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Dossier : 2014-648(IT)G

ENTRE :

KENNETH WILLIAM HALL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2014-776(IT)G

ENTRE :

ARLENE DONNA HALL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 20 août 2015, à Prince George (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Pour les appelants :

Les appelants eux-mêmes

Avocat de l’intimée :

Me Jeff Watson

 

JUGEMENT

Les appels relatifs aux cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, relativement à l’avis de cotisation portant le no 1504135, sont rejetés.

Signé à Ottawa (Canada), ce 13e jour d’octobre 2015.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de janvier 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 240

Date : 20151013

Dossier : 2014-648(IT)G

ENTRE :

KENNETH WILLIAM HALL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2014-776(IT)G

ENTRE :

ARLENE DONNA HALL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge C. Miller

[1]             Kenneth Hall et Arlene Hall (les « appelants ») ont été l’objet de cotisations établies le 12 septembre 2011, à titre d’administrateurs de Petco Holdings Inc. (la « Société »), en application de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Les appelants s’opposent aux cotisations pour les trois motifs qui suivent :

                   i.                        le ministre du Revenu national (le « ministre ») n’a pu prouver que les montants visés par la cotisation correspondent de manière exacte à ceux que la Société devait en réalité au titre de retenues à la source d’employés;

                 ii.                        les appelants ont cessé d’être administrateurs avant le 12 septembre 2009;

              iii.                        les appelants ont fait preuve de diligence raisonnable en tentant d’éviter que la Société omette de verser des retenues à la source.

[2]             Kenneth Hall a été la seule personne à témoigner pour les appelants. Il a déclaré que c’était lui qui décidait ce que la Société devait payer et ce qu’elle pouvait remettre à plus tard. Mme Hall lui demandait quelles étaient ses instructions à cet égard. Elle n’était pas habilitée à effectuer des paiements si M. Hall, comme il l’a dit, suivait une voie différente.

[3]             La Société exploitait une entreprise de vente de systèmes d’alarme, et ce, depuis de nombreuses années avant les années d’imposition 2004 et 2005, celles dans lesquelles la Société a omis de verser les retenues à la source qui sont en litige. À la fin des années 1990, la Société a fait construire un nouveau bâtiment, qui a entraîné en fin de compte des dépenses supérieures à celles qui étaient prévues. M. Hall m’a donné l’impression que ce fait a marqué le début des déboires financiers de la Société. Il a admis qu’en 2004 la Société n’effectuait pas les paiements qu’elle aurait dû faire, mais que, en fait, elle payait ceux – peu importe lesquels – qui permettraient à la Société de poursuivre ses activités. En 2004 et en 2005, les Hall étaient bien au fait des problèmes financiers de la Société, surtout sur le plan des versements de retenues à la source. Cette situation était due aux problèmes de trésorerie de la Société. Les Hall ont augmenté jusqu’à la limite l’hypothèque grevant leur résidence en vue d’injecter des fonds dans l’entreprise. Ils ont réduit considérablement leurs propres salaires, gagnant finalement moins que leurs employés. Ils ont poussé leurs fournisseurs jusqu’à la limite, au point où on ne leur consentait plus de crédit.

[4]             M. Hall a admis avoir décidé de payer les employés avant l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Il a laissé entendre que son dilemme était celui de savoir s’il devait payer l’ARC, en étant conscient de la responsabilité des administrateurs, s’il devait payer les employés, en étant conscient là aussi de la responsabilité éventuelle des administrateurs et du préjudice qu’il ferait subir aux employés s’il ne le faisait pas, s’il devait payer la Commission des accidents du travail, en étant conscient une fois de plus de la responsabilité des administrateurs, ou s’il devait effectuer des remboursements à son créancier hypothécaire, en étant conscient que son épouse et lui risquaient de perdre leur maison s’ils ne le faisaient pas. Il a décidé de ne pas payer l’ARC dans les délais prescrits, quoique la Société ait bel et bien fait d’importants paiements totalisant 165 000 $ entre les mois de septembre 2004 et d’avril 2007 à North Central Bailiffs Ltd., à la suite de tentatives de l’huissier pour faire appliquer des brefs délivrés en vertu de certificats de la Cour fédérale. Je traiterai plus en détail de cette mesure sous peu.

[5]             Durant les années 2004 et 2005, M. Hall a été en contact régulier avec l’ARC. En fait, l’ARC bloquait le compte de la Société et, après avoir reçu des Hall un formulaire de quittance, elle le débloquait. L’une des conditions du formulaire que l’ARC avait obligé les Hall à signer à titre d’administrateurs était la suivante :

[traduction] Je m’engage personnellement à ne pas utiliser l’existence de l’entente comme argument ou comme motif de défense dans le cadre de procédures découlant de l’application des dispositions de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[6]             Les Hall ont fourni ce type d’entente à l’ARC en janvier 2003 et, une fois de plus, en février 2004. Dans l’intervalle, la somme des retenues à la source que la Société devait à l’ARC a augmenté, et non pas diminué. Je conclus que le dialogue permanent qu’il y a eu entre M. Hall et l’ARC s’est déroulé après un défaut de paiement, en vue de traiter des conditions de remboursement, et non pas de la manière d’éviter tout défaut ultérieur. Quelle que soit l’entente conclue avec l’ARC, celle-ci, manifestement, n’a pas fonctionné.

[7]             Des cotisations d’entreprise ont été établies le 15 mars 2005 :

Date de cotisation

Année d’imposition 

Impôt fédéral

Impôt provincial

RPC

AE

Pénalités

Intérêts

Solde total

15 mars 2005

2004

31 669,86 $

12 034,40 $

11 275,25 $

4 373,25 $

5 480,34 $

1 913,00 $

           66 746,67 $

15 mars 2005

2005

1 911,13 $

726,22 $

1 743,32 $

960,93 $

5 480,34 $

21,00 $

           72 593,43 $

Intérêts courus au 12 septembre 2011

 

 

 

 

 

 

34 470,88 $

107   064,31 $

[8]             Pour en revenir aux paiements de 165 000 $ que la Société a remis aux huissiers, leur destination exacte n’est pas aussi claire qu’elle le devrait. M. Hall l’ignore. Les deux agents de recouvrement de l’ARC qui ont témoigné ont tenu pour acquis que ces montants avaient été reçus et affectés à une créance de TPS que la Société avait accumulée. Un agent de recouvrement, M. Devauld, a déclaré sous serment dans un affidavit que l’ARC n’avait reçu aucun montant des huissiers à l’égard du compte de paye de la Société entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2008, mais il indique ensuite qu’au cours de cette période les paiements suivants ont été portés au crédit du compte de paye de la Société :

[traduction]

a)                  le 1er août 2007, la somme de 16 689,87 $ a été transférée du compte de TPS de Petco Holdings;

b)                  le 1er août 2007, la somme de 2 654,60 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement adressée à Vernon Business Service;

c)                  le 31 août 2007, la somme de 14 000 $ a été transférée du compte de TPS de Petco Holdings;

d)                 le 26 novembre 2007, la somme de 2 180 $ a été transférée du compte de TPS de Petco Holdings;

e)                  le 31 mars 2008, la somme de 9 072 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement;

f)                   le 29 juillet 2008, la somme de 1 188,59 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement;

g)                  le 8 août 2008, la somme de 1 158,94 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement;

h)                  le 12 août 2008, la somme de 1 317,03 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement;

i)                    le 18 septembre 2008, la somme de 1 991,45 $ a été transférée du compte de TPS de Petco Holdings;

j)                    le 24 septembre 2008, la somme de 1 693,49 $ a été reçue à la suite d’une demande formelle de paiement;

k)                  le 9 décembre 2008, la somme de 1 004,92 $ a été payée par Petco Holdings à l’Agence du revenu du Canada.

Ces sommes totalisent un montant d’environ 53 000 $. Il vaut la peine de signaler que le premier de ces paiements représente des fonds qui ont été transférés du compte de TPS de la Société, et qu’une somme totale de 32 000 $ a ainsi été transférée de ce compte.

[9]             Dans son affidavit, M. Devauld indique également :

[traduction]

6.         Les cotisations au titre de la responsabilité de l’administrateur dont il est question en l’espèce, d’un montant de 107 064,31 $, sont fondées sur le bref ITA-13652-05, délivré le 29 décembre 2005, et elles incluent les montants suivants :

a)         les montants imposés à Petco Holdings Inc. pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004, y compris :

i.          impôt fédéral de 31 669,86 $

ii.         impôt provincial de 12 034,40 $;

iii.        cotisations au Régime de pensions du Canada de 11 275,82 $;

iv.        cotisations d’assurance-emploi de 4 373,25 $;

v.         pénalités totalisant 5 480,34 $;

vi.        intérêts totalisant 1 943,14 $;

b)         les montants imposés à Petco Holdings Inc. pour les périodes de janvier, de février, de juillet, d’août et de septembre 2005, y compris :

i.          impôt fédéral de 1 911,13 $

ii.         impôt provincial de 726,22 $;

iii.        cotisations au Régime de pensions du Canada de 1 743,32 $;

iv.        cotisations d’assurance-emploi de 960,93 $;

v.         pénalités totalisant 484,16 $;

vi.        intérêts totalisant 21 $;

c)         un montant d’intérêt additionnel de 34 440,74 $, accumulé entre le 30 novembre 2005 et le 12 septembre 2011.

[10]        Je ne vois pas clairement à quel compte de paye on a crédité la somme de 53 000 $, s’il ne s’agit pas des montants qui étaient à payer en 2004 et en 2005.

[11]        La Cour fédérale du Canada a délivré un certificat et un bref concernant le dossier 13652-05 le 29 décembre 2005 et le 22 février 2006, respectivement, d’un montant de 72 623,57 $. Le bref comporte une note de l’huissier datée du 15 septembre 2008 et portant la mention [traduction] « pas d’autres biens exigibles ». Il y avait, selon les agents de recouvrement, d’autres certificats et brefs, ce qui faisait, comme l’a laissé entendre un des agents, qu’il était difficile de suivre tous les paiements reçus, par l’entremise de l’huissier ou non, quant au compte exact de la Société auquel ces montants étaient affectés. Il y avait un bref antérieur, ITA-7393-06, daté du 21 juin 2001 et d’un montant de 44 668 $, ainsi qu’un bref ITA-4870-04, concernant un montant en souffrance, relatif au compte de paye, de 123 886 $ et daté du 30 mars 2004. Dans un affidavit, M. Chris Johansen, conseiller technique en matière de recouvrement auprès de l’ARC, indique :

[traduction]

9.         Les paiements relatifs au compte de paye qui ont été faits par l’appelant ou pour son compte au cours des années 2007 et 2008 ont totalisé un montant payé de 47 294,88 $, conformément à l’annexe A, mais il m’est impossible de déterminer à quel bref ils ont été appliqués.

10.       Le 5 juin 2012, l’ARC a traité une réduction de la valeur du compte de paye de Petco Holdings Inc. :

SOLDE DU COMPTE :                        332 401,85 $

MONTANT DE LA RÉDUCTION :   225 337,54 $

SOLDE PERCEVABLE :                    107 064,31 $

ANNÉE(S) :   2001/2002/2003/2004/2005/2006/2007/2008

M. Hall s’est montré manifestement contrarié par le flou entourant cette comptabilisation.

[12]        Après une saisie de biens en mai 2007, l’entreprise a, tout compte fait, été fermée. Il semble toutefois qu’il se soit écoulé un an avant que l’huissier envoie le reste du produit à l’ARC et retourne le bref impayé.

[13]        En juin 2009, les Hall ont été informés par leur avocat que la Société allait être dissoute dans un délai de moins d’un mois. Selon un avis de début de procédures de dissolution du Corporate Registry [le « registraire des sociétés »] de la Colombie-Britannique, daté du 2 juin 2009, la Société est en voie d’être dissoute. Cet avis indique, plus précisément :

[traduction]

Si, dans le délai d’un mois après la date du présent avis, la société omet de produire la totalité des rapports annuels en souffrance, il est possible qu’un avis soit publié dans le site Web de l’Imprimeur de la Reine www.qplegaleze.ca. Cet avis indiquera que, en tout temps après l’expiration du délai d’un mois suivant la date de publication de l’avis, la Société sera dissoute, à moins qu’on ne démontre le contraire ou qu’une copie d’une ordonnance judiciaire contraire soit produite.

[…]

L’article 347 de la Loi indique que, si vous négligez de produire les rapports annuels ou de demander que la dissolution soit reportée, et si votre société est dissoute en vertu de l’article 422, la responsabilité de l’ensemble des administrateurs, cadres, liquidateurs et actionnaires de la société dissoute se poursuivra et pourra être appliquée comme si la société n’avait pas été dissoute.

[14]        La Société n’a toutefois pas été radiée avant le 14 septembre 2009. La cotisation personnelle visant les Hall, à titre d’administrateurs, a été établie le 12 septembre 2011.

L’analyse

[15]        Les Hall sont-ils responsables en tant qu’administrateurs, en application de l’article 227.1 de la Loi? Les passages pertinents de cet article sont les suivants :

227.1(1)           Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

(2)        Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a)         un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b)         la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c)         la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite.

(3)        Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

(4)        L’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société.

[16]        Je traiterai tout d’abord de la prétention de M. Hall selon laquelle le certificat du 29 décembre 2005 de la Cour fédérale du Canada est inexact. Il justifie cette prétention en disant n’avoir jamais reçu un compte rendu détaillé des paiements qui ont été affectés aux divers brefs, tant pour ce qui est de la TPS que de l’impôt sur le revenu. En fait, soutient-il, on ne l’a même pas informé que l’ARC avait reçu les fonds payés à Northern Central Bailiffs Ltd. (165 000 $). Il ajoute qu’il est possible que des fonds aient été affectés, ou qu’ils auraient dû l’être, aux retenues d’impôt sur le revenu manquantes, ce qui diminuerait de beaucoup le montant en souffrance de 72 623 $. Indépendamment du manque de clarté de l’ARC, il ne fait aucun doute que Petco devait des montants considérables, que des montants considérables ont été perçus, mais qu’il reste encore en souffrance des montants considérables. M. Hall évoque la possibilité que des fonds perçus par l’huissier auraient dû servir à réduire le montant du compte de paye pour lequel il est maintenant tenu personnellement responsable, mais je ne dispose d’aucune preuve convaincante qui me permettrait de conclure que l’ARC n’a pas porté au crédit du compte de paye des sommes d’argent appropriées. Les hypothèses du ministre au sujet du montant en souffrance d’après le bref ITA‑13652-05 n’ont pas été réfutées.

[17]        Le second argument de M. Hall est que son épouse et lui ont démissionné avant le 14 septembre 2009, soit la date officielle de dissolution de la Société en Colombie-Britannique. M. Hall soutient que son épouse et lui ne devraient pas être considérés comme des administrateurs pour la période de juillet à septembre 2009 juste parce que le registraire des sociétés de la Colombie-Britannique n’a pas agi aussi rapidement qu’il aurait dû. Il a posé implicitement les questions suivantes : les fonctions d’administrateur ne prennent-elles fin qu’à la date officielle de dissolution? L’existence de la Société dépend-elle d’un enregistrement qui est en voie de dissolution? Peut-on considérer que l’expiration du délai d’un mois mentionné dans l’avis signifie la fin des fonctions d’administrateur?

[18]        Bien que ces préoccupations de M. Hall soient sérieuses, la British Columbia Corporate Act indique très clairement, à l’article 422, que la date de dissolution est [traduction] « la date et le moment inscrits dans le registre des sociétés comme étant la date et le moment de la dissolution ». Cette date était le 14 septembre 2009. Rien ne me permet de conclure le contraire. Les cotisations personnelles ont été établies dans les délais prescrits.

[19]        Voyons maintenant la défense de diligence raisonnable dont il est question au paragraphe 227.1(3) de la Loi.

[20]        La défense de diligence raisonnable donne lieu à une abondante jurisprudence. La détermination du caractère raisonnable des efforts de diligence raisonnable d’un administrateur faisait autrefois l’objet d’une analyse subjective et objective. Plus récemment, le droit a évolué dans le sens d’une simple norme objective, que la Cour d’appel fédérale a expliquée dans l’arrêt Canada c. Buckingham[1] :

37.       Par conséquent, je conclus que la norme de soin, de diligence et d’habileté exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Magasins à rayons Peoples.

 […]

52.       Le Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue relativement aux versements de leurs sociétés. En conséquence, le Parlement accepte qu’une société puisse, dans certaines circonstances, ne pas effectuer des versements sans que la responsabilité de ses administrateurs ne soit engagée. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

[…]

56.       L’administrateur d’une société qui avalise la poursuite des activités de sa société en réaffectant à d’autres fins des retenues à la source sur les salaires ne peut établir une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Tout le régime de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, lu dans son ensemble, est précisément conçu pour éviter de telles situations. En l’espèce, l’intimé avait une attente raisonnable (mais erronée) que la vente de la division de production de cours en ligne donnerait lieu à un paiement important pouvant servir à satisfaire les créanciers, mais il a consciemment fait assumer par la Couronne une partie des risques associés à cette transaction en continuant les activités tout en sachant que les retenues à la source ne seraient pas versées. Il s’agit précisément du méfait que le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu vise à éviter.

57.       Une fois que le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que les efforts déployés par l’intimé après le mois de février 2003 ne visaient plus à éviter les défauts de versements, le moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être retenu.

[21]        M. Hall a fait valoir qu’il ne devrait pas être soumis à ce critère nouveau et plus strict, et que c’est le critère de l’analyse objective et subjective, qui était appliqué avant l’arrêt Buckingham, qui devrait s’appliquer dans son cas, car c’était là le droit applicable en 2004 et en 2005. Je ne souscris pas à cette thèse. Les critères de common law évoluent. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que le fait de se fonder sur une formulation antérieure du critère aiderait la cause de M. Hall.

[22]        Les Hall, à titre d’administrateurs, ont-ils simplement favorisé l’exploitation continue de la Société en détournant les retenues à la source à d’autres fins? Je conclus que oui. Lorsqu’il est clair, comme ici, que c’est l’administrateur lui‑même, dans le cas de M. Hall, qui a pris la décision de payer d’autres créanciers plutôt que de verser les retenues à la source à l’ARC, il est difficile de voir exactement quelles mesures un tel administrateur aurait pu prendre pour satisfaire à la norme de diligence raisonnable. Nous n’avons pas affaire ici à une situation dans laquelle un administrateur joue uniquement le rôle d’un administrateur, mais à une situation dans laquelle l’administrateur est également le gestionnaire – le décideur. Il existe plusieurs exemples de ce que l’administrateur/non-gestionnaire pourrait faire dans les cas où les rentrées de fonds sont un problème et les versements sont en litige :

-         donner instruction à la direction de chercher activement du financement;

-         donner instruction à la direction d’établir des comptes distincts;

-         donner instruction à la direction de restreindre les dépenses;

-         donner instruction à la direction de mettre à pied des employés;

-         obtenir une aide ou des conseils financiers;

-         congédier l’agent financier ou le directeur général;

-         concevoir un nouveau plan d’affaires;

-         entrer en contact avec l’ARC avant de se trouver en situation de défaut.

Toutes ces mesures présupposent que les administrateurs sont capables d’agir, contrairement à une situation comme celle dont il était question dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Worrell[2], où il a été conclu que c’était la banque qui contrôlait les décisions de ce genre.

[23]        Que peut faire l’administrateur, lorsqu’il est également chargé, en tant que gestionnaire, de décider qui payer exactement quand les rentrées de fonds posent problème? Il s’agit là d’une situation plus problématique. Je n’ai pas l’intention de revenir à la distinction entre l’administrateur actif et l’administrateur passif, pour ce qui est du critère ou de la norme à respecter. La norme objective, qui consiste à savoir de quelle façon l’administrateur raisonnable exerce son obligation de soin, de diligence et d’habileté, est la même. Mais, pour l’administrateur gestionnaire, les options sont plus restreintes, et il s’agit là d’une réalité peu commode : par exemple, il est irréaliste de s’attendre à ce qu’un tel administrateur se congédie lui‑même.

[24]        M. Hall a bel et bien cherché d’autres sources de financement en contractant des prêts personnels et il a bel et bien réduit le salaire qu’il versait à Mme Hall et à lui-même, mais, en fin de compte, il a tout de même décidé de payer d’autres parties de façon à maintenir l’entreprise à flot. De plus, ces mesures ont été prises dans le but d’effectuer des versements en souffrance. Il est donc évident que ces mesures n’ont pas permis d’éviter le défaut de paiement. Sont-elles suffisantes pour satisfaire à l’obligation de soin, de diligence et d’habileté? Qu’est-ce qu’un administrateur raisonnable aurait fait de différent? Ceci étant dit avec tout le respect que je dois à M. Hall, qui m’a donné l’impression d’être une personne intègre, qui a collaboré pleinement et de manière utile après les défauts de paiement afin de s’assurer que l’ARC soit payée, et dont le monde s’est, depuis ce temps, effondré autour de lui, l’administrateur raisonnable aurait songé à fermer les portes de la société et à arrêter l’hémorragie, ou à embaucher un nouveau dirigeant. Cela est facile à dire après coup et, pour en revenir peut-être à mon argument antérieur, plus facile à faire pour l’administrateur non gestionnaire.

[25]        Dans la décision Deakin c. La Reine[3], le juge Boyle a traité d’une situation semblable, et il convient de signaler ses propos à cet égard :

22.       Selon les faits de l’espèce, rien n’a été fait pour prévenir le défaut de versement. Les Deakin ont pris les décisions éclairées et réfléchies d’utiliser une partie des retenues à la source et de la TPS perçue pour payer leurs fournisseurs et leurs employés et de ne verser qu’une partie à l’ARC. Les nombreux efforts que les Deakin ont réellement faits pour résoudre la question des arriérés ne sont d’aucun secours, en l’espèce, pour établir le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. Pour ce motif, les appels doivent être rejetés, sauf en ce qui concerne la concession faite par la Couronne à l’audience relativement au dividende de 23 316,99 $ reçu lors de la faillite de Deatech, lequel a réduit les arriérés des retenues à la source d’impôt sur le revenu.

23.       Eu égard au libellé précis des dispositions en question et aux observations faites par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Buckingham, il semble quelque peu difficile de concevoir les circonstances dans lesquelles un propriétaire‑exploitant et administrateur d’une société actif et informé ne sera pas tenu responsable de sommes non versées provenant de retenues à la source effectuées à l’égard des employés et de montants perçus au titre de la TPS. Comme cela a déjà été mentionné, la portée de l’exception établie dans l’arrêt Worrell, après l’arrêt Buckingham, demeure un point à développer dans d’autres causes que celle des Deakin.

24.       La loi exige de toute société commerciale le versement des retenues à la source et de la TPS. Il ne s’agit pas de fonds propres de la société. Celle‑ci les a perçus de ses employés et de ses clients. Ces employés et ces clients reçoivent des crédits à l’égard de ces montants une fois qu’ils sont retenus et perçus, même s’ils ne sont pas versés. Lorsque les propriétaires‑exploitants et les administrateurs décident d’utiliser ces fonds pour maintenir leur société à flot et pour soutenir leurs investissements, ils entraînent les contribuables canadiens à investir involontairement dans une société qui ne leur offre aucun avantage. En agissant de la sorte, les actionnaires et les décideurs de la société investissent l’argent d’autrui ou risquent cet argent au jeu. Les administrateurs devraient en être conscients lorsqu’ils sont à l’origine de tels actes ou qu’ils les autorisent. Les gens d’affaires devraient considérer les dispositions légales portant sur la responsabilité des administrateurs comme étant quelque peu semblables à une forme de garantie personnelle des administrateurs pouvant les exposer à une responsabilité comparable à l’égard du montant en cause. Ce sont eux qui décident d’investir les fonds dans leurs propres sociétés, pour leur propre intérêt, et non l’État ou les Canadiens. Ils enfreignent des lois claires, et il semble approprié que, par principe, le législateur ait expressément prévu qu’ils doivent généralement assumer la responsabilité de telles décisions ainsi que les risques en découlant pour eux. Essentiellement, si une société et ses administrateurs choisissent unilatéralement d’« emprunter » des contribuables canadiens et du Trésor, les Canadiens bénéficient d’une garantie semblable à des garanties personnelles des administrateurs.

[26]        La Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Buckingham que « [l]e Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue », mais si un administrateur est la personne même qui décide en fin de compte de ne rien verser au gouvernement, en vue de payer plutôt d’autres créanciers, il est difficile de percevoir que l’on puisse invoquer une défense de diligence raisonnable. Un tel administrateur assume une responsabilité personnelle.

[27]        Un administrateur, comme Mme Hall, qui a suivi semble-t-il les instructions de M. Hall, échappe-t-il à sa responsabilité? Il incombe à Mme Hall de prouver qu’elle a agi de manière raisonnable en vue d’éviter le défaut. Elle savait que la Société était en difficulté financière et, en fait, elle a laissé M. Hall prendre l’initiative. Cela ne suffit pas pour échapper à sa responsabilité.

[28]        Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa (Canada), ce 13e jour d’octobre 2015.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de janvier 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 240

NOS DE DOSSIER DE LA COUR :

2014-648(IT)G et 2014-776(IT)G

INTITULÉ :

KENNETH WILLIAM HALL ET SA MAJESTÉ LA REINE ET ARLENE DOONA HALL ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Prince George (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 août 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 octobre 2015

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Les appelants eux-mêmes

Avocat de l’intimée :

Me Jeff Watson

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Pour les appelants :

 

Nom :

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 



[1]           2011 CAF 142.

[2]               [2001] 2 C.F. 203 (C.A.F.).

[3]           2012 CCI 270.

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