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Dossiers : 2014-4621(EI)

2015-282(CPP)

 

ENTRE :

APEX LANGUAGE AND CAREER INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 25 septembre 2015, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Pour l’appelante :

Srini Pillay

Avocat de l’intimé :

Me Tokunbo Omisade

 

JUGEMENT

L’appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national le 1er octobre 2014 quant à la question du droit à pension et de l’assurabilité des travailleurs engagés par l’appelante au titre de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada, du paragraphe 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi et du paragraphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, au Canada, ce 5e jour de mai 2016.

« Réal Favreau »

Juge



Référence : 2016 CCI 109

Date : 20160505

Dossiers : 2014-4621(EI)

2015-282(CPP)

ENTRE :

APEX LANGUAGE AND CAREER INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]              Le présent appel a été interjeté par suite de la décision rendue le 1er octobre 2014 par le ministre du Revenu national (le « ministre ») sur la question du droit à pension et de l’assurabilité des 13 travailleurs suivants engagés par l’appelante (les « travailleurs ») :

1.          Matthew Creelman

2.          Cynthia Goguen

3.          Michelle D. Juurlink

4.          Chris Moule

5.          Sebastian O’Malley

6.          Amanda Thalmann

7.          Daniel F. Thompson

8.          Erin Andrews

9.          Daniel Borg

10.     Emily Walsh

11.     Michael Landry

12.     Lizzie Bolton

13.     James Skinner

Renseignements de base

[2]              La Section des services aux employeurs de l’Agence du revenu du (l’« ARC ») a sollicité des décisions sur la question de savoir si l’emploi de 13 travailleurs et de Yoko Irisawa, soit un total de 14 personnes engagées par l’appelante, ouvrait droit à pension et était assurable.

[3]              La Division de l’admissibilité au Régime de pensions du Canada et à l’Assurance-emploi (« RPC/AE ») a rendu des décisions fondées sur un échantillon de périodes d’emploi (les « périodes visées ») des quatre travailleuses suivantes (les « travailleuses visées ») :

TRAVAILLEUSES VISÉES

EMPLOI

PÉRIODES VISÉES

Erin Andrews

Enseignante

1er janv. au 31 déc. 2012

Amanda Thalmann

Enseignante

23 avril au 31 déc. 2012

Michelle Juurlink

Enseignante

23 avril au 25 mai 2012

Yoko Irisawa

Réceptionniste

3 janv. au 31 déc. 2012

[4]              Par la voie de lettres datées respectivement du 22, du 27, du 28 et du 30 mai 2014, la Division de l’admissibilité au RPC/AE a notifié l’appelante et les travailleuses visées qu’il avait été décidé qu’elles étaient des employées de l’appelante et que leurs emplois respectifs ouvraient droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada (le « RPC »), et qu’ils étaient assurables au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») pendant les périodes visées.

[5]              Dans une lettre datée du 20 juin 2014, l’appelante a fait appel auprès du ministre, en lui indiquant :

i.     qu’elle acceptait la décision concernant Yoko Irisawa;

ii.    qu’elle n’acceptait pas la décision concernant Michelle Juurlink;

iii.  qu’elle acceptait en partie la décision concernant Erin Andrews (« Erin ») :

  elle n’était pas d’accord avec la conclusion comme quoi Erin avait été engagée aux termes d’un contrat de louage de services pour la période du 1er janvier au 20 avril 2012,

  elle était d’accord pour dire qu’Erin avait été engagée aux termes d’un contrat de louage de services pour la période du 21 avril au 31 décembre 2012;

iv.  qu’elle acceptait en partie la décision concernant Amanda Thalmann (« Amanda ») :

  elle n’était pas d’accord avec la conclusion comme quoi Amanda avait été engagée aux termes d’un contrat de louage de services pour la période du 23 avril au 31 août 2012;

  elle était d’accord pour dire qu’Amanda avait été engagée aux termes d’un contrat de louage de services pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2012.

[6]              À la suite des décisions concernant le statut d’emploi des travailleuses visées, un examen des comptes de fiducie a été exigé concernant les registres de paie de l’appelante.

[7]              À la suite de l’examen des comptes de fiducie, le ministre a établi les cotisations de l’appelante au RPC à 8 432,88 $ à l’égard des gains ouvrant droit à pension, et les cotisations dues à l’AE à 5 361,16 $ à l’égard de la rémunération assurable, versés dans les deux cas aux travailleuses et à Yoko Irisawa pour l’année d’imposition 2012.

[8]              L’appelante a été notifiée du résultat de l’évaluation par la voie d’un avis de cotisation émis le 5 juin 2014 (l’« évaluation »).

[9]              Dans une lettre au ministre datée du 11 juillet 2014, l’appelante a contesté l’évaluation concernant tous les travailleurs, sauf Yoko Irisawa, au motif que ceux‑ci lui avaient fourni des services à titre d’entrepreneurs indépendants engagés aux termes d’un contrat d’entreprise.

[10]         Par la voie de lettres datées du 1er octobre 2014, le ministre a avisé l’appelante et les travailleurs que les décisions et l’évaluation contestées étaient confirmées, au motif que les travailleurs occupaient des emplois ouvrant droit à pension et assurables au sens de l’alinéa 6(1)a) du RPC, de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, et du paragraphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « Règlement »).

[11]         Le ministre s’est fondé sur les présomptions de fait suivantes pour décréter que les travailleurs avaient occupé des emplois ouvrant droit à pension et assurables chez l’appelante :

L’appelante

a)         l’appelante exploitait une école d’enseignement de l’anglais langue seconde dans la province de Nouvelle-Écosse;

b)         l’appelante a constitué son entreprise en société le 26 janvier 2004;

c)         les relevés T2 soumis à l’ARC par l’appelante indiquent que 49 % des actions appartenaient à Haiyan Sun, 25 % à Ruiyan Yang et 25 % également à Sandy Ho.

Les travailleurs

d)         L’appelante a engagé les travailleurs pour qu’ils enseignent l’anglais;

e)         l’appelante a engagé tous les travailleurs, sauf Amanda (sic), au titre de contrats verbaux intervenus dans la province de Nouvelle-Écosse;

f)          l’appelante a engagé Amanda au titre d’un contrat écrit, intervenu dans la province de Nouvelle-Écosse et couvrant la période du 23 avril au 15 juin 2012;

g)         l’appelante a continué de retenir les services d’Amanda après le 15 juin 2012, essentiellement selon les mêmes modalités que celles du contrat écrit;

h)         la description des tâches des travailleurs englobait l’enseignement dans le cadre d’un horaire de cours préétabli, la préparation des cours, l’évaluation des étudiants, la participation à des conférences d’étudiants et aux rencontres entre les étudiants et le personnel;

i)          les travailleurs s’acquittaient de leurs tâches dans les locaux de l’entreprise de l’appelante, situés au 156, Dresden Row, bureau 800, à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

j)          l’appelante établissait les horaires de travail des travailleurs;

k)         l’appelante consignait les heures réelles de travail des travailleurs;

l)          les travailleurs devaient obtenir l’autorisation de l’appelante pour prendre congé;

m)        l’appelante concevait le programme des cours donnés par les travailleurs;

n)         l’appelante fixait les échéanciers pour les travailleurs;

o)         les travailleurs devaient demander l’autorisation de l’appelante pour certaines activités (comme l’organisation d’une sortie éducative);

p)         les travailleurs devaient assister aux réunions;

q)         les travailleurs devaient soumettre des rapports à l’appelante;

r)          l’appelante observait les travailleurs pendant qu’ils accomplissaient leurs tâches;

s)         les travailleurs pouvaient faire du tutorat auprès des étudiants en sus de leur tâche d’enseignement en classe, mais seulement dans le cadre d’arrangements pris par l’appelante;

t)          l’appelante fixait le taux de rémunération des travailleurs;

u)         les travailleurs gagnaient 22 $ l’heure, sauf Daniel Thompson, qui gagnait 23 $ l’heure;

v)         les travailleurs étaient rémunérés pour les heures d’enseignement en classe et les heures de tutorat;

w)        certains travailleurs touchaient une prime de 10 % par rapport au taux horaire d’enseignement pour les tâches accomplies en sus (par exemple, pour la notation des travaux des étudiants);

x)         les travailleurs étaient payés par chèque aux deux semaines;

y)         l’appelante rémunérait les travailleurs même si aucun étudiant n’assistait à un cours prévu au calendrier;

z)         les travailleurs n’avaient pas droit à des avantages sociaux ni à des congés payés;

aa)       l’appelante fournissait les principaux outils et le matériel dont les travailleurs avaient besoin dans le cadre de leur travail;

bb)       certains travailleurs se procuraient eux-mêmes certaines fournitures à bon marché telles que les prix remis lors d’activités en classe, mais ils le faisaient de leur propre gré;

cc)       les travailleurs n’étaient pas tenus d’engager des dépenses fixes ou continues pour accomplir leur travail;

dd)       les travailleurs ne pouvaient pas donner du travail en sous-traitance ou engager un adjoint;

ee)       l’appelante engageait et rémunérait les remplaçants lorsqu’un travailleur ne pouvait pas s’acquitter de ses tâches;

ff)         les travailleurs ne facturaient pas leurs services à l’appelante

gg)       les travailleurs ne percevaient pas la taxe de vente harmonisée sur les sommes touchées pour leurs services;

hh)       les travailleurs n’avaient pas de compte d’entreprise inscrit auprès de l’ARC durant la période visée;

ii)         durant la période visée, l’appelante ne retranchait pas les cotisations au RPC et à l’AE, ni l’impôt sur le revenu (les « retenues à la source ») de la rémunération versée aux travailleurs, sauf à Amanda et à Erin;

jj)         l’appelante n’a pas retranché de retenues à la source sur les paiements versés à Amanda pour la période du 23 avril au 31 août 2012;

kk)       l’appelante n’a pas retranché de retenues à la source sur les paiements versés à Amanda pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2012;

ll)         un relevé T4 soumis à l’ARC par l’appelante indique la rémunération d’Amanda et les retenues à la source retranchées de celle-ci du 1er septembre au 31 décembre 2012;

mm)     l’appelante a engagé Amanda aux termes des mêmes modalités, ou presque, pour les périodes du 23 avril au 31 août 2012 et du 1er septembre au 31 décembre 2012;

nn)       l’appelante n’a pas prélevé de retenues à la source sur les paiements versés à Erin pour la période du 1er janvier au 20 avril 2012;

oo)       l’appelante n’a pas prélevé de retenues à la source sur les paiements versés à Erin pour la période du 21 avril au 31 décembre 2012;

pp)       l’appelante a soumis un relevé T4 à l’ARC indiquant la rémunération d’Erin et les retenues à la source prélevées sur celle-ci du 21 avril au 31 décembre 2012;

qq)       l’appelante a engagé Erin aux termes des mêmes modalités, ou presque, pour les périodes du 1er janvier au 20 avril 2012 et du 21 avril au 31 décembre 2012;

rr)        selon l’intention de l’appelante :

i.     les travailleurs, sauf Amanda et Erin, étaient des entrepreneurs indépendants durant la période visée,

ii.     Amanda et Erin étaient des entrepreneures indépendantes durant les périodes du 23 avril au 31 août 2012, et du 1er janvier au 20 avril 2012, respectivement,

iii.    Amanda et Erin étaient des employées durant les périodes du 1er septembre au 31 décembre 2012, et du 21 avril au 31 décembre 2012, respectivement;

ss)        selon l’intention de la plupart des travailleurs, ils étaient des employés.

Autres faits pertinents

[12]         Le ministre se fonde sur une autre présomption de fait :

a)         l’appelante n’a pas déclaré le revenu des travailleurs sur un relevé T4A durant la période visée.

[13]         M. Pillay a témoigné à l’audience. Il a réfuté les déclarations des alinéas c), i), j), l), m), n), o), r), s), t), y) et des sous-alinéas, aa), dd), mm), qq) et ss) de la Réponse à l’avis d’appel.

[14]         Il a expliqué que l’appelante avait deux campus en 2012, et qu’elle avait engagé une vingtaine d’enseignants pour donner des cours d’anglais à un effectif se situant entre 60 et 80 étudiants.

[15]         Il incombait à M. Pillay de passer en entrevue les candidats s’étant présentés pour les postes d’enseignant. Il a passé en entrevue tous les travailleurs, a-t-il affirmé, sauf Sebastian O’Malley, Emily Walsh et James Skinner, qui travaillaient déjà dans l’école.

[16]         Il a expliqué que les candidats retenus pouvaient choisir entre deux types de contrats : un contrat d’enseignement en sous-traitance ou un contrat de travail. Un échantillon de chaque type de contrat a été déposé sous la cote A-1. Tous les travailleurs, à l’exception d’Erin Andrews, avaient signé un contrat écrit, dont l’appelante n’a conservé aucune copie. Selon M. Pillay, l’appelante avait coutume d’offrir un premier contrat d’une durée d’un ou deux mois, renouvelable pour deux autres périodes successives. Après environ six mois de services satisfaisants à titre d’enseignant d’anglais, les travailleurs étaient invités à devenir des employés de l’appelante, auquel cas ils bénéficiaient d’avantages sociaux tels que la participation à des régimes d’assurance dentaire, santé et vie après un délai de carence de six mois.

[17]         Parmi les travailleurs énumérés, seule Amanda Thalmann est devenue employée après six mois de travail chez l’appelante. Erin Andrews est aussi devenue employée, mais après quelques années de travail chez l’appelante. James Skinner est demeuré enseignant contractuel pendant plus de deux ans. Tous les autres travailleurs énumérés travaillaient à temps partiel ou ont travaillé pendant moins de six mois.

[18]         M. Pillay affirme que les travailleurs n’étaient nullement tenus par une clause d’exclusivité. En cas de maladie, les travailleurs n’étaient pas payés et l’appelante devait trouver un remplaçant. L’appelante fournissait le matériel pédagogique et établissait les lignes directrices du programme. Elle s’occupait également des plaintes des étudiants ou des parents. Les travailleurs devaient remplir une fiche de présence quotidienne et ils étaient évalués par les étudiants tous les deux mois. Les contrats signés par les travailleurs pouvaient être résiliés par l’une ou l’autre des parties moyennant un préavis de deux semaines.

[19]         Deux des travailleurs, Erin Andrews et Michelle Juurlink, ont témoigné à l’audience. Mme Andrews a travaillé pour l’appelante de l’automne 2011 à juin 2014. Elle ne se rappelle pas si elle a signé un contrat quand elle a commencé à travailler pour l’appelante, et elle n’a présenté aucun contrat à la Cour. Elle soutient qu’elle a été engagée à l’essai pendant une période de six mois durant laquelle elle n’avait pas droit à des avantages comme l’assurance dentaire ou santé, et qu’aucune retenue n’était prélevée sur sa rémunération. Elle ne se souvient pas d’avoir signé un autre contrat après la période d’essai de six mois. Elle enseignait les niveaux 1 à 3 en grammaire anglaise, suivant les besoins de l’appelante. L’appelante s’occupait d’affecter les enseignants aux différents cours, et elle fournissait le matériel pédagogique. Mme Andrews travaillait de 9 h à 16 h, et elle avait droit à une pause-repas d’une heure, ainsi que des pauses de 15 minutes le matin et l’après-midi. Elle était payée par chèque toutes les deux semaines, à un taux horaire de 22 $. Mme Andrews affirme que sa rémunération avait été établie par l’appelante et que l’offre était ferme. Celle-ci dictait également son horaire de travail et les dates d’examen. Outre l’élaboration de l’examen final des cours qu’elle donnait, il lui incombait de corriger les autres examens. Un bureau et un fauteuil lui étaient réservés dans la salle du personnel. Si elle était malade, l’appelante lui trouvait un remplaçant. Elle se considérait comme une employée, même si aucune retenue à la source n’était prélevée sur ses chèques de paie. Elle pensait qu’elle paierait les taxes applicables au moment de produire ses déclarations de revenus.

[20]         Mme Yuurlink a travaillé pour l’appelante pendant quatre semaines seulement, d’avril à mai 2012. Elle pense avoir signé un contrat, sans toutefois pouvoir en présenter de copie. Elle enseignait l’anglais au niveau 4. Son programme d’enseignement était fondé sur des manuels fournis par l’appelante. Il lui incombait d’évaluer les étudiants et d’assister à certaines réunions du personnel. Son horaire de travail était établi par l’appelante et elle ne pouvait pas déplacer sa pause-repas. Elle gagnait 22,50 $ l’heure, et elle était payée toutes les deux semaines. Elle mentionne que les lignes directrices du programme étaient dictées par l’appelante, qui fournissait en outre tous les manuels aux étudiants. L’école fournissait aussi le matériel pédagogique et l’équipement (accès à Internet, télécopieur, ordinateur portable). Les échéanciers des travaux personnels et des examens étaient établis par l’appelante, qui s’occupait aussi des plaintes et de trouver des remplaçants. Mme Yuurlink n’a engagé aucune dépense personnelle dans le cadre de son travail. Elle n’a jamais transmis de factures à l’appelante pour ses services, et elle ne percevait pas la taxe sur les produits et services. Elle se considérait comme une employée.

Le cadre législatif

[21]         La définition d’emploi assurable est donnée à l’alinéa 5(1)a) de la LAE :

l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[22]         La définition d’emploi ouvrant droit à pension est donnée à l’alinéa 6(1)a) du RPC :

(1)   Emplois ouvrant droit à pension – Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

a)      l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

[...]

[23]         Le paragraphe 2(1) du Règlement énonce la règle établissant la rémunération provenant d’un emploi assurable pour l’application de la définition de rémunération assurable au paragraphe 2(1) de la LAE. Le paragraphe 2(1) du Règlement se lit comme suit :

Pour l’application de la définition de rémunération assurable au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

a)      le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi;

b)      le montant de tout pourboire que l’assuré doit déclarer à l’employeur aux termes de la législation provinciale.

Analyse

[24]         Essentiellement, l’appelante fait valoir la nature de la relation contractuelle entre elle et ses employés, et elle allègue que l’intention des travailleurs était de fournir leurs services à titre d’entrepreneurs indépendants. Elle estime que ces facteurs ont de toute évidence été déterminants de leur embauche et de la rémunération qui leur a été offerte.

[25]         Les travailleurs se considéraient comme des employés. Cette perspective se dégage nettement des témoignages de deux des travailleurs dans le cadre du présent appel.

[26]         La jurisprudence a établi une série de critères pour déterminer si un travailleur est employé aux termes d’un contrat de louage de services (à titre d’employé du payeur) ou s’il fournit ses services au titre d’un contrat d’entreprise (à titre de travailleur autonome). Les critères analysés par les tribunaux englobent les éléments suivants : l’intention des parties et les modalités contractuelles; le degré de contrôle exercé par le payeur sur les travailleurs; la propriété de l’outillage; les risques financiers, c’est-à-dire les possibilités de profit ou les risques de pertes; le degré de responsabilité; la possibilité d’engager des adjoints ou des sous-traitants, et tout autre facteur pertinent et applicable dans un secteur donné. Aucun de ces éléments n’est déterminant, et tous doivent être pris en compte dans l’analyse de la relation entre les parties et de la question de savoir si la nature de cette relation suffit pour étayer l’intention des parties.

Intention des parties et modalités contractuelles

[27]         Un seul contrat signé et daté a été présenté à la Cour, soit celui qui a été signé le 23 avril 2012 entre Amanda Thalmann (appelée « sub-contractor » [sous‑traitante] dans le contrat) et l’appelante (appelée « Company » [la société] dans le contrat). L’intention des parties au contrat est exposée clairement dans les paragraphes suivants :

[traduction]

ATTENDU QUE la société souhaite engager un enseignant d’anglais qui lui fournira ses services à titre de sous-traitant pendant la période du présent contrat, et attendu que le sous-traitant a convenu de fournir lesdits services, eu égard aux modalités contenues dans les présentes :

[...]

Le sous-traitant touchera une rémunération de 22 $ l’heure durant la période du contrat, laquelle lui sera versée toutes les deux semaines et ne sera réduite d’aucune retenue obligatoire. Toutes les taxes applicables seront à la charge du sous-traitant.

[28]         En dépit de ce que l’on pourrait penser quant à l’intention des parties, le fait que certaines clauses du contrat désignent le travailleur comme étant un employé suscite un certain doute relativement à la véritable nature de la relation entre le travailleur et l’appelante. C’est le cas notamment des paragraphes donnés en exemple ci-après. Le paragraphe intitulé « Renewable of contract » [Renouvellement du contrat] énonce que :

[traduction]

Le présent contrat peut être renouvelé selon les mêmes modalités et conditions moyennant un avis écrit de la société à l’employé avant la résiliation du contrat.

Le deuxième paragraphe de la clause de résiliation stipule que :

[traduction]

À la résiliation du contrat de travail, l’employé convient de remettre à la société tout l’outillage et le matériel qui lui appartiennent, y compris les ordinateurs, documents, manuels, clés, dossiers, rapports, notes et copies que l’employé a en main et qui ont un lien quelconque avec les activités de la société ou de ses clients.

La clause de non-sollicitation stipule que :

[traduction]

L’employé convient que, dans le cadre de son travail et pendant une période d’une (1) année après qu’il aura cessé d’être un employé de la société et peu importe la raison, il se gardera de toute sollicitation, directe ou indirecte et en quelque qualité que ce soit, auprès des étudiants de la société.

[29]         Amanda Thalmann a signé un contrat à titre d’employée.

[30]         Comme en font foi les extraits cités ci-devant, le contrat est mal rédigé et il est truffé d’erreurs techniques relativement à la situation juridique de l’une des parties signataires.

[31]         Dans 1392644 Ontario Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85, le juge Mainville déclare à la fin du paragraphe 37 que « la situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable ». En ce sens, les facteurs pris en compte dans la décision Wiebe Door Services Ltd. v. Minister of National Revenue, 87 D.T.C. 5012 et dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, dont le degré de contrôle, la propriété de l’outillage, le droit de sous‑traiter du travail, la possibilité de profit et le risque de perte, sont pertinents.

Contrôle

[32]         Au vu des faits, il apparaît manifeste que l’appelante exerçait un contrôle appréciable sur les tâches des travailleurs et la manière dont elles étaient exécutées. Voici quelques éléments étayant l’existence d’un contrat de louage de services :

        les tâches étaient accomplies dans les locaux de l’appelante durant ses heures d’ouverture;

        l’appelante déterminait l’horaire des travailleurs, le moment et la durée de leur pause-repas, le nombre d’heures travaillées et les heures supplémentaires ou les heures travaillées en sus de l’horaire ordinaire pour satisfaire aux besoins de l’école;

        les travailleurs étaient tenus d’assister aux réunions du personnel enseignant;

        l’appelante fixait les échéanciers de travail et donnait les lignes directrices du programme;

        une évaluation des progrès de chaque étudiant était requise à la fin des programmes, et des rapports écrits devaient être soumis à l’examen de l’appelante, qui les transmettait ensuite aux étudiants.

Propriété de l’outillage

[33]         Cet élément milite aussi pour l’existence d’un contrat de louage de services, dans la mesure où l’appelante fournissait à ses frais les principaux outils et le matériel nécessaire à l’exécution des tâches confiées aux travailleurs, y compris un ordinateur portable.

Droit de sous-traiter du travail ou d’engager un remplaçant

[34]         Les travailleurs n’étaient pas habilités à faire exécuter leur travail par un sous-traitant ni à engager un adjoint. Si un travailleur devait s’absenter, il incombait à l’appelante de trouver un remplaçant. Cet élément milite pour l’existence d’un contrat de louage de services.

Possibilité de profit ou risque de perte

[35]         Les travailleurs n’avaient pas d’intérêt financier dans l’entreprise. Ils étaient rémunérés à un taux horaire fixe pour les heures travaillées. Ils n’avaient pas à engager de dépenses importantes dans le cadre de leur travail.

[36]         Les travailleurs n’étaient pas habilités à engager un remplaçant ou un suppléant pour accroître leur rentabilité.

[37]         Le risque de perte était minimal pour eux. Si des étudiants manquaient des cours, les travailleurs touchaient le même taux horaire tant et aussi longtemps que l’appelante était payée et que les travailleurs exécutaient des tâches connexes.

[38]         Les faits susmentionnés militent aussi pour l’existence d’un contrat de louage de services. Les travailleurs ne se comportaient pas comme s’ils exploitaient une entreprise pour leur propre compte. Ils ne se sont jamais enregistrés aux fins de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur les produits et services, et ils n’ont pas facturé leurs services à l’appelante. Il n’existe aucune preuve comme quoi les travailleurs ont déclaré leurs revenus à titre d’entrepreneurs indépendants et qu’ils ont déduit des dépenses engagées pour exploiter une entreprise.

Autres facteurs pertinents

[39]         Les modalités et les conditions d’emploi des travailleurs étaient les mêmes, peu importe s’ils étaient des travailleurs autonomes ou des employés de l’appelante, à la différence que les travailleurs pouvaient cotiser au régime d’avantages sociaux de l’appelante et devaient travailler exclusivement pour elle dès qu’ils étaient considérés comme des employés. Les tâches étaient essentiellement les mêmes pour les travailleurs autonomes et les employés.

Conclusion

[40]         Malgré l’intention de l’appelante de traiter les travailleurs comme des entrepreneurs indépendants, les faits propres à l’espèce indiquent le contraire. Selon les faits mis en preuve, je ne puis conclure que les travailleurs fournissaient des services à l’appelante en qualité d’entrepreneurs indépendants exploitant leur propre entreprise. Le contrôle appréciable exercé par l’appelante sur les travailleurs dans le cadre de leur travail, de même que l’improbabilité qu’ils fassent un profit ou encourent des pertes indiquent clairement que les travailleurs étaient des employés de l’appelante.

[41]         L’appel est rejeté pour l’ensemble de ces motifs.

Signé à Ottawa, au Canada, ce 5e jour de mai 2016.

« Réal Favreau »

Juge

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 109

NOS DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-4621(AE), 2015-282(RPC)

 

INTITULÉ :

Apex Language and Career Inc. et le Ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 25 septembre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 mai 2016

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

Srini Pillay

Avocat de l’intimé :

Me Tokunbo Omisade

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Me William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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