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Dossier : 2013-2945(IT)G

ENTRE :

PAUL LAUZON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 3 décembre 2015 à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

Avocate de l’intimée :

Me Alisa Apostle

JUGEMENT

          Pour les motifs du jugement ci-joints, l’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est rejeté.

          L’intimée a droit aux dépens.


Signé à Kingston (Ontario), ce 21e jour de mars 2016.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’octobre 2016.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 71

Date : 20160321

Dossier : 2013-2945(IT)G

ENTRE :

PAUL LAUZON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

Aperçu

[1]             L’appelant fait appel de la pénalité pour faute lourde qui lui a été imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi ») relativement à son année d’imposition 2008. L’appelant a déclaré des pertes d’entreprise très élevées. Si elles étaient admises, tout l’impôt payé ou retenu à la source pour l’année d’imposition 2008 et les années antérieures lui serait remboursé. Le fait est que l’appelant n’a jamais possédé ni exploité quelque type d’entreprise que ce soit en 2008 et les pertes d’entreprise déclarées sont fictives. L’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») a refusé lesdites pertes et a pénalisé l’appelant en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. La présente affaire vise seulement les pénalités imposées.

Contexte factuel

[2]             L’appelant est âgé de 43 ans et habite Tiverton, une très petite ville dans la municipalité de Kincardine, en Ontario. Il a fait des études collégiales et a obtenu un diplôme en technique de génie mécanique du collège Durham. Il travaille comme chef de projet en génie sur place à la centrale nucléaire de Bruce. Il n’a jamais suivi de cours de comptabilité ou de fiscalité. Cependant, il a dans le passé préparé ses propres déclarations de revenus à l’aide d’un logiciel disponible sur le marché, nommé QuickTax.

[3]             En 2001, ou aux environs de cette date, l’appelant venait tout juste de déménager à Tiverton pour commencer à travailler à la centrale nucléaire. Il a rencontré Tom Thompson peu après. M. Thompson, un vendeur d’assurance, avait initialement vendu une police d’assurance-vie à l’appelant. Puisqu’ils avaient des intérêts communs, les deux hommes sont devenus des amis. En 2004, M. Thompson a dit à l’appelant qu’il était devenu un conseiller financier et qu’il préparait aussi des déclarations de revenus. De 2004 à 2007, M. Thompson a aidé l’appelant avec ses déclarations de revenus. Au début, l’appelant croyait que M. Thompson préparait lui-même les déclarations de revenus, mais il a appris très rapidement que Sharon Vanderlip, une spécialiste en déclarations de revenus locale, préparait les déclarations pour M. Thompson. L’appelant croyait qu’il payait un pourcentage de son remboursement à M. Thompson, peut-être 20 %, à titre d’honoraires. Il n’est pas trop certain et reconnaît que les honoraires auraient pu être établis à un taux fixe.

[4]             M. Thompson a convaincu l’appelant d’investir dans des stratagèmes de dons de bienfaisance. Ceux-ci sont toutefois devenus problématiques, puisque l’ARC a commencé à refuser toute déduction liée à de tels stratagèmes. Ces types de dons de bienfaisance font encore l’objet de contestations au moment présent. En 2009, l’appelant a informé M. Thompson qu’il ne voulait plus participer aux stratagèmes de dons, car l’ARC continuait de les refuser. M. Thompson a informé l’appelant qu’il passerait en revue les déclarations faites au cours des cinq dernières années pour voir si on avait oublié de déclarer autre chose qui pourrait donner lieu à un remboursement. L’appelant a remis ses cotisations pour les cinq années précédentes à M. Thompson. Ce dernier a fait remplir la déclaration de revenus de 2008 comme les fois précédentes. Enfin, c’est ce que l’appelant croyait. Par la suite, M. Thompson est retourné au domicile de l’appelant pour lui faire signer la déclaration.

[5]             L’appelant n’a jamais posé de questions au sujet de sa déclaration et M. Thompson n’a jamais offert d’explications au sujet de ce qui figurait dans la déclaration de revenus. En effet, il n’a fait que tourner les pages et s’arrêter à celles que l’appelant devait remplir ou signer. Ce dernier a donc signé là où on lui a dit de signer, sans passer en revue les documents. Dans l’ensemble, le processus n’a pas duré plus de 30 secondes. Il a ensuite fait parvenir la déclaration à l’ARC.

[6]             L’appelant avoue qu’il n’a pas examiné sa déclaration. Puisque M. Thompson était un ami et un conseiller financier en qui il avait confiance, il croyait que sa déclaration de revenus de 2008 et les documents connexes avaient été préparés comme Mme Vanderlip l’avait toujours fait par le passé. M. Thompson l’a assuré que tout était en règle.

[7]             La déclaration de revenus de 2008 de l’appelant est reproduite à la cote A‑1, onglet 2. La signature de l’appelant figure sur la dernière page de la déclaration juste en dessous de l’attestation ainsi rédigée : « J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus ». Il est cependant évident que l’appelant n’a même pas pris la peine de jeter un coup d’œil à sa déclaration, sauf pour voir la valeur de son remboursement – le remboursement éventuel était tout ce qui l’intéressait. Il n’a rien fait pour vérifier l’exactitude des renseignements inscrits dans sa déclaration de revenus. Le document à l’onglet 1 de la pièce A-1 est intitulé [TRADUCTION] « État des résultats des activités du mandataire ». L’appelant admet qu’on lui avait dit d’inscrire son nom en caractères d’imprimerie au bas de la page, mais qu’il n’en a pas du tout lu le contenu. Il croyait qu’il ne s’agissait que d’une formalité. Puisqu’il s’agissait d’un document à l’appui de sa déclaration de revenus [traduction] « ce n’était qu’un tas de chiffres » (transcription, page 19). Cela démontre sans aucun doute une indifférence de sa part. L’appelant admet aussi qu’il a signé la demande de report rétrospectif de pertes, dont une copie se trouve à l’onglet 3 de la pièce A-1. Si l’appelant avait pris la peine de ne jeter qu’un coup d’œil à sa déclaration de revenus et à sa demande de report rétrospectif de pertes, il aurait facilement et rapidement découvert que celles-ci contenaient des renseignements manifestement faux. Dans sa déclaration, l’appelant a déclaré un revenu d’entreprise brut de 89 196,08 $ et des pertes d’entreprise nettes de 308 073,65 $. Cette information est totalement et absolument fausse. Le seul revenu important de l’appelant au cours de l’année d’imposition 2008 était son revenu d’emploi de 81 831,27 $. L’appelant n’a possédé ni exploité aucune entreprise en 2008 et il n’a jamais engagé les dépenses d’entreprise qui ont été déclarées. D’autres anomalies figurent dans la déclaration. La préposition « par » précède sa signature à la fois dans la déclaration de revenus et dans la demande de report rétrospectif de pertes – elle y figurait avant qu’il signe la déclaration. Aucune discussion n’a eu lieu à savoir pourquoi la préposition « par » devait figurer devant sa signature. Dans la déclaration, la case 490, qui est réservée à l’identification des spécialistes en déclarations de revenus, avait été laissée en blanc. Il aurait dû remarquer ce détail lorsqu’il a signé sa déclaration et demander pourquoi sa spécialiste en déclarations de revenus voulait demeurer inconnue de l’ARC. Il a pris note du remboursement de 19 178 $ qu’il a ensuite effectivement reçu. Il s’agissait de la première fois qu’il recevait un remboursement aussi important. Il recevait généralement un remboursement de 2 000 $ à 3 000 $. Il croyait que le remboursement était aussi élevé en raison du nouveau calcul des déclarations de revenus des années précédentes et des remboursements auxquels il avait droit, mais qui avaient été retenus à cause du différend lié aux stratagèmes de dons. Cette explication n’est pas plausible. Si l’ARC rejetait les demandes de crédit passées pour dons de bienfaisance et si l’affaire était toujours contestée, le fait que l’ARC libérerait soudainement des remboursements qu’elle retenait en attente du règlement du différend lié aux stratagèmes de dons ne tient pas debout. L’appelant avoue qu’il ne cherchait qu’à connaître le montant de son remboursement et que c’est la seule chose qu’il a recherchée dans sa déclaration. Si les pertes d’entreprise déclarées avaient été admises, et si elles étaient reportées aux trois années précédentes, tout l’impôt payé ou retenu à la source pour les années d’imposition 2005 à 2008 aurait été remboursé à l’appelant. Il n’aurait payé aucun impôt pendant quatre ans – un résultat pour le moins étonnant.

[8]             Le 14 décembre 2009, l’ARC a fait parvenir une lettre à l’appelant au sujet des pertes d’entreprise qu’il avait déclarées. L’appelant a communiqué avec M. Thompson pour demander des explications. M. Thompson a répondu qu’il devait s’agir d’une erreur, puisque l’appelant ne possédait pas d’entreprise et n’avait donc pas subi de pertes d’entreprise. Par la suite, l’ARC a envoyé une autre lettre à l’appelant le 14 janvier 2010 pour l’informer que, puisqu’il n’avait pas répondu à sa lettre précédente, l’ARC envisageait de rejeter les pertes d’entreprise déclarées et aussi d’imposer des pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi (pièce A-1, à l’onglet 4). L’appelant s’est encore adressé à M. Thompson pour lui demander pourquoi la situation perdurait. M. Thompson lui a dit qu’il communiquerait avec Muntaz Rasool, un représentant de Fiscal Arbitrators, qui rédigerait une réponse pour lui. C’est à ce moment que l’appelant a appris que Mme Vanderlip n’avait pas préparé sa déclaration de revenus de 2008, que c’était censément M. Rasool qui l’avait préparée. L’appelant n’a jamais rencontré M. Rasool; il ne faisait affaire qu’avec M. Thompson, qui agissait à titre d’« intermédiaire » entre l’appelant et M. Rasool. M. Rasool a apparemment préparé une réponse à la lettre de l’ARC pour que l’appelant la signe (pièce A-1, à l’onglet 5). M. Thompson a remis cette lettre à l’appelant afin qu’il puisse la signer et l’envoyer à l’ARC. L’appelant n’a fait qu’un survol de la lettre avant de la signer et de l’envoyer. Cette lettre ne répond pas aux préoccupations valides soulevées par l’ARC. L’appelant avoue que la réponse dans cette lettre ne lui semblait pas très logique. De fait, sur un ton très menaçant, on y sommait l’ARC de payer à l’appelant 5 000 $ pour chaque communication future avec lui, ce qui est complètement absurde. Je ne peux pas croire que l’appelant signerait cette lettre sans la lire et, s’il l’avait effectivement lue, qu’il l’enverrait à l’ARC. L’appelant a reçu d’autres lettres de la part de l’ARC. L’appelant les a données à M. Thompson et ce dernier les a remises à M. Rasool qui, apparemment, a rédigé les réponses à celles-ci. Ces réponses étaient relativement hostiles et ne favorisaient pas du tout la conclusion d’une entente entre les parties (pièce A-1, aux onglets 6, 7 et 9).

[9]             Finalement, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté les pertes d’entreprise déclarées et la demande de report rétrospectif de pertes et a imposé une pénalité en application du paragraphe 163(2) de la Loi. L’appelant s’est opposé à cette cotisation, mais le ministre l’a ratifiée, d’où le présent appel.

[10]        On soutient que l’appelant ne devait pas être passible de pénalités pour faute lourde, parce qu’il s’est fié à son ami et conseiller financier de quatre ans. On fait valoir que le fait de s’en remettre aux conseils d’un ami de confiance annule la conclusion d’un comportement intentionnel requise pour l’établissement de pénalités pour faute lourde. On fait valoir que l’appelant n’a pas fait preuve d’aveuglement volontaire ou de faute lourde lorsqu’il s’en est remis à quelqu’un et à ses conseils. Il a compris que sa déclaration serait préparée correctement et conformément à la loi et il n’était pas conscient que sa déclaration de revenus de 2008 contenait de faux renseignements. Par conséquent, on soutient que l’appelant ne peut être accusé d’aveuglement volontaire alors qu’il croyait sincèrement que sa déclaration avait été préparée correctement. Il témoignait toute sa confiance à son conseiller financier et n’avait aucune raison de remettre en question ce qui avait été fait. L’appelant prie donc la Cour d’accueillir son appel avec dépens.

[11]        L’intimée est d’avis que l’appelant n’a jamais possédé ni exploité quelque type d’entreprise que ce soit au cours de l’année d’imposition 2008 et que les pertes d’entreprise qu’il a déclarées sont donc manifestement fausses. Ces faux énoncés sont d’une telle ampleur qu’ils permettraient à l’appelant, s’ils étaient admis, de récupérer tout l’impôt payé ou retenu de 2005 à 2008. L’intimée soutient que l’appelant a fait ces faux énoncés ou y a participé, consenti ou acquiescé dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire ou, sinon, a commis une faute lourde quant à la fausseté des énoncés fournis dans sa déclaration de revenus et dans la demande connexe relativement au report rétrospectif de pertes. L’intimée invite la Cour à rejeter l’appel avec dépens.

Dispositions législatives

[12]        Le paragraphe 163(2) de la Loi est libellé en partie comme suit :

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...]

[13]        C’est au ministre que revient la responsabilité, en vertu du paragraphe 163(3), d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

Analyse

[14]        L’avocat de l’appelant a fait beaucoup de recherches et a fourni un recueil de jurisprudence pour ma gouverne dans la présente affaire et d’autres causes plaidées devant moi. Voici les précédents cités dans son recueil : l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 RCS 1128; l’arrêt Udell v. MRN, [1969] C.T.C. 704 (C. de l’É.); la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL); la décision Dunleavy c. La Reine, [1993] A.C.I. no 78, 1 C.T.C. 2648 (CCI); la décision Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760 (QL), décision confirmée par la Cour d’appel fédérale, [1996] A.C.F. no 82 (QL); l’arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 RCS 55; la décision Carlson c. La Reine, [1997] A.C.I. n1351, [1998] 2 C.T.C. 2476 (CCI); la décision 897366 Ontario Ltd. c. Canada, [2000] A.C.I. no 117 (QL); l’arrêt Findlay c. Canada, [2000] A.C.F. n731 (QL); la décision Turcotte c. La Reine, 2002 CanLII 782, [2002] 2 C.T.C. 2806 (CCI); la décision Isaza c. La Reine, 2002 CanLII 777, [2002] 3 C.T.C. 2107 (CCI); la décision Therrien c. La Reine, 2002 CanLII 781, [2002] 3 C.T.C. 2141 (CCI); la décision 410812 Ontario Ltd. c. Canada, [2002] A.C.I. no 176 (QL); la décision McGhee v. The Queen, 2003 TCC 265; la décision Bernick c. La Reine, 2003 CCI 433, décision confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2004 CAF 191; la décision Klotz c. La Reine, 2004 CCI 147; la décision St-Pierre c. Canada, [2002] A.C.I. no 613 (QL); la décision Julian c. La Reine, 2004 CCI 330; la décision Caron c. Canada, [2002] A.C.I no 696 (QL); la décision Larouche c. La Reine, 2004 CCI 629; la décision Mark c. La Reine, 2006 CCI 35; la décision Hine c. La Reine, 2012 CCI 295; et la décision Murugesu c. La Reine, 2013 CCI 21.

[15]        L’avocate de l’intimée a également fourni un recueil de jurisprudence aux fins de la présente affaire et d’autres causes semblables dont la Cour est actuellement saisie. Voici les précédents cités dans son recueil : la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL); l’arrêt Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2004 CAF 20; la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545; l’arrêt Panini c. Canada, 2006 CAF 224; la décision Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335; la décision Gélinas c. La Reine, 2009 CCI 136; la décision Chénard c. La Reine, 2012 CCI 211; la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143; l’arrêt Mullen c. Canada, 2013 CAF 101; la décision Janovsky c. La Reine, 2013 CCI 140; la décision McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228; la décision Brisson c. La Reine, 2013 CCI 235; la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, décision confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2015 CAF 60; la décision Allison v. The Queen (4 février 2014), TCC, 2013-2144(IT)I; l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41; la décision Lavoie c. La Reine, 2015 CCI 228; et la décision Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174.

[16]        Je remercie les avocats d’avoir effectué cet utile examen de la jurisprudence.

[17]        On a souvent fait remarquer que notre régime fiscal repose à la fois sur l’autocotisation et l’autodéclaration. Il est fondé sur le « régime de confiance » et il dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable. Le contribuable a le devoir de déclarer la totalité de son revenu imposable de manière correcte et exacte, peu importe qui prépare sa déclaration de revenus. Par conséquent, le contribuable doit être vigilant et s’assurer que les renseignements fournis dans sa déclaration sont complets et exacts. Le juge Martineau a déclaré dans la décision Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74, au paragraphe 11 : « Le régime fiscal repose sur l’autocotisation et l’autodéclaration, dont sont responsables les contribuables envers l’ARC. »   

[18]        Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, la Cour suprême du Canada a expliqué les responsabilités et les devoirs des contribuables ainsi que certaines des mesures prévues dans la Loi pour les encourager à s’y conformer :

49 Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi (LIR, article 2 [...]). Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable (art. 151) et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire (par. 150(1)) [...] Dès qu’il reçoit la déclaration de revenu d’un contribuable, le ministre l’examine « avec diligence », fixe le montant de l’impôt à payer ou celui du remboursement et envoie au contribuable un avis de cotisation à cet effet (par. 152(1) et (2)). Sous réserve de certaines restrictions, le ministre peut par la suite établir une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt du contribuable pour une année d’imposition (par. 152(4)).

50 Bien que l’observation volontaire de la loi et l’autocotisation constituent les éléments essentiels du régime réglementaire de la LIR, le système fiscal est doté de [traduction]  « mécanismes de persuasion visant à inciter les contribuables à déclarer leurs revenus » [...] Par exemple, pour favoriser l’aspect d’autodéclaration du régime, l’art. 162 de la LIR établit des peines pécuniaires pour les personnes qui omettent de produire leur déclaration de revenu. De même, pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans le cadre de l’autocotisation, l’art. 163 de la Loi prévoit le même type de pénalités pour les personnes qui omettent de façon répétée de déclarer un montant à inclure, qui sont complices d’un faux énoncé ou d’une omission ou qui commettent une faute lourde à cet égard.

51 Il découle des caractéristiques fondamentales de l’autocotisation et de l’autodéclaration que le succès de l’application du régime fiscal repose avant tout sur la franchise du contribuable. Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt Knox Contracting, précité, p. 350 : « Le système d’imposition dépend entièrement de l’intégrité du contribuable qui déclare et évalue son revenu. Pour que le système fonctionne, les déclarations doivent être remplies honnêtement ». Il n’est donc pas étonnant que la Loi tente de restreindre le risque qu’un contribuable essaie de « tirer profit du régime d’autodéclaration pour tenter d’éviter de payer sa pleine part du fardeau fiscal en violant les règles énoncées dans la Loi ». [...]

[Non souligné dans l’original. Renvois omis.]

[19]        Les pénalités prévues à l’article 163 de la Loi ont été établies pour assurer l’intégrité de notre régime d’autocotisation et d’autodéclaration et pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans la préparation de sa déclaration de revenus, même si un tiers la prépare.

[20]        Par conséquent, je suis d’avis que la décision d’assujettir ou non un contribuable aux pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi doit être prise à la lumière des responsabilités et des devoirs imposés au contribuable par un régime d’autocotisation et d’autodéclaration, c’est-à-dire de déclarer des revenus complets et exacts.

[21]        Deux éléments doivent nécessairement être établis pour rendre un contribuable passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2) :

a)       un faux énoncé dans une déclaration;

b)      le fait d’avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait ce faux énoncé ou d’y avoir participé, consenti ou acquiescé.

[22]        Il n’y a aucun doute que la déclaration de 2008 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif de pertes comportaient de faux énoncés. L’appelant n’a jamais possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit au cours de cette année-là et il n’a donc pas gagné de revenu d’entreprise ou engagé de dépenses d’entreprise s’élevant à quelque 308 000 $. Sa déclaration de pertes d’entreprise n’a aucun fondement en fait et est manifestement fausse.

[23]        Toutefois, je conclus que la Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui appartenait de démontrer que l’appelant a, sciemment, fait de faux énoncés dans sa déclaration de revenus ou y a participé, consenti ou acquiescé. Il n’avait aucune connaissance de ce qui figurait dans sa déclaration de revenus de 2008, puisqu’il n’a jamais pris la peine de la consulter.

[24]        La Couronne s’est-elle acquittée du fardeau de la preuve qui lui appartenait de démontrer que l’appelant a fait de faux énoncés dans sa déclaration de revenus, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans des circonstances équivalant à faute lourde? Je conclus que la Couronne s’est acquittée de son fardeau de la preuve et que l’appelant a fait de faux énoncés dans sa déclaration de revenus, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans des circonstances équivalant à faute lourde. J’arrive à cette conclusion pour les motifs qui suivent.

[25]        Il y a une différence entre la négligence ordinaire et la faute lourde. La négligence est le défaut d’agir avec autant de soin que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente et minutieuse dans des circonstances semblables. La faute lourde implique une négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée ou à une indifférence au respect de la loi; voir la décision Venne, précitée. Dans la décision Venne, le juge Strayer de la Cour fédérale (Section de première instance) a indiqué que le paragraphe 163(2) constitue une disposition pénale à interpréter de façon stricte. Les pénalités qu’il prévoit doivent être imposées uniquement dans les affaires où il existe un degré élevé de faute impliquant la connaissance ou la mauvaise conduite insouciante.

[26]        Toutefois, dans l’arrêt Guindon, précité, la Cour suprême du Canada a statué que l’article 163.2 de la Loi, lequel prévoit l’imposition de pénalités pour faute lourde aux tiers qui préparent des déclarations de revenus, n’est pas une disposition pénale. Cet article prévoit une pénalité administrative qui vise principalement l’observation de règles ou la réglementation de la conduite dans une sphère d’activité précise; son objectif est de promouvoir l’honnêteté et de dissuader la faute lourde, des qualités essentielles du volet d’autodéclaration du régime de cotisation fiscale. Je suis d’avis que l’on peut dire la même chose des pénalités prévues au paragraphe 163(2) et qui nous intéressent en l’espèce. Par conséquent, on ne doit pas chercher des éléments de preuve qui se rapprochent de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable avant de pouvoir conclure que l’imposition des pénalités prévues au paragraphe 163(2) est justifiée. Néanmoins, les pénalités visent à sanctionner une conduite grave et non la négligence ordinaire ou la simple erreur d’un contribuable.

[27]        Il est également bien établi que la faute lourde peut comprendre l’« ignorance volontaire ». Cette notion bien connue en droit criminel a été expliquée par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hinchey, précité. Selon la règle, si une partie qui a des soupçons omet délibérément de se renseigner davantage parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant.

[28]        Il est établi que la notion d’« ignorance volontaire » [aussi appelée « aveuglement volontaire »] s’applique aux affaires fiscales. En outre, l’expression « faute lourde », dans le sens où cette expression est utilisée au paragraphe 163(2) de la Loi, comprend l’aveuglement volontaire; voir l’arrêt Villeneuve, précité, et l’arrêt Panini, précité, au paragraphe 43.

[29]        Il a été jugé que, pour établir la distinction entre la « négligence ordinaire » et la « faute lourde », il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs, à savoir :

a)       l’importance de l’omission relative au revenu déclaré;

b)      la faculté du contribuable de découvrir l’erreur;

c)       le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d)      l’effort réel de se conformer à la loi.

Aucun facteur n’est prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qui lui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir la décision DeCosta, précitée, au paragraphe 11; la décision Bhatti, précitée, au paragraphe 24; et la décision McLeod, précitée, au paragraphe 14).

[30]        Dans la décision Torres, précitée, le juge C. Miller de la Cour a fait un examen très approfondi de la jurisprudence touchant les pénalités imposées pour faute lourde applicables en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Il a résumé au paragraphe 65 les principes directeurs à appliquer, à savoir :

a)         La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)         La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi [...].

c)         Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e)         Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration […] comprennent ce qui suit :

i)          l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii)         le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)        l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv)        les demandes inusitées du spécialiste;

v)         le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi)        les explications inintelligibles du spécialiste;

vii)       le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)         Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

Cette liste n’est certainement pas exhaustive.

[31]        L’appelant est un homme intelligent, raffiné et bien instruit. Il est technologue en génie et occupe un poste dans lequel il assume des responsabilités importantes auprès de son employeur, soit la centrale nucléaire de Bruce. Il comprend les notions de base des entreprises, comme les pertes et les profits. Puisqu’il a préparé ses propres déclarations de revenus à l’aide du logiciel QuickTax par le passé, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il comprend bien les déclarations T1 abrégées (déclarations de revenus individuelles). L’appelant n’est pas dénué d’éducation, d’intelligence ou d’expérience de la vie au point où il pourrait invoquer l’ignorance. Le niveau d’instruction, l’expérience et l’intelligence de l’appelant ne sont pas des facteurs pouvant le soustraire à la conclusion qu’il a fait de faux énoncés dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[32]         En l’espèce, l’appelant n’avait simplement aucun intérêt à vérifier l’exactitude du contenu de sa déclaration de revenus. Il a tout simplement signé sa déclaration sans même y jeter un coup d’œil. Tout ce qui l’intéressait, c’était de recevoir un remboursement important. Bien qu’il ait attesté par sa signature que les renseignements contenus dans sa déclaration étaient complets et exacts, il a choisi de ne pas la passer en revue et donc de ne pas vérifier l’exactitude des renseignements qui y figuraient. Il a plutôt préféré faire l’autruche et rester béatement dans l’ignorance. Si l’appelant avait pris la peine de ne jeter qu’un simple coup d’œil à sa déclaration de revenus, il aurait immédiatement découvert qu’elle contenait des renseignements manifestement faux. À mon avis, le fait d’avoir refusé de se renseigner sur le contenu de sa déclaration de revenus, même de façon générale, est non seulement une preuve d’aveuglement volontaire, mais aussi d’une conduite équivalant à faute lourde.

[33]        L’appelant soutient qu’il a fait entièrement confiance à M. Thompson. Il fait valoir qu’il est la victime innocente de son ami et conseiller financier qu’il connaissait depuis quatre ans et qui l’a trahi. Dans certains cas, un contribuable peut faire porter le blâme à des professionnels négligents ou malhonnêtes auxquels il accordait sa confiance. Par exemple, dans la décision Lavoie, précitée, les contribuables se fiaient à un avocat qu’ils connaissaient depuis plus de 30 ans, un ami digne de confiance. L’avocat de l’appelant a également fourni d’autres exemples de causes dans lesquelles on a jugé qu’un contribuable ne devait pas être passible de pénalités pour faute lourde lorsqu’il s’est honnêtement fié à un conseiller financier, un spécialiste en déclarations de revenus, un ami ou un membre de sa famille en qui il avait confiance (voir la décision Mark, précitée, aux paragraphes 18 et 19; l’arrêt Findlay, précité, au paragraphe 27; la décision Hine, précitée, aux paragraphes 9, 35, 42 et 51 (confiance en sa conjointe); l’arrêt Udell, précité, au paragraphe 44 (confiance en son comptable); la décision Murugesu, précitée, aux paragraphes 54 et 55 (nouvel arrivant ayant choisi un comptable recommandé par des membres de sa communauté); et la décision Klotz, précitée, aux paragraphes 70 et 72 (confiance en son conseiller financier)). L’avocat de l’appelant fait également valoir que, lorsqu’un contribuable croît honnêtement, mais à tort, que ce que le spécialiste en déclarations de revenus a fait est correct, il ne peut être passible de pénalités pour faute lourde. Le fait de se fier à un conseiller de confiance réfutera toute conclusion d’aveuglement volontaire, car une personne qui ne se pose pas de questions au sujet de ce qu’elle croit ne se sentira pas obligée de vérifier ce sur quoi elle n’a aucun doute (voir la décision Larouche, précitée, aux paragraphes 25 et 26; la décision McGhee, précitée, au paragraphe 27; la décision Dunleavy, précitée, au paragraphe 50; et la décision Carlson, précitée, aux paragraphes 33 et 36).

[34]        Cependant, la jurisprudence foisonne de décisions où les contribuables n’ont pas réussi à se soustraire aux pénalités pour faute lourde parce qu’ils ont fait aveuglément confiance à leur spécialiste en déclarations de revenus sans au moins prendre quelques mesures pour vérifier l’exactitude des renseignements qui figuraient dans leurs déclarations de revenus. Indépendamment de l’aveuglement volontaire, les contribuables qui ne prennent aucune mesure pour vérifier l’intégralité et l’exactitude des renseignements inscrits dans leurs déclarations de revenus s’exposent à des pénalités pour faute lourde.

[35]        Dans l’arrêt Gingras c. Canada, [2000] A.C.I. no 541 (QL), les appelants ont affirmé avoir toujours agi de bonne foi et avoir cru que l’entreprise de leur spécialiste en déclarations était responsable et fiable, ajoutant qu’ils avaient peu ou n’avaient pas de connaissances en matière fiscale. Le juge Tardif a écrit :

[19] Le fait d’avoir recours à un expert ou à quelqu’un qui se présente comme tel, n’excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[20] Les appelants ont signé une déclaration de revenus qui contenait des renseignements faux et mensongers et ne peuvent prétendre que cela a été fait à leur insu. Ils avaient l’obligation de s’assurer que toutes les informations et renseignements contenus dans leur déclaration étaient véridiques. Dans l’hypothèse où la théorie soumise par Ratelle [le spécialiste en déclarations de revenus], à l’effet que tout contribuable avait droit, une fois durant sa vie, à une exemption totale d’impôt, ce qui n’est pas le cas, cela ne leur permettait pas ni ne justifiait pour autant de soumettre de faux énoncés pour se prévaloir du supposé privilège.

[36]        Le juge Tardif a également écrit :

[30] L’imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de la dite (sic) déclaration et non au mandataire qui l’a complété (sic), peu importe ses compétences ou qualifications.

[31] En matière de pénalités, le fardeau de la preuve incombe à l’intimée. La prépondérance de la preuve soumise a largement établi que les appelants avaient soumis dans leur déclaration respective des faux énoncés importants ayant des effets significatifs sur leur fardeau fiscal. Il s’agissait d’éléments dont ils ne pouvaient pas ignorer la fausseté. Le Tribunal peut comprendre que les contribuables puissent être incapables, inexpérimentés et incompétents quand vient le temps de préparer leur déclaration de revenus. Par contre, il est tout à fait répréhensible d’attester par sa signature que les renseignements fournis sont exacts alors que l’on sait ou devrait savoir qu’elle contient de faux énoncés. Un tel comportement est suffisant pour conclure à une faute lourde justifiant l’imposition des pénalités applicables.

[Non souligné dans l’original.]

[37]        Dans la décision DeCosta, précitée, le juge en chef Bowman a affirmé ce qui suit :

[12] […] Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d’attention.

[38]        Dans la décision Laplante, précitée, l’appelant, tout comme en l’espèce, n’a pas consulté sa déclaration de revenus avant de la signer. Le juge Bédard a estimé que l’appelant avait commis une faute lourde. Il a par la suite écrit ce qui suit :

[15] De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif (sic). L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Non souligné dans l’original.]

[39]        Dans la décision Brown c. La Reine, 2009 CCI 28, le juge Bowie a affirmé :

[20] Par ailleurs, pour ce qui est des pénalités pour faute lourde imposées à l’appelant en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelant a lui-même clairement affirmé au début de son témoignage qu’il n’avait jamais porté attention aux revenus et aux dépenses indiqués dans les déclarations pour les quatre années en cause lorsqu’il les signait. L’appelant a dit qu’il conservait ses dossiers, préparait des tableaux de ventilation à partir de ses dossiers et qu’il donnait les tableaux à une spécialiste en déclarations de revenus, qui se servait des documents qu’elle recevait de l’appelant pour préparer les déclarations de revenus de ce dernier. La spécialiste n’a pas témoigné, mais, si l’on se fie à la version des faits de l’appelant, il reste que l’appelant était quand même tenu d’examiner ses déclarations de revenus avant de les signer et de les produire auprès du ministre. La déclaration que le contribuable fait lorsqu’il signe sa déclaration de revenus est ainsi rédigée :

J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus [...]

Le fait de signer une déclaration de revenus et de faire, par le fait même, la déclaration précitée sans même vérifier le contenu de la déclaration – ce qu’a fait l’appelant, si j’ai bien compris son témoignage – constitue, à lui seul, une faute lourde qui justifie l’imposition des pénalités.

[Non souligné dans l’original.]

[40]        La décision Gélinas, précitée, rendue par le juge Bédard, est particulièrement pertinente. Voici ce qu’il a déclaré :

[11] À mon avis, l’appelant a aussi commis une faute lourde en 2004. En effet, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout sa déclaration avant que son comptable ne la fasse parvenir à l’Agence des douanes et du revenu du Canada) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjorative. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. Si l’appelant avait examiné sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2004, il aurait nécessairement décelé le faux énoncé qui y apparaissait (énoncé qui aurait été fait par son comptable) compte tenu de l’ordre de grandeur des revenus non déclarés et des autres facteurs analysés ci-haut. L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenu, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main ses responsabilités, les devoirs et les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2004 avant que son comptable ne l’expédie, d’autant plus qu’en l’espèce un examen rapide lui aurait permis, à mon avis, de déceler le faux énoncé que son comptable aurait fait.

[Non souligné dans l’original.]

[41]        Dans la décision Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, la Cour a maintenu les pénalités pour faute lourde imposées à une contribuable qui s’était simplement fiée aux déclarations de sa comptable à l’effet que tout était en règle. La contribuable a dit avoir rapidement feuilleté sa déclaration de revenus et a prétendu qu’elle ne comprenait pas les termes « revenus d’entreprise » et « crédit », mais elle n’a pourtant posé aucune question à sa comptable ni à qui que ce soit d’autre pour s’assurer que ses revenus et ses dépenses étaient correctement comptabilisés. De l’avis du juge Favreau de la Cour, la contribuable a été négligente parce qu’elle n’a pas songé à la nécessité de s’informer, ce qui constitue une faute lourde. Cette affaire n’est pas très différente de celle en l’espèce.

[42]        Dans la décision Janovsky, précitée, la juge V.A. Miller a déclaré :

[22] L’appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu’il faisait confiance aux FA car il s’agissait d’experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n’avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu’il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n’a jamais posé de questions sur les FA. Il n’a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l’appelant n’a pas essayé de se renseigner sur eux.

[23] Compte tenu du niveau d’instruction de l’appelant et de l’ampleur du faux énoncé qu’il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d’avis que l’appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[24] Si je me trompe et si l’appelant n’a pas fait sciemment ce faux énoncé, je conclus dans ce cas qu’il a fait montre d’aveuglement volontaire. S’il est vrai qu’il ne comprenait pas la terminologie qu’ont utilisée les FA dans sa déclaration ni la façon dont les FA avaient calculé ses dépenses, il avait dans ce cas le devoir de se renseigner auprès de personnes étrangères aux FA. Dans un régime d’autocotisation tel que le nôtre, l’appelant avait le devoir de s’assurer que son revenu et ses dépenses étaient correctement déclarés. Notre régime d’imposition est fondé sur un système d’autodéclaration et d’autocotisation, et son succès dépend de l’honnêteté et de l’intégrité des contribuables : R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627. L’attitude cavalière de l’appelant témoigne d’un tel degré de négligence ou d’aveuglement volontaire qu’elle doit être qualifiée de faute lourde : Chénard c. La Reine, 2012 CCI 211.

[Non souligné dans l’original.]

[43]        Dans la décision Bhatti, précitée, le juge C. Miller a fait remarquer ce qui suit :

[30] […] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au-delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser-aller […]

[44]        Un autre exemple récent est donné dans l’affaire Atutornu, précitée, où les contribuables ont simplement signé leurs déclarations de revenus là où on leur avait indiqué de signer, se sont aveuglément fiés aux conseils de leur spécialiste sans lire ni examiner leurs déclarations et n’ont fait aucun effort pour vérifier l’exactitude de leurs déclarations de revenus. Le juge Jorré a conclu que les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) étaient justifiées dans les circonstances.


Conclusion

[45]        Il ne fait aucun doute que la déclaration de revenus de 2008 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif de pertes comportaient de fausses déclarations étant donné que l’appelant n’exploitait aucune entreprise et qu’il n’a subi absolument aucune perte d’entreprise, a fortiori des pertes s’élevant à plus de 308 000 $. Dans les circonstances en l’espèce, et compte tenu de la jurisprudence récente, je suis d’avis que l’appelant a commis une faute lourde en faisant de faux énoncés dans sa déclaration de revenus, en y participant, en y consentant ou en y acquiesçant. Il s’est contenté de laisser M. Thompson prendre soin de tout sans se soucier de savoir ce qu’il avait fait en remplissant sa déclaration de revenus. Il n’a pas pris la peine de se renseigner. Il a tout simplement signé sa déclaration de revenus là où on lui a dit de signer sans y jeter un coup d’œil. Ce faisant, il a attesté qu’elle contenait des renseignements complets et exacts, ce qui n’était pas le cas. Il avait le devoir de remplir sa déclaration de revenus avec soin et exactitude, mais il a failli à ce devoir en ne faisant absolument aucun effort pour s’assurer que les renseignements inscrits dans sa déclaration étaient exacts et complets. S’il avait fait même le moindre effort, il aurait rapidement et facilement découvert les renseignements manifestement faux qui figuraient dans la déclaration de revenus. Son comportement n’indique pas seulement de la négligence, mais une faute lourde. Il est donc à juste titre assujetti aux pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[46]        Son appel est rejeté pour l’ensemble des motifs qui précèdent. L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Kingston (Ontario), ce 21e jour de mars 2016.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’octobre 2016.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 71

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2945(IT)G

 

INTITULÉ :

PAUL LAUZON c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 décembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Rommel G. Masse, juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

Avocate de l’intimée :

Me Alisa Apostle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

Me Amol Chiplunkar

 

Cabinet :

Dioguardi Tax Law

Mississauga (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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