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Dossier : 2014-1966(EI)

ENTRE :

KELLY SYMONS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 2 octobre 2015, à Ottawa, Canada.

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Gabrielle White

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel est accueilli sans frais et la décision du ministre du Revenu national datée du 17 février 2014 est modifiée afin qu’il soit conclu ce qui suit :

-         Bérénice Aguilar n’exerçait pas un emploi assurable auprès de l’appelante du 21 juin 2012 au 28 juin 2013.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2015.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de décembre 2015

M.-C. Gervais


Référence : 2015 CCI 270

Date : 20151102

Dossier : 2014-1966(EI)

ENTRE :

KELLY SYMONS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

I. Contexte

[1]             L’appelante, Mme Kelly Symons, exploitait une garderie Montessori dans sa maison à Montréal. L’une de ses travailleuses des services de garderie Montessori, Bérénice Aguilar, (la « travailleuse »), a travaillé pour l’appelante du 20 mars 2012 au mois de juin 2013.

[2]             Bien qu’il s’agisse de la période de travail non contestée à laquelle il a été fait allusion à l’instruction, dans une décision rendue par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») pour la période allant du 21 juin 2012 au 28 juin 2013 (la « période en cause »), il a été jugé que la travailleuse avait conclu un contrat de louage de services avec l’appelante, de sorte qu’il existait une relation employeur-employé et que la travailleuse exerçait donc un emploi assurable.

II. La question en litige

[3]             La principale question en litige dans le présent appel consiste à savoir si la travailleuse exerçait un emploi assurable auprès de l’appelante au cours de la période.

[4]             Se pose également la question connexe de savoir quelle est l’influence du Code civil du Québec sur la question principale.

III. Le témoignage de l’appelante

[5]             Dans son témoignage, l’appelante a déclaré avoir ouvert sa garderie Montessori en 2008 sous forme d’entreprise à propriétaire unique[1]. Dès le début, elle a exploité la garderie dans sa maison, et ce, jusqu’en janvier 2013, lorsqu’elle a emménagé dans un appartement où elle a alors résidé et exploité sa garderie après avoir vendu et quitté sa maison en décembre 2012.

La philosophie Montessori

[6]             L’appelante a expliqué que le fait d’avoir nommé sa garderie Montessori ne signifiait pas qu’il existait une association officielle ou sous licence avec le nom Montessori. Elle a ajouté que Mme Montessori était une personne qui prônait une philosophie d’enseignement aux jeunes enfants. Une garderie ou une prématernelle peut adopter une philosophie de cette nature et se servir du nom comme moyen de faire savoir qu’elle adhère à cette philosophie dans l’exploitation de la garderie ou de la prématernelle.

[7]             Les travailleuses engagées par l’appelante n’avaient pas nécessairement besoin d’une formation en bonne et due forme. Une travailleuse avait seulement besoin de comprendre la philosophie Montessori et d’en avoir fait l’expérience, étant donné qu’il s’agissait de la démarche pédagogique que l’appelante avait adoptée pour sa garderie. Comme elle l’a précisé, les travailleuses à la garderie de l’appelante étaient plus que des gardiennes d’enfants, elles étaient des éducatrices et des fournisseuses de soins.

[8]             L’appelante a expliqué la philosophie Montessori. Il s’agit d’une méthode qui vise à exposer les enfants par le jeu à des matériaux et à des objets de la vie quotidienne, sous la surveillance d’une travailleuse, qui aide les enfants à s’en servir pour se développer. Adhérer à cette méthode d’enseignement n’exige pas qu’on suive une formule rigide. Elle procure à une travailleuse une grande latitude et elle lui permet de s’acquitter de ses tâches sans surveillance. Ce type de milieu est propice à la créativité des travailleuses.

[9]             L’appelante a admis qu’elle avait fourni aux travailleuses une panoplie de matériaux utilisés ou compatibles avec ceux utilisés dans la méthode Montessori. Toutefois, les travailleuses étaient invitées à apporter à la garderie des objets qui pouvaient être utilisés comme outils d’enseignement. L’appelante pouvait aussi ajouter des matériaux à la demande d’une travailleuse.

[10]        Un tapis est un exemple d’objet qui pouvait servir d’outil pédagogique. On pouvait demander aux enfants de rouler une petite pièce de tapis. L’exercice permettait à l’enfant de faire l’expérience d’un objet courant dans la vie de tous les jours. C’est ce genre d’association avec un objet que la garderie s’efforçait de faire; de plus, rouler un tapis était une activité destinée à accroître les habiletés motrices. Les travailleuses menaient des activités de cette nature dans un contexte non structuré et non programmé.

L’entreprise

[11]        L’appelante a expliqué que la garderie était ouverte cinq jours complets par semaine. Le ratio travailleuse–enfants prescrit par la loi avant le déménagement de janvier, au moment où de six à neuf enfants étaient inscrits, exigeait que deux travailleuses soient engagées. Seulement une travailleuse était nécessaire après le changement de locaux, puisqu’il ne restait que quatre ou cinq enfants inscrits.

[12]        Selon les explications fournies par l’appelante, quand la travailleuse a commencé à travailler à la garderie, elle a été jumelée à une deuxième travailleuse (Shraddha Gadigone) qui avait été au service de la garderie pendant une longue période avant que la travailleuse commence à y travailler. Chacune d’entre elles travaillait avec un groupe distinct d’enfants, même si, quand la travailleuse a commencé, une grande partie de la maison était à la disposition des enfants sans locaux séparés pour des groupes distincts constitués selon l’âge ou le stade de développement. Peu après l’embauche de la travailleuse, l’appelante a quitté la maison, sa chambre à coucher s’est libérée et elle est devenue un local séparé qu’utilisait la garderie. La travailleuse a pris en charge les enfants les plus jeunes et elle se servait de la chambre à coucher tout à fait séparément, tandis que l’autre travailleuse utilisait l’autre partie de la maison pour s’occuper des enfants les plus vieux. L’appelante a qualifié d’indépendante la relation entre les deux travailleuses, en particulier après que des locaux distincts eurent été mis à leur disposition. L’appelante a nié l’allégation de la travailleuse, selon laquelle il existait une hiérarchie entre les deux travailleuses au cours de la première partie de la période en cause, pendant laquelle elles travaillaient toutes les deux à la garderie. Il n’y avait pas de désaccord quant au fait que la travailleuse travaillait seule pendant la deuxième partie de la période.

[13]        Dans son témoignage, l’appelante a déclaré qu’il n’y avait pas de lignes directrices sur le rendement, de règle de conduite ni d’autre encadrement en vue d’assurer une surveillance. La philosophie et la méthode Montessori étaient les principes directeurs qui guidaient la conduite des travailleuses. Ce sont celles-ci qui encadraient les activités quotidiennes des enfants. Les travailleuses n’avaient aucune directive à suivre à proprement parler. C’était les travailleuses qui planifiaient et qui choisissaient les activités quotidiennes. Il n’y avait aucun calendrier des activités.

[14]        Bien que j’aie décrit le travail des travailleuses de l’entreprise de l’appelante en termes génériques, l’appelante a admis que certaines tâches devaient obligatoirement être exécutées. Selon les hypothèses énoncées dans la réponse et les admissions de l’appelante, les tâches des travailleuses étaient les activités suivantes :

        garder les enfants;

        planifier et surveiller les activités des enfants;

        changer les couches;

        mettre en pratique les méthodes répondant aux normes de la philosophie Montessori.

Les autres hypothèses que l’appelante a admises sont les suivantes :

        La travailleuse était payée à un taux horaire allant de 12 $ à 15 $.

        La travailleuse était payée pour les pauses, les dîners et les jours fériés et l’appelante lui procurait une couverture sous l’équivalent québécois du régime d’indemnisation des accidents du travail. La travailleuse n’avait ni assurance‑maladie, ni congés annuels, ni primes.

        Les clients de la garderie étaient ceux de l’appelante.

        L’appelante n’effectuait aucune retenue de droits ni d’impôt.

        L’appelante fixait les prix des services de la garderie.

        La travailleuse n’avait pas de nom commercial ni de cartes professionnelles et elle ne s’était pas inscrite pour obtenir un numéro de TPS.

        L’appelante ne remettait aucun feuillet T4 ou T4A.

[15]        Quand on l’a interrogée au sujet de l’horaire de travail de la travailleuse, l’appelante a admis qu’en 2012, la travailleuse était régulièrement présente, à quelques exceptions près, quand elle n’était pas libre pour des raisons personnelles. À ces occasions, l’appelante lui trouvait une remplaçante. L’appelante a dit sur un ton assez catégorique que la travailleuse était toujours libre de choisir ses périodes de travail. Durant la partie de la période en cause qui s’est déroulée en 2013, par exemple, la travailleuse ne travaillait pas l’après-midi les lundis et vendredis.

[16]        L’appelante a déclaré dans son témoignage que la travailleuse, comme toutes les travailleuses embauchées dans l’entreprise, bénéficiait d’une souplesse totale en ce qui concerne ses jours et ses heures de travail. Je constate ici qu’à l’alinéa v) de la réponse, sous la rubrique [traduction] « Contrôle », l’hypothèse suivante a été admise :

[traduction]

v) l’horaire de la travailleuse était établi en fonction des besoins de l’entreprise et de la disponibilité de la travailleuse.

[17]        L’appelante a témoigné qu’elle avait une liste de travailleuses qui pouvaient remplacer une travailleuse qui devait travailler, mais qui avait un empêchement. L’appelante a ajouté que la travailleuse n’avait pas pu se présenter au travail à certaines occasions pour des raisons personnelles et que l’appelante avait alors fait le nécessaire pour lui trouver une remplaçante.

[18]        L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait jamais eu la possibilité d’évaluer le rendement quotidien d’une travailleuse. Pendant toute cette période, soit elle était étudiante à temps plein, soit elle occupait un autre emploi. Elle accueillait le parent à l’arrivée et elle s’efforçait d’être sur les lieux quand on venait chercher les enfants. Elle a admis qu’en cas d’incident à l’école ou de plainte, les parents s’adressaient à l’appelante, et non à la travailleuse.

[19]        L’appelante était absente pendant les heures d’ouverture de la garderie; ses travailleuses ne faisaient l’objet d’aucune surveillance. Elle n’a exercé aucune supervision sur la façon dont les travailleuses s’acquittaient de leurs tâches.

[20]        Des réunions étaient tenues à l’occasion à la maison de l’appelante ou dans un restaurant; elles avaient simplement pour but de donner à l’appelante et aux travailleuses une occasion de parler de l’état de la situation à la garderie, mais aucune orientation ni directive n’étaient données aux travailleuses.

[21]        Une fois que la maison a été vendue, l’appelante était prête à fermer l’entreprise, mais certains parents l’ont encouragée à la laisser ouverte jusqu’à la fin de l’année scolaire. L’appelante a accepté et la travailleuse est alors devenue la seule à fournir les services de garderie. Étant donné que les dîners n’étaient plus servis, la travailleuse a bénéficié de ces économies sous forme d’une augmentation de son salaire horaire.

Le maintien en poste de la travailleuse

[22]        L’appelante a témoigné qu’elle annonçait en ligne ses demandes de candidatures aux postes de travailleuses, principalement sur Kijiji ou Craigslist. Dans l’annonce, l’appelante cherche à obtenir les services ou d’un éducateur ou d’une éducatrice en garderie formé pour mettre en pratique la méthode Montessori. Les demandes d’emploi étaient reçues en ligne avant d’être triées. Sur un total approximatif de quelque 20 demandes, quatre ou cinq entrevues téléphoniques étaient réalisées. C’est de cette façon que la travailleuse a été engagée. Selon le témoignage de l’appelante, c’est elle qui a réalisé l’entrevue de la travailleuse; pendant celui-ci, la travailleuse a expliqué son expérience professionnelle et l’appelante a décrit ses attentes en matière de travail ainsi que les dispositions salariales. L’appelante a dit qu’elle avait expliqué clairement à la travailleuse qu’elle était engagée à titre d’entrepreneure indépendante.

[23]        L’appelante avait été impressionnée par le fait que la travailleuse avait quatre ans d’expérience comme éducatrice Montessori en Allemagne; même si elle n’avait pas de formation en bonne et due forme, cette expérience justifiait que l’appelante retienne les services de la travailleuse.

[24]        Dans le but d’étayer ses affirmations catégoriques selon lesquelles elle aurait dit clairement à la travailleuse qu’elle retenait ses services à titre d’entrepreneure indépendante, l’appelante a présenté plusieurs courriels produits en preuve, dont un seul était un échange de courriels entre la travailleuse et l’appelante. Cet échange de courriel a eu lieu les 19 et 20 juin 2013. La travailleuse s’était renseignée afin d’obtenir un relevé d’emploi. L’appelante lui avait répondu par écrit qu’elle envoyait la facture de 2013, qui était suffisante comme relevé des gains pour les besoins de l’impôt, et qu’elle ne lui remettrait pas de relevé d’emploi, étant donné qu’elle (la travailleuse) était une entrepreneure indépendante. Dans le même courriel, l’appelante a expliqué qu’elle déclarait ses paiements à la travailleuse comme des dépenses d’entreprise pour les besoins de l’impôt et que la travailleuse, en tant qu’entrepreneure indépendante, était son propre employeur. Elle a demandé si cela lui paraissait logique. La travailleuse lui a répondu : [traduction] « Tout cela me paraît bon ».

[25]        Les autres éléments de preuve produits par l’appelante étaient des lettres de cinq autres travailleuses qui indiquaient que leur embauche s’inscrivait clairement dans le cadre d’une relation d’entrepreneur indépendant, ce qui avait été établi de manière tout à fait claire dès le départ par une entente réciproque entre les parties. Mme Gadigone est l’auteure de l’une de ces lettres[2].

[26]        L’appelante a insisté sur le fait que la travailleuse, à l’instar de ces collègues, avait également accepté dès le début d’être engagée à titre d’entrepreneure indépendante.

IV. Le témoignage de la travailleuse

[27]        La travailleuse s’est décrite comme une éducatrice, elle a reconnu qu’elle avait posé sa candidature par l’entremise de Craigslist en présentant son curriculum vitæ en ligne. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle avait été interviewée au téléphone par un certain M. Tom Bauer qui, comme il a été admis à l’audience, était l’homme qui vivait à la résidence de l’appelante et la personne qui préparait les dîners.

[28]        Dans son témoignage, la travailleuse a déclaré que M. Bauer ne lui avait pas parlé du fait qu’elle serait engagée à titre d’entrepreneure indépendante, plutôt que d’employée. Elle a ajouté que l’entrevue téléphonique avait été longue et lui avait paru quelque peu singulière, comme si M. Bauer flirtait avec elle, au lieu de l’interviewer. Quoi qu’il en soit, un rendez-vous a été fixé; c’est à cette occasion qu’elle dit avoir rencontré M. Bauer et l’appelante.

[29]        La travailleuse a déclaré dans son témoignage qu’elle ne se souvenait pas des détails de sa rencontre avec l’appelante, mais qu’elle se rappelait qu’on lui avait dit que l’autre travailleuse, Mme Gadigone, était l’éducatrice en chef et qu’elle‑même, la travailleuse, serait payée 12 $ l’heure[3].

[30]        La travailleuse a témoigné qu’elle agissait davantage comme assistante de Mme Gadigone qui était responsable de l’horaire et de la routine pour ce qui est des activités, y compris du moment où certaines activités devaient avoir lieu, comme l’heure de la sieste, de la musique, du dîner et des jeux à l’extérieur. En fait, d’après son témoignage, la travailleuse suivait ce que Mme Gadigone faisait.

[31]        La travailleuse a admis qu’elle avait apporté certains matériaux éducatifs, comme des cartes géographiques ou des images d’animaux marins, pour réaliser des activités de démonstration pratique.

[32]        Elle a déclaré dans son témoignage qu’on ne lui avait jamais demandé de remplacer quelqu’un et qu’elle n’avait jamais communiqué avec d’autres personnes pour qu’elles agissent comme remplaçantes. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas de liste de remplaçantes possibles.

[33]        Elle a reconnu qu’elle s’était familiarisée avec les méthodes Montessori et qu’elle s’acquittait de ses tâches en laissant les enfants libres de choisir ce qu’ils désiraient faire, mais qu’elle encourageait l’emploi de matériaux qu’ils pourraient trouver dans leur milieu et dans leur vie pratique. Elle a mentionné comme exemple le fait de leur donner la possibilité de verser de l’eau dans un verre, de l’eau qui pouvait être colorée entre autres par un soupçon de thé, afin qu’ils puissent voir ce qu’il se produit quand on fait le geste de verser dans le but d’accroître leurs habiletés motrices.

[34]        Elle a dit avoir appris qu’il y aurait des changements dans l’exploitation de la garderie dès septembre 2012, quand elle avait aperçu une affiche [traduction] « À vendre » devant la résidence; mais on ne lui aurait pas dit avant Noël 2012 que la garderie déménagerait dans l’appartement de l’appelante en janvier 2013. Mme Gadigone n’avait pas voulu rester après le déménagement, mais la travailleuse avait accepté de demeurer jusqu’à la fermeture de la garderie, à la fin de juin 2013. Si ce n’est qu’elle était devenue la seule travailleuse et qu’elle travaillait dans de nouveaux locaux, son rôle n’avait pas changé.

[35]        La travailleuse nie implicitement avoir négocié une augmentation de salaire une fois qu’elle est devenue l’unique éducatrice.

[36]        Quand l’exploitation de la garderie a pris fin, la travailleuse a fait une demande d’assurance-emploi, ce qui nécessitait un relevé d’emploi. Elle a dit dans son témoignage qu’elle n’avait pas abordé cette question avant de se rendre au bureau d’emploi; lorsqu’elle a demandé le document à l’appelante, celle-ci a refusé et lui a dit qu’elle avait toujours su que ses services avaient été retenus à titre d’entrepreneure indépendante et que cela avait été établi clairement dès le début.

[37]        En réponse au témoignage de l’appelante selon lequel la travailleuse prenait congé les lundis et vendredis après-midi au cours de la dernière partie du contrat, la travailleuse a témoigné qu’elle ne s’absentait pas les lundis. Toutefois, après avoir beaucoup insisté sur ce sujet au début, la travailleuse a subséquemment déclaré dans son témoignage qu’elle pensait en fait avoir travaillé [traduction] « certains lundis ».

[38]        La travailleuse a également décrit ses antécédents professionnels avant de s’installer en Allemagne, où elle a travaillé dans une garderie qui fonctionnait selon les méthodes Montessori. Elle avait auparavant été une employée du gouvernement provincial pendant 12 ans. Elle a admis qu’elle avait reçu des formulaires T4 pendant toute cette période.

[39]        Quand elle a déclaré le revenu tiré de son travail à la garderie, elle a admis qu’en 2012, elle ne l’avait pas déclaré à titre d’employée. En premier lieu, elle a témoigné que son comptable et elle avaient tenté de se renseigner pour savoir comment le déclarer et que son comptable lui avait en fin de compte dit qu’elle devait le déclarer comme un revenu d’un travail indépendant. Peu de temps après avoir fait cette déclaration dans son témoignage, elle s’est reprise et elle a affirmé qu’elle pensait l’avoir déclaré sur une ligne de la déclaration de revenus qui correspondait à « autres revenus ».

V. Analyse

[40]        Je vais d’emblée aborder l’effet du Code civil du Québec sur la question de savoir si une personne est une employée ou si elle est une entrepreneure indépendante. À l’audience, on a attiré mon attention sur certaines dispositions du Code civil du Québec et sur deux affaires qui ont traité de cette question connexe, à savoir la décision Hann c. Canada (M.R.N.)[4] (Hann) et l’arrêt Grimard c. R.[5] (Grimard).

[41]        Les dispositions législatives qu’on m’a citées (par renvoi à des passages de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’affaire Grimard) sont les suivantes :

Loi d’interprétation

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

Code civil du Québec

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426.  On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

2086.  Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

2098.  Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099.  L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[42]        Pour déterminer les répercussions des dispositions du Code civil du Québec sur le processus décisionnel dans le présent appel, on doit se demander si elles modifient l’analyse en common law qui est applicable à des affaires semblables dans le reste du Canada.

[43]        L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Grimard a établi clairement que les principes du droit civil du Québec qui s’appliquent à la détermination d’une relation d’emploi ne contredisent pas ceux qui sont appliqués en common law, c’est-à-dire ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd v. Canada (M.N.R.)[6] (Wiebe Door).

[44]        Au paragraphe 43 de l’arrêt Grimard, le juge Létourneau s’est exprimé en ces termes :

En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

[45]        Le principe qui commande le recours au même critère en droit civil qu’en common law n’est pas nouveau. L’arrêt Wolf v. The Queen[7] (Wolf) a donné lieu à trois jugements concordants, mais sur le plan du résultat seulement. Bien que les motifs de ces trois jugements appliquaient, du moins dans une certaine mesure, les critères de la common law, le juge Desjardins est celui dont les observations se rapprochaient le plus d’une déclaration selon laquelle il n’y a pas d’antinomie entre les principes du droit civil du Québec et les critères de common law. Au paragraphe 49, il a conclu que la question peut être examinée à la lumière des critères élaborés au cours des années, tant en droit civil qu’en common law. Les trois juges paraissaient être d’accord sur le fait qu’il faut examiner la relation dans son ensemble.

[46]        Mon unique autre commentaire sur les critères à appliquer dans chaque ressort est la pertinence de l’intention des parties.

[47]        L’arrêt Grimard fait mention de l’importance de l’intention des parties, mais on ne trouve aucune exigence expresse dans cet arrêt prescrivant qu’elle doive être le point de départ de l’analyse, comme il est clairement établi dans l’arrêt Connor Homes c. M.N.R.[8] (Connor), un arrêt de common law. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les intentions déclarées des parties ne doivent pas être déterminantes si une analyse de la relation véritable laisse entendre le contraire, mais la première étape de l’analyse consiste à établir l’intention des parties; ensuite, en fonction de cette intention, on doit de décider, à la deuxième étape, si la relation entre les parties est de la nature d’une relation entre un employeur et un employé ou d’une relation avec un entrepreneur indépendant, comme en fait foi la réalité objective. Cette réalité objective doit être vue sous l’angle des facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door et de la méthode prescrite dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz  Industries Canada Inc. (Sagaz)[9]. La démarche en droit civil ne passe pas sous silence l’intention des parties, comme le mentionne le paragraphe 33 de l’arrêt Grimard, mais je ne trouve dans cet arrêt aucune obligation de déterminer l’intention comme point de départ de l’analyse, une méthode qui a été si rigoureusement appliquée dans l’arrêt Connor.

[48]        Certes, je me demande bien comment la nature d’une relation établie objectivement pourrait être déterminée différemment selon le point d’où on commence l’analyse. Qu’on arrive ou non à une conclusion de consensus sur l’intention contractuelle des parties, l’exercice, du moins il me semble, est en grande partie le même dans les deux régimes, c’est-à-dire qu’il consiste à établir objectivement la nature de la relation et à appliquer la jurisprudence en common law ou en droit civil qui est pertinente dans chaque régime (qui n’est pas dissemblable ni contradictoire). Autrement dit, le principe qui exige une analyse objective de la relation n’aide pas beaucoup, à mon avis, à élever l’intention des parties au rang de facteur le plus pertinent et donc de point de départ. Je formule cette observation tout en sachant que je suis lié par la décision et la démarche de l’arrêt Connor dans une affaire en common law. Je suis moins certain qu’il s’agit de la méthode prescrite au Québec. Il est plus probable que le droit civil exige que l’on tienne compte de l’ensemble de l’affaire et qu’on y applique les principes de common law et de droit civil, qui obligent à tenir compte de l’importance qu’on doit accorder aux intentions exprimées[10].

[49]        Même si je ne vois aucune différence dans l’issue de la présente affaire, que je commence ou non par l’intention des parties, je vais le faire en sachant que cette analyse n’est probablement pas inadmissible en droit civil. Vue de cette façon, je crois que ma démarche serait compatible avec l’avis exprimé par le juge Létourneau dans l’arrêt Grimard, selon lequel il n’y a pas d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et ceux de la common law qui sont utilisés pour qualifier la nature juridique d’une relation de travail.

L’intention

[50]        Même si je reconnais que les témoignages des deux témoins étaient intéressés, je suis enclin à croire que la travailleuse savait qu’elle était engagée à titre d’entrepreneure indépendante par l’appelante et qu’elle y a acquiescé. Autrement dit, je ne trouve pas le témoignage de la travailleuse digne de foi quand elle affirme ne pas se souvenir qu’on lui ait dit qu’elle n’était pas engagée en qualité d’employée. Dans le même ordre d’idées, je trouve que sa conduite pendant toute la période en cause témoigne implicitement du fait qu’elle a accepté de travailler comme entrepreneure indépendante. Je n’ai vu aucune preuve de contrainte. Je ne trouve pas crédible son témoignage selon lequel elle ne se souvenait pas qu’on lui ait dit que, comme condition d’embauche, elle devait accepter de travailler à titre d’entrepreneure indépendante. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu’elle a sciemment profité de tous les avantages fiscaux qui pouvaient découler de sa situation d’entrepreneure indépendante, parce qu’elle a accepté les conditions de l’offre qui lui avait été faite au début de son embauche. Je ne puis m’empêcher de me méfier quand elle affirme qu’elle ne savait pas à quoi s’en tenir quant à la situation fiscale de ses revenus. Au contraire, comme je l’ai mentionné, il est plus crédible qu’elle ait sciemment profité pleinement des avantages fiscaux de sa situation de travailleuse indépendante. C’est une personne avertie. Je l’ai trouvée très habile quand elle a cherché à renverser la situation en sa faveur. À titre de fonctionnaire pour le gouvernement du Québec pendant plus d’une décennie, elle aurait dû savoir que la façon dont elle était payée n’était pas compatible avec une situation dans laquelle elle aurait été considérée comme une employée. À mon avis, en acquiesçant à cette situation et même en l’acceptant, elle a accepté d’être engagée dans ces conditions. Il y avait accord des volontés de travailleuse et de l’appelante : elles voulaient toutes les deux que la travailleuse soit une entrepreneure indépendante.

[51]        J’aborderai maintenant la réalité objective de cette relation en appliquant les critères traditionnels.

Les outils

[52]        La preuve devant moi était minimale. Si les outils étaient surtout des articles ménagers courants, comme on a tenté de m’en convaincre, je ne puis accorder trop d’importance au fait que c’est l’appelante qui les fournissait. De plus, il a été admis que la travailleuse pouvait fournir des matériaux qui étaient des outils pour le travail et qu’elle l’a fait.

[53]        J’ajouterais ici que les outils en l’espèce ne révèlent aucune notion de contrôle ou de subordination entre l’appelante et la travailleuse. Et ils ne sont pas assez probants pour donner à penser que la travailleuse n’avait pas sa propre entreprise. Les éducateurs et éducatrices qui n’ont pas de fournitures ni de matériaux didactiques possèdent quand même les outils les plus pertinents et les plus essentiels de leur métier, soit leur compétence, leurs connaissances et leur expérience personnels. La travailleuse possédait ces outils pour agir comme éducatrice Montessori indépendante.

[54]        Même si les locaux dans lesquels la travailleuse exerçait son métier ne sont pas considérés comme des outils à proprement parler, je constate en l’espèce que je pourrais énumérer des douzaines d’emplois que des entrepreneurs peuvent seulement exercer dans les locaux de la partie qui paie leurs services. À titre d’exemple, prenons les danseurs du Royal Winnipeg Ballet, qui ont été considérés comme des entrepreneurs indépendants, sans égard au fait que leur travail pouvait être accompli seulement dans les locaux de la compagnie de ballet[11].

[55]        Ce facteur ne permet pas de tirer de conclusion sur la situation de la travailleuse.  

La possibilité de profit et le risque de pertes

[56]        La travailleuse en l’espèce ne court aucun risque quantifiable de pertes, si ce n’est qu’elle s’est peut-être surtout exposée aux velléités de l’appelante pour lui garantir du travail. Dans l’arrêt Wolf, la sécurité d’emploi a été considérée comme l’un des indices de l’existence d’une relation d’emploi. Tant le juge Décary, au paragraphe 120, que le juge Noël, au paragraphe 123, formulent une telle observation. Il n’existait aucune sécurité d’emploi en l’espèce.

[57]        Le seul facteur qui traite de la possibilité de profit est le taux horaire que gagnait la travailleuse et le nombre d’heures qu’elle travaillait. À la lumière de la preuve, je ne puis conclure que le taux de salaire a été négocié. L’appelante payait ce qu’elle pouvait se permettre de payer à un taux probablement concurrentiel. La travailleuse a sciemment accepté le taux de salaire que l’appelante pouvait offrir de lui payer, mais elle pouvait manifestement faire plus ou moins d’argent si elle décidait de travailler ou non. Au cours de la deuxième partie de la relation de travail, quand elle était l’unique éducatrice, elle avait quand même la possibilité de choisir ses journées de travail. En choisissant de ne pas travailler les lundis ou les vendredis après-midi, elle prenait la décision de tirer moins de profits de son travail auprès de l’appelante.

[58]        Une travailleuse qui est libre de choisir quand elle va travailler (comme il a été admis dans la réponse) et qui n’est assujettie à aucune clause restrictive est libre de choisir où travailler. Rien dans la preuve n’indique ce que la travailleuse faisait les lundis en 2013, mais, si elle avait la possibilité de remplacer une travailleuse les lundis dans une autre garderie à un meilleur salaire, son travail pour l’appelante ne l’en empêchait pas. Les employés ne jouissent généralement pas d’une telle liberté. Un arrangement qui offre autant de liberté ressemble beaucoup à une entente avec un entrepreneur indépendante. Il accroît le potentiel de gains et il permet à la travailleuse d’exploiter sa propre entreprise. Pourtant, la possibilité de profit dans le cas d’une travailleuse rémunérée à l’heure ne serait généralement pas déterminante si on appliquait ce critère en faveur de l’appelante.

[59]        Quoi qu’il en soit, je n’ai pas d’éléments de preuve que la travailleuse a eu d’autres contrats ou qu’elle en a cherchés. Sans de tels éléments de preuve, je ne puis arriver à la conclusion en l’espèce que le critère de la possibilité de profit et du risque de pertes, tel qu’il a été appliqué dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz, vient en aide à l’appelante. En fait ce facteur n’est pas concluant quant à la situation de la travailleuse.

Le contrôle et la supervision

[60]        L’intimé accorde de l’importance au rôle de subalterne qu’assumait la travailleuse par rapport à Mme Gadigone. À ce sujet, l’avocate de l’intimé se fonde sur les faits semblables qui ont été examinés dans la décision Hann, dans laquelle la travailleuse était l’adjointe d’une autre travailleuse. Dans cette affaire, la preuve de la travailleuse a été jugée plus crédible. Ce n’est pas le cas en l’espèce. 

[61]        Je n’accepte pas le témoignage de la travailleuse à ce sujet, à savoir qu’elle travaillait sous la supervision de Mme Gadigone. Je reconnais que la travailleuse était une éducatrice Montessori compétente et qu’elle a été embauchée pour cette raison. Je n’accepte pas son témoignage selon lequel elle avait reçu la directive de considérer Mme Gadigone comme l’éducatrice en chef et de jouer le rôle de sa subalterne.

[62]        L’appelante n’était jamais présente, aux moments pertinents, pour imposer un rôle de supervision. La philosophie d’enseignement était étrangère à l’entreprise de l’appelante. La travailleuse était libre de mettre en pratique les techniques d’enseignement de cette philosophie dans la routine quotidienne des enfants de la manière qui lui plaisait. Le résultat souhaité de la méthode pédagogique employée était uniquement tributaire des talents de la travailleuse, laquelle travaillait sans supervision et sans lien de subordination. Elle était libre de travailler ou de prendre congé, sans restriction.

[63]        J’ai cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet. Au paragraphe 66, la juge Sharlow a fait observer que, si un danseur invité qui jouait le même rôle et était assujetti à un degré de contrôle compatible avec celui d’un danseur employé pouvait être considéré comme un entrepreneur indépendant, l’élément de contrôle ne devrait pas avoir un effet différent pour un danseur engagé de façon régulière. Dans la même veine, si la travailleuse était occasionnellement engagée par l’appelante à titre d’entrepreneure indépendante et qu’elle ne nécessitait pas plus de supervision que si elle avait été engagée sur une base plus régulière, la nature juridique de leur relation devrait être la même. Cette position est compatible avec les conclusions tirées dans des arrêts comme Wolf, dans lesquelles des compétences spécialisées ou professionnelles étaient exigées et un travailleur dont les services avaient été retenus pour faire le travail n’avait pas été considéré comme un employé, surtout à cause du fait que la partie qui avait retenu ses services ne pouvait pas contrôler la manière dont il accomplissait le travail. De telles conclusions ne sont pas compromises par le fait que le risque de perte est limité en raison du fait que le travailleur est payé selon un taux horaire ou qu’il incombait à la partie qui avait fait appel à ses services de lui fournir les outils. À mon avis, le cas en l’espèce devrait être traité de façon semblable.

[64]        Par conséquent, j’arrive à la conclusion que ce facteur favorise considérablement une conclusion selon laquelle il existait, entre la travailleuse et l’appelante, une relation d’entrepreneur indépendant.

L’intégration, la propriété de l’entreprise et le fait pour la travailleuse d’avoir une entreprise

[65]        Les facteurs les plus convaincants en l’espèce sont l’absence de supervision et de contrôle que permettait l’expérience de la travailleuse ainsi que le fait qu’elle était libre de faire bénéficier une autre garderie de cette expérience à tout moment qu’elle jugeait approprié si l’occasion se présentait; ces facteurs portent à conclure que la travailleuse travaillait à son propre compte.

[66]        Il est vrai qu’elle n’avait aucun des attributs d’une entrepreneure indépendante qui travaille à son propre compte. Et rien dans la preuve ne démontre qu’elle aurait profité de sa liberté et de son expérience au point d’affirmer, d’une manière concrète, qu’elle avait une entreprise en plus de son emploi auprès de l’appelante. Toutefois, ni l’un ni l’autre de ces facteurs n’empêchent irrémédiablement de conclure que la travailleuse travaillait à son propre compte.

[67]        L’absence d’attributs commerciaux dans certaines entreprises ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas d’entreprise. À titre d’exemple, au paragraphe 13 de l’arrêt D & J Driveway Inc. c. Canada[12], la Cour d’appel fédérale a conclu qu’on ne doit pas penser qu’il faut une entreprise commerciale structurée pour conclure à l’existence d’une entreprise. De plus, le fait qu’un entrepreneur indépendant travaille pour une seule entreprise pendant une période donnée peut simplement indiquer que l’entreprise offre suffisamment de travail à des conditions satisfaisantes, de sorte que le travailleur n’a aucune raison de chercher d’autres contrats pendant cette période.

[68]        Compte tenu de ce qui précède, dans les circonstances de l’espèce, je conclus qu’on n’a pas réussi à me dissuader de reconnaître que la travailleuse travaillait à son propre compte.

VI. Conclusion

[69]        Je conclus que l’intention commune de la travailleuse et de l’appelante en l’espèce était de conclure un contrat d’entreprise et qu’en toute objectivité, compte tenu de l’ensemble des facteurs examinés, il s’agissait de la véritable nature de la relation entre l’appelante et la travailleuse.

[70]        Pour ne rien omettre, je désire également ajouter que, si le critère du droit civil exige que l’on apprécie le degré de contrôle et de subordination en examinant l’ensemble de la situation en fonction des critères de la common law et du droit civil, notamment les intentions, alors, compte tenu de l’ensemble des facteurs examinés, je conclurais aussi que, dans les faits, la travailleuse avait été engagée en tant qu’entrepreneure indépendante pour fournir ses services aux termes d’un contrat d’entreprise.

[71]        L’appel est donc accueilli sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2015.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de décembre 2015

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 270

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-1966(EI)

INTITULÉ :

KELLY SYMONS et M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Canada

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge J.E. Hershfield

DATE DU JUGEMENT :

Le 2 novembre 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Gabrielle White

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Il appert également de la preuve qu’en fait, elle avait un ami qui vivait chez elle et qui aidait à préparer les repas des enfants à la garderie. Selon la travailleuse, il s’agit de la personne qui l’avait interviewée en premier au téléphone. À un certain moment, l’appelante a affirmé qu’elle le considérait comme un associé dans l’entreprise. Il est parti à peu près au moment où l’appelante a vendu sa maison. Quoi qu’il en soit, sa situation n’a en fait aucune incidence sur l’issue du présent appel.

[2] Étant donné que la Cour est saisie d’un appel intenté sous le régime de la procédure informelle, l’admission de ces lettres n’a pas été contestée, même si l’avocate de la Couronne a laissé entendre que les lettres présentaient un degré si élevé de similitude qu’on serait porté à conclure que l’appelante avait dit aux auteures quoi écrire dans les lettres. Même si le degré de fiabilité de ces lettres et l’importance qui leur a été accordée sont moins élevés qu’ils auraient pu l’être si leurs auteures avaient été présentes à l’audience pour être interrogées et contre-interrogées, je n’ai aucune hésitation à dire que je ne trouve pas très convaincante la suggestion de l’avocate de l’intimée. En fait, selon toute vraisemblance, les auteures de ces lettres étaient tout à fait d’accord pour fournir leurs services comme entrepreneures indépendantes et elles avaient convenu d’être embauchées à ce titre dès le début.

[3] La travailleuse a commencé à travailler en mars pendant une semaine, d’après ce qu’il appert de la pièce R-1. Il s’agissait, semble-t-il, d’une semaine d’observation au cours de laquelle elle a été payée 11 $ l’heure.

[4] Hann c. Canada (M.R.N.), 2013 CCI 359.

[5] Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, 2009 DTC 5056.

[6] [1986] 2 C.T.C. 200 (CAF).

[7] Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853.

[8] Connor Homes c. M.R.N., 2013 CAF  85. 

[9] 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz  Industries Canada Inc. (Sagaz), 2001 CSC 59.

[10] Par exemple, dans la décision Hann, le juge Favreau, formé en droit civil, a tenu compte du Code civil du Québec et a commencé son analyse en prenant en considération la question du contrôle. Après avoir tranché la question en faveur de l’existence d’un emploi, il a brièvement fait remarquer au paragraphe 27 que, peu importe l’intention des parties, la réalité objective était celle d’une relation employeur-employé.

[11] Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu), 2006 CAF 87, 2006 DTC 6323.

[12] D & J Driveway Inc. c. Canada, 2003 CAF 453.

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