Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-3531(IT)G

ENTRE :

ANN KLUNDERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 3 février 2016, à Victoria (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Valerie Miller


Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Peter Blokmanis

Avocates de l’intimée :

Elizabeth (Lisa) McDonald

Laura Zumpano

 

JUGEMENT

          L’appel à l’encontre de la cotisation portant le numéro 11134 et datée du 25 juin 1999 en vertu de la Loi sur l’impôt sur le revenu est accueilli et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que la cotisation devrait être réduite de 3 614,51 $. Aucuns dépens ne sont adjugés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2016.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mai 2017

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016CCI130

Date : 20160526

Dossier : 2013-3531(IT)G

ENTRE :

ANN KLUNDERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge V.A. Miller

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation datée du 25 juin 1999 en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). L’appelante a fait l’objet d’une cotisation de 959 403,03 $ relativement à des transferts du Régime de l’assurance-santé de l’Ontario (« RASO ») à son compte bancaire entre le 25 mai 1994 et le 31 décembre 1997 (« la période visée »). La cotisation repose sur le fait que son conjoint, M. Jack Klundert, avait demandé au RASO de déposer les paiements de ses honoraires dans le compte bancaire de l’appelante pendant la période visée, au cours de laquelle il était un débiteur fiscal.

Questions préliminaires

[2]             À l’audience, l’avocat de l’appelante a soulevé deux questions sur lesquelles je vais me pencher avant d’aborder le bien-fondé de la cotisation.

[3]             D’une part, il s’agit de déterminer si la cotisation datée du 25 juin 1999 a été postée et signifiée à l’appelante en 1999. L’appelante soutient qu’elle n’a pas reçu la cotisation en 1999 et qu’elle a appris son existence lorsqu’elle a reçu une lettre datée du 4 mai 2011 de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») lui demandant d’acquitter le solde dû à son compte qui s’élevait à 147 676,63 $.

[4]             Je ne suis pas régulièrement saisie de cette question, car elle a été réglée le 7 août 2012, lorsque le juge Hogan a rendu une ordonnance modifiée prorogeant le délai pour signifier un avis d’opposition à la cotisation datée du 25 juin 1999. Ni l’appelante ni l’intimée n’ont interjeté appel de l’ordonnance modifiée. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ratifié la cotisation le 27 août 2013 et le présent appel découle de cette ratification.

[5]             D’autre part, l’avocat de l’appelante se demande si l’ARC a fait erreur en saisissant des fonds du compte bancaire de l’appelante en 1999. M. Belicka, une personne-ressource et un agent des cas complexes à l’ARC, a déclaré que l’ARC n’avait pas saisi de fonds dans le compte bancaire de l’appelante. Selon M. Belicka, l’ARC a émis une demande péremptoire visant le compte bancaire de l’appelante en novembre 1999. Cependant, l’ARC n’a pu en tirer des fonds, car le compte bancaire avait été fermé.

[6]             Cette question vise un cas de recouvrement dont je ne suis pas régulièrement saisie, parce que la Cour n’a pas compétence à l’égard des procédures de recouvrement employées par l’ARC. Ces procédures relèvent de la Cour fédérale : A & E Precision Fabricating and Machine Shop Inc c. La Reine, 2013 CAF 173, au paragraphe 9.

Cotisation fiscale en vertu de l’article 160

A. Faits

[7]             Les éléments de preuve présentés à l’audience étaient constitués d’un exposé conjoint partiel des faits et des témoignages de l’appelante et de John Belicka.

[8]             On trouvera ci-après un résumé de l’exposé conjoint partiel des faits et les témoignages présentés à l’audience de l’appel. Ce résumé est également joint aux présents motifs à l’annexe A.

[9]             L’appelante et M. Jack Klundert sont mariés depuis le 25 juillet 1981.

[10]        M. Klundert est un optométriste qui exploite une clinique d’optométrie depuis 1979. Au cours de toute la période qui importe dans le présent appel, il facturait tous les examens de la vue qu’il effectuait au RASO et était payé directement par le RASO.

[11]        Le 7 mars 1990, M. Klundert a demandé au RASO de déposer les paiements pour services rendus dans un compte bancaire dont le numéro se terminait par 664 (le « compte bancaire 664 »). Ce compte était détenu conjointement par l’appelante et M. Klundert. Il était rattaché à un compte de chèques également détenu par l’appelante et son conjoint.

[12]        L’appelante a expliqué que les comptes étaient configurés de manière à ce que chaque fois qu’un chèque était présenté pour paiement, les fonds requis fussent automatiquement transférés du compte d’épargne au compte de chèques afin de couvrir le montant du chèque en question. Peu importe le moment, le solde du compte de chèques était minime et l’appelante estime que ce montant ne dépassait pas 10 $.

[13]        Le compte de chèques servait à payer toutes les dépenses engagées par la clinique d’optométrie et par le ménage.

[14]        En mai 1994, M. Klundert a demandé à l’appelante d’ouvrir un compte d’épargne à son nom seulement (le « compte d’épargne 698 »). L’appelante a accepté et, le 18 mai 1994, M. Klundert a demandé au RASO de déposer tous les paiements pour ses services dans le compte d’épargne de l’appelante se terminant par les chiffres 698. Ce compte était rattaché à leur compte de chèques, de sorte que toutes les dépenses du ménage et de la clinique ont continué à être payées à partir du compte de chèques.

[15]        Entre les mois de mai 1994 et de décembre 1997, le RASO a déposé ses paiements pour les services de M. Klundert dans le compte d’épargne de l’appelante se terminant par les chiffres 698. Le montant qui y a été déposé s’élève à 959 403,03 $.

[16]        Au 25 juin 1999, M. Klundert devait, et a omis de payer, la somme de 993 730, 31 $ en vertu de la Loi relativement aux années d’imposition 1993, 1994, 1995 et 1996.

[17]        Le 20 mai 2010, M. Klundert a été reconnu coupable, après un troisième procès, d’évasion fiscale en vertu de l’article 239 de la Loi relativement à son omission de déclarer des revenus s’élevant à 241 625 $, à 270 403 $, à 434 931 $, à 254 520 $ et à 272 910 $ respectivement pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté son appel en vue d’obtenir l’annulation de cette condamnation le 12 septembre 2011 et sa requête en autorisation de se pourvoir à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 5 avril 2012.

[18]        Le 21 juin 2013, l’appel de M. Klundert devant la Cour canadienne de l’impôt, dans le dossier 2012-4293(IT)G, pour les années d’imposition 1993 à 1997 a été rejeté. Cette décision est consignée sous la référence 2013 CCI 208. M. Klundert en a appelé de cette décision à la Cour d’appel fédérale. Le 11 juin 2014, son appel à la Cour d’appel fédérale a été rejeté et, le 4 décembre 2014, sa requête en autorisation de se pourvoir contre un jugement à la Cour suprême du Canada a été rejetée.

[19]        Selon la réponse, le 6 janvier 2012, le solde à payer sur la somme originale de 993 730,31 $ que M. Klundert devait pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 s’établissait à 145 367,12 $.

B. Loi

[20]        L’article 160 de la Loi se lit comme suit :

160. 1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[21]        Dans l’arrêt Livingston c. La Reine, 2008 CAF 89, la Cour d’appel fédérale a énuméré les quatre exigences qui doivent être satisfaites pour que le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique. Il s’agit de ce qui suit :

a)            Il doit y avoir eu transfert de biens.

b)           L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

c)            Il faut que l’auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance.

d)           La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

[22]        Dans le présent appel, seules les exigences a) et d) étaient en litige.

[23]        L’article 160 de la Loi a été décrit comme un article draconien : Wannan c. La Reine 2003 CAF 423, au paragraphe 3. Cependant, il s’agit d’un important outil de perception des impôts dont la raison d’être est d’empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint (ou à une partie avec qui il a un lien de dépendance) afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû : Medland c. Canada, 1998 CanLII 7895, 98 DTC 6358 (CAF).

Thèse des parties

C. Thèse de l’appelante

[24]        L’appelante estime que la somme de 959 403,03 $ ne lui a pas été transférée. L’avocat de l’appelante soutient que, parce que le compte de chèques conjoint était rattaché au compte d’épargne de l’appelante, M. Klundert avait toujours accès aux fonds dans le compte de l’appelante et qu’il n’a jamais perdu la propriété des fonds versés par le RASO. Il aurait pu retirer tous les fonds se trouvant dans le compte d’épargne de l’appelante en encaissant un chèque libellé à son nom sur le compte de chèques conjoint.

[25]        Subsidiairement, l’appelante soutient que, si la somme de 959 403,03 $ lui a bel et bien été transférée, alors elle a défrayé son conjoint de toutes les dépenses du ménage et de la clinique pendant la période visée. L’appelante et son conjoint émettaient tous les deux des chèques sur le compte de chèques conjoint pour payer les dépenses du ménage et de la clinique et l’argent servant à couvrir ces dépenses provenait, somme toute, du compte d’épargne de l’appelante. Pendant la période visée, les dépenses mensuelles s’élevaient à 10 000 $.

D. Thèse de l’intimée

[26]        L’intimée était d’avis que (i) M. Klundert avait donné comme instructions au RASO de déposer les paiements pour ses services dans le compte d’épargne de l’appelante, et (ii) que le dépôt de ces paiements dans le compte d’épargne de l’appelante équivalait à des transferts. M. Klundert se dessaisissait des paiements du RASO en faveur de l’appelante.

[27]        L’avocate de l’intimée soutient également que l’appelante n’a fourni aucune contrepartie en échange des sommes déposées dans son compte d’épargne. L’avocat a déclaré que le fait de s’acquitter des obligations du ménage n’a pas de juste valeur marchande et ne peut être considéré comme une contrepartie permettant de réduire une cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi : arrêt Raphael c. La Reine, 2002 CAF 23. En outre, l’appelante n’a pas fourni de preuve suffisante pour établir le montant des dépenses attribuables à l’exploitation de la clinique d’optométrie de M. Klundert.

Analyse

[28]        Les faits essentiels en l’instance ne diffèrent pas de ceux de l’arrêt Livingston (précité).

[29]        Dans cette affaire, Mme Livingston était parfaitement au courant des problèmes fiscaux de son amie et des tentatives déployées par l’ARC pour recouvrer une dette fiscale. Mme Livingston avait ouvert un compte bancaire à son nom uniquement. Elle était la seule signataire sur ce compte. Son amie déposait ses chèques dans le compte et demandait à d’autres de verser les paiements qui lui étaient dus dans le compte de Mme Livingston. Mme Livingston avait remis à son amie la seule carte de débit émise sur ce compte et elle signait également des chèques en blanc sur ce compte, afin que son amie puisse effectuer des retraits.

[30]        Dans la présente instance, l’appelante a admis qu’elle avait ouvert le compte d’épargne, dont le numéro se terminait par 698, à la demande de son conjoint. Elle a aussi admis qu’à l’époque où son conjoint avait demandé au RASO de verser ses paiements à ce compte, elle savait que celui-ci avait déclaré à l’ARC que la Loi était inconstitutionnelle et qu’il n’avait pas à payer d’impôt. À mon avis, l’appelante savait aussi que l’ARC tenterait de recouvrer les impôts que devait acquitter son conjoint. Le contre-interrogatoire a donné lieu aux échanges suivants :

[TRADUCTION]

Q. :      Oui, est-ce que vous et votre conjoint avez discuté ou non de la raison pour laquelle l’argent serait déposé dans un compte à votre nom seulement; pour le protéger contre un créancier de Jack Klundert?

R. :      Je ne sais pas.

Q. :      Vous ne savez pas ou vous ne vous souvenez pas?

R. :      Je ne me souviens pas.

Q. :      Est-ce que votre conjoint vous avait dit craindre que l’Agence du revenu du Canada puisse tenter de récupérer son argent en raison de ce qu’il faisait et de la manière dont il déclarait ses impôts?

R. :      Cela est possible.

[31]        Les réponses de l’appelante étaient évasives. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait pris des dispositions pour lier son compte d’épargne au compte de chèques qu’elle détenait conjointement avec son conjoint, elle n’a pas répondu à la question. Cependant, j’ai conclu qu’elle avait autorisé la banque à lier les deux comptes l’un à l’autre. Elle était la seule signataire sur le compte d’épargne et la seule qui avait le pouvoir de lier ce compte au compte de chèques.

[32]        Comme dans l’affaire Livingston, l’appelante avait donné à son conjoint, le débiteur fiscal, accès aux fonds qui étaient déposés sur son compte d’épargne. Cela n’altère pas le fait que les fonds avaient été transférés à son nom.

[33]        À mon avis, chaque fois que le RASO versait des paiements destinés à M. Klundert au compte d’épargne de l’appelante, il y avait un transfert de ces fonds à l’appelante et, en conséquence, l’article 160 de la Loi s’appliquait. Le fait que M. Klundert avait accès à ces fonds par le biais du compte de chèques n’était pas suffisant pour empêcher le déclenchement de l’applicabilité de l’article 160 : arrêt Livingston (précité) au paragraphe 24. J’ai conclu que, pendant la période visée, M. Klundert avait transféré la somme de 959 403,03 $ à l’appelante.

[34]        L’appelante a aussi soutenu qu’elle n’avait pas d’intérêt bénéficiaire relatif aux fonds déposés dans son compte d’épargne; qu’elle ne tirait pas d’avantages de ces fonds; et qu’elle les gardait tout simplement en fiducie pour son conjoint et qu’elle les utilisait conformément à ses instructions.

[35]        Je ne suis pas d’accord avec les arguments de l’appelante. Premièrement, l’appelante avait à la fois un droit en common law et un droit bénéficiaire sur les fonds qui étaient déposés dans son compte d’épargne. Une fois ces fonds déposés dans son compte, elle pouvait en disposer à sa guise. Deuxièmement, pour que l’article 160 s’applique, il n’est pas nécessaire que l’appelante tire un bénéfice : arrêt Livingston (précité), au paragraphe 24. Troisièmement, aucune preuve documentaire ne confirme le témoignage de l’appelante voulant qu’elle ait détenu ces fonds en fiducie pour son conjoint. Quatrièmement, elle n’avait pas fait une promesse juridiquement contraignante de payer des montants uniquement selon les instructions de son conjoint. Sa seule obligation à l’égard de son conjoint était une obligation morale : arrêt Raphael (précité), au paragraphe 10.

[36]        Subsidiairement, l’appelante a soutenu qu’elle versait une contrepartie pour les fonds déposés dans son compte d’épargne. Elle a déclaré que, chaque mois, un montant de 8 000 $ était débité de son compte pour couvrir les frais d’exploitation de la clinique de son conjoint, et un montant de 2 000 $ était débité pour couvrir les frais du ménage. La contrepartie qu’elle procurait correspondait aux montants qu’elle utilisait pour couvrir les frais du ménage; aux montants qu’elle versait à son conjoint pour couvrir les frais d’exploitation de la clinique; et aux services qu’elle fournissait à la clinique de son conjoint.

[37]        En ce qui concerne les paiements servant à couvrir les frais du ménage, l’avocat de l’appelante s’est appuyé sur la décision Ducharme pour affirmer que l’appelante procurait une contrepartie de valeur en échange des fonds qu’elle recevait de son conjoint. Il a soutenu que le fait que l’appelante permettait à M. Klundert d’habiter une maison dont tous les frais étaient acquittés au moyen de fonds provenant du compte d’épargne de l’appelante constituait une partie de cette contrepartie. Ces fonds servaient à couvrir toutes les dépenses du ménage et de la famille.

[38]        Dans l’arrêt Yates c. La Reine, 2009 CAF 50, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction avec la démarche suivie dans l’arrêt Canada c. Ducharme, 2005 CAF 137, statuant que celui-ci a été décidé en fonction des faits qui lui étaient propres : voir l’arrêt Yates aux paragraphes 21 à 23. Selon les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Yates, le fait d’acquitter les dépenses du ménage ne constitue pas une contrepartie aux fins de l’article 160 de la LIR. Au paragraphe 67 de l’arrêt Yates, le juge Blais a déclaré :

Une interprétation basée sur le langage clair du paragraphe 160(1) ne donne pas ouverture à une exception relative au droit de la famille ni à une exception applicable aux dépenses du ménage. Si le législateur avait voulu créer de telles exceptions, il les aurait expressément formulées. Il n’appartient pas à notre Cour d’interpréter la Loi de manière à y intégrer ces exceptions.

[39]        Afin d’étayer ses affirmations voulant qu’elle payait les dépenses d’exploitation de la clinique de son conjoint, l’appelante a soumis des relevés bancaires de son compte de chèques pour les périodes de février à novembre 1996, inclusivement, et de février à décembre 1997, inclusivement. Pour chaque année figure une note manuscrite indiquant les mois de l’année et le montant correspondant à chaque mois. Les totaux de ces montants s’élèvent à 174 590 $ et à 227 971 $ pour 1996 et 1997 respectivement.

[40]        L’appelante n’a pas pu expliquer le calcul de ces montants. Elle a déclaré que ces montants représentaient les dépenses d’exploitation de la clinique et les dépenses du ménage, mais elle n’a pas pu donner le détail de ces totaux. Les notes manuscrites avaient été consignées par son conjoint et il n’a pas témoigné à l’audience de cet appel. Je n’ai pas accordé de poids à ces notes et j’ai tiré une conclusion défavorable du fait que le conjoint de l’appelante ne s’était pas présenté pour offrir son témoignage au présent appel.

[41]        Cependant, il existe des éléments de preuve documentaires confirmant que les fonds du compte d’épargne de l’appelante avaient été utilisés pour payer les dépenses d’exploitation de la clinique de M. Klundert. Les relevés bancaires font état de paiements à Visionware de 1 426,60 $, en 1996, et de 1 611,94 $, en 1997. En outre, trois chèques datés du 4 juillet 1997 représentaient les salaires des employés de son conjoint. Ces chèques totalisaient 575,97 $.

[42]        Il ne fait aucun doute que, lorsqu’elle payait les dépenses d’exploitation de la clinique de son conjoint, l’appelante accordait la préséance à certains créanciers au détriment de l’ARC et, en soi, cela allait à l’encontre du but de l’article 160 de la Loi : arrêt Livingston (précité) au paragraphe 18. En conséquence, je conclus que l’appelante a démontré qu’elle avait versé à son conjoint une contrepartie de 1 426,60 $ en 1996 et de 2 187,91 $ en 1997.

[43]        L’appelante a aussi déclaré qu’il lui était arrivé d’émettre des chèques pour couvrir les salaires des employés de son conjoint au cours de cette période. Elle a précisé que ces chèques faisaient partie de la contrepartie qu’elle versait à son conjoint pour les fonds qui étaient déposés sur son compte d’épargne. Cependant, son témoignage était vague. Elle ne parvenait pas à se rappeler si elle avait fourni ces services pendant toute la période visée. Elle n’a pas attribué de valeur monétaire à ces services. En contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’il était possible que son conjoint l’ait payée pour ces services, mais qu’elle ne se souvenait pas si elle avait reçu un T4 pour le salaire qu’elle avait peut-être touché.

[44]        Je n’ai pas été convaincue que les services, le cas échéant, que l’appelante a pu fournir à la clinique d’optométrie étaient une contrepartie des fonds qui étaient déposés dans son compte d’épargne.

[45]        Pour les motifs cités ci-dessus, l’appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour qu’il la réduise de 3 614,51 $.

[46]        Même si l’appel de l’appelante est accueilli en partie, j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens. Au moment de rendre ma décision, j’ai pris en considération l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), en particulier les alinéas 147(3)a) et b).

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2016.

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mai 2017

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe A

 

[TRADUCTION]

 

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

 

Par l’intermédiaire de leurs procureurs respectifs, les parties admettent les faits suivants, à condition que la présente entente s’applique uniquement au présent appel et qu’elle ne puisse jamais être utilisée à l’encontre de l’une ou l’autre des parties à aucune autre occasion.

 

Par conséquent, par l’intermédiaire de leurs avocat et avocates, les parties conviennent de ce qui suit :

 

1.           L’appelante est mariée à Jack Klundert (le « conjoint ») depuis le 25 juillet 1981;

 

2.           Pendant toute la période pertinente, l’appelante et son conjoint entretenaient un lien de dépendance;

 

3.           Le conjoint est optométriste;

 

4.           Le conjoint facturait le Régime de l’assurance-santé de l’Ontario (RASO) et les paiements de ses services étaient acquittés par le RASO;

 

5.           Entre mars 1990 et le 18 mai 1994, les paiements effectués par le RASO au conjoint étaient versés dans un compte d’épargne à la Banque de Montréal, dont le numéro se terminait par « *64 »;

 

6.           Le 18 mai 1994, le conjoint a demandé au RASO de déposer les paiements pour ses services au compte bancaire de l’appelante, dont le numéro se terminait par « *98 », à la succursale de la rue Howard de la Banque de Montréal, à Windsor, en Ontario (le « compte »);

 

7.           Entre les mois de mai 1994 et de décembre 1997, la juste valeur marchande des biens s’établissait à 959 403,03 $;

 

8.           Au 25 juin 1999, le conjoint devait, et a omis d’acquitter, la somme de 993 730 31 $ en vertu de la Loi, pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995 et 1996.

 

9.           Le 20 mai 2010, après un troisième procès, le conjoint a été reconnu coupable par le juge Patterson de la Cour supérieure de la justice et un jury, d’évasion fiscale en vertu de l’article 239 de la Loi relativement à son omission de déclarer des revenus, dont les montants s’établissaient à 241 625 $, 270 403 $, 434 931 $, 254 520 $ et 272 910 $ respectivement pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997.

 

10.      Le 12 septembre 2011, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté son appel en vue d’obtenir l’annulation de cette condamnation, au regard des années d’imposition 1993 à 1997. L’appel de la sentence interjeté par le conjoint a été accueilli dans la mesure où la sentence d’une année d’emprisonnement a été commuée en sentence conditionnelle d’une année assortie de conditions.

 

11.      Le 5 avril 2012, la requête en autorisation de se pourvoir contre un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario a été rejetée par la Cour suprême du Canada.

 

12.      Le 21 juin 2013, l’appel du conjoint devant la Cour canadienne de l’impôt, dans le dossier 2012-4293(IT)G, pour les années d’imposition 1993 à 1997, a été rejeté.

 

13.      Le 11 juin 2014, l’appel du conjoint à la Cour d’appel fédérale du jugement de la Cour canadienne de l’impôt, dossier numéro 2012-4293(IT)G, référence 2013 CCI 208, daté du 21 juin 2013, a été rejeté.

 

14.      Le 4 décembre 2014, la requête en autorisation du conjoint de se pourvoir à la Cour suprême du Canada à l’encontre du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale, dossier numéro A-237-13, référence 2014 CAF 155, daté du 15 juin 2014, a été rejetée.

 


RÉFÉRENCE :

2016CCI130

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3531(IT)G

INTITULÉ :

ANN KLUNDERT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Victoria (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 février 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Peter Blokmanis

Avocates de l’intimée :

Elizabeth (Lisa) McDonald

Laura Zumpano

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Peter Blokmanis

 

Cabinet :

Blokmanis Legal Defence

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.