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Dossier : 2011-2705(IT)G

ENTRE :

MICHELLE COLEEN CONNOLLY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 22 et 23 septembre 2015, à Halifax, en Nouvelle‑Écosse.

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Michael Scott

Avocate de l’intimée :

Me Dominique Gallant

 

JUGEMENT

          L’appel daté du 22 février 2010 à l’encontre d’une cotisation, dont l’avis porte le numéro 909163, établie par le ministre du Revenu national en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli, avec dépens, et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 2016.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juin 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


Référence : 2016 CCI 139

Date : 20160602

Dossier : 2011-2705(IT)G

ENTRE :

MICHELLE COLEEN CONNOLLY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]             Il s’agit d’un appel daté du 22 février 2010 à l’encontre d’une cotisation, dont l’avis porte le numéro 909163, établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »). Une cotisation de 76 884,17 $ a été établie à l’égard de l’appelante relativement à des chèques qu’elle a reçus de son conjoint de fait, M. Wayne MacVicar, alors qu’il avait une dette fiscale d’au moins 76 884,17 $ relativement à l’année d’imposition 2000. Les chèques en question ont été déposés dans les comptes bancaires de l’appelante entre le 10 février 2003 et le 21 octobre 2003.

[2]             Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits qui se lit comme suit :

Dispositions générales

1.    L’intimée a envoyé à l’appelante un avis de cotisation/nouvelle cotisation daté du 22 février 2010 de 76 884,17 $ (« l’avis de cotisation »).

2.    L’avis de cotisation a été établi en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi de l’impôt sur le revenu ») relativement au transfert d’espèces et de chèques par Wayne MacVicar (« MacVicar ») à l’appelante entre le 10 février 2003 et le 31 octobre 2003 (la « période visée par la nouvelle cotisation »).

3.    L’appelante ne conteste pas le fait que, pendant la période visée par la nouvelle cotisation, elle a effectivement reçu 76 884,17 $ de M. MacVicar.

4.    À tous les moments pertinents pendant la période visée par la nouvelle cotisation, M. MacVicar avait une dette d’au moins 76 884,17 $ en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2000.

5.    M. MacVicar était et est toujours le conjoint de fait de l’appelante.

6.    Au cours de la période pertinente, l’appelante était propriétaire d’une maison située au 46, croissant Sarah, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse (la « maison sur le croissant Sarah ») qu’elle habitait. M. MacVicar y habitait avec l’appelante.

7.    L’appelante était la seule propriétaire en common law de la maison sur le croissant Sarah et elle en était également la seule débitrice hypothécaire.

Livre de paie

8.    Entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2002, des chèques « au porteur » pour un montant totalisant 17 132 $ ont été tirés sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Des copies de ces chèques se trouvent aux pages 1 à 6 inclusivement des onglets 12 et 13 du recueil conjoint de pièces.

9.

a)    Entre le 8 mars 2002 et le 12 septembre 2003, des chèques payables à « Wayne MacVicar » pour un montant totalisant 33 912,05 $ ont été tirés sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Des copies de ces chèques se trouvent aux pages 8, 10 à 23 et 29 de l’onglet 13, ainsi qu’aux pages 4, 5 et 7 de l’onglet 16 du recueil conjoint de pièces.

b)    Le 4 avril 2003, un historique de compte de dépôt personnel pour le compte bancaire ****336 montre un chèque de 2 290 $ tiré sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Une copie de cet historique de compte de dépôt personnel se trouve à la page 7 de l’onglet 13.

c)    Entre le 18 avril 2003 et le 5 septembre 2003, des sorties imprimées montrent des chèques totalisant 13 995 $ tirés sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Des copies de ces sorties imprimées se trouvent aux pages 9 et 24 à 28 de l’onglet 13.

10.  Le total des paiements cités au paragraphe 8 et aux paragraphes 9a) à 9c) inclusivement ci-dessus s’élève à 67 329,05 $.

VISA

11.  Entre le 1er janvier 2002 et le 31 octobre 2003, des chèques payables au compte VISA 4512 1245 1928 1522 totalisant 38 971,61 $ ont été tirés sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Des copies de ces chèques se trouvent sous l’onglet 15.

Camion

12.  Entre le 4 février 1999 et le 8 août 2002, l’appelante était l’unique propriétaire d’un camion GMC Sierra 1996 (le « camion no1 »). Le camion no 1 était financé par la Banque de Montréal au nom de l’appelante. Une copie du document de financement se trouve sous l’onglet 10.

13.  Entre le 1er janvier 2002 et le 8 juillet 2002, les paiements devant être effectués pour l’achat du camion no 1 s’élevaient à 3 150 $.

14.  Entre le 8 août 2002 et le 31 octobre 2003, l’appelante était l’unique propriétaire d’un camion GMC 2000 (le « camion no2 »). Le camion no 2 était financé par la Banque Royale du Canada au nom de l’appelante. Une copie du document de financement se trouve sous l’onglet 10.

15.  Entre le 8 août 2002 et le 31 octobre 2003, les paiements devant être effectués pour l’achat du camion no 2 s’élevaient à 9 058,50 $.

16.  Entre le 1er janvier 2002 et le 31 octobre 2003, l’appelante était titulaire d’une police d’assurance (véhicule à moteur) couvrant sa Honda CR-V et les camions mentionnés ci-dessus. Le montant total des primes mensuelles de la police d’assurance mentionnée ci-dessus s’élevait à 228,90 $. Une copie du relevé de l’assurance se trouve sous l’onglet 10.

17.  Il n’est pas contesté qu’entre le 1er janvier 2002 et octobre 2003, les primes d’assurance totales pour les véhicules de l’appelante s’élevaient à environ 5 035,80 $.

Chèques

18.  Outre les chèques mentionnés ci-dessus, entre le 11 janvier 2002 et le 17 juillet 2002, des chèques à l’ordre de « Wayne MacVicar » totalisant 8 197,58 $ ont été tirés sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Des copies de ces chèques se trouvent aux pages 1 à 3 inclusivement, ainsi qu’aux pages 6 et 8 de l’onglet 16 du recueil conjoint de pièces.

19.  Outre les chèques mentionnés ci-dessus, le 6 février 2003, un retrait au montant total de 3 750 $ a été effectué sur un compte bancaire détenu exclusivement par l’appelante. Une copie du bordereau de retrait se trouve à la page 9 de l’onglet 16 du recueil conjoint de pièces.

[3]             Comme les parties n’ont pas présenté intégralement la portée de l’exposé conjoint des faits mentionnés ci-dessus, je suppose que leur intention était de soumettre un exposé conjoint des faits partiel seulement, afin de permettre d’autres témoignages des témoins.

[4]             L’appelante a témoigné à l’audience. L’appelante est une analyste d’entreprise spécialisée en technologie de l’information pour la province de la Nouvelle-Écosse. L’appelante et M. MacVicar cohabitent depuis 1990. Ils louaient un appartement jusqu’à ce que l’appelante décide d’acheter la maison sur le croissant Sarah en 1994. Le prix d’achat initial était de 92 000 $ et le prêt hypothécaire s’établissait à 62 000 $, remboursable en versements mensuels de 1 000 $. M. MacVicar ne souhaitait pas faire l’acquisition d’une maison, mais il a accepté d’y emménager et de payer 50 % des versements hypothécaires. Selon l’appelante, M. MacVicar avait convenu de payer 500 $ par mois en guise de ce qu’elle a décrit comme un loyer. L’appelante a admis qu’il n’existait pas d’entente écrite confirmant l’obligation pour M. MacVicar de payer 500 $ par mois et qu’elle n’a jamais déclaré ce revenu de location dans ses déclarations de revenus. Elle a déclaré qu’elle consignait les loyers payés sur son ordinateur.

[5]             En 2002 et 2003, M. MacVicar était l’unique propriétaire et exploitant d’une entreprise de peinture dans laquelle l’appelante ne détenait aucune participation. L’entreprise employait quatre ou cinq personnes par année. En outre, M. MacVicar détenait une participation de 40 % dans l’établissement Guzzler’s Dining Room & Lounge Limited (« Guzzler »), sa seconde entreprise.

[6]             Parce qu’il avait fait faillite en 1992 et en 1997, M. MacVicar ne pouvait pas détenir de compte bancaire personnel et, à aucune période importante, l’appelante et M. MacVicar n’avaient détenu de compte bancaire conjoint. Cependant, M. MacVicar avait réussi à obtenir une carte de crédit Visa (« Visa »).

[7]             En raison de ses difficultés financières au cours des années d’imposition 2002 et 2003, M. MacVicar n’avait pas toujours les fonds requis pour couvrir ses dépenses d’affaires et ses dépenses personnelles et pour rembourser sa carte Visa à la date d’échéance. L’appelante et M. MacVicar ont alors conclu une entente en vertu de laquelle elle avancerait les sommes dont il avait besoin pour ses activités commerciales. En contrepartie, il la rembourserait intégralement chaque fois qu’il aurait les fonds nécessaires. L’appelante avançait les fonds à partir de sa marge de crédit à la Banque Royale et de son compte bancaire personnel. Elle utilisait la marge de crédit uniquement pour couvrir les dépenses d’entreprise ou les dépenses personnelles de M. MacVicar.

[8]             En vertu de l’entente : l’appelante a déposé dans son compte bancaire personnel les chèques que M. MacVicar a reçus dans le cadre de ses activités d’entreprise entre le 10 février 2003 et le 31 octobre 2003, puisque ces chèques ne pouvaient pas être déposés dans le compte de sa marge de crédit. Elle a ensuite appliqué une partie des montants déposés dans son compte bancaire pour compenser les sommes que lui devait déjà M. MacVicar et a transféré le solde au compte de sa marge de crédit.

[9]             L’appelante et M. MacVicar n’ont pas gardé de preuves documentaires contemporaines pour appuyer le suivi de la dette de M. MacVicar. L’appelante procédait de manière informelle et, de temps à autre, M. MacVicar lui demandait combien il lui devait.

[10]        L’appelante n’agissait pas comme agent payeur pour le compte de M. MacVicar. Elle signait des chèques au porteur et à l’ordre de M. MacVicar qui les utilisait pour payer les salaires des employés et pour effectuer les versements des retenues à la source et de la taxe sur les produits et services, ainsi que d’autres dépenses d’affaires comme les paiements à Visa. Elle a allégué que sa marge de crédit personnelle ne servait pas à couvrir les dépenses personnelles et les frais de subsistance de M. MacVicar.

[11]        L’appelante a également expliqué que M. MacVicar avait une fois de plus fait faillite en 2004 et qu’elle n’avait rien reçu de sa part à ce moment. Elle ne figurait même pas parmi les créanciers dans la procédure de faillite.

[12]        M. MacVicar a également témoigné à l’audience. Il a confirmé ses faillites en 1992, 1997 et 2004, ainsi que l’acquisition d’une participation dans l’entreprise Guzzler au moyen d’un prêt consenti par l’appelante. Il a également confirmé l’entente concernant la location de l’appartement conclue avec l’appelante avant qu’il n’emménage dans la maison de l’appelante, ainsi que les arrangements financiers pris avec l’appelante pour couvrir les salaires de ses employés et d’autres dépenses d’affaires. Il a déclaré qu’il n’assurait pas le suivi de sa dette envers l’appelante et qu’il utilisait sa carte Visa exclusivement pour les besoins de ses deux entreprises.

[13]        M. MacVicar a affirmé qu’il n’avait pas détenu de permis de conduire pendant six ans, incluant les années 2002 et 2003, et il a expliqué que tous les clients de son entreprise de peinture le payaient par chèques qui étaient déposés dans le compte bancaire personnel de l’appelante. Au cours de 2002 et de 2003, il a déclaré qu’il avait eu d’autres revenus provenant de Guzzler qu’il avait utilisés pour couvrir ses dépenses personnelles et ses frais de subsistance et que Guzzler détenait un compte bancaire sur lequel il avait un pouvoir de signature.

Question en litige

[14]        Dans le présent litige, il s’agit de déterminer la juste valeur marchande de toute contrepartie donnée en échange du transfert de biens par M. MacVicar à l’appelante.

Thèse de l’appelante

[15]        L’appelante soutient qu’en vertu de ses ententes avec M. MacVicar, elle lui a avancé et prêté de l’argent et a engagé des dépenses en son nom à des fins personnelles et commerciales.

[16]        Il ressort clairement de l’intention de l’appelante et de celle de M. MacVicar que de tels avances, prêts ou paiements devaient être considérés comme des prêts exécutoires que M. MacVicar avait l’obligation de rembourser à l’appelante.

[17]        Elle soutient que les transferts de biens dont elle a bénéficié pendant la période étaient des remboursements partiels de l’argent que lui devait M. MacVicar aux termes d’ententes verbales qu’ils avaient conclues et que, pour cette raison, le paragraphe 160(1) de la Loi ne s’applique pas dans la présente instance.

Thèse de l’intimée

[18]        L’intimée soutient qu’il n’y a pas eu de contrepartie pour les montants que l’appelante a reçus pendant la période.

[19]        Subsidiairement, l’intimée soutient que les prêts, le cas échéant, n’étaient pas juridiquement contraignants. Aucune entente écrite n’avait été signée, aucune modalité de remboursement n’avait été établie et ces prêts ne portaient pas d’intérêt.

[20]        Aucun dossier n’a été tenu indiquant l’évolution des prêts et des remboursements. L’appelante s’est fiée essentiellement à une feuille de calcul préparée après la période pertinente. Pour ces raisons, l’intimée soutient que l’appelante n’a pas établi la juste valeur marchande de la contrepartie.

Analyse

[21]        Dans la version applicable à l’année d’imposition 2010, la partie pertinente de l’article 160 de la Loi se lit comme suit :

Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance

     

a)            son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b)            une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)            une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

d)            le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)            le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i)    l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii)   le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

[22]        Pour que le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique, quatre conditions doivent être satisfaites :

a)     L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert;

b)    Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon;

c)     Le bénéficiaire du transfert doit être une personne qui a un lien de dépendance avec l’auteur du transfert, être une personne de moins de 18 ans au moment du transfert ou être une personne qui est depuis devenue le conjoint ou le conjoint de fait de l’auteur du transfert;

d)    La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

[23]        Dans le présent appel, il n’est pas contesté que les trois premières conditions sont satisfaites; il reste donc à déterminer si la juste valeur marchande des biens transférés par M. MacVicar était supérieure à la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par l’appelante.

[24]        Dans de tels cas, il incombe à l’appelante d’établir la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par celle-ci pour les montants déposés dans son compte bancaire aux termes d’une entente juridiquement contraignante.

[25]        L’intimée me réfère à une décision que j’ai rendue dans Pelletier c. Canada, 2009 CCI 541, laquelle, à première vue, peut sembler très semblable à la présente instance. La partie pertinente de la décision se lit comme suit :

[7]  L’appelante a témoigné à l’audience, déclarant qu’il n’existait aucune preuve documentaire des prêts, à l’exception des chèques établis à l’ordre de M. Farrell qu’elle a encaissés. Il n’y a pas eu de contrat de prêt, de billet à ordre, d’enregistrement ni de dossier d’aucune sorte, pas plus que de document précisant les conditions du remboursement. L’appelante a expliqué que les prêts lui avaient été accordés en vertu d’une entente verbale informelle et qu’elle devait les rembourser dès qu’elle le pourrait. Elle a affirmé avoir effectué le paiement final à M. Farrell en 2008.

[8]  Dans une lettre datée du 14 octobre 2007 et adressée à l’ARC, l’appelante a expliqué pourquoi elle avait, le 26 décembre 2005, déposé des chèques établis à l’ordre de M. Farrell sur son propre compte en banque :

En décembre 2005, M. Farrell a perdu son emploi à Ottawa et a déménagé à Montréal. Je lui ai prêté de l’argent. Il m’a donc remboursée en me donnant ses chèques de paie, étant donné qu’il n’avait pas encore ouvert de compte en banque dans la région.

[9]  M. Farrell a également déposé, confirmant qu’il avait bien prêté des sommes d’argent à l’appelante et que celle-ci l’avait intégralement remboursé. Il a ajouté qu’il avait effectué le suivi des sommes d’argent prêtées et remboursées, mais il n’a présenté aucune preuve documentaire en ce sens.

[. . .]

[13]  En ce qui a trait aux questions fiscales, les contribuables doivent presque toujours fournir des preuves documentaires quand la preuve qu’ils ont déposée n’est pas concluante ou vague, quand les témoins ne sont pas crédibles ou quand les informations qu’ils ont fournies sont entachées de contradictions. En l’espèce, il était totalement justifié que l’ARC demande à l’appelante de produire des preuves documentaires relatives au remboursement des prêts étant donné que l’appelante n’a tenu aucun registre et que les informations qu’elle a fournies étaient entachées de contradictions.

[Non souligné dans l’original.]

[26]        Dans la décision Pelletier, précitée, après avoir dressé la liste des irrégularités dans la preuve qui avait été présentée à la Cour, je me suis penché sur la crédibilité de la contribuable :

[16]  Les contradictions dont il est question dans les deux paragraphes précédents portent sérieusement atteinte à la crédibilité de l’appelante. Je ne suis pas convaincu que les trois chèques établis à l’ordre de M. Farrell pour un montant total de 1 155 $ représentaient le remboursement partiel de prêts, et je serais enclin à penser que ces chèques pourraient très bien correspondre à des prêts consentis par l’appelante à M. Farrell. Comme la preuve présentée par l’appelante n’est pas concluante, la cotisation doit être maintenue. L’appelante avait la responsabilité de tenir un registre de ses transactions personnelles.

[27]        À mon avis, il faut s’abstenir de conclure que la preuve documentaire est toujours requise, car il est bien reconnu qu’un contrat verbal peut avoir la même force exécutoire qu’un contrat écrit. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’un contrat verbal, la difficulté réside dans la preuve testimoniale soumise par un témoin – donc sur sa crédibilité.

[28]        Comme l’a déclaré la juge Sheridan dans la décision Pickard c. Canada, 2010 CCI 535 :

[15]  À la lumière des principes énoncés dans les arrêts Livingston, Waugh et Raphael, il incombe en l’espèce à Mme Pickard d’établir la juste valeur marchande de la contrepartie donnée en échange des sommes déposées dans son compte personnel conformément à une entente ayant force obligatoire, d’une part, et la correspondance entre cette valeur et les sommes déclarées à titre de revenu, d’autre part. Ce fardeau est lourd, en particulier dans le cas d’une opération entre personnes ayant un lien de dépendance où l’une des parties à la présumée entente n’a pas témoigné, où il y a absence de preuve documentaire corroborante et où, dans la mesure où il existe des documents, leur exactitude est discutable.

[Non souligné dans l’original.]

[29]        Je mentionnerai toutefois qu’un tel fardeau n’est pas insurmontable.

[30]        Même s’il est préférable que toutes les ententes soient arrêtées par écrit, il n’appartient pas à la présente Cour d’ordonner qu’il en soit ainsi. Comme l’appelante a pu fournir des éléments de preuve crédibles de l’existence d’une telle entente, je crois qu’elle est parvenue à réfuter l’hypothèse du Ministre voulant qu’elle n’ait pas donné de contrepartie en échange des fonds reçus de son conjoint de fait qui étaient déposés dans son compte bancaire.

[31]        L’appelante m’a semblé être un témoin tout à fait crédible qui, malheureusement, entretenait une relation conjugale avec une personne qui avait régulièrement une dette fiscale. Tout au long des années d’imposition 2002 et 2003, afin de surmonter les difficultés financières de M. MacVicar, ils avaient convenu qu’elle lui avancerait les sommes dont il avait besoin pour ses deux entreprises et ses dépenses personnelles. La preuve offerte révèle que, durant ces deux années, l’appelante a effectivement avancé des fonds à M. MacVicar pour ses deux entreprises et ses dépenses personnelles.

[32]        Selon les modalités de l’entente verbale, M. MacVicar avait l’obligation légale de rembourser l’appelante chaque fois qu’il toucherait de l’argent et c’est ce qu’il a fait au cours de cette période.

[33]        J’estime que l’appelante a fourni une contrepartie pour le transfert de biens par son conjoint de fait. Les contreparties revêtaient la forme d’avances et de prêts pour couvrir les salaires des employés de son entreprise de peinture, son loyer et ses différentes dépenses d’affaires et dépenses personnelles.

[34]        À mon avis, il importe peu que les avances et les prêts aient été utilisés à des fins d’affaires ou à des fins personnelles, lorsque vient le moment de déterminer si la contrepartie était ou non adéquate. L’important c’est de déterminer si ladite contrepartie résulte d’une obligation juridique ou d’une obligation morale. Comme je l’ai déjà mentionné, je suis convaincu que ladite entente les liait juridiquement.

[35]        Je ne vois aucune raison pour laquelle l’utilisation des fonds prêtés par l’appelante mettrait en cause la validité du prêt ou sa force exécutoire.

[36]        Lorsque les transferts en question sont effectués en guise de remboursements en vertu d’un contrat et que ce contrat est juridiquement contraignant, ces transferts doivent être considérés comme une contrepartie.

[37]        En outre, le fait que les prêts et les avances ne portaient pas intérêt et que l’appelante n’a pas été identifiée comme une créancière dans les documents de la faillite de 2004 de M. MacVicar ne constituent pas non plus des éléments de preuve concluants quant à la validité et à la force exécutoire des prêts et avances en question. Elle était peut-être bien placée pour déterminer si une demande de remboursement de l’argent prêté se traduirait réellement par un paiement.

[38]        En ce qui concerne l’argent prêté pour couvrir le loyer de M. MacVicar, je ferais une distinction entre la présente instance et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Yates c. Canada, 2009 CAF 50, dans lequel le juge Noël a déclaré :

[42]  Le juge devait décider si Mme Yates avait donné une contrepartie à la juste valeur marchande; or, à mon avis, il ressort clairement de la preuve dont disposait le juge que l’appelante n’a pas donné une telle contrepartie. Le juge a tiré sa conclusion d’après la conception que seules les dépenses de ménage qui peuvent être considérées comme des « dépenses nécessaires au ménage » sont exclues de la portée du paragraphe 160(1). Avec égards, j’estime que ce point de vue est clairement erroné.

[43]  Enfin, l’appelante soutient qu’elle a donné une contrepartie représentant la juste valeur marchande pour les montants qu’elle a reçus de son époux. Je ne vois aucune preuve au dossier qui permette d’étayer cette prétention. Pour être tout à fait clair, je dirai qu’en permettant à son époux de vivre dans la maison familiale, l’appelante n’a pas donné une contrepartie représentant la juste valeur marchande. Il s’agit tout simplement d’une autre tentative de Mme Yates pour profiter de l’exception énoncée au paragraphe 160(4).

[Non souligné dans l’original.]

[39]        Dans l’arrêt Yates, la contribuable a soutenu qu’en contrepartie pour les paiements de son époux, elle avait mis la maison dont elle était propriétaire à sa disposition et lui avait permis de l’utiliser. Elle a expliqué que son époux lui transférait de l’argent en raison de son obligation légale de soutenir sa famille. Elle a allégué que de telles dépenses du ménage, considérées comme des « dépenses nécessaires au ménage » ou des « dépenses essentielles au soutien de la famille » étaient exclues de la portée du paragraphe 160(1) de la Loi. Il a été décidé que le transfert d’un bien matrimonial ne constituait pas une contrepartie pour un transfert de biens en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi.

[40]        Dans la présente instance, l’appelante ne soutient pas que de sa relation découlait une obligation pour elle d’assurer le soutien de M. MacVicar. Elle allègue qu’il existait, avant l’achat de la maison, une entente contraignante entre eux en vertu de laquelle il devait payer 50 % des versements hypothécaires, ce qui équivalait à 500 $ par mois.

[41]        Ces circonstances s’apparentent davantage à l’arrêt Ducharme c. Canada, 2005 CAF 137, dans lequel le juge Rothstein a écrit :

[5] Il est raisonnable de déduire de ces faits que Mme Ducharme a permis à M. Vienneau de disposer et de se servir de sa maison en contrepartie de ses paiements hypothécaires. Les sommes versées par M. Vienneau étaient assimilables à un loyer. Elles étaient nettement inférieures à ce qui semblait être la juste valeur locative de la maison de Mme Ducharme, et on ne peut dire raisonnablement que le « loyer » que payait M. Vienneau en effectuant des paiements mensuels sur l’hypothèque de Mme Ducharme excédait la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par cette dernière à M. Vienneau.

[Non souligné dans l’original.]

[42]        Je suis convaincu, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, que l’appelante a fourni une contrepartie suffisante pour les transferts qu’elle a reçus, car :

a)     entre le 1er janvier 2002 et le 5 septembre 2003, elle a prêté la somme de 67 329,05 $ à M. MacVicar pour lui permettre de rémunérer les employés de son entreprise de peinture;

b)    entre le 1er janvier 2002 et le 31 octobre 2003, elle a déboursé les sommes de 3 150 $ et de 9 058,50 $ respectivement pour l’achat des camions nos 1 et 2, lesquels étaient utilisés uniquement par M. MacVicar pour son entreprise de peinture;

et la totalité de ces sommes (79 537,55 $) dépasse le total des montants qu’elle a reçus de M. MacVicar au cours de cette période (76 884,17 $) pour lesquels elle a fait l’objet d’une cotisation en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi.

Conclusion

[43]        En conséquence, l’appel est accueilli et la cotisation est annulée. Les dépens sont accordés à l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 2016.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juin 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 139

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2011-2705(IT)G

INTITULÉ :

Michelle Coleen Connolly et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 22 et 23 septembre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 2 juin 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Michael Scott

Avocate de l’intimée :

Me Dominique Gallant

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Michael Scott

 

Cabinet :

Patterson Law

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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