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Dossier : 2012-3534(IT)G

ENTRE :

PATRICK CHARTRAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[Traduction française officielle]

Appel entendu le 14 octobre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Tony Cheung

JUGEMENT

Selon les motifs du jugement ci‑joints, l'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement à l'année d'imposition 2009 de l'appelant est rejeté avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Le juge suppléant Masse


Référence : 2015 CCI 298

Date : 20151201

Dossier : 2012-3534(IT)G

ENTRE :

PATRICK CHARTRAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

Aperçu

[1]             Fiscal Arbitrators est un groupe sans scrupules de spécialistes en déclarations de revenus qui a trompé l'appelant afin qu'il fasse appel à ses services pour préparer sa déclaration de revenus, en lui promettant d'énormes remboursements. Les remboursements résultaient de pertes d'entreprise fictives déclarées par l'appelant alors qu'il n'avait jamais possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit. L'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a refusé les pertes et a imposé à l'appelant une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »). L'appel ne vise que la pénalité.

[2]             La question est simplement de savoir si l'appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait, dans sa déclaration, de faux énoncés, ou y a acquiescé, de manière à encourir les lourdes pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Le contexte factuel

[3]             Patrick Chartrand a terminé sa 11e année; il est un ouvrier spécialisé et a travaillé en menuiserie pendant les 28 dernières années. Il est au service de Crossby Dewar Inc. et, pendant les six dernières années, il a travaillé à la centrale nucléaire de Bruce, où il est responsable des échafaudages. Il ne supervisait personne.

[4]             Dans le passé, l'appelant s'adressait à H&R Block pour faire préparer ses déclarations de revenus parce qu'il ne comprend rien, selon ses dires, aux déclarations de revenus. Il payait habituellement quelque 200 $ pour ce service. Il ne déclarait alors qu'un revenu d'emploi et il recevait habituellement un remboursement de quelques milliers de dollars.

[5]             Il a été mis en contact avec Fiscal Arbitrators par un collègue de travail qui avait des liens avec le groupe. Le collègue a fait en sorte que l'appelant rencontre des représentants de Fiscal Arbitrators au cours d'un séminaire d'information. L'appelant n'a assisté qu'à ce seul séminaire, qui s'est déroulé en décembre 2009 ou en janvier 2010. Il ne se souvient pas des noms des conférenciers, ni s'il avait signé une entente de confidentialité, bien que cela soit possible. Fiscal Arbitrators lui a montré une façon de recevoir un plus grand remboursement du fisc. Il a témoigné qu'il était fait dire au séminaire que sa résidence pourrait être considérée comme une entreprise, puisqu'il devait se rendre de sa résidence au travail afin de tirer un revenu pour ainsi payer la résidence, l'épicerie, les vêtements, les assurances, l'essence, l'entretien, et ainsi de suite. L'appelant a aussi affirmé qu'il s'était peut‑être fait dire par les représentants de Fiscal Arbitrators qu'une personne pouvait se séparer de son numéro d'assurance sociale et créer ainsi deux entités distinctes aux fins du calcul de l'impôt. En fait, l'appelant ne nous a pas fourni beaucoup de détails sur le stratagème proposé ni sur son fonctionnement. Tout ce que l'appelant savait, c'est que le remboursement de son collègue lui semblait bon, et que si Fiscal Arbitrators pouvait lui obtenir un meilleur remboursement que H&R Block, cela l'intéressait. Fiscal Arbitrators lui a demandé un premier versement de 500 $ pour préparer la déclaration de revenus, et 20 % de tout remboursement d'impôt obtenu par l'appelant. Par la suite, des frais juridiques supplémentaires de 800 $ ont été demandés une fois que l'appelant eut commencé à avoir des ennuis avec l'ARC. Il a affirmé que le fait qu'il a dû verser à Fiscal Arbitrators une somme beaucoup plus élevée que celle qu'il payait à H&R Block dans le passé ne lui a pas semblé suspect.

[6]             L'appelant n'a pas demandé à Fiscal Arbitrators de lui fournir des références concernant ses services, et il n'a pas sollicité l'avis d'un comptable ou d'un avocat au sujet du stratagème d'économie d'impôt. L'appelant n'a pris aucune mesure pour savoir si ce que proposaient Fiscal Arbitrators était légal. Il a constaté que son collègue avait obtenu un énorme remboursement d'impôt, et il en voulait un aussi.

[7]             La déclaration de revenus de 2009 de l'appelant (pièce R‑1, onglet 2) lui a été présentée. Il reconnaît avoir apposé sa signature à la dernière page, mais ce n'est pas lui qui a écrit [TRADUCTION] « par » devant l'endroit où il devait signer; il pense que Fiscal Arbitrators l'a fait pour lui. Il n'y a pas porté attention, et il n'a pas demandé aux représentants de Fiscal Arbitrators la raison pour laquelle le mot [TRADUCTION] « par » était inscrit sur la ligne réservée pour la signature. Il a affirmé qu'il n'a pas passé en revue toute sa déclaration et qu'il n'a jamais lu les pièces justificatives. Il affirme qu'il n'examine jamais la déclaration. Il a convenu que personne n'avait signé ni rempli la case réservée au spécialiste en déclarations qui avait préparé la déclaration, mais il affirme qu'il n'avait pas remarqué que cette case n'était pas remplie au moment de signer sa déclaration. Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2009, l'appelant a déclaré son revenu d'emploi de 113 126,52 $ de Crossby Dewar, comme l'indiquait son feuillet T4, ainsi qu'un autre revenu d'emploi de 1 027,56 $ inscrit à un feuillet T4A. Il n'a déclaré aucun autre revenu provenant de quelque autre source que ce soit.

[8]             Un simple survol de sa déclaration de revenus de 2009 montre quelques faux renseignements incontestables. Dans sa déclaration de revenus, l'appelant a déclaré un revenu d'entreprise ou un revenu de profession libérale brut ([TRADUCTION] « sommes reçues à titre de mandataire ») de 134 701,81 $, et il a aussi déclaré des dépenses d'entreprise ([TRADUCTION] « montant au mandant pour le mandataire ») de 546 816,51 $, donnant lieu à une perte d'entreprise nette de 412 114,70 $ (état des résultats des activités d'une entreprise ou d'une profession libérale, pièce R‑1, onglet 1). Il s'agit d'une perte d'entreprise importante par rapport au revenu d'emploi que l'appelant a déclaré. L'appelant a déduit des pertes d'entreprise de 109 361,70 $ pour son année d'imposition 2009, ce qui aurait donné lieu à un remboursement de 35 899 $, soit l'ensemble de l'impôt retenu à la source pour la même année d'imposition. L'appelant a aussi signé une demande de report rétrospectif de perte visant à reporter le solde inutilisé des pertes d'entreprise aux années d'imposition 2006, 2007 et 2008 comme des pertes autres que des pertes en capital. Ce report rétrospectif aurait donné lieu au remboursement de la totalité, ou presque, de l'impôt payé au cours de ces années. L'appelant convient qu'il s'attendait à recevoir un remboursement de près de 36 000 $, et que cela n'avait toujours pas semblé suspect. Il reconnaît qu'il s'agissait d'un remboursement beaucoup plus élevé que celui qu'il avait obtenu lorsqu'il faisait appel à H&R Block, et il savait que son ami avait reçu un important remboursement. Il reconnaît qu'il n'aurait pas été normal qu'il n'ait à payer aucun impôt pendant une période de quatre ans, mais il a jugé que s'il pouvait obtenir un remboursement si important, alors c'est ce qu'il voulait. Il reconnaît également que si tous les citoyens canadiens essayaient de faire de même, le pays ferait faillite; il affirme qu'il le comprend bien maintenant.

[9]             L'appelant ne conteste pas qu'il a signé sa déclaration de revenus de 2009 ni qu'il a demandé un report rétrospectif de la perte aux années 2006, 2007, 2008 et 2009. Il a signé [TRADUCTION] « par Patrick Chartrand », même si ce n'est pas lui qui a écrit [TRADUCTION] « par » sur les documents. Il convient qu'en signant sa déclaration, il attestait de ce fait que les renseignements fournis dans la déclaration et dans tous les documents joints étaient exacts, complets et révélaient la totalité de ses revenus. Il affirme qu'il n'avait aucune idée de la façon dont Fiscal Arbitrators avait calculé les pertes d'entreprise et le report rétrospectif de la perte; Fiscal Arbitrators lui a simplement remis les formulaires, il les a passés en revue, mais il ne les a pas compris. Il a tout de même signé les formulaires et la déclaration de revenus, et les a ensuite produits. L'appelant reconnaît que sa seule source de revenus pendant ces années était son revenu d'emploi. Il reconnaît qu'à aucun moment de la période en question il n'avait possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit. Il reconnaît qu'il n'avait pas la moindre idée de ce que signifie exploiter une entreprise à titre de « mandataire », pas plus que ce que signifiaient les [TRADUCTION] « sommes reçues à titre de mandataire », ni ce que signifiaient les dépenses d'entreprise au titre du [TRADUCTION] « montant au mandant pour le mandataire ». Il n'avait pas la moindre idée de ce que tout cela signifiait et il n'a jamais demandé d'explications à Fiscal Arbitrators. Il convient qu'il a passé en revue la déclaration, mais qu'il n'a rien demandé à qui que ce soit à ce sujet.

[10]        Le 15 juillet 2010, l'ARC a envoyé une lettre (pièce R‑1, onglet 4) à l'appelant lui demandant des renseignements au sujet des pertes d'entreprise qu'il avait déclarées. L'ARC lui a demandé de remplir un questionnaire sur l'entreprise pour expliquer de quelle façon le [TRADUCTION] « montant au mandant pour le mandataire » était une dépense d'entreprise. L'ARC a aussi demandé à l'appelant de fournir les documents d'origine afin d'établir la nature du revenu d'entreprise et les détails des dépenses payées par l'entreprise rattachées aux sources de revenus. L'ARC a aussi demandé des renseignements concernant le compte bancaire enregistré au nom de l'entreprise, ainsi que l'endroit où l'entreprise a présenté sa demande pour obtenir une licence d'exploitation et un numéro d'entreprise. L'ARC demandait une réponse à l'appelant dans les 30 jours. L'appelant s'était fait dire que, s'il avait des ennuis, Fiscal Arbitrators avait son propre contentieux. Par conséquent, l'appelant a envoyé cette lettre à Fiscal Arbitrators, qui a préparé une réponse (pièce R‑1, onglet 5). Elle ne contenait que le nom de l'appelant, et rien n'indiquait qu'elle avait été préparée par Fiscal Arbitrators pour le compte de l'appelant. L'appelant reconnaît qu'il a parcouru cette lettre, mais qu'il ne l'a pas comprise. À la lecture de cette lettre, il est clair que cette prétendue réponse est complètement absurde et qu'elle ne répond d'aucune façon aux préoccupations valables qui avaient été soulevées par l'ARC. Pourtant, l'appelant n'a pas pensé à communiquer avec l'ARC directement ou à demander conseil d'une autre personne sur la façon dont il devrait répondre; il s'est contenté de faire confiance à Fiscal Arbitrators.

[11]        L'ARC n'a jamais reçu les renseignements demandés. L'appelant n'a tout simplement pas fourni de détails sur son revenu d'entreprise et sur ses pertes, et ne pouvait en fournir, parce qu'ils n'existaient pas. L'ARC a envoyé une lettre de suivi le 6 octobre 2010 à l'appelant, l'informant de son intention de refuser les pertes d'entreprise nettes réclamées et l'informant également de son intention d'imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Une fois de plus, au lieu de communiquer avec l'ARC, l'appelant a remis cette lettre à Fiscal Arbitrators. Celle‑ci a préparé une autre réponse absurde (pièce R‑1, onglet 8). Encore une fois, cette lettre ne répondait d'aucune façon aux questions soulevées par l'ARC. Par conséquent, l'ARC a refusé les pertes d'entreprise de l'appelant pour les années 2006, 2007, 2008 et 2009 et a imposé une pénalité de 54 496,62 $ pour faute lourde conformément au paragraphe 163(2) de la Loi, en plus des pénalités provinciales et des intérêts. L'appelant a ainsi fait l'objet d'un avis de cotisation du 29 octobre 2010 (pièce R‑1, onglet 11). L'appelant s'est opposé au moyen d'un avis d'opposition du 26 novembre 2010 (pièce R‑1, onglet 12). L'avis d'opposition, signé [TRADUCTION] « Patrick J. Chartrand, représentant autorisé », a été préparé par Fiscal Arbitrators. Rien n'indique que Fiscal Arbitrators a préparé l'avis d'opposition ou représentait l'appelant. Encore une fois, les faits et les motifs de l'opposition étaient absurdes. Il n'est donc pas étonnant que le ministre du Revenu national (le « ministre ») ait ratifié la cotisation le 23 juillet 2012, d'où l'appel à notre Cour.

[12]        L'appelant soutient qu'il n'a pas compris sa déclaration de revenus. Il a simplement parcouru les documents et il a fait ce que Fiscal Arbitrators lui a demandé de faire. Il a tout simplement suivi les consignes. Il n'a pas demandé les raisons pour lesquelles son spécialiste en déclarations n'avait pas indiqué dans la déclaration qu'il avait préparé la déclaration, comme il n'a pas compris ni demandé pourquoi il a déclaré des pertes d'entreprise alors qu'il n'exploitait pas d'entreprise. Il a affirmé qu'il n'avait jamais rempli de déclaration de revenus de sa vie, et que c'était la raison pour laquelle il faisait appel à un spécialiste en déclarations. Il ne comprenait pas ce que lui disait Fiscal Arbitrators, et il a tout simplement signé les documents sans demander qu'on lui explique la situation. Il s'est dit que, si son collègue avait obtenu un remboursement, il en obtiendrait probablement un lui aussi. S'il est coupable de quoi que ce soit, c'est d'ignorance parce qu'il n'a pas lu sa déclaration de revenus avant de la signer et de l'envoyer à l'ARC. L'appelant a déjà grandement souffert et il demande que les pénalités prévues au paragraphe 163(2) soient annulées.

[13]        L'intimée est d'avis que l'appelant a fait, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, un faux énoncé dans sa déclaration de revenus. À tout le moins, l'appelant a fait preuve d'aveuglement volontaire quant au stratagème employé par son spécialiste en déclarations. L'appelant n'a jamais exploité quelque entreprise que ce soit et, par conséquent, il ne pouvait pas déclarer des dépenses d'entreprise de plus d'un demi‑million de dollars. Les soupçons de l'appelant ont été éveillés à un point tel qu'une enquête plus approfondie aurait été nécessaire, mais il ne s'en est pas soucié et a choisi de ne pas se renseigner. Il a fermé les yeux à des avertissements clairs. Tout ce qu'il souhaitait, c'était obtenir d'énormes remboursements qui s'élevaient à presque tout ce qu'il avait versé en impôt durant les quatre dernières années; pour ce faire, il a placé sa confiance et sa foi aveugles dans Fiscal Arbitrators, et il a fait tout ce qu'on lui a demandé sans poser de question. L'intimée soutient donc qu'elle s'est acquittée du fardeau de prouver que l'appelant a commis une faute lourde, et que, par conséquent, les pénalités prévues au paragraphe 163(2) sont justifiées dans les circonstances; elle invite la Cour à rejeter l'appel avec dépens.

Dispositions légales

[14]        Le paragraphe 163(2) de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité [...]

[15]        Selon le paragraphe 163(3), le fardeau d'établir les faits qui justifient l'imposition de la pénalité incombe au ministre.

Analyse

[16]        Il y a deux éléments essentiels à établir pour imposer les pénalités prévues au paragraphe 163(2), soit :

a)       un faux énoncé est fait dans une déclaration;

b)      le faux énoncé est fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, ou le contribuable y a consenti ou y a acquiescé.

[17]        Il ne fait aucun doute que la déclaration de revenus de 2009 de l'appelant, ainsi que sa demande de report rétrospectif de la perte, contenaient de faux énoncés. L'appelant n'a jamais possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit; il ne pouvait donc pas avoir un revenu d'entreprise ni des dépenses d'entreprise. Il n'avait certainement pas de dépenses d'entreprise excédant un demi-million de dollars. Ses déductions pour pertes d'entreprise ne sont pas fondées sur des faits et sont manifestement fausses.

[18]        L'appelant a‑t‑il sciemment fait un faux énoncé? Je ne suis pas convaincu selon le degré de certitude requis que c'est le cas. L'appelant a‑t‑il fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde? Il incombe à la Couronne de prouver la faute lourde. Il ne suffit pas que la Couronne prouve la simple négligence; elle doit aller au‑delà de la simple négligence et prouver que l'appelant a commis une faute lourde.

[19]        La négligence est le défaut de faire preuve de la diligence qu'exercerait une personne raisonnablement prudente et vigilante dans des circonstances semblables. La négligence est si bien connue dans la jurisprudence anglaise et canadienne qu'il n'est pas nécessaire de renvoyer à la jurisprudence pour étayer cette définition. Toutefois, la faute lourde demande davantage que la simple négligence. Il doit y avoir un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi : voir Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL). Dans Venne, le juge Strayer de la Cour fédérale (Division de première instance) a précisé que le paragraphe 163(2) de la Loi « est une disposition pénale et qu'elle doit être interprétée de façon restrictive, de sorte que s'il existe une interprétation raisonnable propre à éviter la pénalité dans un cas particulier, cette interprétation devrait être adoptée », et que le bénéfice du doute devrait être accordé au contribuable. Dans Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, [1994] A.C.I. no 760 (QL), le juge Bowman (plus tard juge en chef) de la Cour canadienne de l'impôt a affirmé au paragraphe 23 que les mots « faute lourde » au paragraphe 163(2) sous‑entendent une conduite caractérisée par un degré de faute à ce point élevé qu'il frise l'insouciance. Dans un tel cas, la cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien‑fondé d'allégations moins sérieuses (paragraphe 28).

[20]        Il est aussi bien établi en droit que la faute lourde peut englober l'« aveuglement volontaire ». La règle de l'aveuglement volontaire est bien connue dans le droit pénal, et elle a été expliquée exhaustivement par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128. Selon la règle, si une partie a des soupçons, mais ensuite omet délibérément de procéder à un autre examen parce qu'elle désire demeurer dans l'ignorance, elle est réputée être au courant. Autrement dit, l'aveuglement volontaire se produit lorsqu'une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu'elle ne veut pas connaître la vérité et qu'elle préfère rester dans l'ignorance. Il existe un soupçon, que le défendeur omet délibérément de transformer en connaissance certaine. La personne « s'est fermé les yeux » à l'égard du fait, ou a fait preuve d'« ignorance volontaire ».

[21]        Il a été conclu que l'« aveuglement volontaire » s'applique aux affaires fiscales : voir Procureur général c. Villeneuve, 2004 CAF 20, et Panini c. La Reine, 2006 CAF 224. Dans Panini, le juge Nadon a indiqué clairement que l'« aveuglement volontaire » est compris dans la « faute lourde », telle qu'elle s'entend au paragraphe 163(2) de la Loi. Il y a affirmé ce qui suit :

[43]      [...] le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s'enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable.

[22]        Il a été jugé que, pour tracer la démarcation entre la négligence « simple » et la faute « lourde », il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs :

a)       l'importance de l'omission relative au revenu déclaré;

b)      la faculté du contribuable de découvrir l'erreur;

c)       le niveau d'instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d)      l'effort réel de se conformer à la loi.

Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve : voir DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11, Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24, et McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14.

[23]        Dans Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, le juge C. Miller a mené un examen approfondi de la jurisprudence en matière de pénalités pour faute lourde conformément au paragraphe 163(2) de la Loi et, ce faisant, il a été en mesure d'en dégager les principes directeurs. Je reprends ses conclusions, au paragraphe 65 :

a)         La connaissance d'un faux énoncé peut être déduite d'un aveuglement volontaire.

b)         La notion d'aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi [...]

c)         Pour savoir s'il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d'instruction et d'expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s'informer, ou soupçon d'une telle nécessité.

e)         Les facteurs laissant supposer la nécessité de s'informer avant la production d'une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs » [...] comprennent ce qui suit :

i)          l'importance de l'avantage ou de l'omission;

ii)         le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)        l'absence, dans la déclaration elle‑même, d'une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv)        les demandes inusitées du spécialiste;

v)         le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi)        les explications inintelligibles du spécialiste;

vii)       le point de savoir si d'autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l'encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui‑même hésite à s'en ouvrir à d'autres.

f)         [...] le fait que le contribuable ne s'enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s'enquiert aucunement auprès d'un tiers, ou auprès de l'ARC elle‑même.

[24]        Il ne s'agit certainement pas d'une liste exhaustive, et il peut y avoir d'autres facteurs à prendre en compte selon les circonstances d'une affaire donnée. Toutefois, je suis d'avis que le juge C. Miller fournit un excellent modèle qui peut servir à analyser des affaires comme celle qui nous occupe en l'espèce. J'appliquerai donc les facteurs énumérés par le juge C. Miller à l'espèce.

Le niveau d'instruction et l'expérience du contribuable

[25]        L'appelant a terminé sa 11e année. Il a paru être une personne intelligente. Il a travaillé de façon stable dans un métier spécialisé depuis 28 ans. Même s'il affirme ne rien comprendre à la comptabilité ni aux déclarations de revenus, il comprenait tout de même les notions de revenu d'entreprise et de dépenses d'entreprise. L'appelant ne manque pas d'instruction ou de compréhension élémentaire de concepts tels qu'une entreprise ou que l'impôt au point de pouvoir plaider l'ignorance. L'instruction, l'expérience et l'intelligence ne sont pas des facteurs qui pourraient atténuer la conclusion selon laquelle l'appelant a fait de faux énoncés dans des circonstances équivalant à faute lourde.

La nécessité de s'informer ou le soupçon d'une telle nécessité

[26]        Il y a eu de nombreux « avertissements » qui auraient dû susciter des soupçons chez l'appelant et qui auraient dû lui faire prendre conscience de la nécessité de s'informer davantage.

La tarification

[27]        La tarification proposée par Fiscal Arbitrators est préoccupante. Au cours des années antérieures, l'appelant payait quelques centaines de dollars à H&R Block afin qu'elle prépare ses déclarations de revenus. Fiscal Arbitrators facturait 500 $ et jusqu'à 20 % des sommes remboursées par l'ARC. La tarification était tellement différente de celle de l'ancien spécialiste en déclarations de l'appelant, qu'il connaissait bien et en qui il avait confiance, qu'il aurait dû réfléchir à la légitimité de Fiscal Arbitrators.

L'aspect spécieux du stratagème d'évitement fiscal

[28]        Le stratagème proposé par Fiscal Arbitrators était si absurde qu'il défie l'entendement, même pour une personne très naïve. L'appelant affirme que Fiscal Arbitrators lui a dit que sa résidence était son entreprise, ce qui lui permettait de déduire de son revenu toutes ses dépenses personnelles connexes. Or, l'entretien d'une résidence n'est pas une entreprise. L'affirmation que Fiscal Arbitrators lui a faite est d'une absurdité si flagrante que personne, sauf une personne entièrement ignorante, naïve et crédule, n'aurait pu croire qu'elle pouvait déclarer de telles déductions de son revenu. Ces dépenses, si elles ont existé, étaient des dépenses personnelles et non des dépenses d'entreprise, et l'appelant le savait. L'autre thèse, selon laquelle une personne pouvait se séparer de son numéro d'assurance sociale et créer ainsi deux entités distinctes aux fins du calcul de l'impôt, est tout aussi ridicule, et aucune personne sensée avec un tant soit peu d'intelligence et de vécu au Canada ne pourrait l'accepter. Le stratagème mis de l'avant par Fiscal Arbitrators ne tient tout simplement pas la route.

L'importance de l'avantage

[29]        L'appelant a convenu qu'il s'attendait à recevoir un remboursement de près de 36 000 $ pour l'année 2009. Ce remboursement était sensiblement différent de celui des années antérieures, où il recevait en remboursement quelques milliers de dollars. De plus, si la demande de report rétrospectif d'une perte avait été accordée, il n'aurait probablement payé aucun impôt sur le revenu pour une période de quatre années de travail. Il convient que cela n'aurait pas été normal. Même si c'est probablement ce qu'il comprend en rétrospective, il aurait dû être conscient de ce résultat au moment de produire sa déclaration de revenus. Le fait qu'il n'en ait pas pris conscience est attribuable au fait qu'il s'est laissé aveugler par la perspective de recevoir d'énormes remboursements. L'importance de l'avantage qu'il cherchait à obtenir constitue un avertissement clair qui aurait dû l'amener à remettre sérieusement en question la démarche de Fiscal Arbitrators. Il a simplement laissé Fiscal Arbitrators continuer sans poser de question, dans l'espoir de recevoir beaucoup d'argent.

Le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il pouvait être décelé

[30]        Dans sa déclaration de revenus, l'appelant a déclaré un revenu à titre de mandataire et il a aussi déclaré d'énormes dépenses d'entreprise de plus d'un demi‑million de dollars alors qu'il n'exploitait même pas une entreprise. Ce faux énoncé était flagrant. L'appelant affirme qu'il n'a pas vraiment examiné sa déclaration de revenus. J'estime que, s'il n'avait jeté qu'un simple coup d'œil à sa déclaration, il aurait facilement aperçu ces énoncés manifestement faux. Même une personne très peu informée qui n'a aucune expérience des affaires se rendrait compte qu'elle ne peut pas déclarer des dépenses d'entreprise de plus d'un demi‑million de dollars si elle n'exploite pas d'entreprise.

L'absence d'une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration

[31]        Il est clair que l'appelant a payé quelqu'un pour préparer sa déclaration de revenus. Pourtant, le spécialiste en déclarations n'a pas rempli la case réservée à cet effet dans la déclaration. Cette case, à la dernière page de la déclaration, se trouve juste à côté de la ligne réservée pour la signature de l'appelant, qui certifie que les renseignements fournis dans la déclaration sont exacts et complets. La case « Pour les professionnels de l'impôt seulement » saute aux yeux du contribuable qui signe la déclaration. Le fait qu'elle n'ait pas été remplie aurait dû alerter l'appelant du fait que le spécialiste en déclarations souhaitait peut‑être garder l'anonymat auprès de l'ARC. Ce point n'est peut‑être pas le plus important, mais jumelé à tous les autres signaux d'alerte, il aurait dû susciter des soupçons dans l'esprit de l'appelant.

Les demandes inusitées du spécialiste

[32]        L'appelant a reçu pour instruction de signer sa déclaration après le mot [TRADUCTION] « par » qui était écrit à la main sur la ligne réservée pour la signature. Il est clair que cela ne lui avait jamais été demandé pour ses déclarations des années antérieures. Personne ne lui a dit pourquoi le mot [TRADUCTION] « par » était inscrit sur la ligne réservée pour la signature, et il n'a pas posé de question par rapport à cette étrange demande, qui aurait pourtant dû éveiller les soupçons de l'appelant.

Le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable

[33]        Fiscal Arbitrators était inconnu de l'appelant. Avant 2009, l'appelant faisait appel à H&R Block, des spécialistes en déclarations bien connus, pour préparer ses déclarations. L'appelant a entendu parler de Fiscal Arbitrators par un collègue de travail, et non pas par les supports publicitaires ou promotionnels habituels. Fiscal Arbitrators n'était simplement pas bien connu de l'appelant. Il s'agit peut‑être d'un facteur moins important, mais jumelé à tous les autres facteurs, il aurait dû inciter l'appelant à faire preuve de diligence à l'égard de la légitimité de Fiscal Arbitrators. L'appelant ne l'a pas fait.

Les explications inintelligibles du spécialiste

[34]        J'ai déjà fait allusion au caractère spécieux du stratagème proposé par Fiscal Arbitrators. Non seulement ce stratagème était-il absurde, mais il était totalement incompréhensible. De plus, les lettres rédigées par Fiscal Arbitrators pour le compte de l'appelant en réponse aux demandes de l'ARC n'ont aucun sens et sont totalement incompréhensibles. Il s'agit peut‑être là d'un comportement après le fait, mais il sert à expliquer l'état d'esprit de l'appelant. Il ne s'est tout simplement pas préoccupé du contenu des documents qu'il a signés, du moment qu'il recevait un gros remboursement.

D'autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l'encontre de ce dernier, ou le contribuable lui‑même hésite à s'en ouvrir à d'autres

[35]        Il ne s'agit pas d'un facteur dans l'espèce.

Le contribuable ne s'enquiert pas auprès d'autres professionnels ou auprès de l'ARC

[36]        L'appelant soutient qu'il n'a tout simplement pas compris sa déclaration de revenus ni le stratagème d'économie fiscale qui lui a été expliqué par Fiscal Arbitrators. Il faut se demander pourquoi il n'a pas demandé d'explication à Fiscal Arbitrators ou à d'autres personnes. J'estime qu'il y avait eu suffisamment d'avertissements pour que l'appelant, avant de signer sa déclaration, s'informe davantage des spécialistes en déclarations, de conseillers indépendants ou de l'ARC elle‑même. Comme l'a affirmé la juge V.A. Miller dans Janovsky c. La Reine, 2013 CCI 140 :

[24]      [...] S'il est vrai [que le contribuable] ne comprenait pas la terminologie qu'ont utilisée les FA dans sa déclaration ni la façon dont les FA avaient calculé ses dépenses, il avait dans ce cas le devoir de se renseigner auprès de personnes étrangères aux FA. [...]

[37]        En l'espèce, si l'appelant avait examiné sa déclaration et s'il ne comprenait réellement pas de quelle manière Fiscal Arbitrators avait calculé les pertes d'entreprise alléguées, ou la raison même pour laquelle il avait des pertes d'entreprise, il aurait dû poser de très sérieuses questions à Fiscal Arbitrators. En l'absence d'explication satisfaisante, il aurait dû demander conseil ailleurs. Il ne l'a pas fait. Il n'a fait aucun effort pour savoir si ce stratagème d'économie fiscale inhabituel et atypique était même légal. Tout ce qu'il souhaitait, c'était obtenir un important remboursement. Le fait qu'il ait omis de demander conseil auprès d'autres professionnels ou même auprès de l'ARC devant un stratagème aussi douteux indique un degré élevé de négligence qui équivaut à l'aveuglement volontaire.

L'effort réel de se conformer à la loi

[38]        Il est très révélateur que, même après qu'il eut reçu la première lettre de l'ARC du 15 juillet 2010, l'appelant n'a fait aucun effort de se conformer à la loi. Il a plutôt choisi, à la demande de Fiscal Arbitrators et suivant ses indications, de faire de l'obstruction. À la lecture de la lettre de l'ARC, il aurait dû savoir que les renseignements contenus dans sa déclaration de revenus et dans sa demande de report rétrospectif d'une perte suscitaient des questions sérieuses; il aurait aussi dû voir que l'ARC mettait en doute ses dépenses d'entreprise. C'est à ce moment‑là qu'il aurait dû se dissocier de Fiscal Arbitrators. À la lumière du comportement après le fait, la Cour peut sûrement interpréter l'état d'esprit de l'appelant au moment où il a signé et produit sa déclaration de revenus.

La confiance de l'appelant envers le spécialiste

[39]        L'appelant a laissé Fiscal Arbitrators s'occuper de tout. En d'autres mots, il lui faisait confiance.

[40]        Dans certains cas, un contribuable peut renvoyer la responsabilité à des professionnels malhonnêtes ou négligents en qui il a mis sa confiance. Par exemple, dans Lavoie c. La Reine, 2015 CCI 228, des contribuables s'en sont remis à un avocat qui était un bon ami, qu'ils connaissaient et en qui ils avaient confiance depuis plus de 30 ans. Toutefois, il y a de nombreuses affaires dans lesquelles les contribuables n'ont pas pu éviter les pénalités pour faute lourde en ayant une confiance aveugle envers leurs spécialistes en déclarations sans prendre au moins certaines mesures pour vérifier l'exactitude des renseignements fournis dans leur déclaration de revenus.

[41]        Dans Gingras c. La Reine, 2000 CanLII 412, le juge Tardif a écrit ce qui suit :

[19]      Le fait d'avoir recours à un expert ou à quelqu'un qui se présente comme tel, n'excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[...]

[30]      L'imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de la dite déclaration et non au mandataire qui l'a complété, peu importe ses compétences ou qualifications.

[42]        Dans DeCosta, précité, le juge en chef Bowman a affirmé :

[12]      [...] Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l'on peut dire que l'appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l'omission d'un montant qui représente presque le double du montant qu'il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d'attention.

[43]        Dans Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335, le juge Bédard a écrit ce qui suit :

[15]      De toute façon, je suis d'avis que la négligence de l'appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l'épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L'attitude de l'appelant était si cavalière en l'espèce qu'elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L'appelant n'atil pas admis que, s'il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? L'appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l'égard de ses déclarations de revenus, l'appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l'espèce, la Loi imposait au minimum à l'appelant l'obligation de jeter un coup d'œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d'autant plus qu'en l'espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Souligné dans l'original.]

[44]        Dans Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, les pénalités pour faute lourde ont été maintenues dans une affaire où une contribuable s'était fiée aux déclarations de son comptable selon lesquelles tout allait bien. Elle avait rapidement feuilleté la déclaration de revenus et elle avait affirmé qu'elle n'avait pas compris les termes « revenus d'entreprise » et « crédit », mais elle n'avait pourtant pas posé de question à son comptable ni à quelqu'un d'autre pour s'assurer que son revenu et ses dépenses étaient comptabilisés comme il se doit. Le juge Favreau de la Cour a conclu que le fait que la contribuable n'ait pas jugé nécessaire de se renseigner équivalait à de la négligence qui constituait une faute lourde.

[45]        Dans Bhatti, précité, le juge C. Miller a souligné ce qui suit :

[30]      [...] Il est tout simplement insuffisant d'affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu'un d'autre sans même une vérification minimale de l'exactitude de la déclaration va audelà de l'imprudence. Donc, même si elle n'a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l'attitude cavalière du laisser-aller [...]

[46]        Dans Janovsky, précité, la juge V.A. Miller a affirmé ce qui suit :

[22]      L'appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu'il faisait confiance aux FA car il s'agissait d'experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n'avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu'il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n'a jamais posé de questions sur les FA. Il n'a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l'appelant n'a pas essayé de se renseigner sur eux.

[23]      Compte tenu du niveau d'instruction de l'appelant et de l'ampleur du faux énoncé qu'il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d'avis que l'appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[47]        Il y a, dans Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174, un autre exemple récent où des contribuables s'en sont remis aveuglément aux conseils de leur spécialiste en déclarations sans lire ni passer en revue leurs déclarations, ni faire quelque effort que ce soit pour vérifier l'exactitude de leurs déclarations.

Conclusion

[48]        Il ne fait aucun doute que la déclaration de revenus de 2009 de l'appelant et sa demande de report rétrospectif d'une perte contiennent de faux énoncés : l'appelant n'a pas exploité une entreprise et n'a pas subi quelque perte d'entreprise que ce soit, encore moins une perte d'entreprise excédant 400 000 $. L'appelant aurait pu facilement détecter ces faux énoncés en examinant de plus près sa déclaration. Il s'est laissé aveugler par la perspective de recevoir un important remboursement qui, admet‑il, n'était pas normal. Il n'a pas vérifié les compétences de Fiscal Arbitrators et il n'a pas remis en question le caractère spécieux du stratagème d'économie d'impôt. Il n'a pas demandé conseil à quelqu'un d'autre, même s'il devait savoir que ce qui était proposé était très louche. Il n'a fait aucun effort pour se conformer à la loi. Je ne peux qu'en arriver à la conclusion que l'appelant a fait preuve d'aveuglement volontaire à l'égard de la fausseté de ces énoncés. Ainsi, il est passible, à juste titre, des pénalités qui lui ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[49]        Il est difficile d'éprouver de la sympathie pour l'appelant : il s'est laissé aveugler par la cupidité. S'il avait pris la peine d'examiner les renseignements qu'il a lui‑même certifiés exacts et complets en apposant sa signature, il aurait découvert assez facilement que sa déclaration contenait des renseignements carrément faux. Il aurait pris conscience, en y réfléchissant un peu, que ce genre de stratagème constitue une fraude à l'endroit de l'ARC et, par extension, à l'endroit de tous les contribuables canadiens. Comme l'ont déjà souvent affirmé nos tribunaux, notre système fiscal est fondé sur l'autocotisation et sur le devoir de tous les contribuables de veiller à ce que les renseignements contenus dans leurs déclarations de revenus soient véridiques, complets et précis. L'appelant a totalement fait fi des nombreux avertissements qui se sont présentés à lui. Il n'a fait aucun effort pour vérifier l'exactitude et l'exhaustivité de sa déclaration. Comme l'a affirmé la juge Tardif dans Gingras, précité :

[31] [...] il est tout à fait répréhensible d'attester par sa signature que les renseignements fournis sont exacts alors que l'on sait ou devrait savoir qu'elle contient de faux énoncés. Un tel comportement est suffisant pour conclure à une faute lourde justifiant l'imposition des pénalités applicables.

[50]        Pour les motifs qui précèdent, l'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Le juge suppléant Masse


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 298

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3534(IT)G

INTITULÉ :

PATRICK CHARTRAND c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 14 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge suppléant Rommel G. Masse

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

 

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocat de l'intimée :

Me Tony Cheung

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l'appelant :

 

Cabinet :

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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