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Dossiers : 2014-2092(EI)

2014-2093(CPP)

Entre :

GREENSHIELD WINDOWS AND DOORS LTD.,

appelante,

et

le ministre du revenu national,

intimé.

 

[Traduction française officielle]

 

 

Appels entendus sur preuve commune les 9 et 10 mars 2015,

à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Judith Woods


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Guy Solomon

Avocat de l’intimé :

Me Leonard Elias

 

JUGEMENT

          À l’occasion d’appels interjetés à l’encontre des décisions de l’intimé selon lesquelles Danica Trapara, Tarek Zabian, Cayleen Brandt, Mitchell Groenewegen et Phyllis Dumond exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension auprès de l’appelante pour diverses périodes en 2012, les appels sont accueillis et les décisions sont annulées.

          Chaque partie assumera ses propres frais.

         Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour de mars 2015.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2015.

 

M.-C. Gervais


Référence : 2015 CCI 70

Date : 20150320

Dossiers : 2014-2092(EI)

2014-2093(CPP)

Entre :

GREENSHIELD WINDOWS AND DOORS LTD.,

appelante,

et

le ministre du revenu national,

intimé.

[Traduction française officielle]

 


motifs du jugement

La juge Woods

[1]             Les présents appels ont été interjetés en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada et concernent cinq personnes (les « travailleurs ») qui ont été engagées par Greenshield Windows and Doors Ltd. (« Greenshield ») à titre de télévendeurs au cours de l’année 2012.

[2]             À la suite d’un examen de l’Agence du revenu du Canada visant un compte en fiducie de Greenshield, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi que les travailleurs exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension. Greenshield conteste ces décisions et, selon elle, les travailleurs étaient engagés en qualité d’entrepreneurs indépendants.

Contexte

[3]             Greenshield est une petite société située à London (Ontario) dont les activités consistent à installer des fenêtres et des portes.

[4]             Dans la cadre de ses efforts de commercialisation, Greenshield a engagé des télévendeurs pour faire de la prospection au moyen de la sollicitation à froid. Tous les travailleurs ont été ainsi engagés.

[5]             Les appels étaient composés automatiquement par un programme auquel les télévendeurs accédaient depuis des terminaux d’ordinateur dans les locaux de Greenshield. Si je comprends bien, les télévendeurs devaient travailler en groupe afin de réduire au minimum les appels interrompus.

[6]             Un travailleur, Tarek Zabian, a proposé à Greenshield de faire de la publicité au moyen d’affichettes de porte en sus de ses services de télévente. Greenshield a accepté la proposition et a pris des mesures pour faire imprimer des affichettes que M. Zabian distribuait.

[7]             À l’audience, le président de Greenshield, Guy Solomon, a témoigné pour le compte de la société. Danica Trapara, une des travailleuses, qui a été assignée à comparaître, a témoigné pour le compte du ministre.

[8]             Il aurait été utile d’entendre aussi le témoignage de Ryan Hayes, qui était employé par Greenshield à titre de responsable du marketing et des ventes. M. Hayes était chargé de la fonction de télévente et il avait des rapports quotidiens avec les travailleurs. La preuve dans son ensemble me donne le sentiment que M. Solomon avait une connaissance directe limitée de l’administration courante des activités de télévente.

[9]             Il serait possible de tirer une inférence défavorable à l’encontre de Greenshield, qui a le fardeau de la preuve, du fait qu’il a omis d’appeler un témoin clé comme M. Hayes. Je ne l’ai pas fait dans le contexte des présents appels informels.

[10]        En conséquence, la meilleure façon de procéder est de tirer des conclusions de fait fondées sur la preuve limitée qui a été présentée.

[11]        Après avoir évalué la preuve, j’ai conclu que certaines parties du témoignage de M. Solomon n’étaient pas fiables. J’ai examiné le témoignage de M. Solomon avec la prudence habituelle qui doit être accordée au témoignage intéressé, et le témoignage de M. Solomon ne comportait pas la franchise nécessaire pour être digne de foi. De plus, une grande partie du témoignage de M. Solomon n’était pas fondée sur des connaissances réelles. En ce qui a trait à Mme Trapara, j’ai conclu qu’elle était franche et digne de foi.

Principes juridiques applicables

[12]        Les principes juridiques pertinents pour les besoins des présents appels ont été présentés sous forme de résumé utile par mon collègue le juge Hogan dans la décision Pareto Corp. v. M.N.R., 2015 TCC 47. Je l’ai reproduit ci‑dessous :

[traduction]

[9]        La distinction entre un emploi et le statut d’entrepreneur indépendant peut soulever des défis parce que les conditions de travail et les relations sont propres à chaque lieu de travail et sont en constante évolution.

[10]      La distinction repose sur les définitions suivantes du mot « emploi » :

            a)         l’alinéa 5(1)a) de la LAE le définit ainsi :

l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière[.]

            b)         le paragraphe 2(1) du RPC prévoit ce qui suit :

« emploi » L’état d’employé prévu par un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

[11]           L’arrêt de principe sur cette question est Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. que la Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. La question est toujours celle de savoir si la personne « les fournit [les services] en tant que personne travaillant à son compte. » L’arrêt Sagaz résume ainsi le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door :

[…] Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[12]           Outre ces facteurs, il y a également lieu d’examiner l’intention subjective des parties. Lorsqu’il est possible d’établir l’existence d’une intention commune des parties en ce qui a trait au type de relation de travail qu’elles souhaitaient établir, l’analyse que fait la Cour des facteurs qui précèdent doit prendre en compte cette intention.

[13]           Il est toutefois important de garder à l’esprit que l’intention des parties n’est pertinente que dans la mesure où elle se reflète dans les faits de l’affaire. L’intention subjective des parties n’est pas déterminante en elle-même. Le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale a apporté la précision suivante dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c. Ministre du Revenu national :

37 […] La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

[14]           L’arrêt Connor Homes commande une analyse en deux étapes. Premièrement, l’intention des parties doit être vérifiée afin de déterminer le genre de relation qu’elles souhaitaient créer. Compte tenu de cette intention, la deuxième étape consiste à analyser les faits de l’affaire pour établir si l’expression de l’intention des parties correspond à la réalité objective de leur relation. Dans cette deuxième étape, la cour doit, pour établir si la réalité factuelle reflète l’intention subjective des parties, appliquer les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, à savoir : (i) le contrôle; (ii) la propriété des instruments de travail; (iii) la possibilité de profit; (iv) le risque de perte.

Analyse

[13]        Dans l’analyse qui suit, les facteurs suivants seront discutés : l’intention des parties, la capacité d’exercer un contrôle, les instruments de travail et l’équipement, la possibilité de profit et le risque de perte.

A. L’intention des parties

[14]        Greenshield soutient qu’elle a conclu des ententes écrites avec les travailleurs et que l’intention commune était de conclure une relation d’entrepreneur indépendant.

[15]        La Couronne ne conteste pas cette observation et je l’accepte. Compte tenu de cette observation, la question essentielle en l’espèce est celle de savoir si la « réalité objective et vérifiable » était compatible avec l’intention commune.

B. La capacité d’exercer un contrôle

[16]        Le facteur concernant le contrôle est souvent important pour établir si un travailleur est un employé. La question à trancher est celle de savoir si Greenshield avait la capacité de contrôler la façon dont le travail était accompli. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conclus que le facteur concernant le contrôle est compatible avec l’intention des parties d’établir une relation d’entrepreneur indépendant.

[17]        Le poste en télévente n’exigeait pas de connaissances spécialisées et il était souvent occupé par des étudiants qui souhaitaient du travail à temps partiel. Le taux de roulement était très élevé. En effet, environ 50 % des télévendeurs partaient au cours du premier mois.

[18]        Comme je l’ai mentionné plus tôt, le travail était accompli en groupe. Ainsi, Greenshield mettait au point les horaires de travail hebdomadaires en fonction des demandes des télévendeurs. Il y avait deux quarts de travail quotidiens de quatre heures : de 10 heures à 14 heures et de 17 heures à 21 heures, avec une pause de 15 minutes.

[19]        Il est probable qu’on s’attendait à ce que les télévendeurs avisent Greenshield s’ils ne pouvaient pas par la suite se présenter au travail selon l’horaire établi. J’accepte le témoignage de M. Solomon selon lequel plusieurs télévendeurs ne le faisaient pas.

[20]        De plus, puisque le travail devait être accompli en groupe, M. Hayes ou un télévendeur principal décidait du moment où la pause de 15 minutes était prise.

[21]        En ce qui a trait à la comptabilisation des heures travaillées, elles devaient être comptabilisées d’une certaine manière parce que les travailleurs étaient payés en partie selon un taux horaire et en partie sous forme de commissions.

[22]        Le travail consistait à tenter d’obtenir le consentement des propriétaires de maison pour la préparation d’une estimation. Le service des ventes de Greenshield effectuait ensuite suivi. Les travailleurs recevaient une formation minimale à cet égard. J’accepte le témoignage de M. Solomon selon lequel il était illogique d’investir du temps dans la formation alors que le taux de roulement était élevé.

[23]        La preuve révèle que les travailleurs recevaient à titre d’exemple un [traduction] « argumentaire » qu’ils pouvaient utiliser. Ils n’étaient toutefois pas tenus de l’utiliser et, habituellement, ils mettaient au point leurs propres techniques. Il est probable que les travailleurs ont appris les uns des autres à cet égard.

[24]        En ce qui a trait à la supervision, il y avait une surveillance et une censure générales si les travailleurs exerçaient des activités personnelles au travail, mais aucun élément de preuve ne permet de penser que les travailleurs se faisaient dire comment faire leur travail. Mme Trapara a été informée que M. Hayes pouvait écouter les appels, mais aucun élément de preuve n’établit que Greenshield intervenait dans la manière selon laquelle les argumentaires étaient présentés ni qu’elle le faisait.

[25]        Les réunions avec les travailleurs consistaient en une rencontre de cinq minutes au début de chaque quart, à l’occasion de laquelle les renseignements pertinents étaient communiqués, comme les promotions de vente spéciales.

[26]        Je conclus que, prise dans son ensemble, la preuve est plus compatible avec le fait que Greenshield n’avait pas la capacité de contrôler la façon dont le travail était accompli. Les travailleurs pouvaient choisir leurs heures de travail et la manière de l’accomplir. Ce facteur milite en faveur d’une relation d’entrepreneur indépendant.

C. Les instruments de travail et l’équipement

[27]        Greenshield fournissait tout l’équipement nécessaire au travail, plus particulièrement un bureau, un ordinateur et un casque d’écoute.

[28]        Certains télévendeurs préféraient utiliser leur propre casque d’écoute.

[29]        M. Zabian a utilisé sa propre voiture pour distribuer les affichettes.

[30]        Dans son témoignage, M. Solomon a déclaré que chaque télévendeur recevait cinq dollars par mois pour l’utilisation des locaux de Greenshield. Ce fait est également l’objet d’une hypothèse du ministre et je reconnais que cinq dollars par mois étaient déduits de la paie des travailleurs.

[31]        Malgré la prétention de M. Solomon selon laquelle les frais de cinq dollars étaient importants, je conclus que ces frais n’étaient que du maquillage et ne constituaient pas un facteur important.

[32]        Dans l’ensemble, je conclus que la fourniture de l’équipement est un facteur neutre. Bien que l’équipement ait été fourni par Greenshield, j’accepte le témoignage de M. Solomon selon lequel l’équipement représentait peu de frais pour Greenshield. La fourniture d’instruments de travail et d’équipement n’est pas un facteur important dans les présents appels.

D. La possibilité de profit et le risque de perte

[33]        Le facteur relatif à la possibilité de profit et au risque de perte vise la question de savoir si le travail comporte un aspect entrepreneurial. En l’espèce, il n’y a pas d’aspect entrepreneurial plus important qui serait compatible avec un vendeur employé à commission. Les possibilités de rémunération plus élevée offertes aux travailleurs au moyen de commissions ou d’heures supplémentaires étaient compatibles avec une relation employeur-employé. Il n’y avait pas de risque important de perte.

[34]        Ce facteur milite en faveur d’une relation employeur-employé.

E. Conclusion

[35]        Après avoir soupesé la preuve dans son ensemble, je conclus que la relation entre Greenshield et les travailleurs était compatible avec leur intention commune que les travailleurs soient des entrepreneurs indépendants.

[36]        Le facteur dominant en l’espèce est le contrôle. Les travailleurs étaient en mesure d’établir leurs propres horaires de travail et leurs propres argumentaires de télévente. Dans une relation aussi peu stricte, je conclus que les travailleurs ont été engagés en qualité d’entrepreneurs indépendants.

[37]        Les appels seront accueillis et les décisions du ministre seront annulées.

         Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour de mars 2015.

« J.M. Woods »

Juge Woods

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2015.

 

M.-C. Gervais

 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 70

Nos des dossiers de la cour :

2014-2092(EI)

2014-2093(CPP)

Intitulé :

Greenshield Windows and Doors Ltd. c. Ministre du Revenu national

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 9 et 10 mars 2015

Motifs du jugement :

L’honorable juge Judith Woods

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 mars 2015

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Guy Solomon

Avocat de l’intimé :

Me Leonard Elias

 

Avocats inscrits aux dossiers :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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