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Dossier : 2003-3262(IT)G

ENTRE :

KRUGER INCORPORÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête concernant le bien‑fondé et le quantum de l’adjudication des dépens

instruite le 24 novembre 2015, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Roger Taylor

 

Avocate de l’intimée :

Me Josée Tremblay

 

 

ORDONNANCE

          L’intimée se voit adjuger les dépens relativement aux témoins O’Mally et Klein et tous les autres dépens à un taux de 50 pour 100.

 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2016.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de décembre 2016.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2016 CCI 14

Date : 20160118

Dossier : 2003-3262(IT)G

 

ENTRE :

KRUGER INCORPORÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS

Le juge Rip

[1]             Dans mon jugement du 26 mai 2015[1], j’ai accueilli l’appel de l’appelante interjeté à l’encontre de la cotisation d’impôt sur le revenu établie pour l’année d’imposition 1998 et renvoyé la cotisation au ministre du Revenu national pour qu’il l’examine de nouveau et établisse une nouvelle cotisation en partant du principe que l’appelante est autorisée à évaluer les contrats d’option sur devises conformément au paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et à l’article 1801 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »). Toutefois, l’appelante n’a pas été autorisée à évaluer le gros de ses contrats d’option pour l’année, c’est‑à‑dire les contrats d’option sur devises évalués à la valeur du marché; j’ai plutôt conclu qu’elle devait déclarer les contrats en fonction de la réalisation, comme cela a été établi dans la cotisation. Une autre question, concernant la partie 1.3 de la Loi, dépendait de la question de l’évaluation. Le nombre de contrats vendus par rapport aux contrats achetés en 1998 était approximativement de 4 pour 1.

[2]             J’ai accordé aux parties 30 jours, ou un délai plus long que je pouvais approuver, pour présenter leurs observations sur les dépens. Bien honnêtement, j’espérais que les parties s’entendent sur les dépens. Cela n’a toutefois pas été le cas et, le 24 novembre 2015, les avocats ont présenté leurs observations sur les dépens.

[3]             Je tiens à souligner que le jugement du 26 mai 2015 a été porté en appel.

[4]             À la demande de l’avocate de l’intimée, M. Denis Dionne, agent de l’Agence du revenu du Canada chargé de donner des instructions à la section d’appel du bureau des services fiscaux de Montréal relativement à l’exécution du jugement, a effectué des calculs concernant l’inventaire en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi et de l’article 1801 du Règlement. Selon ses calculs, la cotisation faisant l’objet de l’appel ne devait pas être modifiée, c’est‑à‑dire qu’aucune nouvelle cotisation ne serait établie par suite du jugement. L’avocat de l’appelante a accepté le résultat obtenu.

[5]             Chaque partie sollicite ses dépens; l’appelante parce que l’appel a été accueilli et l’intimée parce que le résultat de l’instance était en grande partie en sa faveur quant aux sommes en cause et à la décision relative à la question en litige.

[6]             L’appelante soutient que, puisque les deux parties ont eu gain de cause, chacune d’elles devrait assumer ses propres dépens. L’avocat de l’appelante a cité dans son argumentation plusieurs décisions publiées à l’appui de sa thèse : Bonik Inc. et autres c La Reine[2], General Electric Capital Canada Inc. v The Queen[3], Les Produits de la Mer Ouellette Ltée c Les Exportations de Hareng Cap‑Pelé Inc.[4], AlliedSignal Inc. (anciennement Allied-Signal Inc.) c du Pont Canada Inc.[5] et RMM Canadian Enterprises Inc. c La Reine[6].

[7]             Bien que les appelantes aient eu gain de cause dans la décision Bonik, les dépens ne leur ont pas été adjugés puisque, entre autres, elles ont eu dans l’ensemble gain de cause dans une proportion de moins de 5 pour 100. Le juge McArthur a également conclu que la plupart des retards pour se rendre au procès avaient été causés par les appelantes. Le juge de première instance a également souligné qu’aucuns dépens n’avaient été adjugés à l’intimée, « qui a dans une large mesure eu gain de cause ». Mais il a affirmé que, lorsque le succès est partagé, il n’est pas inhabituel qu’aucune ordonnance ne soit rendue au sujet des dépens.

[8]             Dans la décision GE Capital, au paragraphe 31, le juge Hogan a conclu qu’il existe [traduction] « une forte tendance dans la jurisprudence à accepter le principe que l’adjudication des dépens ne devrait pas être distributive et que les sommes devraient être basées sur le résultat des arguments précis ». Il a cité la décision RMM du juge Bowman (tel était alors ton titre) :

[5] […] Il arrive fréquemment, dans un litige, que des arguments soient avancés à l’appui de positions, lesquels considérés après coup, s’avèrent inutiles. À moins que pareils arguments ne soient clairement futiles ou insoutenables, je ne crois pas qu’une partie doive être pénalisée au point de vue des frais simplement parce que son avocat décide de débattre la question à fond, et je ne crois pas non plus qu’il m’incombe de revenir après coup sur la décision de l’avocat, et de dire en fait que s’il avait pu prévoir comment j’allais trancher l’affaire, il aurait été possible d’économiser énormément de temps en s’en tenant à une seule question. En outre, l’avocat est entre autres tenu de constituer un dossier qui permettra à un tribunal d’appel d’examiner toutes les questions en litige[7]. [Non souligné dans l’original.]

[9]             La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick était d’avis que, dans une victoire à la Pyrrhus, aucuns dépens ne devraient être adjugés : arrêt Ouellette[8].

[10]        L’avocat de l’appelante a admis que, peu importe à l’avenir le nombre de contrats qui peuvent être inversés, c’est‑à‑dire que Kruger peut vendre plus de contrats d’option qu’elle n’en achète, je dois statuer sur ce qui a été fait en 1998, et non sur ce que la situation pourrait être dans d’autres années d’imposition.

[11]        La Couronne est d’avis qu’elle a eu entièrement gain de cause et qu’elle a droit à des dépens partie-partie.

[12]        Renvoyant à l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »)[9], l’avocate de la Couronne a soutenu que a) le résultat favorisait l’intimée; b) les sommes en cause ont été décidées en faveur de l’intimée; c) la question en litige était importante : à savoir si l’appelante peut évaluer à la valeur du marché ses contrats d’option sur devises à la fin de son exercice financier. La preuve au procès était liée à la question de l’évaluation à la valeur du marché par opposition à l’évaluation selon la réalisation. La Couronne a réussi à conserver l’évaluation de 80 pour 100 des contrats d’option selon la réalisation; le contribuable a été autorisé à évaluer 20 pour 100 de ses contrats d’option autrement que selon la valeur du marché. De plus, la cotisation faisant l’objet de l’appel n’a pas été modifiée par le jugement. Ainsi, la Couronne a eu gain de cause en défendant la cotisation et a droit à 100 pour 100 de ses dépens. L’avocate a cité la décision SWS Communication Inc. c La Reine[10], où le juge Hogan, faisant référence à ses observations dans la décision GE Capital, a répété que l’adjudication des dépens ne devrait pas être distributive. Seul le résultat global est pertinent.

[13]        Comme l’avocat de l’appelante l’a déclaré, personne ne savait que la cotisation ne serait pas modifiée par suite du jugement. Il n’est pas normal que la cotisation soit demeurée intacte après avoir été examinée de nouveau par le ministre. On s’attend normalement à ce qu’une nouvelle cotisation établie en fonction du jugement accordant au contribuable un certain redressement donne lieu à un montant d’impôt moins élevé.

[14]        Les sommes d’argent en litige dans un appel devant la Cour peuvent être utiles pour fixer les dépens. Il s’agit d’un facteur principal du paragraphe 147(3) des Règles. Bien entendu, les sommes en litige sont généralement inutiles pour le juge lorsqu’il tranche l’appel : il s’intéresse au fond de l’appel et à la question de savoir si une cotisation est exacte ou non.

[15]        Toutefois, aux yeux des parties, les sommes en litige sont importantes. Elles influent sur les parties dans leur façon de préparer et de financer l’appel. Lorsque les sommes sont importantes, comme en l’espèce, la question en droit peut être plus complexe et les faits plus compliqués ou complexes, ce qui exige plus de documents, des interrogatoires préalables plus longs, de la preuve d’expert, etc. Et une partie qui a gain de cause a droit au remboursement des frais qu’elle a engagés pour exercer l’appel ou se défendre en appel.

[16]        Ma tâche en l’espèce consistait à décider si l’appelante était autorisée à évaluer les contrats d’option sur devises à la fin de son exercice à la valeur du marché ou selon la réalisation. La décision était mitigée mais, en raison du type de contrats d’option et de leur valeur pécuniaire ainsi que du résultat du nouvel examen de la cotisation faisant l’objet de l’appel que le ministre a effectué, c’est la Couronne qui a eu gain de cause, malgré que l’appel ait été accueilli.

[17]        Kruger a acheté quatre fois plus de contrats en 1998 qu’elle en a vendus et le montant total des contrats achetés serait donc beaucoup plus élevé que celui des contrats vendus. La charge de travail pour préparer l’appel était importante et, selon mon appréciation, égale des deux côtés. Les questions en litige étaient complexes, exigeant quatre témoins experts, soit deux pour chaque partie. Les arguments des parties n’étaient ni futiles ni insoutenables. Aucune des parties n’a tardé à faire instruire l’appel. Le présent appel ne constituait une victoire à la Pyrrhus pour aucune des parties. Chacune a eu gain de cause, mais à des degrés différents.

[18]        Les questions énumérées au paragraphe 147(3) des Règles que le juge doit examiner dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour fixer les frais et les dépens me sont utiles, mais elles ne sont pas limitées à la liste énoncée dans cette disposition.

[19]        La question des dépens, comme dans toute autre affaire, doit également être tranchée en fonction de ses propres faits. Pendant l’instruction de l’appel et en préparant mes motifs, j’ai trouvé le témoignage de Mme O’Mally et du professeur Klein très utile et leur contribution était importante et devrait être reconnue dans l’examen des dépens.

[20]        Je n’ai trouvé aucune règle qui empêche un juge de distribuer les dépens entre les parties, même si cette pratique n’est pas encouragée. La question en l’espèce et la question de savoir dans quelle proportion chaque partie a obtenu gain de cause devraient être reflétées dans la fixation des dépens. J’adjugerais à la Couronne ses dépens relativement aux témoins O’Mally et Klein et tous ses autres dépens à un taux de 50 pour 100. Cette décision n’est peut‑être pas la norme, mais j’estime qu’elle est raisonnable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2016.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de décembre 2016.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 14

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-3262(IT)G

INTITULÉ :

KRUGER INCORPORÉE et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2015

MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS :

 

 

L’honorable juge Gerald J. Rip

DATE DES MOTIFS CONCERNANT LES OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS :

 

 

 

Le 18 janvier 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Roger Taylor

Avocate de l’intimée :

Me Josée Tremblay

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Roger Taylor

 

Cabinet :

Couzin Taylor, s.r.l.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Le jugement et les motifs du jugement ont été modifiés le 10 juin 2015 en vue de réorganiser les paragraphes 9 et 10 des motifs du jugement initiaux.

[2] 2007 CCI 267, [2007] A.C.I. no 583 (QL) [Bonik]

[3] 2010 TCC 490, [2010] T.C.J. no 402 (QL) [GE Capital]

[4] 2010 NBCA 12, [2010] A.N.-B. no 42 (QL) [Ouellette]

[5] [1998] A.C.F. no 190 (QL) [AlliedSignal]

[6] 97 DTC 420, [1997] A.C.I. no 445 (QL) [RMM]

[7] Op. cit., par. 5

[8] Op. cit., par. 29

[9] 147. (1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

[…]

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[10] 2012 CCI 377, [2012] GSTC 107

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