonction publique, 2013 CAF 116, M. Abi‑Mansour a allégué qu'un membre de notre Cour était partial. Cette allégation était fondée sur le fait que le juge avait tranché une question interlocutoire contre M. Abi‑Mansour. À ce moment‑là, ce dernier avait été averti de ne pas formuler d'allégations de partialité non fondées : voir l'arrêt Abi‑Mansour c. Commission de la fonction publique, précité, au paragraphe 6.

[11]           Un autre exemple de ce comportement est l'allégation de M. Abi‑Mansour selon laquelle le juge dont les ordonnances interlocutoires ont fait l'objet de sa requête préliminaire a un parti pris contre lui.

[12]           Les allégations de partialité judiciaire ne peuvent être autorisées sans contestation puisqu'elles visent l'un des fondements du système judiciaire, à savoir le principe de l'impartialité des juges envers les parties qui comparaissent devant eux. Le défaut de contester et de dénoncer de telles allégations peut être perçu dans certains milieux comme une admission implicite de leur véracité. Cela peut alors encourager d'autres personnes à formuler de telles allégations, jusqu'à ce qu'elles deviennent monnaie courante parmi ceux qui ont une perspective limitée du système judiciaire. Il en résulterait une perte de confiance envers le système judiciaire dans certains milieux, une question qui doit être prise au sérieux dans une société vouée à la primauté du droit.

[13]           Au paragraphe 14 de l'arrêt Coombs c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 222, notre Cour a affirmé que des allégations répétées de partialité constituent une atteinte à l'intégrité « de l'administration de la justice tout entière ». Au paragraphe 32 de l'arrêt McMeekin c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2011 CAF 165, la juge Sharlow a affirmé que les allégations non fondées de conduite répréhensible sont considérées comme un abus de procédure. Cette conduite est visée par la règle de l'abus de procédure qui, comme l'a observé la Cour suprême du Canada au paragraphe 43 de l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, vise à préserver « l'intégrité de la fonction judiciaire ».

[14]           Par conséquent, je suis d'avis que les nombreuses allégations de partialité non fondées de M. Abi‑Mansour constituent un abus de procédure. Les personnes qui demandent l'aide de la Cour en sa qualité d'arbitre indépendant et qui ensuite invoquent à maintes reprises la partialité lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à leurs attentes n'utilisent pas le système judiciaire de bonne foi. La Cour est en droit de refuser d'accorder son aide à ces parties.

[15]           À l'avenir, M. Abi‑Mansour devrait savoir que des allégations de partialité non fondées l'exposent au rejet de sa demande au motif qu'elles constituent un abus de procédure, soit à la demande de la partie adverse, soit du propre chef de la Cour. Il devrait agir en conséquence.

[16]           Dans son dernier motif d'appel, M. Abi‑Mansour indique que le juge des requêtes a commis une erreur en le condamnant aux dépens malgré le fait qu'il a eu gain de cause. Le juge des requêtes s'est fondé sur le paragraphe 410(2) des Règles, lequel dispose que, sauf ordonnance contraire, les dépens afférents à une requête visant la prorogation d'un délai sont à la charge du requérant. M. Abi‑Mansour attire l'attention sur certaines décisions où aucune ordonnance de cette nature n'a été rendue. Ces décisions ne sont d'aucun secours pour M. Abi‑Mansour puisque dans chaque cas, le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire sur le fondement des circonstances de l'espèce. M. Abi‑Mansour était la partie sollicitant la prorogation de délai et était donc, en principe, visé par le paragraphe 410(2) des Règles. Le juge des requêtes n'a vu aucune raison de déroger à l'adjudication des dépens envisagée par cette disposition. On ne m'a pas convaincu qu'il a commis une erreur de principe en omettant de le faire.

[17]           Monsieur Abi‑Mansour affirme que l'effet réuni de l'article 400 et du paragraphe 410(2) des Règles fait en sorte qu'un requérant dont la demande de prorogation de délai est accordée, et auquel les dépens seraient normalement adjugés conformément à la pratique habituelle selon laquelle les dépens suivent l'issue de la cause, est privé de ses dépens par le paragraphe 410(2). Il en résulte que les parties assument leurs propres dépens.

[18]           Cette affirmation est contraire au sens ordinaire du paragraphe 410(2) des Règles, qui dispose que les dépens afférents à une requête en prorogation de délai « sont à la charge du requérant ». L'objectif de la disposition est de veiller à ce que l'intimé qui subit les inconvénients d'une requête en prorogation de délai parce que le requérant n'a pas respecté la date limite de production ne soit pas condamné aux dépens si le requérant dont la conduite a rendu la requête nécessaire a gain de cause. En principe, la personne qui demande la prorogation assume les dépens. Le paragraphe 410(2) permet au juge de rendre une ordonnance différente quant aux dépens, mais ne l'oblige pas à ne pas adjuger les dépens si le requérant a gain de cause.

[19]           Monsieur Abi‑Mansour s'oppose au fait que le juge des requêtes a ordonné que les dépens soient payables immédiatement. Il se fonde sur le paragraphe 401(2) des Règles, qui permet à la Cour d'ordonner que les dépens soient payables immédiatement si elle est convaincue qu'une requête n'aurait pas dû être présentée. Les commentaires du juge des requêtes sur cette question sont les suivants :

[TRADUCTION]

À mon sens, un montant de 250 $, payable immédiatement, indiquera clairement que les délais prévus par les Règles sont importants et qu'il est nécessaire de présenter des motifs convaincants, pas simplement des commentaires pouvant être perçus comme désinvoltes, pour justifier de s'en écarter.

[20]           Il ressort clairement de ce passage que le juge des requêtes n'était pas satisfait des raisons invoquées par M. Abi‑Mansour pour justifier son défaut de se conformer à l'ordonnance par laquelle la protonotaire Tabib a autorisé la prorogation du délai pour déposer son dossier. Il s'ensuit qu'il était d'avis que M. Abi‑Mansour aurait dû respecter le délai et que, s'il l'avait fait, la requête en prorogation de délai n'aurait pas été nécessaire. Je ne vois aucune erreur de principe dans l'exercice par le juge des requêtes de son pouvoir discrétionnaire.

[21]           Cependant, je limiterais la portée de l'ordonnance du juge des requêtes de la façon suivante. La présente demande sera instruite au fond le 25 novembre 2014. Je suspendrais l'exécution de l'ordonnance du juge des requêtes jusqu'à la fin de l'instruction de la demande puisqu'il n'est pas dans l'intérêt de la justice que des dépens impayés empêchent la présente demande d'être instruite au fond à une date aussi tardive.

[22]           Par conséquent, j'accueillerais l'appel en partie et suspendrais l'exécution de l'ordonnance quant aux dépens payables immédiatement jusqu'à la fin de l'instruction au fond de la demande de M. Abi‑Mansour le 25 novembre 2014. À tous les autres égards, je rejetterais l'appel.

[23]            Puisque l'intimé a eu gain de cause relativement à la plupart des questions, il a droit à ses dépens. Bien que j'estime que l'appel n'est pas fondé, la conduite de M. Abi‑Mansour, en ce qui concerne l'intimé, n'est pas grave au point de justifier les dépens avocat‑client demandés par l'intimé. Les allégations de partialité non fondées de M. Abi‑Mansour ne visent pas à attaquer la thèse de l'intimé, mais à attaquer la Cour elle‑même. L'adjudication de dépens majorés en faveur de l'intimé, dans ces circonstances, constituerait simplement un gain fortuit. Les dépens afférents à l'appel sont fixés à 500 $ et sont à la charge de M. Abi‑Mansour quelle que soit l'issue de la cause.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A-392-13

INTITULÉ :

PAUL ABI-MANSOUR c. LE MINISTÈRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 13 NOVEMBRE 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Paul Abi-Mansour

POUR SON PROPRE COMPTE

Christine Langill

POUR L'INTIMÉ

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉ

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES

 

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