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Dossier : 2013-3908(IT)G

ENTRE :

MYRTLE ROBICHAUD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 24 novembre 2015, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge suppléant D. W. Rowe


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jeffrey Radnoff

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2008 est rejeté. Les dépens sont attribués à l’intimée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 22e jour de janvier 2016.

« D. W. Rowe »

Le juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour d’août 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 19

Date : 20160122

Dossier : 2013-3908(IT)G

ENTRE :

MYRTLE ROBICHAUD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe

[1]             L’appel de l’appelante porte maintenant uniquement sur l’imposition de pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à son année d’imposition 2008. Dans sa déclaration de revenus pour l’année en question, Myrtle Robichaud a demandé la déduction d’une perte d’entreprise de 354 351,72 $ (la « perte d’entreprise déclarée »), dont le détail se trouve dans un document intitulé [TRADUCTION] État des résultats des activités d’une entreprise en fonction des éléments suivants :
[traduction]

– Somme – 114 643,68 $ – perçue à titre de mandataire au nom d’un mandant et déclarée par des tiers

– Somme – 7 451,84 $ – perçue à titre de mandataire au nom d’un mandant et non déclarée par des tiers, soit un total de 122 095,52 $.

[2]             Le montant ci-dessus a été compensé par une déduction de 361 803,56 $ sous la rubrique [traduction] « Sommes attribuées au mandant en échange de main-d’œuvre », donnant lieu à un [traduction] « Bénéfice brut » de 239 708,04 $, montant qui, lorsque la somme de 114 643,68 $ (somme perçue à titre de mandataire au nom d’un mandant) a été incluse dans le calcul, donne une perte nette de 354 351,72 $.

[3]             En 2008, le revenu de l’appelante s’est établi à 114 469,99 $, soit un revenu d’emploi de 100 944,33 $ et un revenu de REER de 13 525,66 $.

[4]             L’appelante a appliqué 95 849,72 $ de la perte d’entreprise déclarée contre son revenu pour l’année d’imposition 2008 et elle a demandé que le solde non utilisé soit reporté et appliqué à ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 à raison de 80 486 $, 80 273 $ et 97 743 $ respectivement. Le 6 décembre 2010, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante, pour l’année d’imposition 2008, dans laquelle il a rejeté la perte d’entreprise déclarée et a imposé une pénalité pour faute lourde de 46 698,91 $. À la même date, le ministre a également établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 de l’appelant dans laquelle il a rejeté le report rétrospectif d’une perte.

[5]             La question est de savoir si l’appelante a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait ou accepté de faire de faux énoncés dans sa déclaration qui justifieraient l’imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[6]             L’appelante, Myrtle Robichaud (« Mme Robichaud ») a déclaré lors de son témoignage qu’elle habite Toronto et qu’elle est employée comme administratrice au centre de santé communautaire Parkdale (« Parkdale ») qui fournit divers services à des particuliers et à des organismes sans but lucratif. Elle est âgée de 57 ans et elle est arrivée au Canada de Trinité-et-Tobago en 1988. Elle a suivi divers cours à la Toronto School of Business, mais aucun de ces cours ne portait sur la fiscalité ou la comptabilité. En 1990, son ex-conjoint, également originaire de Trinité-et-Tobago, lui avait présenté Muntaz Rasool (« M. Rasool ») qui avait quitté le Guyana pour venir s’installer à Toronto. Mme Robichaud a déclaré que M. Rasool était marié et avait des enfants, et qu’on lui avait dit qu’il était un ancien employé de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), alors connue sous le nom de Revenu Canada. C’est à peu près à cette époque que M. Rasool a commencé à préparer les déclarations de revenus de l’appelante et, en avril 2009, elle l’a rencontré et lui a remis les documents et les reçus habituellement requis. M. Rasool l’a informée qu’elle avait payé trop d’impôts sur son revenu et qu’il existait une méthode qui lui permettait de demander un remboursement pour les trois dernières années. Il lui a montré des chèques (peut-être des copies) que le gouvernement du Canada avait émis à ses clients, dont l’un était d’un montant d’environ 5 000 $. M. Rasool l’a informée que ses honoraires pouvaient atteindre 50 % du montant du remboursement qu’elle obtiendrait du gouvernement. Mme Robichaud a déclaré qu’elle avait demandé à M. Rasool des précisions sur cette méthode de déclaration et il lui avait assuré que c’était parfaitement légitime. M. Rasool savait que Mme Robichaud était divorcée et mère célibataire, qu’elle avait déclaré faillite, qu’elle n’avait pas de marge de manœuvre financière et que le remboursement de l’impôt sur le revenu payé qu’elle recevrait pourrait lui être utile. Auparavant, elle avait investi la somme de 17 000 $ US dans un fonds de placement dont M. Rasool faisait la promotion. En ce qui concerne sa déclaration de revenus de 2008, elle a reçu, en temps opportun, un chèque de remboursement de 25 000 $ qui a été déposé dans son compte par virement électronique. Le montant semblait raisonnable puisque M. Rasool lui avait dit qu’elle avait droit à un remboursement d’environ 8 000 $ par année pour les trois années d’imposition. Lorsqu’elle a commencé à recevoir des lettres de l’ARC, elle a tenté de communiquer par téléphone avec M. Rasool à son domicile et sur son téléphone cellulaire parce que, a-t-elle déclaré, elle ne comprenait pas la teneur de ces communications. Elle a laissé des messages vocaux sur les deux téléphones, mais elle n’a eu aucune réponse. En 2010, elle s’est adressée à une amie – Sonia Dolar – qui s’est présentée au domicile de M. Rasool, elle a sonné à la porte et, constatant que personne ne répondait, elle a regardé par la fenêtre et a vu des piles de documents sur le plancher. Mme Robichaud a déclaré qu’elle avait communiqué avec l’ARC – par téléphone – à plusieurs reprises et qu’on l’avait informée que son dossier portait le « code 6 » et qu’on lui en expliquerait la signification ultérieurement.

[7]             L’avocat de l’intimée a contre-interrogé l’appelante.

[8]             Avec le consentement de l’avocat de l’appelante, l’avocat de l’intimée a déposé, au titre de pièce R-1, le recueil de documents de l’intimée, onglets 1 à 9, inclusivement.

[9]             Mme Robichaud a confirmé qu’elle habitait et travaillait au Canada depuis 1988 et qu’elle avait produit ses déclarations de revenus depuis, mais qu’elle ne comprenait pas des concepts comme la saisie de données. L’avocat l’a priée d’examiner un certificat – de niveau 1 – indiquant qu’elle avait suivi un cours sur la saisie de données en 2003. Mme Robichaud a déclaré qu’elle n’effectue pas de saisie de données dans le cadre de ses fonctions et qu’elle n’utilise pas de logiciels tels qu’Excel ou d’autres programmes. En dépit de son titre de directrice de la santé à Parkdale, elle ne traite pas de données, puisque son travail consiste à surveiller des employés qui fournissent des services aux plus démunis, aux sans-abri, aux nouveaux venus, aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale ou souffrant de dépendances, ainsi qu’à d’autres personnes vivant dans des secteurs marginalisés de la collectivité. Elle ne traite pas de questions relatives à des rapports financiers et elle a déclaré que son titre de directrice n’était pas lié à l’exercice de fonctions qui y est associé habituellement. À l’onglet 1, Mme Robichaud a identifié sa signature sur la dernière page de sa déclaration de revenus de 2008 et elle a reconnu que l’espace devant être rempli par un spécialiste en préparation de déclarations de revenus était vide. Elle a signé sa déclaration à la suite du mot « par » qui n’a pas été écrit par elle. En 2008, son revenu d’emploi s’était établi à 100 944,33 $ et un remboursement net de 25 478,09 $ a été demandé en l’espèce. Lorsque l’avocat l’a interrogée à ce sujet, Mme Robichaud a déclaré « qu’elle n’avait pas porté attention à cela ». À la page 4 de l’onglet 1, un T4 indiquait qu’une somme de 22 147,59 $ avait été déduite de son impôt sur le revenu, ainsi que des montants de 711,03 $ au titre de cotisations d’assurance-emploi et de 2 049,30 $ au titre de cotisations au Régime de pensions du Canada. Le montant total des déductions en question s’élevait à 24 907,92 $, pratiquement le même que le remboursement de 25 000 $ qu’elle a reçu. On a demandé à Mme Robichaud d’examiner la ligne 162 de sa déclaration, sur laquelle son revenu d’entreprise de 122 095,52 $ a été déclaré, et la ligne 135, où un montant net de – (354 351,72 $) – est inscrit entre parenthèses pour indiquer une somme négative. Mme Robichaud a déclaré qu’elle n’avait pas exploité d’entreprise en 2008 ni au cours des années antérieures. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas lu cette partie de sa déclaration de revenus et qu’elle n’avait pas remarqué que ce montant était inscrit à la ligne 150, ce qui indiquait qu’elle avait un revenu négatif s’élevant à 239 881,73 $. On a demandé à Mme Robichaud d’examiner un document – page 28 de l’onglet 1 – intitulé [traduction] « État des activités de mandataire » que lui avait remis M. Rasool en lui demandant d’y inscrire son nom et de le signer au bas du document, ce qu’elle a fait. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas lu le document et qu’elle ignorait que sa déclaration de revenus de 2008 comportait un revenu négatif de 239 708,04 $. Elle a ajouté qu’elle ignorait ce que M. Rasool avait fait et qu’elle avait suivi son conseil en signant – à la page 25 – le formulaire intitulé Demande de report rétrospectif d’une perte. Même si elle ne comprenait pas la raison d’être de ce document, celui-ci semblait correspondre à l’information que lui avait transmise M. Rasool en avril 2009 selon laquelle le gouvernement lui devait de l’argent parce qu’elle avait payé trop d’impôts au cours des années antérieures. Mme Robichaud a déclaré qu’elle ne s’était pas préoccupée du montant précis d’un remboursement éventuel parce qu’elle croyait que l’ARC le calculerait. M. Rasool n’a rien touché du montant du remboursement que Mme Robichaud a reçu pour l’année d’imposition 2008, parce qu’il lui devait de l’argent pour un placement antérieur dans un fonds dont il avait fait la promotion. Mme Robichaud a déclaré qu’elle savait que les montants des remboursements pour les années antérieures étaient nettement inférieurs à 8 000 $ et qu’elle ne s’attendait pas à recevoir un remboursement de 25 000 $; cependant, vu sa situation financière précaire, elle avait besoin de cet argent et l’a utilisé peu après l’avoir reçu. Mme Robichaud a admis qu’elle avait reçu une lettre – onglet 2 – de l’ARC datée du 5 mars 2010 – demandant des précisions sur son activité commerciale suffisamment détaillées pour permettre à l’ARC d’examiner l’exactitude des données de sa déclaration de revenus de 2008, car elle semblait déclarer des revenus d’entreprise bruts et une perte d’entreprise nette. Elle avait alors tenté – sans succès – de communiquer avec M. Rasool et elle se souvenait qu’à un moment donné elle avait téléphoné à l’ARC à plusieurs reprises, mais qu’elle n’avait pas répondu par écrit aux lettres du vérificateur. Cependant, probablement à la fin de 2010, elle avait parlé à L. DuPont, vérificateur/examinateur principal au bureau des services fiscaux de Sudbury et elle l’avait informé qu’elle n’avait pas d’entreprise. Elle a reçu une lettre de l’ARC – onglet 3 – datée du 7 juin 2010 indiquant que l’Agence n’avait reçu aucune réponse à sa lettre précédente et que, si Mme Robichaud ne fournissait pas l’information demandée dans un délai de 30 jours, l’ARC rejetterait la perte d’entreprise s’appliquant à sa déclaration de revenus de 2008 ainsi que le report rétrospectif d’une perte autre qu’en capital qui devait s’appliquer à ses déclarations de revenus de 2005, 2006 et 2007. L’ARC a envoyé une autre lettre – onglet 5 – datée du 24 novembre 2010 à Mme Robichaud lui rappelant qu’elle n’avait pas donné suite aux deux lettres précédentes. L’avocat lui a montré une lettre de l’ARC – onglet 6 – datée du 31 juillet 2012 l’informant que son avis d’opposition pour les années d’imposition en cause avait été examiné et qu’une pénalité pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi lui avait été imposée. Mme Robichaud a indiqué que, même à ce stade, elle ne comprenait pas la signification de la position adoptée par l’ARC, car elle ne s’était pas opposée au rejet de la perte d’entreprise déclarée en 2008. Un avis de ratification a été délivré relativement à ladite pénalité. Mme Robichaud a reconnu qu’elle n’avait pas communiqué avec l’ARC ni avec qui que ce soit d’autre pour confirmer l’exactitude de l’information qu’elle avait reçue de la part de M. Rasool en 2009 concernant son droit à demander des remboursements – attribuable au paiement en trop d’impôt allégué au cours d’années antérieures – dès le départ ou avant de signer sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2008.

[10]        Sonia Dolar (« Mme Dolar ») a déclaré dans son témoignage qu’elle est une conseillère financière professionnelle, qu’elle travaille à Toronto et qu’elle connaît l’appelante depuis 2003, car ses enfants et ceux de Mme Robichaud avaient fréquenté la même école. Mme Dolar a rencontré l’appelante en mars 2010 pour discuter de sa cotisation à un REER pour l’année. Au cours de cette rencontre, Mme Robichaud a mentionné qu’elle ne comprenait pas la teneur des lettres que lui envoyait l’ARC et elle lui a divulgué l’objet de l’information demandée. Mme Dolar a déclaré qu’elle savait que Mme Robichaud n’exploitait pas d’entreprise et qu’elle lui avait demandé d’apporter sa déclaration de revenus de 2008, mais que Mme Robichaud lui avait dit qu’elle venait de déménager et qu’elle devrait retrouver ce document dans sa nouvelle résidence. Mme Dolar a admis qu’elle connaissait M. Rasool depuis plusieurs années et qu’elle avait tenté de communiquer avec lui en se présentant à son domicile, mais qu’il était absent ou qu’il n’avait pas répondu lorsqu’elle avait sonné à la porte. Mme Dolar a déclaré qu’elle avait dit à Mme Robichaud qu’il était important de communiquer avec l’ARC « immédiatement » afin de résoudre cette affaire grave.

[11]        En contre-interrogatoire, Mme Dolar a expliqué qu’elle s’était rendue au domicile de Mme Robichaud dans le but de discuter de sa cotisation à un REER et que c’était au cours de cette discussion que Mme Robichaud avait mentionné ses problèmes concernant ses déclarations de revenus et les lettres de l’ARC; c’est ce qui l’avait incitée à conseiller à Mme Robichaud de communiquer immédiatement avec l’ARC, même si elle ne lui avait pas suggéré de mode de communication particulier. Mme Dolar a affirmé qu’elle ne connaissait pas le contenu de la déclaration de revenus de 2008 de l’appelante.

[12]        L’avocat de l’appelante a terminé la présentation de sa preuve. L’avocat de l’intimée n’a présenté aucun élément de preuve.

[13]        L’avocat de l’appelante a fait valoir que M. Rasool avait préparé les déclarations de revenus de l’appelante pendant de nombreuses années et que les examens par l’ARC n’avaient jamais présenté de difficultés. Par conséquent, l’appelante croyait honnêtement que les conseils qu’il lui prodiguait étaient légitimes et elle lui en avait demandé confirmation – qu’elle a obtenue. L’avocat a souligné que, malgré la jurisprudence récente, la Couronne est quand même tenue de s’acquitter du fardeau qui justifierait l’imposition d’une pénalité pour faute lourde et que, pour ce faire, elle ne peut pas s’appuyer uniquement sur la conviction naïve ou insensée d’une contribuable qui a été victime d’une fraude commise par une personne qu’elle connaissait depuis des années et en qui elle avait confiance. Il s’agit d’une personne qui n’avait pas de connaissance pratique de la fiscalité ou de la comptabilité et elle n’était pas tenue d’utiliser des logiciels de traitement de données chiffrées ou de comptabilité dans l’exercice de ses fonctions. Pour cette raison, elle a compté sur le fait que M. Rasool lui avait prodigué des conseils et des services professionnels fiables et sans problème pendant de nombreuses années.

[14]        L’avocat de l’intimée a soutenu que les éléments de preuve étaient clairs et conformes à la jurisprudence récente, en ce qui concerne l’examen de la conduite de l’appelante qui correspondait à un aveuglement volontaire pouvant s’appliquer pour justifier l’imposition de pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2). L’avocat a fait référence aux anomalies qui auraient dû inciter l’appelante à se méfier. Pendant les 18 années qui ont précédé l’année d’imposition 2008 au cours desquelles M. Rasool avait produit ses déclarations de revenus, il n’avait jamais exigé un pourcentage du remboursement en guise d’honoraires pour ses services professionnels. Le montant du remboursement demandé était substantiel, comparativement à ses revenus pour cette année, et ne correspondait pas aux remboursements qu’elle avait reçus dans le passé, lesquels étaient attribuables à ses cotisations à un REER ou à d’autres déductions, par exemple des honoraires professionnels. L’avocat a déclaré que les éléments de preuve de l’appelante n’étaient pas crédibles lorsqu’elle a nié avoir regardé le montant du remboursement indiqué sur sa déclaration et que si, comme elle l’a déclaré, elle s’était concentrée uniquement sur la ligne où elle devait apposer sa signature, alors cette omission constituait un cas d’aveuglement volontaire. En ce qui concerne la demande de report rétrospectif, il ne s’agit pas là d’un concept compliqué, d’autant plus que l’appelante savait qu’elle n’avait jamais exploité d’entreprise et donc qu’elle ne pouvait pas avoir subi une perte d’entreprise. Une personne prudente n’aurait pas conclu, en s’appuyant sur le fait que d’autres clients de M. Rasool avaient obtenu des remboursements, qu’elle avait automatiquement droit au même traitement de la part de l’ARC.

[15]        Le paragraphe 163(2) de la Loi est libellé en partie comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité...

[16]        En vertu du paragraphe 163(3), le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

[17]        Dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760, 2 CTC 2450, le juge Bowman (tel était alors son titre) a entendu un appel à l’encontre de l’imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Au paragraphe 25, il a déclaré ce qui suit :

[25]      Le genre de conduite qu’envisage le paragraphe 163(2) peut chevaucher des éléments du sous-alinéa 152(4)a)(i), et je crois que c’est ce qui se passe en l’espèce. Je me suis grandement efforcé d’atténuer le plus possible la conduite de l’appelante, et de l’attribuer à la conviction naïve et insensée que les stratagèmes de la nature de celui qui est en cause en l’espèce fonctionnent réellement, plutôt qu’à une présentation volontairement erronée de la situation véritable. Il m’a été impossible de le faire. Soit que l’appelante savait ce qu’elle faisait, soit qu’elle faisait peu de cas de l’efficacité juridique de l’arrangement. Je suis conscient que le sous-alinéa 152(4)a)(i) a pour objet d’ouvrir les déclarations qui s’appliquent à des années frappées de prescription quand, pour toutes sortes de raisons, les éléments de revenu sont omis ou présentés de façon erronée, alors que le paragraphe 163(2) est une disposition pénale et que, si, au moment de l’appliquer, le type de conduite à laquelle est attribuable la présentation erronée des faits soulève un doute, il faudrait accorder le bénéfice du doute au contribuable. Dans l’affaire Udell v. M.N.R, 70 D.T.C 6019, le juge Cattanach déclare ce qui suit, à la page 6025 du recueil :

[traduction] Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l’on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des propos inattaquables de lord Esher dans l’affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le libellé d’une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d’une interprétation qui mènerait à l’imposition de la pénalité prévue, et d’une autre qui n’y mènerait pas, c’est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu’il a dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin, car elle mène à l’imposition d’une pénalité. S’il existe une interprétation raisonnable qui permettra d’éviter la pénalité dans une cause particulière, c’est celle-là qu’il faut retenir.

Et, ajoute-t-il, à la page 6026 du recueil :

Il est clair selon moi que lorsqu’il est question d’imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s’il existe un doute raisonnable, il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l’on cherche à imputer le montant en question.

[18]        Aux paragraphes 27 et 28, le juge Bowman a poursuivi :

[27]      Une cour doit faire preuve d’une prudence extrême lorsqu’elle sanctionne l’imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une année frappée de prescription ne justifie pas d’office l’imposition d’une pénalité, et l’imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l’imposition d’une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d’une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s’attendrait dans les situations où l’on cherche à établir le bien-fondé d’allégations moins sérieuses. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d’un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l’une qui justifie la pénalité et l’autre pas, il convient d’accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu’en l’espèce, l’intimée a fait preuve du degré de probabilité requis, et qu’au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l’intimée a avancée ne peut être défendue.

[28]      Si j’avais pu interpréter la loi, ou considérer la preuve, d’une manière qui m’aurait permis d’accorder à l’appelante le bénéfice du doute, je l’aurais fait. Mais cela m’est impossible. La description qu’a faite l’appelante de la relation juridique qui l’unit à Agricultural, à savoir qu’il s’agissait d’un arrangement de consultation, dépasse la simple négligence.

[19]        Dans la décision Brisson c. La Reine, 2013 CCI 235, 2013 DTC 1197, la juge V.A. Miller a entendu un appel concernant l’entité dénommée Fiscal Arbitrators dont les employés ou les associés avaient persuadé la contribuable et son conjoint à recourir à un stratagème conçu pour générer des remboursements d’impôt importants pour l’année d’imposition en cours ou pour des années antérieures en déclarant d’importantes pertes d’entreprise, et ce, même s’ils n’avaient qu’un revenu d’emploi. Aux paragraphes 24 à 29 inclusivement, la juge V.A. Miller a déclaré :

[24]      Selon le paragraphe 163(3) de la LIR, « le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité ». Par conséquent, l’intimée doit prouver (1) que les appelants ont fait un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenus de 2008, (2) que le faux énoncé ou l’omission a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[25]      La jurisprudence s’intéressant à l’application du paragraphe 163(2) abonde. S’il est vrai que chaque décision est intimement liée aux faits particuliers de l’espèce, les tribunaux ont quand même pu en dégager quelques grands principes.

[26]      Le passage suivant, tiré de la décision Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. nº 314 (QL) (C.F. 1re inst.), a été cité et mentionné dans de nombreuses décisions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale et demeure, à ce jour, la définition de référence de la faute lourde :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[27]      Par ailleurs, dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’expression « faute lourde » pouvait englober l’aveuglement volontaire en plus de l’acte intentionnel et de l’intention coupable. Au paragraphe 6 des motifs, le juge Létourneau s’est exprimé en ces termes :

Avec égards, je crois que la juge a omis de considérer la notion de faute lourde qui peut découler d’un aveuglement volontaire de son auteur. Même l’intention coupable qui, souvent, prend la forme de la connaissance de l’un ou de plusieurs des éléments constitutifs du geste reproché peut s’établir par une preuve d’aveuglement volontaire. En pareil cas, l’auteur du geste, bien qu’il n’ait pas de connaissance actuelle de l’élément reproché, se voit imputer la connaissance de cet élément.

[28]      Depuis l’arrêt Villeneuve, il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que le contribuable avait réellement connaissance de la négligence du comptable pour conclure qu’il y a eu faute lourde : Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, au paragraphe 20. De fait, il peut y avoir faute lourde lorsque le contribuable fait aveuglément confiance à la personne qui remplit sa déclaration de revenus, comme l’a relevé le juge Bédard dans un jugement récent, Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335 :

15. De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par [son comptable]? L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[29]      L’ancien juge en chef Bowman a examiné quelques-uns des facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si l’imposition de pénalités pour faute lourde est justifiée. Dans le jugement DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, il déclare :

11. Pour établir la distinction entre la négligence « ordinaire » et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l’importance de l’omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l’erreur, ainsi que le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu’il convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve.

[20]        Dans l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] A.C.S. no 41, la Cour suprême du Canada a entendu un appel à l’encontre d’une décision de la Cour d’appel fédérale infirmant une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui avait annulé l’imposition d’une pénalité conformément à l’article 163.2 parce que la disposition était de nature pénale. L’appelant était un avocat qui ne possédait aucune expertise dans le domaine fiscal et qui avait participé à un programme de dons financés par emprunt. Un point en litige était de savoir si la Cour suprême pouvait examiner puis trancher une question constitutionnelle qui n’avait pas été soulevée dans le cadre d’instances antérieures en se conformant aux exigences habituelles de l’avis donné aux parties intéressées. Aux fins du présent appel, les commentaires des juges Rothstein et Cromwell – qui ont rendu un jugement au nom de la majorité – du paragraphe 55 au paragraphe 62, inclusivement, sont les suivants :

[55]      Le pourvoi porte essentiellement sur l’art. 163.2 de la LIR. Édicté en 2000, cet article prévoit deux sanctions administratives, l’une infligée au planificateur (par. (2)), l’autre au spécialiste en déclarations (par. (4)). La « pénalité du planificateur » n’est pas en cause en l’espèce. Le texte de la disposition qui prévoit la « pénalité du spécialiste en déclarations » est le suivant :

(4) La personne qui fait un énoncé à une autre personne ou qui participe, consent ou acquiesce à un énoncé fait par une autre personne, ou pour son compte, (ces autres personnes étant appelées « autre personne » au présent paragraphe, aux paragraphes (5) et (6), à l’alinéa (12)c) et au paragraphe (15)) dont elle sait ou aurait vraisemblablement su, n’eût été de circonstances équivalant à une conduite coupable, qu’il constitue un faux énoncé qui pourrait être utilisé par l’autre personne, ou pour son compte, à une fin quelconque de la présente loi est passible d’une pénalité relativement au faux énoncé.

[56]      L’ARC explique que la pénalité du spécialiste en déclarations est censée s’appliquer lorsqu’une personne a fait un faux énoncé ou a participé, consenti ou acquiescé à un faux énoncé fait par une autre personne. L’identité de la personne qui pourrait utiliser le faux énoncé doit être déterminée, car la disposition emploie l’expression « l’autre personne ». Selon l’ARC, la pénalité pourrait être infligée, par exemple, à une personne qui a préparé une déclaration de revenus frauduleuse pour un contribuable en particulier ou qui a fourni à ce dernier des conseils fiscaux trompeurs. (Voir la circulaire d’information IC 01‑1 de l’ARC intitulée « Pénalités administratives imposées à des tiers » (18 septembre 2001 (en ligne)), par. 6-7 et 9.)

[57]      Le champ d’application de la pénalité du spécialiste en déclarations est restreint : le faux énoncé doit avoir été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à une conduite coupable, laquelle est définie comme suit au par. 163.2(1) :

Conduite — action ou défaut d’agir — qui, selon le cas :

a) équivaut à une conduite intentionnelle;

b) montre une indifférence quant à l’observation de la présente loi;

c) montre une insouciance délibérée, déréglée ou téméraire à l’égard de la loi.

[58]      Il s’agit clairement d’une norme stricte. L’expression « insouciance délibérée, déréglée ou téméraire à l’égard de la loi » renvoie à des notions juridiques bien connues qui correspondent généralement à des degrés de mens rea en droit criminel (voir p. ex. K. Roach, Criminal Law (5e éd. 2012), p. 180-184 et 191-192). L’emploi de tels termes traduit l’intention évidente de faire en sorte que la « conduite coupable » commande l’application d’une norme plus stricte que ne le fait la simple négligence.

[59]      Les expressions « montre une indifférence quant à l’observation de la présente loi » et « équivaut à une conduite intentionnelle » tirent leur origine de la jurisprudence sur la pénalité pour faute lourde qui s’applique directement au contribuable suivant le par. 163(2) de la LIR, lequel dispose :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité... [Calcul du montant de la pénalité omis.]

[60]      Dans son mémoire, le ministre soutient que la « conduite coupable » visée à l’art. 163.2 de la LIR [traduction] « n’est pas censée différer de la faute lourde et de la norme qui s’y rattache au par. 163(2) » : par. 79. Dans Venne c. Canada (ministre du Revenu national — M.R.N.), [1984] A.C.F. 314 (QL) (1re inst.), une affaire relative à la pénalité prévue au par. 163(2), la Cour fédérale explique qu’« une indifférence au respect de la Loi » ne s’entend pas que d’une simple inattention ou négligence; elle suppose « un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée » (p. 11). Cela s’apparente en somme à faire l’autruche : Sirois (L.C.) c. Canada, 1995 CarswellNat 1974 (WL Can.) (C.C.I.), par. 13; Keller c. Canada, 1995 CarswellNat 569 (WL Can.) (C.C.I.). Dans Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174, la Cour canadienne de l’impôt, pour expliquer sa décision dans Venne, développe les expressions « équivaut à une conduite intentionnelle » et « montre une indifférence quant à l’observation de la présente loi » :

Les actions « qui correspondent » à des actions réalisées intentionnellement sont celles pour lesquelles on peut présumer une intention, comme les actions qui démontrent « une indifférence au respect de la Loi ». [...] Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au-delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun. [par. 23 (CanLII)]

[61]      Par conséquent, bien que la portée de la définition de « conduite coupable » soit objet de débats (comme on l’a plaidé devant la Cour de l’impôt dans la présente affaire), la norme appliquée doit être au moins aussi stricte que pour la faute lourde au titre du par. 163(2) de la LIR. La pénalité infligée au tiers vise à sanctionner une conduite grave, non la négligence ordinaire ou la simple erreur du spécialiste en déclarations ou du planificateur.

[62]      Nous pouvons conclure que l’objectif de la procédure en cause est de promouvoir l’honnêteté des spécialistes en déclarations et de les dissuader de commettre une faute lourde ou un acte encore plus grave, ce qui est essentiel dans le cadre d’un système d’autocotisation.

[21]        Avant cette décision, on peut pardonner aux personnes traitant cette question d’avoir assimilé cette disposition à une disposition de nature pénale – ou presque pénale. La gravité des conséquences découlant de la pénalité pourrait fort bien avoir comme conséquence d’élever – même à une échelle inconsciente – le degré de preuve requis pour en justifier l’imposition ou pour déplacer – tout doucement – le fardeau de la preuve au-delà de la limite de la prépondérance des probabilités. Ce concept tend à inspirer la confiance de nombreux contribuables qui se contentaient de concéder qu’ils avaient été insouciants, naïfs, imprudents ou victimes d’une personne incompétente ou fraudeuse à qui ils avaient implicitement accordé leur confiance. Ces personnes croyaient qu’ils n’avaient pas intentionnellement fait un faux énoncé dans leur déclaration de revenus et autres documents connexes et que, s’ils avaient fourni de faux renseignements, ce n’était pas dans une intention coupable ou mensongère de leur part; par conséquent, toutes les fausses déclarations par inadvertance ne devraient généralement pas être considérées comme une conduite méritant une sanction quasi pénale et tout doute à cet égard devrait être levé en leur faveur.

[22]        Le présent jugement indique clairement que la pénalité imposée en vertu du paragraphe en question, ainsi qu’en vertu du paragraphe 163(2), est de nature administrative et non pénale.

[23]        Dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, 2014 DTC 1028, le juge C. Miller était saisi des appels de six contribuables qui étaient décrits au premier paragraphe de son jugement comme étant des participants à une « bien triste histoire [...] qui ont été menés en bateau, avec la promesse d’importants remboursements d’impôt au bout du compte ». Les remboursements d’impôt avaient été accordés à des contribuables qui avaient déclaré des pertes d’entreprise fictives parce qu’ils avaient une « confiance inébranlable » à l’égard des représentants du groupe Fiscal Arbitrators qui leur avaient prodigué des conseils et des consignes pour établir leurs déclarations de revenus de telle sorte qu’elles génèrent ces remboursements.

[24]        Le juge C. Miller a examiné la jurisprudence pertinente, y compris des arrêts récents de la Cour d’appel fédérale, et a fait référence à sa décision antérieure intitulée Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, 2013 DTC 1129, où il était également question d’un stratagème dont le groupe Fiscal Arbitrators faisait la promotion. Dans la décision Torres, en se fondant sur cette jurisprudence et sur les éléments de preuve qui ont été produits dans les six appels dont il était saisi, il a affirmé ce qui suit aux paragraphes 65 et 66 :

[65]      Vu cette jurisprudence et les éléments de preuve qui m’ont été produits dans les six appels dont je suis saisi, je dégage les principes suivants :

a)      La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)      La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi, et il convient d’appliquer cette notion en l’espèce.

c)      Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)      Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e)      Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs », expression que j’employais à l’occasion de l’affaire Bhatti, comprennent ce qui suit :

i)       l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii)      le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)     l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv)     les demandes inusitées du spécialiste;

v)      le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi)     les explications inintelligibles du spécialiste;

vii)    le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)       Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[66]      Les appelants ont-ils fait preuve d’aveuglement volontaire?

[25]        Le juge C. Miller a ensuite appliqué la preuve à chacune des personnes en utilisant les critères établis dans ses motifs précités et, aux paragraphes 70 à 72 inclusivement, il a fait le commentaire suivant :

[70]      Je n’ai aucun mal à conclure qu’il y avait suffisamment de signaux d’alarme pour que les appelants soient amenés à s’enquérir davantage auprès des spécialistes eux-mêmes, auprès de conseillers indépendants, voire auprès de l’ARC, avant de signer leurs déclarations. Aucun des appelants ne s’est ainsi renseigné avant de faire les faux énoncés. Me Barrett soutient qu’il n’y avait pas de signaux d’avertissement justifiant des investigations. Comme je l’ai expliqué, les éléments de preuve ne vont pas dans le sens de cette thèse. Me Barrett semble alors insinuer que les signaux d’alarme n’étaient pas évidents ou manifestes au point d’appeler des investigations. Encore une fois, je tire la conclusion contraire – les éléments de preuve ne vont tout simplement pas dans ce sens. Il affirme ensuite que, même s’il y avait des signaux d’alarme, les appelants avaient été emberlificotés par Fiscal Arbitrators au point de devenir aveugles à ces signaux, mais sans tomber pour autant dans l’aveuglement volontaire. Il n’y a pas eu faute volontaire ou intentionnelle qui soit punissable de pénalités aussi lourdes. Faute peut-être, dirait Me Barrett, mais non mépris flagrant de la loi au point que l’on puisse parler de faute lourde. Ils ont tout simplement été dupés.

[71]      La thèse des appelants sur ce point serait plus convainquante si les circonstances ne laissaient voir aussi fortement la nécessité de s’informer. Il est difficile de nier l’existence d’un aveuglement volontaire en opposant un moyen de défense d’absence d’intention délictueuse alors que l’idée d’aveuglement volontaire suppose une connaissance sans égard à l’intention (voir la jurisprudence Panini). Peut-être vaudrait-il mieux dire que des circonstances aussi claires que celles qui existent ici selon moi, dans lesquelles la nécessité de s’informer saute aux yeux, expliquent le mot « volontaire » dans l’expression « aveuglement volontaire ». L’aveuglement est évident. Les circonstances claires ont pour effet d’exclure le moyen de défense selon lequel « j’avais la conviction que ce que je faisais était légitime », quand bien même cette conviction résulterait-elle d’un abus de confiance.

[72]      Ainsi qu’il ressort d’un examen des éléments de preuve, de même que d’un examen des facteurs qui montrent une nécessité de s’informer, il y a d’importantes similitudes entre les six appels. Les circonstances entourant l’établissement, la révision, la signature et la production des déclarations ne sont pas dissemblables au point d’appeler des solutions différentes. Les différences de circonstances sont mineures. J’en exposerai quelques-unes.

M. Hyatali n’a peut-être pas lu la déclaration, s’empêchant ainsi de voir l’énorme perte d’entreprise qui lui aurait crevé les yeux. C’était là faire preuve de négligence : si l’on y ajoute les autres signaux d’alarme, tous ignorés par M. Hyatali, il y a plus qu’assez pour conclure qu’il a lui aussi fait preuve d’aveuglement volontaire.

Quant à Mme Mary Torres, non seulement aurait-elle dû soupçonner que quelque chose n’allait pas au moment de produire sa déclaration de 2007, mais encore elle savait parfaitement que quelque chose n’allait pas quand elle a produit sa déclaration de 2008, puisque l’ARC avait communiqué avec elle à propos de sa déclaration de 2007.

Alors que Mme Eva Torres disait que M. Watts était au service de la même organisation qu’elle depuis 18 mois, elle n’a pas soutenu qu’il existait entre eux d’étroits rapports de travail qui auraient pu dissiper un tant soit peu ses soupçons.

[26]        Aux paragraphes 77 à 79 inclusivement, il a conclu :

[77]      Il est difficile d’éprouver beaucoup de compassion pour les appelants bien que certains d’entre eux aient paru être des gens tout à fait sympathiques, tout simplement trompés par des gens sans scrupule. Néanmoins, sous cette prétendue tromperie, il y a chez chacun d’eux une volonté de se soustraire à ses obligations fiscales. Ils ne s’étaient pas adressés au groupe Fiscal Arbitrators pour qu’il se limite à établir leurs déclarations – ils s’étaient adressés à lui pour qu’il établisse leurs déclarations de manière qu’elles produisent d’importants remboursements; plus exactement, des remboursements qui feraient en sorte qu’ils n’auraient aucun impôt à payer pour l’année en cause, et, dans le cas de certains d’entre eux, pour des années antérieures également. Je me demande comment un particulier, quel que soit son niveau d’instruction, qui a travaillé au Canada, payé des impôts au Canada et profité des avantages de la vie au Canada, peut sans se questionner souscrire à un procédé par lequel il demande la déduction de pertes d’entreprise fictives lui permettant donc tout simplement de ne pas payer sa juste part, et même de ne payer aucune part, de ce qu’il faut pour assurer la marche du pays. Je ne suis pas insensible au sort des conjoints et des familles qui souffriront sans doute des importantes répercussions financières auxquelles donneront lieu, pour eux, ces pénalités par la faute des appelants : il est vrai que les pénalités imposées aux appelants sont lourdes. Je ne puis toutefois feindre de croire que la pénalité spécifique de 50 p. 100 qui est prévue par le paragraphe 163(2) de la Loi puisse être réduite. Seul le gouvernement est à même d’examiner la question.

[78]      Il m’est apparu évident que ces appelants ont payé un prix énorme, et pas seulement sur le plan économique, en conséquence de la conduite mensongère du groupe Fiscal Arbitrators. Je conclus toutefois que les pénalités sont clairement justifiées, encore que je sois préoccupé par les effets dévastateurs que leur ampleur aura sur les appelants. Je reconnais que ce n’est pas là l’un des facteurs énumérés dans l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), mais je ne pense pas que la liste des facteurs soit exhaustive. Ajoutons à cela le fait que peu d’affaires relevant de la procédure générale ont été instruites à propos de Fiscal Arbitrators, que je considère les affaires en question comme des causes types, même si les parties ne les ont pas présentées en tant que telles, et enfin qu’une thèse inédite a été avancée par l’avocat des appelants. J’exerce donc mon pouvoir de ne pas adjuger les dépens. Cela dit, cela ne signifie pas que je m’abstiendrai d’adjuger les dépens dans des affaires futures intéressant Fiscal Arbitrators.

[79]      Les appels sont rejetés.

[27]        Je prendrai en considération les facteurs déterminés par le juge C. Miller dans son analyse étant donné qu’ils concernent l’appelante dans le présent appel.

Éducation et expérience de la contribuable

[28]        Mme Robichaud est arrivée au Canada en 1988 et elle a fréquenté la Toronto School of Business où elle a suivi plusieurs cours dont aucun ne portait sur la fiscalité ou la comptabilité. Elle travaille comme directrice des services de la santé à Parkdale, lesquels fournissent divers services à des personnes de la collectivité. Il s’agit d’un établissement financé par des fonds publics qui reçoit aussi des dons de bienfaisance. En 2008, Mme Robichaud a tiré plus de 100 000 $ de son emploi et, même si elle a témoigné qu’elle n’était pas directrice générale au sens habituel du terme, elle aurait été tenue de posséder une connaissance pratique des exigences en matière de financement, de trésorerie, de dépenses et de la nécessité de recueillir des fonds de source privée pour assurer la prestation de services à des particuliers et à des groupes ayant besoin d’aide pour faire face à divers problèmes de santé et à d’autres problèmes. Je reconnais qu’elle n’utilisait aucun logiciel de comptabilité dans l’exercice de ses fonctions pour entrer des données chiffrées précises, mais ses responsabilités auraient inclus la nécessité de diriger et de superviser le personnel et d’assurer la surveillance des opérations pour permettre à Parkdale de s’acquitter de son mandat. Elle avait produit des déclarations de revenus chaque année depuis 1988 et était au courant des déductions admissibles au titre de cotisations à des REER et des autres dépenses considérées comme légitimes par l’ARC.

Nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité

[29]        M. Rasool a commencé à préparer les déclarations de revenus de l’appelante vers 1990. Il n’y a aucune raison de croire qu’il y avait quoi que ce soit d’anormal jusqu’en avril 2009, lorsqu’elle l’a rencontré pour lui confier la préparation de sa déclaration de revenus de 2008 et lui a remis les documents et reçus habituels. M. Rasool lui a déclaré que l’ARC lui devait de l’argent et, comme elle avait compris qu’il avait déjà travaillé pour Revenu Canada, elle l’a cru lorsqu’il lui a dit qu’elle avait payé trop d’impôts sur son revenu pendant plusieurs années et qu’elle pouvait demander un examen de ses déclarations de revenus pour les trois dernières années qui se traduirait par des remboursements importants, en plus de réduire considérablement l’impôt à payer pour 2008, et que le montant déduit par son employeur serait inclus dans le remboursement total. Afin de démontrer la validité de sa proposition, M. Rasool lui a montré des chèques de divers montants émis par le gouvernement du Canada à certains de ses clients à titre de remboursement. Le montant de l’un des chèques s’établissait à environ 5 000 $. M. Rasool l’a informée qu’elle lui verserait jusqu’à 50 % de tout montant qu’elle recevrait sous forme de remboursements pour l’année d’imposition 2008 et les années antérieures pour des paiements en trop antérieurs. La diligence raisonnable de Mme Robichaud a consisté à demander à M. Rasool si ce qu’il lui proposait était légitime et à accepter aveuglément son affirmation que tel était le cas, et ce, même si cela allait totalement à l’encontre de ce qu’il avait fait au cours des 18 dernières années. Dans son témoignage, Mme Robichaud a déclaré que M. Rasool savait qu’elle était divorcée et mère célibataire et qu’elle avait déjà déclaré faillite. Il savait qu’elle peinait à joindre les deux bouts chaque mois et il lui avait dit qu’elle pourrait utiliser l’argent des remboursements d’impôt pour résoudre ses problèmes financiers. À un moment donné avant 2009, Mme Robichaud a investi la somme de 17 000 $ US dans ce qu’elle a décrit comme une [traduction] « forme de placement que vendait M. Rasool ». Il lui avait été difficile de réunir cette somme auprès de diverses sources, y compris une marge de crédit. Lorsque le remboursement de 25 000 $ a été déposé dans son compte par virement électronique, elle n’a pas été surprise du montant, car M. Rasool avait estimé qu’elle devrait avoir droit à un remboursement d’environ 8 000 $ par année pour les trois années d’imposition avant 2008. Quoi qu’il en soit, elle ne s’est pas inquiétée du montant et elle a commencé à dépenser l’argent. Elle n’a pas utilisé une partie de ce remboursement pour acquitter les honoraires de M. Rasool, parce qu’elle n’avait pas touché de dividende ni d’autre forme de paiement sur les 17 000 $ US qu’elle avait investi plus tôt par son intermédiaire et qu’elle ne connaissait pas le statut ou l’identité du présumé fonds. Pourquoi Mme Robichaud aurait-elle eu des raisons de croire que M. Rasool, après 18 ans, avait découvert une nouvelle méthode étonnante de produire des déclarations de revenus permettant non seulement de générer un remboursement de l’impôt déjà déduit pour l’année d’imposition en cours, mais également de récupérer de l’argent payé en trop pour les trois années d’imposition antérieures? Il aurait prétendument acquis sa supposée expertise – qu’elle n’avait pas vérifiée – lorsqu’il travaillait au sein de l’organisme alors connu sous le nom de Revenu Canada et, même si c’était vrai, cette expérience aurait été acquise bien longtemps avant que l’ARC ne soit devenue un organisme du gouvernement fédéral. M. Rasool n’avait pas divulgué la nature du stratagème qu’il proposait et rien ne prouve que Mme Robichaud connaissait l’existence ou la participation de Fiscal Arbitrators ou de l’un de ses imitateurs, car elle avait traité uniquement avec M. Rasool.

[30]        Avant de signer sa déclaration de revenus pour 2008 et le formulaire intitulé Demande de report rétrospectif d’une perte, l’appelante était au courant de l’ampleur de l’avantage pour elle d’accepter – aveuglément – les conseils de M. Rasool. Il était évident que, pour l’année d’imposition 2008, elle voulait obtenir le remboursement intégral de l’impôt déduit à la source et qu’elle s’attendait à un remboursement d’au moins 8 000 $ par année pour les trois années antérieures mentionnées par M. Rasool. Ce montant était disproportionné comparativement aux remboursements reçus au cours des 20 dernières déclarations de revenus, parce que les seuls remboursements obtenus découlaient de sa cotisation à un REER ou d’autres déductions, et que ces remboursements étaient nettement inférieurs à cette somme.

La structure des frais et l’anonymat du spécialiste en préparation de déclarations de revenus

[31]        Comme il a été indiqué précédemment, en 2009, M. Rasool avait mentionné pour la première fois depuis 1990 que ses honoraires représenteraient un pourcentage pouvant atteindre 50 % du remboursement qu’elle recevrait. Cela aurait dû attirer l’attention de Mme Robichaud sur le fait qu’il se passait quelque chose de frauduleux et, même si cela s’avère parfois un facteur à prendre en considération lorsque le contribuable ne connaît pas le spécialiste en préparation de déclarations de revenus, la relation avec celui-ci peut se révéler une arme à double tranchant. À mon avis, c’est tout aussi important ou peut-être même plus important lorsque la méthode établie, qui n’avait jamais causé de problèmes auprès des agents du fisc jusqu’à maintenant, permet – sans explication adéquate ni tentative de vérification par une source indépendante – d’obtenir des remboursements d’impôts dont les montants sont importants. Il n’existe aucune preuve à ce sujet, mais il est difficile de croire que, pendant les 18 années au cours desquelles M. Rasool a produit les déclarations de revenus de l’appelante, il ne s’était jamais présenté comme un spécialiste en préparation de déclarations de revenus, ce qu’il n’a pas fait non plus pour la déclaration de 2008.

Caractère flagrant de faux énoncé – est-ce facilement détectable?

[32]        L’appelante a demandé la déduction d’énormes pertes d’entreprise, alors qu’elle savait qu’elle n’avait été à la tête d’aucune entreprise depuis son arrivée au Canada, en 1988. La déclaration de revenus qu’elle a signée pour l’année 2008 montre un revenu et des dépenses d’entreprise qui se soldent par un revenu négatif de 239 881,73 $, calculé en fonction d’un revenu d’entreprise brut de 122 095,52 $, donnant lieu à un revenu d’entreprise net de 354 351,52 $. À la dernière page de la déclaration, sous l’attestation en vertu de laquelle « [...] les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus », l’appelante a signé son nom après le mot [TRADUCTION] « par » qu’elle n’avait pas écrit – immédiatement au-dessus de la mise en garde imprimée « Faire une fausse déclaration constitue une infraction grave. ». Le formulaire Demande de report rétrospectif d’une perte qu’elle avait signé sur les conseils de M. Rasool accompagnait sa déclaration de revenus. Là encore, sa signature était apposée à la suite du mot [TRADUCTION] « par » qui avait été écrit par une autre personne. Le montant de la perte en capital déclarée s’établissait à 258 502 $. Cette demande de remboursement, présentée comme étant véridique et exacte, a été faite par Mme Robichaud qui était une employée dont le revenu avait dépassé 100 000 $ en 2008 et qui n’avait jamais exploité d’entreprise. Sa déclaration de revenus était également accompagnée d’un document intitulé [TRADUCTION] État des activités de mandataire, qu’elle avait signé en sa qualité de [traduction] « mandante au nom de la mandataire, Myrtle Robichaud » et déclaré que toute l’information était complète et exacte au 31 décembre 2008. Un examen rapide de ce document au complet aurait révélé qu’il s’agissait d’une déclaration portant sur les activités d’un mandataire. Mais alors, de qui était-elle mandataire? Au bas de la page où elle a signé son nom, elle aurait lu qu’elle signait ce document en tant que « mandante au nom de la mandataire ». Comment concilier cette affirmation avec le fait qu’elle était employée de Parkdale?

[33]        Dans le présent appel, contrairement à la situation dans de nombreux autres cas semblables, M. Rasool avait disparu et n’était pas là pour dire à Mme Robichaud de donner les réponses absurdes habituelles aux demandes de précisions répétées envoyées par lettre par l’ARC concernant les prétendues pertes d’entreprise et aux rappels de son absence de réponse qui ont suivi. Alors, elle n’a rien fait en dépit des lettres supplémentaires l’informant qu’une pénalité pour faute lourde lui serait imposée pour l’année d’imposition 2008, en plus du rejet de la demande de déduction de la perte d’entreprise déclarée pour cette année-là et pour les années antérieures.

Absence de demandes de renseignements à des professionnels ou à l’ARC

[34]        Mme Robichaud a déclaré qu’elle avait tenté à plusieurs reprises de communiquer avec le vérificateur de l’ARC, mais qu’elle n’avait jamais répondu par écrit. Ce n’est qu’en mars 2010, lorsqu’elle a rencontré Mme Dolar – sa conseillère financière – que le sujet de ses problèmes avec l’ARC a été abordé et, même là, c’était au cours de leur discussion annuelle au sujet d’une cotisation à un REER. Lorsque le nom de M. Rasool a été mentionné, Mme Dolar a indiqué qu’elle avait entendu parler de lui et qu’elle était « dégoûtée » du fait qu’il avait déclaré des pertes d’entreprise au nom de Mme Robichaud. Elle a tenté sans succès de le retrouver et elle a exhorté Mme Robichaud à communiquer immédiatement avec des représentants de l’ARC et d’accepter de répondre à leurs demandes de renseignements. Jusque-là, Mme Robichaud n’avait pas mentionné qu’elle avait dépensé le remboursement de 25 000 $ et que ce montant avait été établi en fonction d’une déclaration de pertes d’entreprises qui a été refusée. Cette persistance peut renforcer la conclusion que, dès le départ, son intention était de faire exactement ce que M. Rasool estimait nécessaire pour obtenir un remboursement substantiel. Par la suite, elle n’a sollicité aucun avis et elle n’a pas tenu compte des lettres de l’ARC, parce qu’elle savait qu’elle devrait retourner le montant du remboursement – déjà dépensé – au gouvernement. Heureusement, elle n’avait payé aucune partie des honoraires de M. Rasool pour ses services, parce qu’à ce stade, elle avait compris que l’argent qu’elle avait déjà investi par son intermédiaire dans une forme quelconque de fonds avait probablement disparu. Mme Robichaud aurait pu consulter Mme Dolar en avril 2009, lorsque M. Rasool lui avait proposé le stratagème de remboursement, mais elle ne l’a pas fait. Elle ne s’est pas non plus renseignée auprès de personnes compétentes à son lieu de travail ou de professionnels de la fiscalité ou des finances au sein de la collectivité ou à son institution financière.

[35]        Rien n’indique que Mme Robichaud savait qu’un avis d’opposition avait été déposé en son nom, peut-être par M. Rasool ou par une personne qui travaille avec lui. Le ministre a établi un avis de ratification le 18 janvier 2013 visant les années d’imposition 2005 à 2008 inclusivement. Dans bon nombre de ces situations, l’avis d’opposition rédigé par le spécialiste en préparation de déclarations de revenus ou par l’un de ses complices impliqués dans la fraude est absurde, incompréhensible et simplement ridicule; cependant, à ce point-là, les gens sont pris dans une telle spirale qu’ils vont jusqu’au bout.

[36]        La majorité des précédents sur lesquels l’appelante s’est appuyée sont antérieurs à la décision Torres qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Strachan c. Canada, 2015 CAF 60. Le jugement de la Cour a été présenté oralement par la juge Dawson, qui a déclaré au paragraphe 4 :

[4]        Premièrement, comme l’a admis l’avocat de l’appelante dans sa plaidoirie, le juge n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait au critère juridique applicable. La faute lourde peut être établie dans le cas où le contribuable fait preuve d’ignorance volontaire au sujet des faits pertinents lorsqu’il ressent le besoin de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité (Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2004 CAF 20, 327 N.R. 186, au paragraphe 6; Panini c. Canada, 2006 CAF 224, [2006] A.C.F. no 955, aux paragraphes 41 à 43).

[37]        J’ai eu la possibilité de lire les décisions rendues récemment par l’honorable juge suppléant Rommel G. Masse, dans les décisions Chartrand c. La Reine, 2015 CCI 298, [2015] A.C.I. no 231 (QL) et Spurvey c. La Reine, 2015 CCI 300, [2015] A.C.I. no 232 (QL), dans lesquelles il a effectué un examen approfondi de la jurisprudence pertinente et des divers facteurs à prendre en considération au moment de décider si l’imposition d’une pénalité en vertu du paragraphe pertinent est justifiée. Dans la décision Spurvey, aux paragraphes 53 à 55, le juge renvoie aux décisions ci-après :

[53]      Dans la décision Bhatti, précitée, le juge C. Miller a signalé ce qui suit :

30 […] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au-delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser-aller.

[54]      Dans la décision Janovsky, précitée, la juge V.A. Miller a déclaré :

22 L’appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu’il faisait confiance aux FA car il s’agissait d’experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n’avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu’il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n’a jamais posé de questions sur les FA. Il n’a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l’appelant n’a pas essayé de se renseigner sur eux.

23 Compte tenu du niveau d’instruction de l’appelant et de l’ampleur du faux énoncé qu’il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d’avis que l’appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[55]      La décision Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174 est un autre exemple récent dans lequel les contribuables ont simplement fait aveuglément confiance à leur préparateur de déclarations sans lire ou examiner leur déclaration et sans faire le moindre effort pour vérifier l’exactitude des renseignements fournis.

[38]        Au paragraphe 56, il a déclaré ce qui suit :

[56]      Il n’y a aucun doute que les demandes de redressement d’une T1 pour 2008, les déclarations de revenus de 2009 et les demandes de report rétrospectif d’une perte des appelants contenaient de faux énoncés — les appelants n’exploitaient pas d’entreprise et ils n’avaient aucune perte d’entreprise. Je ne peux que conclure que les appelants ont fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de l’aspect spécieux de ces énoncés. Les nombreux signaux d’alarme ont simplement tous été ignorés. J’estime non seulement que la Couronne s’est acquittée de son fardeau de la preuve, mais également que les appelants ont fait les faux énoncés dans leurs déclarations dans des circonstances équivalant à faute lourde. Par conséquent, ils sont à juste titre assujettis aux pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[39]        Les faits du présent appel ne s’apparentent pas à ceux où des documents avaient été insérés dans une déclaration de revenus à l’insu du contribuable et sans son consentement. Rien ne suggère qu’un manque d’éducation, d’intelligence ou de compétences linguistiques a joué un rôle dans la volonté de Mme Robichaud d’accepter la nouvelle approche radicale en matière de déclaration de revenus préconisée par M. Rasool. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une omission par un spécialiste en préparation de déclarations qui a échappé au contribuable avant la signature de sa déclaration de revenus. Il est évident que Mme Robichaud a produit une fausse déclaration, à savoir qu’elle exploitait une entreprise en 2008 et au cours des années précédentes faisant l’objet de sa demande de report rétrospectif de pertes. Les documents étayant les pertes d’entreprise déclarées étaient faux, car elle n’avait pas exercé d’activités ni en tant que mandataire ni en tant que mandante. Son revenu provenait d’un emploi. Savait-elle que sa déclaration de revenus était fausse, a-t-elle fait preuve d’aveuglement volontaire ou a-t-elle consenti ou acquiescé à faire les fausses déclarations en question? La preuve offerte m’amène à conclure qu’elle savait que les déclarations étaient fausses et elle n’a pris aucune mesure pour se garder d’affirmer qu’elle avait exploité une entreprise et, par conséquent, elle a commis une faute lourde au sens du paragraphe 163(2) et de la jurisprudence qui s’y rapporte.

[40]        Mme Robichaud avait besoin d’argent et était motivée par les promesses d’un important remboursement rarement, voir jamais, reçu dans le passé lorsqu’elle préparait elle-même ses déclarations de revenus ou les faisait préparer par son spécialiste en préparation de déclarations de revenus; pourtant, elle a accepté aveuglément l’avis de M. Rasool d’employer une nouvelle méthode inhabituelle pour produire sa déclaration de revenus sans en comprendre ou tenter d’en comprendre les rudiments et – qui plus est – elle ne s’en est pas préoccupée tellement son désir d’obtenir ce remboursement était grand. Cette interruption intentionnelle et flagrante de la pensée rationnelle constitue un aveuglement volontaire, en ce qui a trait à la fausseté de ces déclarations.

[41]        L’intimée s’est acquittée du fardeau de la preuve requise et la pénalité imposée par le ministre est justifiée en ce qui concerne la perte d’entreprise déclarée pour l’année d’imposition 2008.

[42]        L’appel est rejeté et l’intimée a droit aux dépens.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 22e jour de janvier 2016.

« D. W. Rowe »

Le juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour d’août 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 19

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3908(IT)G

INTITULÉ :

MYRTLE ROBICHAUD c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant D. W. Rowe

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 janvier 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Jeffrey Radnoff

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Jeffrey Radnoff

 

Cabinet :

DioGuardi Tax Law LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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