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Dossier : 2015-1136(EI)

ENTRE :

KELLY J. WATERS,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 22 octobre 2015, à Edmonton (Alberta)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Jeff Watson

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli sans dépens, et la décision du ministre est modifiée afin d’indiquer que le nombre d’heures d’emploi assurable de l’appelant est porté à 731, au titre de l’application du paragraphe 10(1) du Règlement sur l’assurance-emploi.

Conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2016.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


Référence : 2016 CCI 32

Date : 20160204

Dossier : 2015-1136(EI)

ENTRE :

KELLY J. WATERS,

appelant,

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Question en litige

[1]             M. Waters était employé en tant qu’enseignant suppléant par le Roman Catholic Separate School District No 734 (le « payeur ») aux termes d’un contrat de louage de services durant la période du 10 septembre 2013 au 27 juin 2014 (la « période »). Il a interjeté appel après que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé qu’il avait accumulé 674 heures d’emploi assurable durant la période et qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Il soutient que le nombre total de ses heures d’emploi assurable était au contraire de 763. La province de l’Alberta exige qu’un demandeur ait accumulé un minimum de 700 heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

La preuve

[2]             L’appelant était rétribué à la journée et non en fonction d’un taux horaire. Sa journée de travail était fixée à 7 heures, qui se décomposaient en des blocs d’enseignement, de supervision et de préparation, pour un total quotidien maximum de 1,0. Aux termes de la convention collective entre le payeur et la section locale no 23 de l’Alberta Teachers Association, le temps total payé à un enseignant pour une journée donnée ne peut dépasser 1,0. Ce total se décompose en un bloc d’enseignement et de supervision de 6 heures et 40 minutes, plus 20 minutes supplémentaires pour la préparation avant le début des cours. La journée minimum de travail pour laquelle il était payé était de 3,5 heures ou, si l’on se réfère à la formule contenue dans la convention collective, de 0,5. Quand l’appelant travaillait les trois quarts d’une journée, la rémunération était alors déterminée en utilisant le coefficient 0,75, toujours selon la même formule.

[3]             L’appelant soutient que le calcul de 674 heures d’emploi assurable effectué par le payeur sur lequel s’est fondé le ministre n’est qu’une approximation obtenue à l’aide d’une formule déterminée pour le calcul de la rémunération. Il ne reflète pas le calcul des heures que l’appelant a « effectivement travaillées » durant une journée de travail. L’appelant prétend que ce calcul exclut les heures supplémentaires consacrées aux tâches effectuées avant et après la journée, en dehors du temps d’enseignement, de supervision et de préparation requis.

[4]             L’appelant a fourni plusieurs exemples pour illustrer le temps requis pour les responsabilités supplémentaires selon la classe à laquelle il devait enseigner et le cours qu’il devait donner. S’il était enseignant suppléant pour le cours d’alimentation, il devait aller acheter des produits alimentaires, préparer la cuisine et mettre en place les produits bien avant que le cours ne commence ce qui, selon les éléments de preuve qu’il a présentés, se faisait environ 1,5 heure avant le début des cours. S’il était appelé pour remplacer l’enseignant d’éducation physique, il pouvait avoir à superviser des activités sportives parascolaires. S’il enseignait à des élèves du primaire, il passait du temps supplémentaire à s’occuper de la sécurité de ces élèves, en s’assurant, par exemple, que les élèves descendaient des bus et montaient dans ceux-ci aux bons moments. L’appelant s’appuie sur le « Guide de l’employé suppléant » (pièce A-1) qui mentionne les tâches à effectuer habituellement au début et à la fin de la journée (page 9) et qui, plus précisément, énonce, à la page 6, que l’on s’attend d’un enseignant qui remplace un autre enseignant pour une période de cinq jours consécutifs ou plus, [TRADUCTION] « … qu’il assume la responsabilité en ce qui concerne la planification et les évaluations, les communications avec les parents, la mesure des progrès des élèves sur les plans d’apprentissage individualisé, la participation aux activités scolaires, etc. ». Ce guide fait également référence au taux de rémunération des enseignants remplaçants en vigueur, plafonné à 221,49 $ par jour, et il énonce que le nombre total d’heures payées pour une journée ne doit pas être supérieur à 1,0.

[5]             L’appelant s’appuie sur un document qu’il a extrait du site Web du payeur sur lequel étaient indiqués les jours durant lesquels il avait travaillé, les heures durant lesquelles il avait effectué des remplacements, ainsi que les enseignants qu’il avait remplacés (pièce A-2). Comme l’appelant ne pouvait saisir ses propres données sur cet état, il l’a fait imprimer et, de sa main, il a indiqué le temps supplémentaire qu’il avait effectué pour les différentes activités au-delà des 7 heures par jour pour lesquelles il était rétribué. Ce document totalise les heures passées à effectuer les différentes activités énumérées. Sur les conseils de l’Alberta Teachers Association, l’appelant a tenu à jour son propre état. Il soutient que le payeur n’a pas consigné les heures supplémentaires, car, en vertu de la convention collective, il ne pouvait accorder une rémunération supérieure à celle calculée selon la formule établie pour une durée maximale de 1,0. Par conséquent, le payeur n’avait aucun intérêt à consigner ce temps supplémentaire.

[6]             L’intimé a soutenu que le payeur avait fourni au ministre par voie du relevé d’emploi (« RE ») la preuve que celui-ci respectait le nombre total des heures d’emploi assurable de l’appelant. Le payeur a calculé que le total de ces heures se montait à 674, d’après l’hypothèse selon laquelle une journée complète de travail équivalait à 7 heures, et que l’appelant avait travaillé 96 jours pendant la période. L’intimé s’est appuyé sur le paragraphe 10(1) du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 (le « Règlement »), et a soutenu que conformément à cette disposition, le payeur était tenu de fournir au ministre la preuve des heures réellement travaillées et pour lesquelles l’appelant avait été rétribué. Puisqu’il s’agit d’une disposition déterminative, une fois que l’employeur fournit cette preuve, c’est le paragraphe 10(1) qui s’applique et les paragraphes suivants, du paragraphe 10(2) au paragraphe 10(5), n’ont pas à être pris en considération. Dans ses observations, l’avocat de l’intimé a résumé sa position de la manière suivante :

[...] le paragraphe 10(1) [...] du Règlement juge que le nombre d’heures fourni par l’employeur est exact. Et je soutiens que l’on ne peut obtenir le nombre d’heures effectivement travaillées à moins que celui-ci ne soit fourni par l’employeur. Et parce l’employeur l’a fourni, c’est ce nombre d’heures qui doit être pris en compte.

(Transcription, page 49)

Législation et analyse

[7]             Les dispositions pertinentes régissant le présent appel sont contenues dans la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et le « Règlement ». Dans mon analyse, une importance particulière sera accordée à l’article 10 du Règlement.

Loi sur l’assurance-emploi :

6(3) Heures d’emploi assurable – Pour l’application de la présente partie, le nombre d’heures d’emploi assurable d’un prestataire pour une période donnée s’établit, sous réserve des règlements pris au titre de l’alinéa 54z.1), au titre de l’article 55.

55(1) Heures d’emploi assurable – La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements concernant l’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable d’une personne et, notamment, prévoyant que les personnes dont la rémunération est versée sur une base autre que l’heure sont réputées avoir le nombre d’heures d’emploi assurable établi conformément aux règlements.

(2) Autre mode d’établissement – Lorsqu’elle estime qu’il est impossible d’appliquer les dispositions de ces règlements, la Commission peut autoriser un autre ou d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable.

(3) Modification d’un mode ou retrait de l’autorisation – La Commission peut, sous réserve des conditions qu’elle estime indiquées, modifier un mode qu’elle a autorisé ou retirer son autorisation.

(4) Accord prévoyant un autre mode d’établissement – La Commission peut conclure des accords avec des employeurs et des employés prévoyant d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable et y mettre fin unilatéralement.

Règlement sur l’assurance-emploi, Partie 1, Heures d’emploi assurable – méthodes d’établissement :

9.1 Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base horaire, la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées et pour lesquelles elle a été rétribuée.

9.2 Sous réserve de l’article 10, lorsque la totalité ou une partie de la rémunération d’une personne pour une période d’emploi assurable n’a pas été versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, la personne est réputée avoir exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées durant cette période, qu’elle ait été ou non rétribuée.

10(1) Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base autre que l’heure et que l’employeur fournit la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d’emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

(2) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, si l’employeur ne peut établir avec certitude le nombre d’heures de travail effectivement accomplies par un travailleur ou un groupe de travailleurs et pour lesquelles ils ont été rémunérés, l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent, sous réserve du paragraphe (3) et si cela est raisonnable dans les circonstances, décider de concert que ce nombre est égal au nombre correspondant normalement à la rémunération visée au paragraphe (1), auquel cas chaque travailleur est réputé avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

(3) Lorsque le nombre d’heures convenu par l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe (2) n’est pas raisonnable ou qu’ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d’heures d’emploi assurable établi par le ministre du Revenu national d’après l’examen des conditions d’emploi et la comparaison avec le nombre d’heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s’acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d’activité similaires.

(4) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, lorsque l’employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît le nombre réel d’heures d’emploi assurable accumulées par une personne pendant sa période d’emploi, la personne est réputée, sous réserve du paragraphe (5), avoir travaillé au cours de la période d’emploi le nombre d’heures d’emploi assurable obtenu par division de la rémunération totale pour cette période par le salaire minimum, en vigueur au 1er janvier de l’année dans laquelle la rémunération était payable, dans la province où le travail a été accompli.

(5) En l’absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l’horaire régulier, le nombre maximum d’heures d’emploi assurable qu’une personne est réputée avoir travaillées d’après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

(6) Les paragraphes (1) à (5) s’appliquent sous réserve de l’article 10.1.

[8]             La rémunération assurable et les heures d’emploi assurables d’une personne sont les éléments clés qui déterminent l’admissibilité aux prestations. La question en litige dans le présent appel porte sur les heures d’emploi assurable de l’appelant. Pour être admissible aux prestations, il aurait dû cumuler au moins 700 heures d’emploi assurable durant la période concernée. L’article 55 de la Loi autorise la Commission à prendre un règlement pour établir le nombre d’heures d’emploi assurable requis. L’article 10 du Règlement établit les lignes directrices qui peuvent être utilisées pour déterminer le nombre d’heures effectivement travaillées et pour lesquelles un travailleur a été rétribué lorsqu’il n’est pas rétribué selon un taux horaire, mais selon une autre méthode, comme celle des blocs d’heures mentionnés dans le présent appel. Il s’applique aux employés salariés auxquels on demande de faire des heures supplémentaires au-delà de la durée normale d’une journée de travail afin de s’acquitter de leurs fonctions, même si leur semaine de travail nominale est exprimée en heures. Il s’applique aussi aux travailleurs rémunérés à la pièce qui reçoivent un montant déterminé par unité de travail accomplie si l’unité est une valeur autre que le nombre réel d’heures travaillées (MacKenzie c. M.R.N., 2011 CCI 199, [2011] A.C.I. no 150, à l’article 19). Tandis que l’article 9 du Règlement concerne simplement le travailleur qui est rétribué selon un salaire horaire pour chaque heure travaillée, l’article 10, de par son objet, est bien plus compliqué. Il concerne les situations uniques qui ne relèvent pas de l’article 9. En outre, le libellé, particulièrement celui du paragraphe 10(1), n’est pas très clair.

[9]             L’article 10 établit plusieurs méthodes pour la détermination du nombre d’heures d’emploi assurable pour un travailleur. L’objectif est d’établir le nombre total d’heures « effectivement travaillées » pour lesquelles une rémunération a été versée par l’employeur afin de déterminer si un travailleur a effectué suffisamment d’heures d’emploi assurables pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi durant une période d’admissibilité.

[10]        Dans l’affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, la Cour suprême du Canada affirme que la législation sociale doit être interprétée de manière large et libérale. À l’article 10, le juge Wilson affirme ce qui suit :

[...] Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité. Je crois que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire. [...]

[11]        De la même manière, dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci affirme à l’article 36 :

Enfin, en ce qui concerne l’économie de la loi, puisque la LNE constitue un mécanisme prévoyant des normes et des avantages minimaux pour protéger les intérêts des employés, on peut la qualifier de loi conférant des avantages. À ce titre, conformément à plusieurs arrêts de notre Cour, elle doit être interprétée de façon libérale et généreuse. Tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur (voir, par ex., Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10, Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, à la p. 537). Il me semble que, en limitant cette analyse au sens ordinaire des art. 40 et 40a de la LNE, la Cour d’appel a adopté une méthode trop restrictive qui n’est pas compatible avec l’économie de la Loi.

[12]        Les affirmations ci-dessus ont été mentionnées par la Cour dans plusieurs décisions concernant la détermination du nombre d’heures d’emploi assurable en vertu de cette Loi (affaires MacKenzie, aux articles 43 et 44; Sutton c. M.R.N., 2005 CCI 125, [2005] A.C.I. no 257, à l’article 17; Kuffner c. M.R.N. [2001] A.C.I. no 23, à l’article 15 et Bylow c. M.R.N. [2000] A.C.I. no 187, à l’article 8). Toute ambiguïté découlant de cette interprétation de l’article 10 du Règlement doit par conséquent se résoudre en faveur du travailleur. Dans cette ligne de pensée, dans l’affaire Franke c. M.R.N., [1999] A.C.I no 645, le juge Bonner affirme à l’article 3 :

[...] Le Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement ») sert à déterminer le nombre d’heures d’emploi assurable dans le cas d’arrangements non conventionnels, comme celui en l’espèce. L’objet du texte législatif ne peut être réalisé que si le Règlement est interprété et appliqué de façon à ce qu’on puisse calculer le temps pendant lequel l’employé a « effectivement travaillé » et pour lequel il a été rétribué par l’employeur. Le Règlement ne doit pas être interprété d’une manière susceptible de produire des résultats arbitraires ou fantaisistes.

[13]        Dans l’affaire Chisholm c. M.R.N., [2001] A.C.I. no 238, le juge en chef adjoint Bowman (plus tard juge en chef) a fait les commentaires suivants concernant l’article 10 du Règlement :

[15]      Enfin, j’en viens à l’article 10 du Règlement. Il s’agit d’un règlement autorisé par l’article 55 de la Loi sur l’assurance-emploi visant à aider à déterminer le nombre d’heures travaillées par un employé lorsqu’un doute existe, que l’employeur et l’employé ne parviennent pas à une entente ou que la détermination de cette question est difficile. Il ne vise clairement pas à supplanter une preuve claire du genre de celle présentée en l’espèce relativement au nombre d’heures réellement travaillées. Le fait d’affirmer que les règles établies par l’article 10 du Règlement pourraient prévaloir sur les faits avérés reviendrait à accorder à ce règlement d’application une interprétation exagérée et artificielle qui lui donnerait une portée plus grande que ce que l’article 55 de la Loi sur l’assurance-emploi vise ou autorise. En effet, les paragraphes (4) et (5) de l’article 10 sont fondés sur le nombre réel d’heures non connues ou vérifiables ou sur le fait qu’il n’y a pas de preuve de l’existence d’heures travaillées en surplus de l’horaire régulier. Cela n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

[16]      J’ai trouvé très utiles les décisions du juge Bonner dans l’affaire Franke c. Canada, [1999] A.C.I. no 645, du juge suppléant Weisman dans les affaires McKenna c. Canada, [1999] A.C.I. no 816 et Bylow c. Canada, [2000] A.C.I. no 187, et du juge Beaubier dans l’affaire Redvers Activity Centre Inc. c. Canada, [2000] A.C.I. no 414. Elles soutiennent, à mon avis, la conclusion générale fondée sur le bon sens selon laquelle il n’est pas nécessaire de recourir à une autre méthode lorsqu’il existe une preuve du nombre d’heures réellement travaillées.

[14]        En plus de l’obligation que la rémunération d’un travailleur soit versée sur une base autre que l’heure pour que le paragraphe 10(1) du Règlement s’applique, l’employeur doit (1) fournir la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par celui-ci au cours de la période d’emploi et (2) prouver que le travailleur a été rétribué pour ces heures.

[15]        L’objectif de l’article 10 du Règlement est de déterminer le nombre d’heures qu’un travailleur a « effectivement travaillées ». Si le paragraphe 10(1) doit servir de fondement, cela veut dire qu’il revient à l’employeur de fournir la preuve du nombre d’heures d’emploi assurable travaillées. Ce paragraphe impose le fardeau de la preuve à l’employeur, même si le travailleur n’est pas rétribué sur une base horaire. Selon le juge suppléant Weisman, dans l’affaire Moses c. M.R.N., [2001] A.C.I. no 361, lorsque le législateur a utilisé le mot « preuve », il voulait dire une preuve qui soit crédible. Bien que le juge suppléant Weisman se soit référé au paragraphe 10(5), cette observation s’applique également à tous les paragraphes de l’article 10 du Règlement. Je souscris également aux commentaires du juge Webb dans ses motifs dans l’affaire Tomyk c. M.R.N., 2011 CCI 283, [2011] A.C.I. no 212, à l’article 19, qui précisent que l’intimé ne peut satisfaire à cette exigence « […] en émettant simplement des hypothèses de fait dans la réponse. L’employeur devra fournir une preuve à l’audience pour établir le nombre réel d’heures travaillées. » [Non souligné dans l’original.] Il n’existe aucune règle générale obligeant un employeur à fournir physiquement de tels éléments de preuve à l’audience. Toutefois, cela peut être exigé lorsque la preuve n’était pas le fondement de la décision du ministre ou s’il apparaît à la Cour que la preuve de l’employeur était arbitraire ou incomplète. Il est d’usage courant pour un employeur de fournir des éléments de preuve en dehors de la Cour en produisant son RE au ministre. Toutefois, les éléments de preuve que l’employeur fournit doivent être du type prévu dans le paragraphe 10(1). En d’autres termes, il doit s’agir de la preuve du « […] temps que l’employé a réellement consacré à l’exécution des tâches que lui imposait le contrat de travail. » Cette affirmation faite par le juge Bonner à l’article 12 de ses motifs dans l’affaire Franke est tout aussi pertinente aujourd’hui pour l’application de l’article 10 du Règlement qu’elle ne l’était à ce moment-là. Une fois encore, je souscris au commentaire du juge Webb à l’article 19 de ses motifs dans l’affaire Tomyk quand il fait référence à la preuve qu’un employeur doit fournir si le paragraphe 10(1) doit servir de fondement : « Il s’agit ici, en ce qui concerne l’établissement du nombre d’heures, d’un fondement différent de celui invoqué dans la décision de l’ARC et dans celle du ministre. »

[16]        Les éléments clés à cet égard sont l’exactitude et l’exhaustivité. La Cour a toujours rejeté les éléments de preuve d’un employeur qui étaient principalement le résultat de l’application d’une formule fondée uniquement sur des hypothèses et des règles générales (affaires MacKenzie, aux articles 35 à 36; Judge c. M.R.N., 2010 CCI 329, [2010] A.C.I. nº 259, aux articles 4 à 5 et 10 à 13; McKenna c. Canada, [1999] A.C.I. 816, à l’article 18 et Franke, à l’article 12). La Cour a également toujours accepté que lorsqu’il est nécessaire ou généralement attendu qu’un employé effectue des heures additionnelles afin d’exécuter les tâches qui lui ont été assignées, ces heures soient considérées comme des heures d’emploi assurables, à la condition que l’employé ait été rétribué pour elles (affaires Judge, Sutton, Chisholm, McKenna, Franke, Redvers Activity Centre Inc. c. M.R.N., [2000] A.C.I. nº 414, et Heidebrecht c. M.R.N., 2013 CCI 113, [2013] A.C.I. no 90). Afin de déterminer s’il était nécessaire pour un employé de travailler pendant ces heures additionnelles, il convient de considérer si, durant les heures normales de travail pertinentes, l’employé pouvait s’acquitter des tâches qu’il était supposé exécuter. Une réclamation d’un travailleur concernant des heures additionnelles qui pourraient être considérées comme des heures d’emploi assurables sera plus susceptible d’être jugée crédible par une cour si elle s’appuie sur des renseignements documentés, comme des dates et des heures consignées en même temps que les renseignements enregistrés.

[17]        En ce qui concerne la deuxième exigence du paragraphe 10(1), plusieurs affaires ont abordé l’aspect de la rémunération. Dans ses motifs dans l’affaire Judge, la juge Woods a rejeté l’argument du ministre selon lequel un enseignant n’était rémunéré que pour le nombre total d’heures « fixe » estimé par l’employeur dans le RE, ce qui présumait qu’une journée complète de travail équivalait à un nombre d’heures « fixe ». Cependant, la convention collective ne prévoyait pas un nombre d’heures fixe pour lequel les enseignants devaient être rémunérés. La juge Woods a donc conclu à l’article 21, que « Comme la convention collective ne précise pas le nombre d’heures de travail qu’il fallait effectuer, il serait déraisonnable de conclure que l’appelant a seulement été rémunéré pour 516 heures de travail [fixes]. L’appelant a été rémunéré pour le temps passé à préparer et à enseigner deux cours par jour, plus le temps consacré aux autres tâches qu’on lui avait assignées. »

[18]        Même si les conditions d’emploi d’un employé salarié mentionnent expressément le nombre prévu d’heures durant lesquelles il doit travailler, la rémunération ne se limite pas nécessairement à cette prévision. C’est la conclusion à laquelle est arrivé le juge en chef adjoint Bowman (plus tard juge en chef) dans l’affaire Chisholm, où, aux articles 9, 10 et 13, il affirme :

[9]        La question à trancher est de savoir s’il s’agit d’heures d’emploi assurable. L’intimé renvoie aux Modalités de l’emploi approuvées le 16 décembre 1998 par la Grimsby Public Library Board. L’article 4.1 de ce document est ainsi rédigé :

Une semaine de travail normale pour le personnel consiste en 35 heures réparties sur cinq jours.

[10]      Une déclaration de ce genre dans un document approuvé par la Library Board prouve très peu de choses au sujet du nombre d’heures travaillées par l’appelante. Elle établit un seuil minimal. L’appelante était une professionnelle ayant un large éventail de responsabilités et il ressortait implicitement de ses modalités d’emploi qu’elle consacrerait à l’exécution de ses fonctions tout le temps nécessaire à l’accomplissement du travail.

[…]

[13]      Le fait est qu’elle n’était pas payée à l’heure. Elle recevait un salaire annuel et elle devait consacrer à son travail toutes les heures nécessaires.

[Non souligné dans l’original.]

[19]        Avant cette décision dans l’affaire Chisholm, le juge Beaubier avait conclu dans l’affaire Redvers que la rémunération versée était attribuable à toutes les heures durant lesquelles l’employée avait effectivement travaillé chaque jour et que l’employée n’avait pas compris qu’étant rétribuée selon un taux quotidien, elle n’était tenue de travailler qu’un nombre maximum d’heures fixe par jour.

[20]        Il ressort de la jurisprudence que si un employé n’est pas rémunéré à un taux horaire, s’il ne comprend pas qu’il ne doit travailler qu’un nombre d’heures fixe, mais que l’on s’attend à ce que l’employé, au besoin, travaillera durant des heures additionnelles lorsqu’il faudra terminer une tâche, la rémunération de l’employé est alors attribuable à toutes les heures « effectivement travaillées ».

[21]        En appliquant dans le présent appel les dispositions législatives et la jurisprudence aux faits, l’intimé a soutenu que le paragraphe 10(1) oblige l’employeur à fournir les éléments de preuve au ministre, et que ces éléments de preuve, des heures effectivement travaillées par l’appelant et pour lesquelles il a été rémunéré, consistent en le RE (qui est la pièce A-2, sans les annotations manuscrites de l’appelant). Selon l’intimé, en dépit de quelques décisions contradictoires, d’après le paragraphe 10(1), le nombre d’heures inscrit dans le RE soumis au ministre est le nombre exact d’heures d’emploi assurable. Je suis cependant d’avis que la position de l’intimé ne constitue pas une interprétation correcte du paragraphe 10(1). Premièrement, si l’intimé se fie au paragraphe 10(1) à cette étape, les éléments de preuve doivent être produits devant la Cour, et non soumis au ministre, et ils doivent indiquer les heures « effectivement travaillées », comme cela est mentionné dans le paragraphe. Par conséquent, les hypothèses de fait seules ne suffiront pas. Si la Cour conclut que la preuve, comme un RE, contient suffisamment de renseignements crédibles, cela peut régler la question. Cependant, dans les faits qui me sont présentés, le RE, qui est le seul élément de preuve produit par l’intimé, est le résultat de l’application d’une formule fondée sur l’hypothèse administrative qu’une journée de travail complète était égale à 7 heures. Ce n’est pas le type d’élément de preuve prévu par le paragraphe 10(1).

[22]        L’appelant a produit non seulement un témoignage crédible sur les heures effectivement travaillées en surplus de l’horaire régulier, mais aussi le registre des notes manuscrites qu’il tenait à jour durant la période et qui donne le détail de ces heures. Les exemples vont des heures passées avant la journée de 7 heures, lorsqu’il était désigné comme remplaçant pour cours d’alimentation, aux heures passées après la journée de 7 heures, lorsqu’il était désigné pour remplacer un enseignant d’éducation physique et qu’il devait superviser des activités sportives parascolaires. L’appelant a été en mesure d’établir ce que le payeur n’a pas été en mesure de faire, c’est-à-dire le temps réel consacré à l’exercice de ses fonctions qui lui étaient demandées en tant qu’enseignant remplaçant, de manière à s’acquitter de ses tâches en vertu de son contrat de travail. Par conséquent, étant donné que le RE est le résultat de l’application d’une formule, il ne reflète pas le nombre d’heures durant lesquelles l’appelant a effectivement travaillé. Si l’appelant avait pu saisir ces heures additionnelles dans le site Web du payeur, qui a produit le RE, les éléments de preuve laissant penser que cela n’a pas été le cas, le payeur aurait facilement pu produire un RE qui aurait reflété les heures durant lesquelles l’appelant avait effectivement travaillé. Dans les circonstances, l’intimé n’a produit aucun autre élément de preuve pour réfuter le témoignage et les documents de l’appelant.

[23]        Le dossier de l’appelant appuie son témoignage oral concernant le « nombre d’heures durant lesquelles il a effectivement travaillé », sous réserve d’un léger ajustement. L’intimé a soutenu que l’appelant avait accumulé 674 heures d’emploi assurable, tandis que l’appelant a soutenu qu’il en avait accumulé 763. Il ressort de la preuve que le total de 763 heures comprend, comme l’intimé le soutient, 32 heures correspondant aux 20 minutes quotidiennes qui sont accordées par le payeur comme temps de préparation avant le début des cours et qui sont incluses dans la journée de 7 heures. Par conséquent, ces 32 heures seront retranchées du total de 763 heures réclamées par l’appelant, ce qui laisse un total de 731 heures d’emploi assurables.

[24]        Bien que le paragraphe 10(1) soit ambigu quant à savoir si les éléments de preuve doivent être soumis au ministre ou produits devant la Cour, je conclus que ces éléments doivent être présentés à la Cour afin que celle-ci détermine le nombre d’heures d’emploi assurable indépendamment de la détermination effectuée par le ministre. Je tire cette conclusion en partie en appliquant l’interprétation libérale favorable à l’appelant énoncée dans le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans les affaires Abraham et Rizzo.

[25]        Bien que les paragraphes 10(2) à 10(6) n’aient été ni plaidés, ni pris en compte, et qu’ils n’entrent d’aucune façon en jeu, compte tenu de mes conclusions relatives au paragraphe 10(1), je souscris aux commentaires et au résumé des rouages de ces paragraphes énoncés par le juge Boyle dans sa décision dans l’affaire Chahal c. M.R.N., 2008 CCI 347, [2008] A.C.I. n268 et, en particulier, aux articles 26 à 31. Pour l’essentiel, si le paragraphe 10(1) ne s’appliquait pas, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le paragraphe 10(2), modifié par le paragraphe 10(3), ou le paragraphe 10(4) modifié par le paragraphe 10(5) devrait être appliqué, comme l’a souligné le juge Boyle dans l’affaire MacKenzie. Dans les situations où l’on ne peut établir avec certitude ni connaître le nombre réel d’heures d’emploi assurable accumulées par un travailleur et que l’employeur et le travailleur ne peuvent se mettre d’accord sur ce nombre, il semble qu’il y ait ambiguïté quant à savoir lequel du paragraphe 10(3) ou du paragraphe 10(4) a présence. Reconnaissant que l’application du paragraphe 10(4) accroîtrait le nombre d’heures d’emploi assurable qu’un employeur ou un employé pourrait suggérer, le juge Boyle était guidé par les énoncés de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Abraham ainsi que dans l’affaire Rizzo. Cette ambiguïté a aussi été reconnue dans la décision dans l’affaire Virani c. M.R.N., 2012 CCI 97, [2012] A.C.I. no 74, qui concluait qu’il n’y avait pas de bonne raison de préférer la solution la moins favorable pour l’appelant.

[26]        En résumé, l’appel de M. Waters est accueilli sans dépens afin d’indiquer que le nombre d’heures d’emploi assurable est porté à 731, au titre de l’application du paragraphe 10(1) du Règlement.

Signé à Ottawa (Canada), ce 4e jour de février 2016.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 32

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-1136(EI)

INTITULÉ :

KELLY J. WATERS c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 février 2016

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Jeff Watson

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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