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Dossiers : 2014-2870(EI)

2014-2871(CPP)

ENTRE :

WHOLISTIC CHILD AND FAMILY SERVICES INC.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimée

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appels entendus sur preuve commune le 13 octobre 2015,

à Toronto (Ontario).

Devant : Le juge Patrick Boyle


Comparutions :

Pour l’appelant :

Mohsen D. Ameli

Avocats de l’intimée :

John Chapman

Darren Prevost

JUGEMENT

Les appels de la décision rendue en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») sont rejetés et les jugements rendus par le ministre du Revenu national le 12 mai 2014 sont confirmés, considérant que Hyacinth Dunkley occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension auprès de l’appelant pendant la période du 1er janvier 2011 au 8 août 2013 au sens de l’alinéa 5(1)(a) de la LAE et de l’alinéa 6(1)(a) du RPC, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de février 2016.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


Référence : 2016 CCI 34

Date : 20160209

Dossiers : 2014-2870(EI)

2014-2871(CPP)

ENTRE :

WHOLISTIC CHILD AND FAMILY SERVICES INC.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le Juge Boyle

Question en litige

[1]             Dans ces deux appels, l’appelant fait appel des jugements rendus en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») selon lesquels il agissait à titre de « bureau de placement » et que l’un de ses travailleurs rémunérés occupait un « emploi assurable » et un « emploi donnant droit à pension ».

[2]             La vice-présidente de l’appelant, Mme Farahnaz « Nina » Dehghani, et l’employée, Mme Hyacinth Dunkley, ont été appelées à témoigner par l’appelant. L’audience a duré une journée. Les parties ont ensuite été autorisées à présenter et à compléter leur argumentation par des mémoires soumis ultérieurement à la Cour.

[3]             L’appelant est une entreprise qui fournit des travailleurs auprès des enfants et des jeunes, des préposés aux services de soutien à la personne, des travailleurs sociaux et des préposés au soutien direct, détenteurs de diplômes collégiaux ou universitaires, à des foyers de groupe, écoles et familles, pour travailler auprès de personnes ayant un retard de développement. L’employée visée par ces appels occupait le poste de travailleuse auprès des enfants et des jeunes. Dans l’appel de première instance de ces décisions devant l’Agence de revenu du Canada (l’« ARC »), soumis par le fondateur et président de l’appelant, M. Ramin Mohammadi, en consultation avec son comptable, l’entreprise est décrite comme un « bureau de placement ». Dans son témoignage, la vice­présidente, qui est responsable des activités courantes de l’entreprise, explique que celle-ci fournit du personnel de relève sur une base temporaire à ses clients. Elle explique que Wholistic Child and Family Services Inc. (« Wholistic ») est une « agence de dotation », ce qui, selon elle, est différent d’une agence de placement en ce sens qu’elle fournit aux clients des travailleurs temporaires qui viennent compléter leurs effectifs. Sur son site Web, Wholistic se décrit comme un fournisseur de « services de soutien à la dotation » à l’intention des familles et du secteur des services sociaux.

[4]             L’agent représentant l’appelant, M. Mohsen Ameli, a déposé essentiellement deux motifs selon lesquels les jugements étaient erronés.

[5]             Le premier est une question de droit. Il maintient que l’appelant ne peut être considéré comme une « agence de placement » au sens de la LAE ou du RPC puisque les personnes qui travaillent pour l’appelant ne lui versent pas d’honoraires en échange de ses services; ils sont plutôt rémunérés en fonction d’un montant horaire défini par l’appelant, sans égard à ce que l’appelant reçoit de ses clients.

[6]             Le deuxième argument avancé par l’appelant relève à la fois du droit et des faits. L’appelant maintient que la travailleuse n’est pas sous son contrôle lorsqu’elle fournit des services pour lesquels elle est rémunérée et que, par conséquent, les « conditions » régissant la fourniture des services ne « correspondent pas à celles d’un contrat de louage de service » tel que prévu aux termes du RPC, et n’est pas « sous la direction et le contrôle » de l’appelant, tel que prévoit la LAE. L’appelant estime que la travailleuse n’était pas non plus sous la direction et le contrôle de ses clients.

[7]             Le statut d’agence de placement est le seul argument invoqué devant la Cour pour déterminer l’assurabilité et le droit à pension. Le jugement a été fondé sur cet argument. Le défendeur a retiré l’autre position invoquée dans sa réponse, soit la relation employeur-employé entre Wholistic et son travailleur.

La loi

[8]             Malheureusement, les dispositions pertinentes de la LAE et du RPC sont rédigées un peu différemment dans leur approche. Nonobstant le fait que l’AE et le RPC sont deux programmes sociaux canadiens de valeur similaire, les concepts d’emploi assurable et d’emploi ouvrant droit à pension décrivent en grande partie les mêmes réalités et l’utilisation du terme « agence de placement » dans chacun décrit essentiellement le même régime de travail.

Régime de pension du Canada (RPC)

[9]             L’article 34(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada est une disposition déterminative qui élargit expressément la définition d’emploi ouvrant droit à pension. L’article 34(1) prévoit ce qui suit :

Lorsqu’une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d’un client de l’agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l’emploi ouvrant droit à pension, et l’agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l’employeur de la personne.

[10]        Selon l’article 34(2), une « agence de placement » englobe ce qui suit :

.. toute personne ou organisme s’occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

[11]        L’absence de virgule devant au moins un des segments « pour la fourniture de services ou » et « moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération » amène le lecteur à se demander s’il y a, ou s’il devrait avoir, une exigence quant à la rémunération de l’entité de placement applicable dans le cas d’une personne dont l’activité consiste à « placer des personnes dans des emplois et à fournir les services de personnes ». Le même manque de clarté et de précision existe dans la version anglaise.

[12]        Toutefois, à la lumière des faits entourant le cas, la signification de l’absence de virgule n’influence en rien la considération de l’argument du représentant de l’appelant, selon lequel le terme « agence de placement » décrit une entreprise à laquelle le travailleur doit verser des honoraires. L’argument est clairement indéfendable et doit être rejeté, quelle que soit l’interprétation. En supposant que l’exigence relative aux honoraires, aux récompenses ou aux autres formes de rémunération s’applique, le texte du Règlement ne précise pas s’il importe que la rémunération soit reçue du travailleur ou du client, et il ne semble y avoir aucune raison de penser qu’il pourrait y avoir une telle restriction à la lumière de cette définition inclusive. Si les honoraires, les récompenses ou les autres formes de rémunération ne s’appliquent pas, l’appelant ne peut faire valoir l’argument portant sur le libellé de la disposition et, encore une fois, je n’ai aucune raison de penser que ce texte sous-entend que des honoraires sont versés et qu’ils doivent être versés par le travailleur.

[13]        Pour cette raison, le premier argument de l’appelant doit être rejeté selon l’interprétation du RPC. L’autre question relativement au RPC consiste à déterminer si, en se fondant sur les faits particuliers liés à ce cas, les conditions selon lesquelles les services sont fournis et qui définissent la rémunération sont semblables à celles d’un contrat de louage de service. Il n’est pas parfaitement clair si les conditions prises en compte se rapportent à la rémunération du travailleur versée par l’agence de placement ou à la rémunération versée à l’agence par son client. La version anglaise est également imprécise.

Assurance-emploi (AE)

[14]        Selon l’alinéa 6(g) du Règlement de l’assurance-emploi, le terme « emploi assurable » englobe ce qui suit :

l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

[15]        Nonobstant le fait que l’alinéa 6(g) désigne un travailleur qui est « appelé » par l’agence pour fournir des services, les tribunaux considèrent de longue date que la relation de travail n’a pas à être une relation employeur-employé dans ce texte. Le terme « emploi », lorsqu’il est utilisé dans la disposition pour décrire une relation de travail particulière d’un travailleur, désigne un travail au sens le plus complet et englobe les entreprises, les métiers et les professions, ainsi que les soi-disants entrepreneurs autonomes et indépendants. Dans l’affaire La Reine c. Scheer Ltd., [1974] R.C.S. 1046, la Cour suprême du Canada a conclu à l’unanimité que sur le plan contextuel, l’emploi du mot prend dans cette disposition un sens plus large que celui de relation de service contractuel, puisque la règle déterminative serait, autrement, dénuée de sens.[1] La Cour doit se conformer à la décision de la Cour suprême du Canada et l’appliquer. Consulter par exemple Alberta Defensive Driving School Inc. c. Canada, [2002] A.C.I. no  490 (QL), et Carver PA Corporation c. M.R.N., 2013 CCI 125.

[16]        Il n’existe aucune définition du terme « agence de placement » au sens de la Loi ou du Règlement sur l’assurance-emploi. Dans l’affaire Carver PA, le juge Weisman a tenu compte de cette précision et a choisi d’appliquer la définition du RPC du terme « agence de placement » à l’appel de la décision en vertu de la LAE ainsi qu’à l’appel de la décision en vertu du RPC. Selon lui, il convenait d’appliquer la même définition afin « d’assurer la plus grande cohérence possible entre deux dispositions portant sur la même situation ». Je suis entièrement d’accord avec lui. Son approche est également soutenue par l’article 15 de la Loi d’interprétation (Canada), qui stipule que l’article ou la disposition sur l’interprétation dans une loi donnée doit s’appliquer à toutes les autres promulgations se rapportant au même sujet, à moins d’intention contraire manifeste.

[17]        Puisque le terme « agence de placement » a la même signification dans la LAE que dans le Règlement du RPC, cela signifie que l’argument du représentant de l’appelant, selon lequel Wholistic n’est pas une agence de placement parce que les travailleurs ne lui versent pas d’honoraires, doit également être rejeté au sens de la LAE. La provenance des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération reçues par l’entreprise n’a pas d’importance.

[18]        Puisqu’on ne conteste nullement le fait que Wholistic a appelé la travailleuse pour dispenser ses services au client et que Wholistic a rémunéré la travailleuse pour les services fournis au client, l’autre question à trancher dans l’appel de la décision au sens de la LAE consiste à déterminer si, à la lumière des faits particuliers entourant le cas, la travailleuse était sous la direction et le contrôle du client de Wholistic lorsqu’elle a dispensé des services en son nom. Il fait prendre note que c’est la direction et le contrôle exercé par le client de Wholistic qui doivent être pris en compte en vertu de la LAE, et non la direction et le contrôle exercés par Wholistic.

RPC : Les conditions s’apparentaient-elles à celles d’un contrat de louage de service?

[19]        Les conditions relatives à la fourniture des services et à la rémunération financière, qui sont pertinentes pour déterminer si un régime de travail particulier constitue une relation employeur-employé, sont bien connues et découlent des affaires 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 DTC 5025. Ces considérations se rapportent aux facteurs liés au contrôle du travail et du travailleur (y compris le niveau de subordination du travailleur), aux outils fournis, au matériel, aux titres et certificats, à l’équipement requis par le travailleur pour accomplir son travail et à l’ampleur des risques de perte financière en cas de hausse et de baisse relativement aux services assurés par la travailleuse.

[20]        Il s’agit des conditions qui doivent être prises en compte dans un cas d’agence de placement au sens du RPC. Pour déterminer si un régime de travail constitue un cas d’emploi plutôt qu’un cas d’agence de placement, il faut chercher à déterminer si le travailleur est à son propre compte ou se trouve dans une relation employeur-employé. Ces facteurs ont été pris en compte récemment par la Cour fédérale d’appel dans l’affaire 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 C.A.F. 85. L’affaire Connor Homes a également clarifié le rôle de l’intention d’un employé pour déterminer s’il se trouve dans une relation employeur-employé. Toutefois, l’intention ne semble pas avoir de pertinence directe dans un cas d’agence de placement au sens du RPC lorsque la cour doit déterminer si la relation légale en est une d’employeur-employé en vertu d’un contrat de louage de service, mais sert précisément à déterminer si les conditions de fourniture des services et de rémunération sont semblables à celles d’un emploi occupé en vertu d’un contrat de louage de service. On peut toutefois souligner que le contrat entre Wholistic et Mme Dunkley et les questionnaires respectifs remplis auprès de l’ARC dans le cadre de l’examen de l’appel administratif de Wholistic de la décision confirment l’intention et la compréhension des deux parties à l’effet que la relation en était une d’entrepreneur indépendant et non d’employeur-employé.

Contrôle

[21]        Le paragraphe 2 de l’entente conclue entre la travailleuse et Wholistic, sous le titre « Services », prévoit que la travailleuse « fournira un soutien en soins de santé à [Wholistic] et à ses clients, tel que demandé par [Wholistic] ». Elle stipule également que la travailleuse « travaillera sous les ordres de [Wholistic] ou d’autres personnes, tel que demandé par [Wholistic] ».

[22]        L’entente prévoit que la travailleuse ne pourra dispenser des services à d’autres parties que si l’autre entreprise n’est pas en concurrence avec Wholistic et que son travail ne nuit pas à ses obligations envers Wholistic. L’entente stipule que tout service fourni par la travailleuse à d’autres entreprises doit être porté à l’attention de Wholistic à l’avance et doit être approuvé par écrit par Wholistic. Mme Dunkley n’a travaillé pour aucune autre entreprise lorsqu’elle travaillait pour Wholistic.

[23]        Bien que le texte de l’entente précise que la travailleuse est autorisée à faire de la sous-traitance dans des circonstances limitées, notamment après avoir obtenu l’autorisation écrite préalable de Wholistic, il ressort clairement des deux témoignages que ce n’était pas le cas. La travailleuse ne pouvait qu’informer un collègue chez Wholistic du fait qu’un quart de travail lui avait été offert et qu’elle avait refusé ou réaménagé son horaire, après quoi le collègue aurait à traiter directement avec Wholistic. En outre, la travailleuse ne pouvait recommander à Wholistic que des personnes qualifiées n’étaient pas déjà sous contrat avec Wholistic. Wholistic devait ensuite procéder à un examen des titres et des certificats, après quoi les quarts de travail offerts à la personne seraient planifiés directement par Wholistic, dans le cours normal.

[24]        Selon le libellé du contrat, Wholistic a le droit de dicter à la travailleuse comment dispenser ses services et peut recevoir ces directives de ses clients. Ce cas est similaire à celui de l’affaire Loving Home Care Services Ltd. c. M.R.N., 2014 CCI 71, confirmé par la Cour d’appel fédérale, 2015CAF 68, et de l’affaire Dean (Ana’s Care & Home Support) c. M.R.N., 2012 CCI 370. Dans ces cas, la direction et le contrôle des travailleurs de l’appelant par ses clients constitue une direction et un contrôle par l’appelant lui-même. Wholistic a mis en place des contrats avec ses clients leur assurant un niveau de contrôle sur les services fournis par ses travailleurs, qui est mentionné dans le contrat conclu par l’appelant avec ses travailleurs. Essentiellement, la direction et le contrôle du travail dans ces circonstances constituent également une direction et un contrôle de la part de l’appelant puisque ce dernier maintient une relation contractuelle avec les travailleurs.

[25]        Wholistic a également conclu des contrats écrits avec ses clients. Aucune des deux parties n’a choisi de présenter comme preuve le contrat entre Wholistic et ses clients. Toutefois, la vice-présidente de Wholistic a indiqué dans son témoignage que les contrats conclus avec les clients de l’entreprise précisent le niveau de contrôle de Wholistic et de ses clients sur le travailleur.

[26]        Il ressort clairement de la preuve que Wholistic ne pouvait contrôler les heures de travail de la travailleuse. La travailleuse était manifestement libre d’accepter ou de refuser les quarts de travail qui lui étaient proposés. Elle n’avait aucun motif à fournir. Mme Dunkley a accepté pratiquement tous les quarts (98 %) proposés par Wholistic. Une fois qu’elle avait accepté le quart de travail, elle devait s’acquitter de sa tâche, et l’entente conclue stipulait qu’elle devait fournir un préavis pour annuler un quart accepté et qu’une pénalité financière s’appliquerait. La travailleuse n’était pas autorisée à envoyer un autre travailleur et à rémunérer cette personne, directement ou par le biais de Wholistic. J’ai décrit comment les preuves infirment toute indication du contraire dans le contrat de la travailleuse.

[27]        Il n’y a aucun nombre prédéterminé d’heures de travail à temps plein ou à temps partiel, ni attente d’un horaire régulier afin d’assigner les heures au cours des périodes à venir. Cette absence d’heures fixes ou assignées est la plus importante divergence par rapport aux conditions de travail attendues dans une relation employeur-employé. Les conditions décrites sont représentatives de celles d’un emploi dit occasionnel, où il n’existe aucune obligation de la part de l’entreprise d’offrir du travail et aucune obligation de la part du travailleur d’accepter le travail proposé. Les heures de travail, les quarts ou les périodes de travail sont plutôt convenus d’un commun accord, selon certains préavis. Il n’y a aucune obligation de part et d’autre d’offrir ou d’accepter du travail.

[28]        Lorsque des quarts étaient offerts auprès d’un client, Wholistic fournissait à la travailleuse une brève description de l’environnement du client et de la nature des besoins et des limitations des personnes dont elle aurait à prendre soin afin que la travailleuse puisse prendre une décision éclairée. Une fois que le quart offert était accepté par la travailleuse, Wholistic n’exerçait pas directement de contrôle sur la fourniture des services par celle-ci pendant la période de travail.

[29]        Chez les clients de Wholistic, presque toujours des foyers de groupe, mais parfois aussi des commissions scolaires et, selon la travailleuse, des résidences privées à l’occasion, le client expliquait à la travailleuse quelles étaient ses responsabilités exactes pour la journée.

[30]        Dans les foyers de groupe, la plupart des travailleurs étaient des employés de l’exploitant et non du personnel de relève. Les travailleurs recevaient des directives au début de chaque quart de travail. Un coordonnateur de quart était toujours présent au foyer et, en consultation avec les travailleurs, déterminait les tâches accomplies par chacun pendant le quart. Outre prendre soin d’un bénéficiaire particulier, les tâches consistaient à préparer les repas figurant à un menu prédéterminé, compter et noter l’argent de la petite caisse, l’argent des bénéficiaires individuels, les billets d’autobus ainsi que les objets pointus et les ustensiles, nettoyer la résidence, administrer les médicaments,[2] faire des courses, etc. Ces autres tâches occupaient environ un tiers du temps de la travailleuse pendant un quart.

[31]        Chaque bénéficiaire avait son propre horaire quotidien pour la semaine, préparé par un professionnel en tenant compte des commentaires de Wholistic ou de ses travailleurs et déterminant les activités accomplies par le bénéficiaire et l’ordre suivi. La travailleuse avait comme responsabilité d’aider le bénéficiaire à comprendre, à suivre et à exécuter ces tâches. Les horaires des bénéficiaires étaient établis quotidiennement, à partir d’horaires essentiellement récurrents établis sur une période d’une ou deux semaines. Il y avait également un superviseur responsable de chaque quart, qui n’était pas nécessairement présent pendant toute la durée du quart. Le superviseur était responsable de désigner le coordonnateur de quart. Il y avait un registre des mouvements pour chaque bénéficiaire des soins, que la travailleuse devait remplir à chaque quart de travail. Il y avait également un registre général ou un cahier de communication pour le foyer de groupe, dans lequel la travailleuse devait entrer ses heures d’arrivée et de départ et dans lequel le coordonnateur de quart inscrivait un résumé à la fin de chaque quart, qui était envoyé au superviseur.

[32]        Au début de son quart, la travailleuse discutait du bénéficiaire des soins avec le travailleur dont elle venait prendre la relève.

[33]        En cas de problème pendant le quart, le foyer de groupe devait aviser Wholistic, mais aucun incident n’est survenu dans le cas de Mme Dunkley.

[34]        Mme Dunkley n’était pas autorisée à quitter plus tôt une fois les tâches assignées terminées. Elle était tenue de rester jusqu’à la fin du quart, ce qu’elle a toujours fait.

[35]        Autrement, les termes applicables à la travailleuse de Wholistic sont les mêmes que ceux applicables aux travailleurs réguliers du foyer de groupe. On ne sait pas si les travailleurs du foyer de groupe étaient des employés, mais Mme Dunkley les désigne par ce terme.

[36]        Dans le cas d’une école, la travailleuse explique qu’elle obtenait des directives de l’enseignant. Dans le cas d’une résidence privée, ces directives venaient des parents.

[37]        En général, sa façon de soutenir, de guider et d’aider le bénéficiaire pour chaque tâche était principalement déterminée par sa formation professionnelle et son expérience, pour autant qu’elle respecte les politiques du client.

[38]        Wholistic, ses clients et ses travailleurs assurent un suivi des heures travaillées.

[39]        À l’exception de l’absence d’un nombre prédéterminé d’heures de travail à temps plein ou à temps partiel et du droit de l’entreprise d’assigner des heures de travail ou des quarts au travailleur, le contrôle exercé par Wholistic sur ses travailleurs, ce qui englobe la direction et le contrôle des travailleurs par ses clients, est entièrement conforme et analogue en tous points aux conditions d’emploi en vertu d’un contrat de louage de service.

[40]        De plus, un nombre d’heures fixes à temps plein ou à temps partiel et le droit d’assigner des heures de travail ou des quarts ne sont pas toujours observés dans une relation employeur-employé. C’est souvent le cas des travailleurs occasionnels, qui sont libres d’accepter les quarts proposés.

[41]        Après examen, les conditions régissant le contrôle de la fourniture des services aux clients de Wholistic sont en grande majorité semblables à celles d’un contrat de louage de service.

Outils

[42]        La travailleuse n’avait pas à apporter d’outils au travail. Wholistic ne lui a pas fourni d’outils non plus. Le matériel, les fournitures et les outils nécessaires étaient fournis par le foyer de groupe, l’école ou la famille.

[43]        Les travailleurs de Wholistic étaient responsables d’obtenir et de maintenir à jour leurs titres et leurs certificats. Outre un diplôme collégial ou universitaire de travailleurs auprès des enfants et des jeunes, de préposés aux services de soutien à la personne, de travailleurs sociaux et de préposés au soutien direct, certains clients peuvent également exiger une vérification des antécédents criminels ainsi qu’une formation et une certification en prévention des crises et en intervention ainsi qu’en gestion des conflits, de la colère et des agressions, qui sont également la responsabilité du travailleur. En vertu de son contrat avec ses clients, Wholistic a assumé la responsabilité de s’assurer que les travailleurs sont bien formés et qualifiés. Ce fait est également mentionné à plusieurs reprises dans le matériel du site Web.

[44]        La travailleuse devait posséder un téléphone pour que Wholistic puisse lui communiquer les offres et qu’elle puisse accepter les quarts. Les travailleurs de Wholistic n’avaient pas à apporter leur téléphone au travail puisque, comme le supposait Wholistic, chaque lieu de travail disposait d’une ligne fixe pour les appels liés au travail, dont les urgences. Mme Dunkley apportait son téléphone avec elle et affirme qu’elle l’aurait utilisé en cas d’urgence.

[45]        Aucun uniforme n’était exigé au travail. Mme Dunkley portait des vêtements et des chaussures confortables. Au moins un exploitant de foyer de groupe exigeait des chaussures fermées.

[46]        La travailleuse devait se rendre chez le client et en revenir par ses propres moyens. À l’occasion, lorsqu’il y avait des contraintes de temps relativement à un quart offert, Wholistic offrait de payer les frais de taxi pour se rendre au travail, mais cela s’est produit très rarement.

[47]        La travailleuse devait avoir accès à un ordinateur ou à un télécopieur afin de pouvoir facturer ses heures de travail à Wholistic deux fois par mois.

[48]        Dans l’ensemble, les considérations relatives aux outils sont souvent peu utiles pour déterminer si le travailleur est un employé ou non. Elles sont toutefois observées sous cette forme dans les relations reconnues comme un emploi.

Facteurs liés aux profits et aux pertes/facteurs financiers

[49]        Dans l’entente, le taux horaire de la travailleuse a été établi à 16 $, montant qui a été jugé acceptable par Wholistic et par la travailleuse. Au mois de juin de l’une des années examinées, son taux horaire est passé à 17 $. La travailleuse ne pouvait toucher un revenu qu’en travaillant pour Wholistic. Elle ne pouvait perdre d’argent puisqu’elle n’avait pratiquement aucune dépense liée au travail, mis à part s’assurer de posséder les qualifications requises et se présenter sur les lieux de travail vêtue adéquatement pour accomplir ses tâches. Elle ne pouvait augmenter son revenu qu’en travaillant un plus grand nombre de quarts.

[50]        Elle était payée deux fois par mois, par un dépôt direct effectué par Wholistic. Bien que le contrat suggère qu’elle ne serait payée que lorsque Wholistic serait payé par ses clients pour ses services, la preuve démontre que ce n’était pas le cas en pratique. Il n’y a aucune preuve de l’existence de conditions financières ou de paiement entre Wholistic et ses clients.

[51]        Ces conditions de rémunération sont également très similaires à la rémunération en vertu d’un contrat de louage de service.

[52]         En ce qui concerne l’appel de la décision en vertu du RPC, je conclus qu’il doit être rejeté puisque les dispositions du RPC selon lesquelles les travailleurs sont réputés occuper un emploi assurable auprès d’une agence de placement sont respectées par Wholistic dans sa relation de travail avec la travailleuse.

EA : La travailleuse était-elle sous la direction et le contrôle du client de Wholistic?

[53]        La preuve de contrôle par le client de Wholistic sur la fourniture des services par la travailleuse est résumée dans le RPC, sous la rubrique « Contrôle ».

[54]        Le contrat conclu par Wholistic avec la travailleuse stipule qu’elle doit assurer des services de soutien de soins de santé à Wholistic et à ses clients et qu’elle travaillera sous les ordres de Wholistic ou d’autres personnes, tel qu’il est demandé par Wholistic. La directive fournie par Wholistic à la travailleuse est qu’elle devait suivre les directives du client. Wholistic n’exerçait aucun contrôle direct sur la fourniture des services dans les locaux du client. Selon la vice-présidente de Wholistic, les contrats conclus avec les clients de l’entreprise précisent le niveau de contrôle de Wholistic et de ses clients sur le travail accompli. Elle a affirmé que Wholistic n’exerçait aucun contrôle. Aucune des parties n’a soumis les contrats conclus avec les clients comme preuve. Comme elle affirme que Wholistic n’exerce aucun contrôle sur la fourniture des services, je peux conclure que le contrat conclu avec le client précise que le client exerce ce contrôle. Cela me semble cohérent à la lumière des preuves déposées par les deux témoins concernant la fourniture des services par la travailleuse dans les locaux du client.

[55]        Clairement, l’existence d’un poste de superviseur du foyer de groupe, la coordination de l’ensemble des quarts, y compris l’assignation des bénéficiaires des soins et des tâches qui seront accomplies par le coordinateur de quart, ainsi que l’existence d’un horaire prédéterminé comprenant des tâches et des activités pour chaque bénéficiaire, accompagné de directives précises sur les tâches, la consignation et les communications obligatoires au moyen du registre, les cahiers de quart, d’activité et de communication se rapportant au quart et au bénéficiaire, font en sorte que les travailleurs de Wholistic sont clairement sous la direction et le contrôle des foyers de groupe des clients.

[56]        La travailleuse a affirmé que dans un contexte scolaire, elle recevait des directives générales de l’enseignant lorsqu’elle devait prendre soin d’un bénéficiaire à l’école. Elle affirme que les parents procédaient de la même manière dans un contexte de résidence privée.

[57]        En ce qui concerne l’appel de la décision en vertu de la LAE, je conclus que les preuves établissent clairement qu’il doit également être rejeté, compte tenu des faits que Wholistic a placé ses travailleurs auprès de ses clients afin de leur assurer des services, que Wholistic a rémunéré la travailleuse pour ses services et que la travailleuse a dispensé ces services sous la direction et le contrôle du client.

[58]        Les deux appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de février 2016.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 34

 

NUMÉROS DES DOSSIERS :

2014-2870(EI)

2014-2871(CPP)

 

INTITULÉ :

WHOLISTIC CHILD AND FAMILY SERVICES INC. c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 octobre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

Le juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 février 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

Mohsen D. Ameli

Avocats de l’intimée :

John Chapman

Darren Prevost

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelant :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Les dispositions de la LAE qui autorisent la prise de ce type de règlements abordent expressément les emplois qui ne font pas l’objet d’un contrat de louage de service.

[2] Le personnel de Wholistic n’administre pas de médicaments.

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