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Dossier : 2013-1860(IT)G

ENTRE :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 5 mai 2015 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Valerie Miller

Comparutions :

Avocat de la requérante :

Me Robert Alan Kopstein

Avocat de l’intimée :

Me Perry Derksen

 

ORDONNANCE

ATTENDU que la requérante a présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un avis d’appel modifié sur le fondement de l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale);

ATTENDU que l’intimée ne s’est pas opposée au dépôt d’un avis d’appel modifié en général;

ATTENDU que l’intimée ne s’est pas opposée aux allégations de fait énoncées aux paragraphes 20A, 20B, 20C, 20D, 20E, 20F, 20G, 20H et 20I;

ET ATTENDU que l’intimée était d’avis que les paragraphes 4A, 23b), 23f), 28A, 30A, 33A et 37A de l’avis d’appel modifié proposé devaient être radiés;

VU les observations des parties et leur argumentation écrite;

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.       Les paragraphes 4A, 23b), 23f), 28A, 30A, 33A et 37A de l’avis d’appel modifié proposé ne révèlent aucune cause d’action et sont radiés;

2.       L’appelante peut déposer l’avis d’appel modifié lorsque les paragraphes énumérés ci‑dessus auront été radiés;

3.       L’intimée a le droit de poursuivre son interrogatoire préalable sur les allégations de fait supplémentaires énoncées dans l’avis d’appel modifié;

4.       L’intimée peut déposer une réponse modifiée traitant des nouvelles allégations de fait énoncées dans l’avis d’appel modifié;

5.       L’intimée a droit à ses dépens dans la présente requête.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 5e jour d’août 2015.

« V. A. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015CCI195

Date : 20150805

Dossier : 2013-1860(IT)G

ENTRE :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Miller

[1]             La requérante a présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un avis d’appel modifié (les « actes de procédure proposés ») sur le fondement de l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »).

[2]             Voici les circonstances qui ont donné lieu à l’appel. La requérante était fiduciaire de certaines fiducies qui étaient des régimes enregistrés d’épargne‑retraite (« REER ») autogérés et des fonds enregistrés de revenu de retraite (« FERR »). La fiduciaire a acquis auprès d’une personne non‑résidente des actions de certaines sociétés canadiennes qui, selon le ministre du Revenu national (le « ministre »), étaient des biens canadiens imposables de la personne non‑résidente. Le ministre a établi une cotisation à l’égard de la requérante au motif qu’à titre de fiduciaire des fiducies, elle était l’« acheteur » au sens du paragraphe 116(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et devait remettre 25 % du coût des actions à titre d’impôt conformément à la partie I de la Loi. La cotisation de la requérante a été établie aux termes du paragraphe 227(10.1) de la Loi et une pénalité a été imposée en application du paragraphe 227(9).

[3]             Dans son avis d’appel, la requérante a fait valoir qu’elle n’était pas l’« acheteur » des actions. La requérante veut désormais déposer les actes de procédure proposés afin de soutenir qu’elle a perdu une somme découlant d’un dépouillement de REER et qu’elle a par conséquent été victime d’un trompe‑l’œil. Elle n’a eu connaissance des faits sous-jacents à la somme découlant d’un dépouillement de REER qu’à la lecture de la réponse à l’avis d’appel et que pendant la procédure d’interrogatoire préalable de son appel. Dans ses actes de procédure proposés, la requérante affirme que, s’il est conclu qu’elle est l’« acheteur » des actions, une nouvelle cotisation devrait être établie à son égard au motif que les transactions se rapportant à la vente des actions étaient un trompe‑l’œil ou, subsidiairement, que le coût des actions aux fins de l’article 116 de la Loi était égal à la juste valeur marchande des actions.

[4]             L’intimée ne s’oppose pas aux faits supplémentaires allégués dans les actes de procédure proposés à condition qu’elle puisse poursuivre son interrogatoire préalable au sujet de ces faits. L’intimée demande également le droit de déposer une réponse modifiée conformément à l’article 57 des Règles. Toutefois, l’intimée s’oppose aux modifications énoncées dans les sections des actes de procédure proposés se rapportant à l’aperçu, aux motifs et à la réparation sollicitée. En particulier, l’intimée estime que les paragraphes 4A, 23b), 23f), 28A, 30A, 33A et 37A devraient être radiés des actes de procédure proposés. Les faits supplémentaires et les modifications énoncés dans les sections des actes de procédure proposés se rapportant à l’aperçu, aux motifs et à la réparation sollicitée sont énumérés ci‑après dans ma décision.

[5]             La requérante n’admet pas qu’il devrait y avoir d’autres interrogatoires.

Droit

A. Modification des actes de procédure

[6]             Aux termes de l’article 54 des Règles, il est possible de modifier les actes de procédure avec le consentement de la partie opposée ou sans le consentement de celle‑ci, mais avec l’autorisation de la Cour. En règle générale, une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer : Canderel c R, [1994] 1 CF 3, au paragraphe 10.

[7]             Dans des circonstances comme celles en l’espèce, lorsque la modification d’actes de procédure comporte l’ajout de faits, de nouveaux motifs et une nouvelle réparation en fonction de ces faits supplémentaires, la Cour doit supposer que les modifications énoncées dans les actes de procédure modifiés sont vraies. Les modifications peuvent être radiées uniquement si la Cour établit qu’il est « évident et manifeste » qu’elles ne révèlent « aucune cause d’action raisonnable » : Hunt c T & N plc, [1990] 2 RCS 959, aux paragraphes 30 et 34.

[8]             Lorsqu’il est saisi d’une requête visant à modifier des actes de procédure, le juge des requêtes a le loisir d’évaluer les éléments fondamentaux de la modification proposée pour s’assurer que celle‑ci respecte les exigences minimales des actes de procédure aux termes des Règles. Si une modification proposée à un acte de procédure ne révèle, à première vue, aucune cause d’action, elle ne devrait pas être autorisée. Voir Canada c Fluevog, 2011 CAF 338.

[9]             Pour déterminer s’il convient d’autoriser les modifications énoncées dans les sections des actes de procédure proposés se rapportant à l’aperçu, aux motifs et à la réparation sollicitée, je ne peux pas examiner le moindre élément qui peut avoir été présenté à l’appui des faits allégués. Dans l’arrêt Romanuk c La Reine, 2013 CAF 133, le juge Webb s’est exprimé en ces termes au paragraphe 5 :

[...] Comme les faits allégués doivent être tenus pour avérés, il n’est pas nécessaire que le juge examine le moindre élément qui peut avoir été présenté à leur appui pour se prononcer sur l’opportunité de la modification. Si de tels éléments de preuve ont été produits à cette fin, le juge ne doit pas en tenir compte pour décider s’il faut autoriser la modification.

B. Article 116

[10]        L’article 116 de la Loi comporte un mécanisme destiné à faciliter le recouvrement d’impôt aux termes de la partie I auprès de personnes non‑résidentes qui disposent d’un bien canadien imposable (« BCI »). Les paragraphes 116(1), (2) et (3) prévoient que le vendeur non‑résident doit envoyer un avis au ministre avant de disposer d’un BCI ou dans les dix jours suivant la disposition, et payer un montant au titre de l’impôt ou fournir une garantie concernant la disposition. Si la personne non‑résidente respecte ces exigences, le ministre délivrera un certificat à la personne non‑résidente et à l’acheteur. Cependant, si la personne non‑résidente ne respecte pas ces exigences, l’acheteur est redevable, pour le compte d’autrui, de cet impôt. Aux termes du paragraphe 116(5), l’acheteur d’un BCI peut être redevable de l’impôt que doit le vendeur non‑résident. Il s’agit d’un outil de recouvrement qui permet au ministre de recouvrer, auprès de l’acheteur d’un BCI, l’impôt qu’un vendeur non‑résident doit payer. Le paragraphe 116(5) est formulé en ces termes :

Assujettissement de l’acheteur

116(5) L’acheteur qui, au cours d’une année d’imposition, acquiert auprès d’une personne non-résidente un bien canadien imposable (sauf un bien amortissable ou un bien exclu) d’une telle personne est redevable, pour le compte de cette personne, d’un impôt en vertu de la présente partie pour l’année, sauf si, selon le cas :

            a) après enquête sérieuse, l’acheteur n’avait aucune raison de croire que la personne ne résidait pas au Canada,

            a.1) le paragraphe (5.01) s’applique à l’acquisition;

            b) le ministre a délivré à l’acheteur, en application du paragraphe (4), un certificat concernant le bien.

Cet impôt — à remettre au receveur général dans les 30 jours suivant la fin du mois au cours duquel l’acheteur a acquis le bien — est égal à 25 % de l’excédent éventuel du coût visé à l’alinéa c) sur la limite visée à l’alinéa d) :

            c) le coût pour l’acheteur du bien ainsi acquis;

            d) la limite prévue par le certificat délivré en application du paragraphe (2) concernant la disposition du bien par la personne non-résidente en faveur de l’acheteur.

L’acheteur a le droit de déduire d’un montant qu’il a versé à la personne non‑résidente, ou porté à son crédit, ou de retenir sur un tel montant, ou de recouvrer autrement d’une telle personne, tout montant qu’il a payé au titre de cet impôt.

[11]        Aux termes du paragraphe 116(5), l’acheteur peut être libéré de cette responsabilité dans les situations suivantes :

a)     après enquête sérieuse, l’acheteur n’avait aucune raison de croire que le vendeur ne résidait pas au Canada;

b)    le ministre a délivré à l’acheteur, en application du paragraphe 116(4), un certificat concernant la disposition.

Je souligne que l’alinéa 116(5)a.1) s’applique aux acquisitions de biens protégés par un traité effectuées après 2009. Par conséquent, cet alinéa ne s’applique pas aux circonstances de l’appel.

Thèse de la requérante

[12]        Dans ses actes de procédure proposés, la requérante soutient que s’il est conclu qu’elle est l’« acheteur », une nouvelle cotisation devrait être établie à son égard au motif que les transactions étaient un trompe‑l’œil. L’avocat de la requérante a fait valoir que les transactions ayant donné lieu à l’appel devraient être examinées dans leur contexte. Dans le cadre de ces transactions, le prix d’achat des actions comprenait le versement d’honoraires aux promoteurs du régime et le dépôt de fonds dans un compte à l’étranger afin que les rentiers des REER et des FERR puissent les utiliser et en profiter librement. Prises dans leur contexte, les transactions étaient des trompe‑l’œil conçus pour tromper la requérante. Si la Cour conclut que les transactions étaient un « trompe‑l’œil », elle pourra qualifier autrement les transactions et accueillir l’appel au motif que la requérante devrait faire l’objet d’une nouvelle cotisation en ce qui a trait à ces transactions.

[13]        L’avocat de la requérante soutient que rien n’indique explicitement que seules les autorités fiscales peuvent profiter de la « théorie du trompe‑l’œil ». Il n’est pas « évident et manifeste » que son argument fondé sur le trompe‑l’œil sera rejeté et celui‑ci ne devrait pas être radié.

[14]        Subsidiairement, la requérante soutient que le coût des actions acquises par les fiducies était seulement égal à la juste valeur marchande des actions au moment où les transactions respectives ont été conclues. Par conséquent, l’impôt qu’elle doit payer devrait être établi en fonction de cette juste valeur marchande.

Thèse de l’intimée

[15]        Selon l’intimée, en supposant que les faits tels qu’ils sont allégués sont vrais, la théorie du trompe‑l’œil ne s’applique pas à cet appel. En invoquant un trompe‑l’œil, la requérante tente de faire en sorte que l’appel ne soit pas axé sur l’article 116 de la Loi, mais sur une autre transaction que l’intimée décrit comme [traduction] l’« arrière‑plan de la transaction ». L’avocat de l’intimée a décrit l’« arrière‑plan de la transaction » comme les faits qui sont présumés vrais aux fins de la requête. (J’énumérerai ces faits ultérieurement dans ma décision.) Il a soutenu que l’arrière‑plan de la transaction n’a rien à voir avec la question de savoir si le paragraphe 116(5) s’applique.

[16]        L’avocat fait également valoir qu’en application de la « théorie du trompe‑l’œil », dans une affaire fiscale, il doit y avoir une intention de tromper le ministre. Par conséquent, seul le ministre peut invoquer un « trompe-l’œil » dans une affaire fiscale.

[17]        En ce qui a trait à l’argument subsidiaire de la requérante à savoir que le coût des actions aux fins de l’article 116 de la Loi était égal à la juste valeur marchande des actions, l’intimée a fait valoir que le terme « coût » employé à l’alinéa 116(5)c) renvoie au prix que l’appelante a payé pour acquérir les actions.

Les actes de procédure proposés

[18]        Voici les faits auxquels l’intimée ne s’oppose pas dans les actes de procédure proposés et qui sont présumés vrais aux fins de la présente demande :

[traduction]

C.        Le régime

20A.    Certaines personnes, que Coast Capital ne connaît pas toutes, dont Cameron Claridge, Roy Gallant, Sommerville, le courtier, Bruce Frommert, Evan Seys et Peter Khean (les « promoteurs »), ont créé un régime qui aurait été conçu pour qu’il soit possible d’effectuer des retraits non imposables de fonds de REER ou de FERR (le « régime »).

20B.    Les promoteurs ont conclu des ententes avec les rentiers afin de mettre en œuvre le régime. Les promoteurs et les rentiers ont délibérément trompé Coast Capital. Coast Capital n’était pas au fait du régime. Coast Capital n’était pas un promoteur du régime.

20C.    À l’insu de Coast Capital, dans le cadre du régime, une fiducie régie par un REER ou un FERR achetait pour le compte des rentiers des actions d’une société résidant au Canada par à un prix supérieur à la juste valeur marchande des actions.

20D.    Dans le cadre du régime, le rentier :

i)          ouvrait un REER ou un FERR autogéré auprès de Coast Capital;

ii)         convertissait en espèces la totalité ou une partie de ses REER ou de ses FERR existants si ceux‑ci n’étaient pas déjà en espèces;

iii)        transférait les espèces dans le REER ou le FERR autogéré nouvellement ouvert auprès de Coast Capital;

iv)        demandait à Coast Capital, à titre de fiduciaire du REER ou du FERR, d’acquérir les actions à un prix supérieur à leur juste valeur marchande.

20E.     À l’insu de Coast Capital, les promoteurs conservaient une partie du prix d’achat des actions à titre d’honoraires et transféraient le reste des fonds à l’étranger, dans une société internationale, un compte bancaire ou une autre installation auxquels les rentiers avaient accès et sur lesquels ils exerçaient un contrôle, mais dont ils n’étaient pas directement propriétaires.

20F.     À l’insu de Coast Capital, les rentiers pouvaient alors retirer des fonds de la société internationale ou du compte bancaire au moyen de services bancaires en ligne, d’une carte de débit ou de crédit étrangère ou d’autres méthodes difficiles à découvrir.

20G.    Voici les types de documents que les rentiers, le courtier ou M. Khean fournissaient à Coast Capital afin qu’elle achète des actions d’une société à un prix supérieur à la juste valeur marchande :

i)          une lettre d’instructions (« lettre d’instructions ») dans laquelle le rentier demandait à Coast Capital de transférer les fonds au courtier dans un fonds destiné à l’achat des actions;

ii)         une lettre du courtier ou de M. Khean indiquant que les actions étaient un placement admissible et laissant entendre que le prix d’achat des actions équivalait à la juste valeur marchande de celles‑ci (« lettre de certification »).

20H.    Les rentiers et les promoteurs savaient que la lettre d’instructions ne représentait pas la véritable nature du régime. Le régime ne visait pas réellement à acheter les actions au prix d’achat énoncé, mais bien à acheter les actions à un prix supérieur à leur juste valeur marchande, à retirer la différence entre le prix d’achat énoncé et la juste valeur marchande des REER ou des FERR des rentiers et à transférer ces fonds à l’étranger pour l’usage des rentiers.

20I.      Les rentiers et les promoteurs ont transmis des lettres d’instructions et de certification à Coast Capital afin que celle‑ci fournisse des fonds à M. Stewart dans la poursuite des objectifs du régime.

[19]        Voici les paragraphes des actes de procédure proposés que l’intimée souhaite radier :

[traduction]

I.          APERÇU

4A.      L’appelante affirme en outre que les clients de l’appelante, les rentiers du REER (les « rentiers ») ainsi que les vendeurs des actions et leurs représentants ont délibérément représenté faussement la véritable nature des transactions sur lesquelles s’est appuyé le ministre dans les documents fournis à Coast Capital et que les transactions étaient un trompe‑l’œil.

V.        QUESTIONS À TRANCHER

23. b)   La question de savoir si les transactions sur lesquelles s’est appuyé le ministre étaient un trompe‑l’œil.

f)  La question de savoir si le coût des actions pour Coast Capital aux fins du paragraphe 116(5) était différent du montant sur lequel s’est appuyé le ministre pour établir la cotisation.

VII.     MOTIFS SUR LESQUELS S’APPUIE COAST CAPITAL

28A.    Deuxièmement, les transactions étaient un trompe‑l’œil.

30A.    Cinquièmement, si l’honorable Cour estime que Coast Capital est personnellement responsable à titre d’acheteur aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi, ce qui n’est pas admis et est précisément rejeté, Coast Capital n’a pas acquis les actions à un coût équivalent au montant sur lequel s’est appuyé le ministre pour établir la cotisation.

B.        Les transactions étaient un trompe‑l’œil

33A.    Les documents fournis à Coast Capital et les autres gestes posés par les rentiers et les promoteurs visaient à faire croire à Coast Capital qu’elle créait les droits et les obligations juridiques se rapportant à une transaction de transfert d’actions au prix d’achat énoncé, mais le véritable objectif des transactions consistait à transférer la différence entre la juste valeur marchande des actions et le prix d’achat énoncé à partir des REER ou des FERR des rentiers à l’étranger afin que ceux‑ci puissent les utiliser et en profiter. Les rentiers et les promoteurs ont délibérément cherché à représenter faussement l’état réel de la situation à Coast Capital et à la tromper intentionnellement.

E.        Le coût auquel Coast Capital a acquis les actions n’était pas égal au montant ayant servi à établir la cotisation

37A.    Si la Cour conclut que Coast Capital est personnellement responsable à titre d’acheteur aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi, qui n’est pas admis et est précisément rejeté, il est respectueusement soumis que Coast Capital n’a pas acquis les actions au coût sur lequel s’est appuyé le ministre pour établir la cotisation, et le montant ayant servi à établir la cotisation aux termes du paragraphe 116(5) de la Loi est erroné. Le coût des actions payé par Coast Capital est égal à la juste valeur marchande des actions au moment où les transactions respectives ont été conclues.

Argument fondé sur le trompe­‑l’œil

[20]        En résumé, la requérante a fait valoir qu’elle a été victime d’un trompe‑l’œil et qu’il y a lieu d’accueillir son appel pour ce motif. Elle a déclaré que les rentiers et les promoteurs ont représenté faussement les transactions. La requérante a été amenée à débloquer des fonds des comptes de REER et de FERR afin que les rentiers puissent contrôler les fonds. La requérante a demandé à la Cour d’accueillir l’appel et de modifier les cotisations ou de les renvoyer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que les transactions devraient être qualifiées correctement. Ainsi, la responsabilité de la requérante aux termes de l’article 116 devrait être établie en fonction de la juste valeur marchande des actions.

[21]        Dans l’arrêt Faraggi c R, 2008 CAF 398, le juge Noël, tel était alors son titre, a examiné le concept du trompe‑l’œil en droit canadien. Il a formulé les observations suivantes :

57 Par contre, les tribunaux se sont toujours sentis autorisés à intervenir face à ce qui est convenu d’appeler une frime. La définition « classique » d’une frime est celle formulée par Lord Diplock dans Snook, supra et reprise par la Cour suprême plusieurs fois depuis. Dans Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, le juge Estey écrivait (p. 545) :

[...] cette expression nous vient de décisions du Royaume-Uni et signifie, de façon générale (non sans ambiguïté), une opération assortie d’un élément de tromperie de manière à créer une illusion destinée à cacher au percepteur le contribuable ou la nature réelle de l’opération, ou un faux-semblant par lequel le contribuable crée une apparence différente de la réalité qu’elle sert à masquer.

Ce passage est aussi cité dans Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, (para. 20).

58 Dans l’affaire Cameron, supra, la Cour suprême a adopté le passage suivant issu de Snook, supra, pour définir ce qu’était une frime en droit canadien (p 1068) :

...il signifie des actes faits ou des documents signés par les parties à la «frime», dans l’intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu’ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s’il en est) que les parties ont l’intention de créer.

Ce même passage est repris par le juge Estey dans Stubart, supra, à la page 572.

59 L’existence d’une frime en droit canadien exige donc en vue des définitions qui précèdent un élément de déception qui se manifeste règle générale par une fausse représentation par les parties de la transaction réelle intervenue entre elles. Dans ces circonstances, les tribunaux retiendront la transaction réelle et mettront de côté celle qui fut représentée comme étant la vraie.

[22]        Ces commentaires sur le concept de la frime [ou du « trompe‑l’œil »], et particulièrement la déclaration de la Cour suprême à la page 545 de l’arrêt Stubart, me mènent à la conclusion que, dans une affaire fiscale, les tribunaux peuvent conclure qu’il y a un « trompe‑l’œil » uniquement lorsque c’est le ministre qui est trompé.

[23]        Dans l’arrêt Mc Ewen Brothers Ltd c R, [1999] 3 CTC 373 (CAF), le juge Robertson a cité l’arrêt Stubart et a affirmé que « pour qu’il y ait trompe‑l’œil, le contribuable doit dire une chose au ministre, tout en faisant autre chose afin de se soustraire à ses obligations fiscales ». Il a également affirmé :

27 En l’espèce, il semble que la contribuable ait induit en erreur à la fois Hydro-Manitoba et le ministère fédéral des Travaux publics en ne leur divulguant pas qu’elle leur présentait respectivement une soumission au nom d’une société de personnes. Je suis toutefois d’avis que cette déformation des faits ne permet pas de conclure à l’existence d’un trompe-l’œil. Il demeure possible que les sociétés dont l’existence n’a pas été divulguée soient de véritables sociétés de personnes. Le fait qu’un contrat ait pu être obtenu dans des circonstances qui en auraient entraîné l’annulation si la vérité avait été connue n’a pas pour effet d’invalider le contrat sous-jacent dont l’objet est de former une société de personnes. Une tromperie de cette nature n’est pas pertinente aux fins de l’impôt. Par exemple, il ne suffit pas qu’un contribuable soit un mystificateur de talent pour que le ministre du Revenu national soit victime d’un trompe-l’œil. (Dans une autre décision, j’ai déjà utilisé l’expression « frime inverse » pour désigner une situation dans laquelle un contribuable avait l’intention de tromper un tiers6.) Quoi qu’il en soit, une société de personnes aurait pu être formée après la présentation des soumissions afin de réunir le capital nécessaire. La seule preuve pertinente quant à l’existence d’un trompe‑l’œil est celle qui établit que le contribuable a tenté d’induire le ministre en erreur ou qu’il y est parvenu. La situation dans laquelle la preuve documentaire du contribuable dit une chose, alors que le contribuable en fait une autre, en est l’exemple typique. (Non souligné dans l’original.)

[24]        À mon avis, dans une affaire fiscale, si c’est le ministre qui doit être trompé, seul lui peut invoquer un « trompe‑l’œil » et s’appuyer sur un argument fondé sur le « trompe‑l’œil » pour faire en sorte que les tribunaux ne tiennent pas compte d’une transaction. Mon avis est étayé par l’arrêt Bonavia c La Reine, 2010 CAF 129, de la Cour d’appel fédérale.

[25]        Dans cette affaire, le contribuable avait présenté une demande de prêt à NBI et avait remis à NBI une procuration afin de permettre à celle‑ci de recouvrer le montant du prêt plus les intérêts en recevant les versements mensuels qui étaient dus à l’appelant, qui provenaient du fonds enregistré de revenu de retraite (« FERR ») de celui‑ci à la Banque Royale. NBI a utilisé la procuration et les documents qu’elle a créés pour transférer plus de 118 000 $ du FERR du contribuable à la Banque Royale à une autre entité qui s’appelait CCCC. Le ministre a ajouté ce montant au revenu du contribuable au motif qu’il s’agissait d’une prestation reçue par celui‑ci dans le cadre d’un FERR aux termes des paragraphes 146.3(1) et 56(2) de la Loi. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a confirmé la cotisation. À la Cour d’appel fédérale, le contribuable a fait valoir que les documents créés par NBI constituaient un trompe-l’œil puisqu’ils contenaient une déclaration inexacte fondamentale faite par les dirigeants de NBI concernant la nature des opérations et que le ministre ne pouvait pas s’appuyer sur ces documents pour conclure que le FERR du contribuable avait été transféré de la Banque Royale. Le juge Evans, s’exprimant au nom de la Cour, ne souscrivait pas à l’argument du contribuable. Il a fait la déclaration suivante :

7 Nous ne sommes pas de cet avis. À notre avis, il s’agit simplement d’une déclaration inexacte et frauduleuse dont M. Bonavia, parmi d’autres, a été victime. Étant donné que M. Bonavia n’était pas partie à la déclaration inexacte et frauduleuse, il ne s’agissait pas d’un « trompe‑l’œil », selon le sens attribué à ce terme par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (C.S.C.), p. 545 et 572, qui empêchait le ministre de s’appuyer sur les documents pour confirmer le transfert du fonds de la Banque Royale à la CCCC.

[26]        D’après l’arrêt Bonavia, j’en conclus également que le contribuable qui a interjeté appel à la Cour doit avoir été partie au « trompe‑l’œil ».

[27]        En outre, selon mon analyse, les faits tels qu’ils sont allégués par la requérante dans ses actes de procédure proposés ne permettent pas de conclure que la requérante a été victime d’un « trompe‑l’œil ». Il me semble plutôt que la requérante, comme dans l’arrêt Bonavia, a été victime d’une déclaration inexacte et frauduleuse. Dans les actes de procédure proposés, la requérante a allégué que les rentiers et les promoteurs avaient délibérément cherché à représenter faussement les transactions à la requérante. Cet acte de procédure ne prouve pas l’existence d’un « trompe‑l’œil ». Aucun fait allégué ne permet de prouver que les droits et les obligations juridiques créés entre les rentiers et les promoteurs n’étaient pas ce qu’ils devaient être. Les rentiers et les promoteurs avaient manifestement l’intention que le prix d’achat des actions soit le prix d’achat énoncé. Ils ont élaboré un plan visant à retirer les fonds des REER des rentiers afin que les promoteurs reçoivent leurs honoraires et les rentiers reçoivent les fonds retirés de leur REER. Ils ont fait une fausse déclaration à la requérante en ce qui a trait à la valeur des actions achetées par les REER. Cependant, il ne s’agit pas d’un « trompe‑l’œil », mais bien d’une fraude.

[28]        Selon mes conclusions, il est « évident et manifeste » que l’« argument fondé sur le trompe‑l’œil » de la requérante ne révèle aucune cause d’action. Les paragraphes 4A, 23b), 28A et 33A devraient être radiés des actes de procédure proposés.

L’argument fondé sur le coût

[29]        Les REER ont acquis des actions à un prix supérieur à la valeur marchande de celles‑ci. La requérante soutient, subsidiairement, que le coût des actions aux fins de l’article 116 de la Loi était égal à la juste valeur marchande des actions.

[30]        L’alinéa 116(5)c) de la Loi est formulé en partie en ces termes :

116(5) [...]

Cet impôt — à remettre au receveur général dans les 30 jours suivant la fin du mois au cours duquel l’acheteur a acquis le bien — est égal à 25 % de l’excédent éventuel du coût visé à l’alinéa c) sur la limite visée à l’alinéa d) :

            c) le coût pour l’acheteur du bien ainsi acquis;

[...]

[31]        Il est évident que l’impôt prévu à l’alinéa 116(5)c) est établi en fonction du « coût pour l’acheteur ». L’alinéa 116(5)c) ne comporte aucune mention de la juste valeur marchande du bien acheté. Les termes employés dans la phrase et la phrase elle‑même ne sont pas ambigus. Selon son sens ordinaire, le mot « coût » employé dans cet alinéa signifie le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question : La Reine c Stirling, [1985] 1 CF 342 (CAF).

[32]        À mon avis, l’argument subsidiaire de la requérante ne révèle lui non plus aucune cause d’action. Les paragraphes 23f), 30A et 37A seront radiés des actes de procédure proposés.

[33]        Les actes de procédure proposés peuvent être déposés avec les faits supplémentaires auxquels l’intimée ne s’oppose pas. La requête présentée par la requérante, en ce qui a trait aux modifications qui ont suscité une opposition, est rejetée avec dépens en faveur de l’intimée.

[34]        L’intimée a le droit de mener un interrogatoire préalable sur les allégations de fait supplémentaires énoncées dans les actes de procédure modifiés et elle peut déposer une réponse modifiée traitant de ces allégations de fait.

[35]        J’ai appris que l’intimée a présenté une requête dans laquelle elle demande l’autorisation d’effectuer un interrogatoire préalable auprès d’un tiers et que la requête devrait être instruite le 25 septembre 2015. Par conséquent, je ne rendrai aucune ordonnance sur l’échéancier relatif au déroulement de l’appel.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 5e jour d’août 2015.

« V. A. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2015.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015CCI195

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1860(IT)G

INTITULÉ :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION ET LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 mai 2015

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 5 août 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de la requérante :

Me Robert Alan Kopstein

Avocat de l’intimée :

Me Perry Derksen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour la requérante :

Nom :

Me Robert Alan Kopstein

 

Cabinet :

Blake Cassels & Graydon, s.r.l.

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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