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Dossier : 2015-1643(IT)I

ENTRE :

Gail Baker,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 9 décembre 2015, à Ottawa (Ontario).

Devant : L'honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

 

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Mélanie Sauriol

 

JUGEMENT

        L'appel de la cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 27 janvier 2014 et porte le numéro 2498776, est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2016.

« Guy Smith »

Juge Smith

 


Référence : 2016 CCI 120

Date : 20160516

Dossier : 2015-1643(IT)I

ENTRE :

Gail Baker,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

[1]             Gail Baker (l’« appelante ») interjette appel d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 160 de la Loi sur l’impôt sur le revenu[1] (la « LIR ») suite à la cession d’un intérêt dans un immeuble de la part de son frère alors qu’il était redevable envers le ministre pour une créance fiscale relativement aux années d’imposition 2004 à 2007.

[2]             L’audience a été entendue sous la procédure informelle le 9 décembre 2015. Pour les raisons qui suivent, l’appel doit être rejeté.

I. Sommaire des faits

[3]             Gervaise St-Amour, est décédée le 16 février 2008, léguant à ses quatre enfants, dont l’appelante, Larry Baker, Terry Baker et Robert Johns-Baker (« Robert »), une part indivise de sa résidence située à Bois‑Franc, Québec (la « résidence »). Tel qu’il sera expliqué ci-après, la succession n’a été entièrement réglée qu’au mois de janvier 2012.

[4]             À titre de liquidateurs de la succession, l’appelante et Larry Baker ont obtenu un certificat de décharge du ministre autorisant la distribution des biens de la succession. Le certificat est daté du 14 janvier 2010.

[5]             Par la suite, Robert est décédé sans testament le 20 novembre 2011. Avant son décès, il a signé une procuration désignant l’appelante comme mandataire sans titre particulier avec la mention expresse de céder ses droits successoraux dans la succession de sa mère à l’appelante et ses deux frères survivants.

[6]             Deux documents ont été préparés pour régler la succession de feu Gervaise St-Amour. Le premier est une déclaration de transmission faite par acte notarié en date du 16 janvier 2012, par laquelle le droit de propriété dans la résidence est dévolu à l’appelante et ses trois frères, selon le testament.

[7]             Le deuxième document est un acte de cession notarié de la même date dans lequel Robert, reconnaissant qu’il est propriétaire d’un quart indivis dans la résidence à titre d’héritier de feu Gervaise St-Amour, cède son intérêt à l’appelante et ses deux frères survivants. Ils acquièrent donc chacun un tiers indivis de la part de Robert, le tout sans contrepartie. L’appelante signe l’acte de cession à titre de mandataire de Robert selon les termes de la procuration.

[8]             Il importe d’ajouter que l’appelante et Terry Baker ont par la suite vendu l’ensemble de leur droit de propriété de la résidence à Larry Baker pour la somme de 37 100 $, reflétant, selon l’appelante, l’évaluation municipale en 2012. La cession s’est effectuée par acte de cession notarié en date du 23 novembre 2012 dans lequel est récité l’origine du droit de la propriété à savoir de la succession de feu Gervaise St‑Amour et de Robert.  

[9]             Suite à une cotisation de Revenu Québec en date du 15 octobre 2012, l’appelante et ses deux frères ont conjointement versé la somme de 19 200 $ relativement à l’acquisition sans contrepartie de la part indivise de Robert de la résidence.

[10]        Le 14 janvier 2013, l’appelante, Larry Baker et Terry Baker ont signé une renonciation de la succession de Robert stipulant entre autres, selon le libellé du document, qu’ils n’avaient posé « aucun acte d’héritier ni aucun autre acte susceptible d’entraîner une acceptation tacite, présumée ou réputée de la succession de leur frère ». Ayant déjà accepté la cession du quart indivis de Robert (le 16 janvier 2012), il n’est pas clair quel aurait été le but de ce document.

[11]        Aux fins de la cotisation en question, le ministre a tenu pour acquis que la juste valeur marchande de la résidence au 16 janvier 2012 était de 130 000 $ et que par l’entremise de la cession de Robert, l’appelante et ses deux frères ont chacun acquis un tiers de sa part indivise de la résidence ayant une juste valeur marchande de 32 500 $.

[12]        La cotisation qui fait l’objet de cet appel est datée du 27 janvier 2014. À ce titre, le ministre a calculé l’avantage conféré à l’appelante (et ses deux frères) de la façon suivante :

Avantages aux bénéficiaires (1/4)

32 500 $

Versement à Revenu Québec

(19 200 $)

Avantage ajusté

13 300 $

Avantage de l’appelante (1/3)

4 433 $

[13]        Au moment d’émettre la cotisation du 27 janvier 2014, Robert était redevable au ministre pour une créance fiscale relativement aux années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007 pour un montant total de 28 938,46 $.

II. Prétentions de l’appelante

[14]        L’appelante prétend qu’elle n’est pas liée par la créance fiscale de Robert et affirme qu’elle a renoncé à sa succession lorsqu’elle en a pris connaissance.

[15]        Elle allègue que la résidence n’a jamais été transférée de la succession de feu Gervaise St-Amour à Robert puisqu’il est décédé avant que le transfert soit effectué. De plus, elle maintient que le testament de sa mère prévoyait que les biens légués par le biais de son testament étaient insaisissables pour quelque dette que ce soit de ses légataires. Elle maintient que cela inclut la créance fiscale de Robert.

[16]        L’appelante explique que le quart indivis de Robert de la résidence a été transféré à l’appelante et ses deux frères survivants afin de sauvegarder le patrimoine familial et non pas dans le but d’éviter ses créanciers.

[17]        L’appelante soutient, de plus, que le versement de 19 200 $ à Revenu Québec était un paiement final et que son obligation envers la dette fiscale de son frère était désormais éteinte.

[18]        L’appelante prétend finalement qu’elle n’a reçu aucun avantage ou bénéfice de son frère.

III. Prétentions du ministre

[19]        Le ministre prétend que Robert avait une créance fiscale en vertu de la LIR qui s’élevait à 28 938$ au moment de la cession du 16 janvier 2012.

[20]        Le ministre prétend que selon l’article 619 du Code civil du Québec (le « C.c.Q »), Robert est un héritier par testament d’un legs universel et qu’il est devenu héritier le jour de l’ouverture de la succession, donc le jour du décès de sa mère en vertu de l’article 615 du C.c.Q.

[21]        Selon l’article 630 du C.c.Q., Robert avait le droit d’accepter ou de renoncer à la succession de sa mère, et ce, conformément à l’article 632 du C.c.Q., dans un délai de six mois suivant la date du décès. Selon l’alinéa 2 de l’article 646 du C.c.Q., la renonciation devait être faite par acte notarié. En l’absence d’une renonciation, Robert est présumé avoir accepté la succession en vertu de l’alinéa 2 de l’article 633 du C.c.Q.

[22]        Le ministre prétend donc que le droit de propriété du quart indivis de la résidence a été transféré à Robert, rétroactivement à la date du décès de sa mère et que la déclaration de transmission du 16 janvier 2012 confirmait la dévolution des biens aux quatre héritiers, dont Robert.

[23]        Ensuite, par l’acte de cession du 16 janvier 2012, l’appelante a acquis le tiers du quart indivis de la propriété de la résidence de Robert sans contrepartie et donc à titre de donation en vertu des articles 1806 et 1807 du C.c.Q.

[24]        Selon l’article 1824 du C.c.Q., une donation d’un bien immeuble doit être faite par acte notarié en minute et publiée au bureau de la publicité des droits, ce qui a été fait en l’espèce. Le ministre prétend qu’un acte notarié est un acte authentique qui fait preuve à l’égard de tous de l’acte juridique qu’il renferme, comme stipulé à l’article 2819 du C.c.Q.

[25]        Le ministre maintient que la connaissance de l’appelante de la dette fiscale de Robert n’est pas une condition nécessaire à l’application de l’article 160 de la LIR et que la déclaration d’insaisissabilité dans le testament de Gervaise St‑Amour n’a pas d’incidence quant à l’application de la disposition en question.

[26]        Le ministre maintient que les conditions d’application du paragraphe 160(1) de la LIR sont rencontrées et conclut donc, qu’en vertu de ladite disposition, l’appelante lui est redevable jusqu’à concurrence de la valeur du bien reçu sans contrepartie.

IV. Le droit applicable et analyse

A. Les dispositions du Code civil du Québec

[27]        Dans le contexte d’une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la LIR, la Cour doit s’en remettre au droit applicable des provinces pour les questions de droit civil, notamment l’administration d’une succession et le transfert de biens meubles ou immeubles.

[28]        Dans l’arrêt 9101-2310 Québec Inc.,[2] le juge Noël de la Cour d’appel fédérale (tel était à l’époque son titre) a cru bon de se référer aux dispositions pertinentes du C.c.Q. afin de répondre à des difficultés qui découlent de transferts de propriété. Il a notamment fait l’observation qui suit :

44   Un bref commentaire sur le rôle du droit des provinces dans l'application de la Loi est aussi de mise. L'état du droit est à l'effet qu'à moins que le législateur fédéral se dissocie du rôle supplétif du droit privé des provinces (voir l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21), il y a transfert de la propriété d'un bien aux fins de la loi lorsqu'il y a changement de propriété en vertu du droit civil du Québec ou de la common law de chacune des autres provinces canadiennes, selon que la cause soit mue au Québec ou ailleurs au Canada.

                                                                                                   [Je souligne.]

[29]        À la lumière des dispositions pertinentes du C.c.Q. qui sont reproduites en annexe, je conclus qu’il y a eu ouverture de la succession de feu Gervaise St‑Amour au moment de son décès, que Robert à titre d’héritier, ayant eu le droit d’accepter la succession ou d’y renoncer, est réputé l’avoir accepté puisqu’il n’y a pas renoncé dans un délai de six mois.

[30]        La déclaration de transmission du 16 janvier 2012 confirmait tout simplement l’acceptation par Robert (et des autres héritiers) de la part de l’héritage qu’il était réputé avoir acquis au moment de l’ouverture de la succession de sa mère, dont un quart indivis de la résidence.

[31]        C’est par la suite qu’il y a eu cession ou transfert de la part de Robert à l’appelante (et ses deux frères survivants) par acte de cession notarié signé par l’appelante à titre de mandataire. Robert est d’ailleurs désigné dans l’acte de cession comme « propriétaire » de la résidence. Selon les dispositions du C.c.Q., notamment l’article 1807, il s’agit d’une donation qui s’est effectuée par acte notarié en minute, selon les exigences de l’article 1824.

B. L’article 160 de la LIR

[32]        Cette disposition vise à empêcher le contribuable de transférer ses biens à une tierce partie avec qui il a un lien de dépendance afin de faire échec aux tentatives de recouvrement d'une obligation fiscale.[3] Le bénéficiaire d'un transfert de bien sans contrepartie devient solidairement responsable de la créance du débiteur fiscale jusqu'à concurrence de la valeur du bien transféré, moins la contrepartie, s’il y a lieu. Le paragraphe 160(1) est ainsi libellé :

160. (1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance — Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a)   son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b)   une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)   une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d)   le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)   le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i)   l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii)  le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

[33]        La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Livingston,[4] a énoncé quatre critères qui doivent être remplis afin que l’article 160 puisse s’appliquer :

17   […]

1)   L'auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la LIR au moment du transfert;

2)   Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon;

3)   Le bénéficiaire du transfert doit être :

i.  soit l'époux ou le conjoint de fait de l'auteur du transfert au moment de celui-ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

ii. soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

iii. soit une personne avec laquelle l'auteur du transfert avait un lien de dépendance.

4)   La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

[34]        Tel que mentionné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wannan,[5] il s’agit d’une disposition draconienne :

3   L'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu est un instrument important de recouvrement des impôts, parce qu'il contrarie les tentatives d'un contribuable de mettre de l'argent ou d'autres biens hors de la portée du fisc en les transférant censément à des amis. C'est cependant une disposition draconienne. Les recours à l'article 160 ne sont pas tous injustifiés ou injustes, mais un résultat inique est toujours possible. Il n'existe pas de défense de diligence raisonnable à l'encontre de l'application de l'article 160. Cet article peut s'appliquer au cessionnaire de biens qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l'impôt. Il peut même s'appliquer au cessionnaire qui n'a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l'article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l'article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

                                                                                                               [Je souligne.]

[35]        Afin que l’article 160 trouve application, un transfert de bien doit avoir été effectué. Il peut s’agir d’un bien meuble, immeuble ou d’un droit quelconque.

[36]        La notion de transfert sous l’article 160 de la LIR a été expliquée par la Cour d’appel fédérale dans la décision Biderman.[6] La Cour a précisé qu’aucune forme particulière n’est requise et qu’un bien peut être transmis par tout moyen. D’ailleurs la disposition prévoit un transfert « directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon […] ».

[37]        Que le contribuable ait reçu un bénéfice ou non n’est pas pertinent à l’application de cette disposition. La seule question est de savoir si le contribuable a effectivement reçu un bien au moment du transfert. De plus, l’intention de l’auteur du transfert de se soustraire à une créance fiscale n’est pas pertinente, ni la connaissance qu’il y avait de l’existence d’une créance fiscale.[7] À ce titre, dans Livingston, la Cour d’appel fédérale a jeté un regard sur l’intention du contribuable :

19   Comme il sera expliqué plus loin, étant donné l'objet du paragraphe 160(1), l'intention de l'auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l'ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l'examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l'on en conclue qu'il doive y avoir intention de frustrer l'ARC pour déclencher l'application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s'appliquer au bénéficiaire d'un transfert qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423.

                                                                                                               [Je souligne.]

[38]        Aux fins de l’article 160, la juste valeur marchande du bien cédé doit être déterminée à la date du transfert. Dans la décision Riverin,[8] aux paragraphes 18 et 19, le juge Archambault a expliqué que le transfert a lieu à la date de l’acte de cession (dans cette instance au 16 janvier 2012) et non à la date du décès ou de l’ouverture de la succession du défunt. 

[39]        Concernant l’argument d’insaisissabilité de l’appelante, cette Cour, dans l’arrêt Bernier,[9] a précisé que les clauses d’insaisissabilité n’ont aucune incidence quant à l’application de l’article 160. Dans cette décision, le juge Angers s’est penché sur le caractère insaisissable des sommes provenant d’une indemnité de remplacement de revenu de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Il a rappelé le principe retenu par la Cour d’appel du Québec dans la décision Bruyère,[10] ainsi que par la Cour d’appel fédérale dans la décision Marcoux,[11]selon lequel le législateur fédéral n’est pas lié par les règles d’insaisissabilité établie par une loi provinciale.[12] Il en est venu à la conclusion qu’une fois la responsabilité fiscale établie, l’insaisissabilité des biens faisant l’objet du transfert n’a aucune incidence sur l’application de l’article 160. Le juge Angers a indiqué que :

[19]   À mon avis, une fois que la responsabilité fiscale du bénéficiaire du transfert est engagée par l'application de l'article 160, l'Agence du revenu du Canada (« l'ARC ») n'est pas limitée au recouvrement des biens transférés par l'auteur du transfert. Tous les actifs du bénéficiaire deviennent la cible de l'ARC et leur saisissabilité, le cas échéant, n'a rien à voir avec la responsabilité fiscale du bénéficiaire résultant de l'application de l'article 160 de la Loi.

                                                                                                               [Je souligne.]

[40]        J’en conclus que la clause d’insaisissabilité dans le testament de feu Gervaise St-Amour, n’a aucune incidence sur l’application du paragraphe 160(1) de la LIR. Il y a eu dévolution de la succession de feu Gervaise St-Amour par opération de la loi (article 615 C.c.Q.), tel que confirmé par l’acte de transmission du 16 janvier 2012, et c’est par l’acte de cession notarié du même jour, que l’appelante a acquis un tiers de la part indivise de Robert. Il y a donc eu transfert d’un bien et c’est cette cession qui déclenche l’article 160 et la responsabilité de l’appelante, nonobstant la clause d’insaisissabilité dans le testament de feu Gervaise St-Amour.

[41]        L’appelante a aussi prétendu que le règlement avec Revenu Québec était un règlement final qui liait le ministre. Dans la décision Ouellet,[13] le juge Favreau a revu le problème potentiel de la double imposition :

[41]   L’appelante remet en question la validité de l’article 160 de la Loi en alléguant que l’effet combiné des articles 160 de la Loi et 14.4 de la LAF engendre une « double imposition » que seuls les contribuables québécois ont le fardeau de supporter. Le problème de « double imposition » est bien réel et il survient lorsque les autorités fiscales fédérales et québécoises cotisent distinctivement le bénéficiaire du transfert de biens pour le plein montant d’un même transfert, alors que les dettes fiscales de l’auteur du transfert envers l’ARC et le ministère du Revenu du Québec sont toutes les deux supérieures à la valeur des biens transférés.

[42]   Malgré l’absence de mesures législatives claires pour éliminer ce problème, les autorités fiscales compétentes ont tendance à se montrer empathiques envers les contribuables qui font l’objet d’une « double imposition » dans de telles circonstances. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans le cas de l’appelante. […]

                                                                                                               [Je souligne.]

[42]        Dans cette instance, il n’est pas question de double imposition puisque le ministre a clairement pris en compte le paiement effectué à Revenu Québec. De toute façon, je n’accepte pas l’hypothèse de l’appelante selon laquelle l’entente avec Revenu Québec pouvait de quelque sorte lier le ministre.

V. Conclusion

[43]        Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l’appelante. Tel que mentionné par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hickman,[14] le contribuable a la charge initiale de "démolir" les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation en présentant une preuve prima facie.

[44]        Dans cette instance, je suis d’avis que l’appelante n’a pas réussi à renverser les hypothèses du ministre. Au contraire, je suis d’avis que la preuve dans son ensemble établit clairement qu’elle a reçu un bien suite au transfert sans contrepartie de la part indivise de son frère de la résidence et que les quatre critères énoncés dans la décision Livingston, supra, ont été satisfaits.

[45]        Je comprends la frustration de l’appelante quant à l’application imprévue et quelque peu « draconienne » (arrêt Wannan, supra) de la disposition en question. Ceci dit, je me dois d’ajouter que si elle avait obtenu un certificat de décharge avant d’effectuer la cession de la part indivise de son frère (ce qui d’ailleurs avait été fait pour la succession de feu Gervaise St-Amour), elle aurait eu connaissance de sa créance fiscale et aurait pu agir en connaissance de cause.

[46]        Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2016.

« Guy Smith »

Juge Smith


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 120

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-1643(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Gail Baker c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 décembre 2015

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 mai 2016

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Mélanie Sauriol

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 


ANNEXE

 

Code civil du Québec

LQ, c C-12

 

613. La succession d'une personne s'ouvre par son décès, au lieu de son dernier domicile.

Elle est dévolue suivant les prescriptions de la loi, à moins que le défunt n'ait, par des dispositions testamentaires, réglé autrement la dévolution de ses biens. La donation à cause de mort est, à cet égard, une disposition testamentaire.

619. Est héritier depuis l'ouverture de la succession, pour autant qu'il l'accepte, le successible à qui est dévolue la succession ab intestat et celui qui reçoit, par testament, un legs universel ou à titre universel.

625. Les héritiers sont, par le décès du défunt ou par l'événement qui donne effet à un legs, saisis du patrimoine du défunt, sous réserve des dispositions relatives à la liquidation successorale.

Ils ne sont pas, sauf les exceptions prévues au présent livre, tenus des obligations du défunt au-delà de la valeur des biens qu'ils recueillent et ils conservent le droit de réclamer de la succession le paiement de leurs créances.

Ils sont saisis des droits d'action du défunt contre l'auteur de toute violation d'un droit de la personnalité ou contre ses représentants.

630. Tout successible a le droit d'accepter la succession ou d'y renoncer.

L'option est indivisible. Toutefois, le successible qui cumule plus d'une vocation successorale a, pour chacune d'elles, un droit d'option distinct.

632. Le successible a six mois, à compter du jour où son droit s'est ouvert, pour délibérer et exercer son option. Ce délai est prolongé de plein droit d'autant de jours qu'il est nécessaire pour qu'il dispose d'un délai de 60 jours à compter de la clôture de l'inventaire.

Pendant la période de délibération, il ne peut être condamné à titre d'héritier, à moins qu'il n'ait déjà accepté la succession.

633. Le successible qui connaît sa qualité et ne renonce pas dans le délai de délibération est présumé avoir accepté, sauf prolongation du délai par le tribunal. Celui qui ignorait sa qualité peut être contraint d'opter dans le délai fixé par le tribunal.

Le successible qui n'opte pas dans le délai imparti par le tribunal est présumé avoir renoncé.

637. L'acceptation est expresse ou tacite. Elle peut aussi résulter de la loi.

L'acceptation est expresse quand le successible prend formellement le titre ou la qualité d'héritier; elle est tacite quand le successible fait un acte qui suppose nécessairement son intention d'accepter.

645. L'acceptation confirme la transmission qui s'est opérée de plein droit au moment du décès.

641. La cession, à titre gratuit ou onéreux, qu'une personne fait de ses droits dans la succession emporte acceptation.

Il en est ainsi de la renonciation au profit d'un ou de plusieurs cohéritiers, même si elle est à titre gratuit, ou de la renonciation à titre onéreux, encore qu'elle soit au profit de tous les cohéritiers indistinctement.

646. La renonciation est expresse. Elle peut aussi résulter de la loi.

La renonciation expresse se fait par acte notarié en minute ou par une déclaration judiciaire dont il est donné acte.

648. Le successible peut renoncer à la succession, pourvu qu'il n'ait pas fait d'acte qui emporte acceptation ou qu'il n'existe pas contre lui de jugement passé en force de chose jugée qui le condamne à titre d'héritier.

1806. La donation est le contrat par lequel une personne, le donateur, transfère la propriété d'un bien à titre gratuit à une autre personne, le donataire; le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.

La donation peut être faite entre vifs ou à cause de mort.

1807. La donation entre vifs est celle qui emporte le dessaisissement actuel du donateur, en ce sens que celui-ci se constitue actuellement débiteur envers le donataire.

Le fait que le transfert du bien ou sa délivrance soient assortis d'un terme, ou que le transfert porte sur un bien individualisé que le donateur s'engage à acquérir, ou sur un bien déterminé quant à son espèce seulement que le donateur s'engage à délivrer, n'empêche pas le dessaisissement du donateur d'être actuel.

1824. La donation d'un bien meuble ou immeuble s'effectue, à peine de nullité absolue, par acte notarié en minute; elle doit être publiée.

Il est fait exception à ces règles lorsque, s'agissant de la donation d'un bien meuble, le consentement des parties s'accompagne de la délivrance et de la possession immédiate du bien.

2813. L'acte authentique est celui qui a été reçu ou attesté par un officier public compétent selon les lois du Québec ou du Canada, avec les formalités requises par la loi.

L'acte dont l'apparence matérielle respecte ces exigences est présumé authentique.

2814. Sont authentiques, notamment les documents suivants, s'ils respectent les exigences de la loi:

 1° Les documents officiels du Parlement du Canada et du Parlement du Québec;

 2° Les documents officiels émanant du gouvernement du Canada ou du Québec, tels les lettres patentes, les décrets et les proclamations;

 3° Les registres des tribunaux judiciaires ayant juridiction au Québec;

 4° Les registres et les documents officiels émanant des municipalités et des autres personnes morales de droit public constituées par une loi du Québec;

 5° Les registres à caractère public dont la loi requiert la tenue par des officiers publics;

 6° L'acte notarié;

 7° Le procès-verbal de bornage.

2819. L'acte notarié, pour être authentique, doit être signé par toutes les parties; il fait alors preuve, à l'égard de tous, de l'acte juridique qu'il renferme et des déclarations des parties qui s'y rapportent directement.

Lorsque les parties ne peuvent pas signer, leur déclaration ou consentement doit être reçu en présence d'un témoin qui signe. Ne peuvent servir de témoins, les mineurs, les majeurs inaptes à consentir, de même que les personnes qui ont un intérêt dans l'acte.



[1]           LRC 1985, c 1 (5e supp).

[2]           9101-2310 Québec Inc. c Canada, 2013 CAF 241, au para 44.

[3]           Medland c Canada, 98 DTC 6358, au para 14 (CAF).

[4]           Livingston c La Reine, 2008 CAF 89 aux para 17-19.

[5]           Wannan c Canada, 2003 CAF 423, au para 3 ; Livingston au para 3.

[6]           Biderman c La Reine, [2000] F.C.J. No. 194, au para 40.

[7]           Voir note supra 4, au para 19.

[8]           Riverin c R., [1995] T.C.J. No. 1675, aux para 18-19.

[9]           Bernier c Canada, 2010 CCI 85, au para 19.

[10]          Canada c Bruyère, 2009 QCCA 2246

[11]          Marcoux c Canada (Procureur général), 2001 CAF 92

[12]          Voir note supra 9, aux para 24 et 25.

[13]          Ouellet c La Reine, 2012 CCI 77, aux para 41 et 42.

[14]          Hickman Motors Ltd. c Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, aux para 92 à 95.

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