Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-2939(IT)G

ENTRE :

SUPERIOR PLUS CORP.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Demande entendue le 30 mai 2016 à Ottawa, Canada.

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Edward Rowe

Me Joanne Vandale

Avocats de l’intimée :

Me Raj Grewal

Me Perry Derksen

Me Kristian DeJong

 

ORDONNANCE

Vu la requête déposée par les avocats de l’appelante en vue d’obtenir une ordonnance en vertu des articles 4, 93, 95, 108 et 110, et du paragraphe 107(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») enjoignant à l’intimée :

(a)  de fournir des réponses meilleures et complètes à chacune des questions soumises à réflexion répertoriées à l’« annexe A » de l’avis de requête (« annexe A ») dans les 15 jours suivant l’ordonnance, et de fournir des réponses complètes à toutes les questions qui en découleront dans les 30 jours suivant la présentation de ces questions complémentaires;

(b) à titre subsidiaire, de demander à un représentant parfaitement informé de participer à un deuxième interrogatoire préalable de l’intimée dans les bureaux de Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. à Calgary (Alberta), conformément à l’article 93 des Règles, et de fournir des réponses à toutes les questions liées à cet examen, y compris des réponses meilleures et complètes à chacune des questions soumises à réflexion répertoriées à l’« annexe A » et aux questions qui en découleront, la date fixée pour cet interrogatoire étant dans un délai de 30 jours à partir de la date de l’ordonnance;

(c)  de payer les dépens afférents à la présente requête sur une base procureur-client, quelle que soit l’issue de la cause;

Et après avoir lu les affidavits déposés et entendu les observations orales présentées par les parties et en leur nom;

Et après avoir lu les observations écrites déposées par les avocats des parties;

Pour les raisons énoncées dans les motifs de l’ordonnance ci-joints, la requête est accueillie sous réserve de certaines conditions et la Cour ordonne ce qui suit :

(a)  L’intimée doit fournir des réponses aux questions désignées dans les motifs d’ordonnance ci-joints comme des questions auxquelles on a indûment refusé de répondre, dans un délai de 90 jours à compter de la présente ordonnance.

(b) Les questions qui découlent des réponses aux questions auxquelles on a indûment refusé de répondre ne peuvent être posées au représentant de l’intimée par l’appelante, sauf avec la permission de la Cour. Une telle permission ne peut être demandée que par requête dans les 60 jours qui suivent la transmission à l’appelante des réponses aux questions auxquelles on a indûment refusé de répondre. Je resterai saisi de cette affaire aux fins d’une telle requête.

(c)  Aucune adjudication des dépens ne sera faite.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de septembre 2016.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de septembre 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 217

Date : 20160929

Dossier : 2013-2939(IT)G

ENTRE :

SUPERIOR PLUS CORP.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Hogan

I. APERÇU

[1]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé l’utilisation de certains attributs fiscaux par l’appelante parce que, entre autres raisons, la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ ») s’appliquait pour empêcher leur utilisation. Ce faisant, le ministre a allégué l’existence d’une politique générale dans la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la « Loi ») contre le transfert de pertes entre parties sans lien de dépendance. L’appelante a formulé un différend au sujet de la question de savoir si le ministre s’est effectivement fondé sur l’existence d’une telle politique dans l’établissement de la cotisation et a demandé la production de certains documents et de réponses à certaines questions portant sur ce qui a été préparé dans le cadre de la vérification de l’appelante ou examiné par les représentants du ministre chargés de cette vérification ou consultés au sujet de l’application de la RGAÉ. Le ministre a refusé de produire ces documents au motif que les opinions individuelles des représentants du ministre et le raisonnement général suivi par le ministre lors de l’établissement de la cotisation n’étaient pas pertinents.

[2]              J’ai accueilli en partie la requête de l’appelante au motif que, à tout le moins, les renseignements demandés pourraient aider l’appelante à établir que le ministre n’avait pas invoqué uniquement la politique alléguée ou n’avait pas conclu que les opérations contestées avaient contrecarré la présente politique[2]. Puisque les points de vue des représentants individuels de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et du ministère des Finances Canada (« le ministère ») qui auraient pu influer sur la décision du ministre d’invoquer la RGAÉ peuvent être pertinents pour cette décision, j’ai ordonné que cette information soit divulguée dans mon ordonnance datée du 22 mai 2015 (l’« ordonnance de 2015 »).

[3]              À la suite du rejet de l’appel de l’ordonnance de 2015[3], l’intimée a produit, à la mi-novembre, des copies non caviardées des documents en cause (les « Documents produits »). Le 10 décembre 2015, conformément à l’ordonnance de 2015, l’intimée a fourni des réponses aux questions dont le refus avait été jugé inapproprié. Le 14 décembre 2015, l’avocat de l’appelante a écrit à l’avocat de l’intimée pour lui faire part de son opinion selon laquelle les réponses fournies étaient des réponses insuffisantes et inadéquates. Dans une réponse datée du 17 décembre 2015, l’avocat de l’intimée a affirmé qu’il était convaincu que les réponses étaient conformes et a suggéré que l’appelante pose des questions complémentaires dans la deuxième partie de l’interrogatoire préalable.

[4]              Les faits portant sur l’impôt sur les distributions (l’« impôt des FIPD ») des fiducies intermédiaires de placement déterminées (« FIPD ») ont été résumés de façon adéquate dans les motifs de 2015. Ils contiennent également une explication des méthodes de conversion à imposition différée selon les modifications de juillet 2008 apportées à la Loi (la méthode d’échange et la méthode de distribution), et du plan d’arrangement entre le Fonds de revenu Superior Plus (le « Fonds ») et Ballard Power Systems Inc. (« Old Ballard »).

[5]              En résumé, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au motif qu’il était incapable d’utiliser les attributs fiscaux favorables qui revenaient auparavant à Old Ballard au motif que, soit :

(a)  les détenteurs d’unité constituaient un groupe de personnes qui avaient acquis le contrôle de l’appelante en vertu du plan d’arrangement, déclenchant ainsi l’application des soi-disant restrictions relatives au transfert (les « restrictions relatives au transfert ») en vertu des paragraphes 111(4), 111(5), 37(6.1) et 127(9.1) de la Loi;

(b) la RGAÉ s’appliquait parce que la conversion avait été structurée de manière à contourner les restrictions relatives au transfert de façon abusive.

[6]              La requête présentée par l’appelante et l’intimée devant la Cour en février 2015, qui a mené à l’ordonnance de 2015, a été causée par des questions découlant de l’interrogatoire préalable mené en septembre 2014 par la représentante de l’intimée, Mme Salimah Jina (l’« interrogatoire préalable de septembre »).

[7]              Comme je l’ai indiqué plus haut, j’ai accueilli en partie la requête de l’appelante, ordonnant à l’intimée de répondre à la grande majorité des questions à l’égard desquelles l’appelante cherchait à obtenir des réponses. J’ai également ordonné la production de la plupart des documents demandés par l’appelante et la comparution de Mme Jina pour répondre à toutes les questions complémentaires légitimes. C’était en partie l’effet de l’ordonnance de 2015.

[8]              Après le rejet de l’appel de l’ordonnance de 2015, l’intimée a cherché à se conformer à cette ordonnance. L’appelante a déposé la présente requête manifestement parce que l’intimée ne s’y est pas conformée.

[9]              L’appelante a interrogé de nouveau Mme Jina en décembre 2015 afin de lui poser les questions qui découlent des questions auxquelles elle a refusé de répondre antérieurement et des documents divulgués. Lors de cet interrogatoire (l’« interrogatoire préalable de décembre »), un certain nombre de questions ont fait l’objet d’une période de réflexion, mais on a ensuite opposé un refus à ces questions dans une réponse écrite. L’appelante est donc revenue devant la Cour pour contraindre Mme Jina à fournir des réponses pertinentes.

II. THÈSES DES PARTIES

[10]         Dans sa requête, l’appelante a d’abord demandé la poursuite de l’interrogatoire préalable de Mme Jina au motif que l’interrogatoire préalable avait été ajourné afin de solliciter les directives de la Cour pour savoir si l’appelante pouvait examiner le raisonnement suivi par le ministre. L’appelante a fait valoir qu’elle avait le droit de poursuivre ses interrogatoires afin d’aborder un nouveau champ d’enquête lors d’un examen plus approfondi de Mme Jina.

[11]         À la suite de l’audience, l’appelante a signifié qu’elle ne demandait plus cette réparation[4].

[12]         Par conséquent, la principale thèse de l’appelante est que les questions qui font actuellement l’objet d’un différend constituent toutes des questions légitimes qui découlent des réponses fournies et des documents produits par la Couronne conformément à l’ordonnance de 2015[5].

[13]         À titre subsidiaire, l’appelante souhaite obtenir l’autorisation, en vertu du paragraphe 93(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), de procéder à un deuxième interrogatoire préalable de Mme Jina.

[14]         L’appelante a également demandé la production des documents décrits au paragraphe 1 de son avis de requête. L’appelante a allégué que la Couronne avait à plusieurs reprises interprété l’ordonnance de 2015 d’une manière trop étroite afin d’entraver la tenue d’un interrogatoire préalable efficace de Mme Jina, de telle sorte que seule la production complète permettrait de mener le processus d’interrogatoire préalable de façon efficace. Cependant, l’appelante a maintenant informé la Cour qu’elle ne cherche plus à obtenir cette réparation[6].

[15]         Enfin, l’appelante demande que les dépens de sa requête soient adjugés sur une base avocat-client. Elle soutient qu’une analyse des facteurs en vertu du paragraphe 147(3) des Règles[7] permet de conclure qu’elle y a droit, même si la Couronne n’a pas commis de comportement inacceptable ou scandaleux.

[16]         Dans ses observations orales et écrites, l’intimée s’est opposée à la requête au motif que les questions contestées ne découlaient pas logiquement et nécessairement des réponses fournies précédemment. Par cela, l’intimée veut dire que certaines questions complémentaires auraient pu être ou ont été posées à Mme Jina lors de l’interrogatoire préalable de septembre. L’intimée soutient donc que les questions en litige ne constituent pas des questions complémentaires légitimes puisqu’elles découlent des renseignements dont l’appelante disposait à l’interrogatoire préalable de septembre ou auxquelles l’appelante a effectivement renoncé à des fins stratégiques lors des procédures qui ont conduit à l’ordonnance de 2015.

[17]         L’intimée soutient également que certaines questions posées et les documents demandés concernent des communications internes du ministère qui ne sont pas pertinentes et qui ne sont pas considérées comme relevant du champ d’application de l’ordonnance de 2015. Je considère que la thèse de l’intimée est que ces questions engendreront de nouveaux champs d’enquête visant à aller au-delà de la portée étroite de l’ordonnance de 2015 et que ces nouvelles enquêtes mèneront à l’obtention de renseignements non pertinents qui n’ont rien à voir avec le raisonnement suivi par le ministre pour établir une cotisation à l’égard de l’appelante.

[18]         L’intimée soutient enfin que certains des documents en question sont protégés en tant que documents confidentiels du cabinet, en s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Babcock[8] concernant les principes pertinents en la matière.

III. ANALYSE

A. Questions complémentaires et principes généraux

[19]         Déterminer la légitimité d’une certaine question complémentaire est nécessaire si l’interrogatoire préalable du représentant est par ailleurs complet. Autrement, la partie interrogatrice serait libre de recourir à de nouveaux champs d’enquête qui n’ont pas été traités lors de l’interrogatoire précédent. Lorsqu’un interrogatoire est terminé, sous réserve des questions complémentaires légitimes, la partie interrogatrice doit se limiter à poser des questions légitimes découlant des réponses fournies après la fin de l’interrogatoire[9]. En l’absence d’une autorisation accordée en vertu du paragraphe 93(1) des Règles, la partie interrogatrice n’est plus en mesure de recourir à un nouveau champ d’enquête, à moins que la question découle des renseignements fournis pour remplir un engagement, corriger ou clarifier une réponse précédente, répondre à une question soumise à réflexion ou répondre à une question pour laquelle une objection a été formulée[10]. Si la question en vertu de laquelle on cherche à ouvrir un nouveau champ d’enquête ne résulte pas de la réponse donnée, ce champ d’enquête n’est pas ouvert à la partie interrogatrice.

[20]         Même si une question découle de la réponse donnée, la Cour doit toujours déterminer si la question est légitime dans les circonstances avant de contraindre le représentant à répondre. La question de savoir si une question est pertinente est une décision discrétionnaire exigeant qu’une question donnée soit pertinente et qu’elle découle de la réponse donnée[11]. Toutefois, ce ne sont pas les seules considérations. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale, « [p]our déterminer quelles sont les questions pertinentes et celles qui ne le sont pas, il convient d’examiner le contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables »[12].

[21]         Un facteur pertinent dans cette détermination est de savoir si la question aurait pu être posée lors de l’interrogatoire précédent[13]. Toutefois, la jurisprudence montre que le fait qu’une question « aurait pu » avoir été posée lors de l’interrogatoire préalable ne la rend pas nécessairement inappropriée[14]. Cela peut être mis en contraste avec la conclusion contraire dans la décision Seabreeze Electric, où les questions complémentaires contestées découlaient des engagements pris par une partie coopérative et auraient pu être posées sans égard aux réponses aux engagements[15].

[22]         En l’espèce, l’appelante a pu poser certaines de ses questions lors de l’interrogatoire préalable de septembre, mais par la suite, elle a tenté de poser ces questions, ou des questions semblables, à l’interrogatoire préalable de décembre à titre de questions complémentaires légitimes. J’ai souligné des exemples dans le contexte des contentieux civils de l’Ontario, où les questions complémentaires qui auraient pu être posées lors de l’interrogatoire initial étaient jugées non « légitimes ». Il y a des cas qui vont dans le sens contraire où des circonstances différentes ont mené à une conclusion différente sur la question de savoir si une question était légitime. Dans chacun de ces cas, les questions litigieuses découlaient logiquement des réponses de la partie interrogée, mais elles auraient pu être posées lors de l’interrogatoire préalable principal, sans qu’il fut nécessaire que le représentant fournisse la réponse par la suite.

[23]         Parmi les cas où la Cour a jugé que de telles questions demeuraient légitimes et avait exigé une réponse, il y avait ceux où le représentant du contribuable avait fourni des renseignements contradictoires et incomplets, de sorte que la Couronne a jugé nécessaire d’exiger qu’un nouveau représentant soit nommé. Dans un tel cas, le juge Woods a déterminé que les questions qui auraient pu être posées lors de l’interrogatoire du premier représentant étaient toujours pertinentes et qu’elles pouvaient être posées au nouveau représentant à titre de questions complémentaires, compte tenu du contexte procédural de l’affaire qu’on ne saurait reprocher à la partie interrogatrice[16].

[24]         Dans la décision Teranet Inc. c. La Reine[17], la juge Miller a fait référence à la décision Blais v Toronto Area Transit Operating Authority dans laquelle sont énoncés les principes suivants qui, selon moi, indiquent les facteurs que je devrais prendre en considération lors de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour obliger ou non l’intimée à répondre aux questions auxquelles elle a refusé de répondre.

        En règle générale, une partie qui donne des engagements ou qui refuse de répondre peut être tenue de se présenter à nouveau pour terminer l’interrogatoire préalable en répondant sous serment et en répondant aux questions complémentaires légitimes. Une partie interrogée ne peut contraindre la partie interrogatrice à retenir des réponses écrites simplement en refusant de répondre à des questions ou en prenant des engagements.

        En revanche, le tribunal ne rendra pas automatiquement une ordonnance visant à procéder à un interrogatoire préalable complémentaire s’il ne sert à rien. Les exemples dans lesquels une ordonnance peut ne pas convenir seraient les cas où une réponse écrite complète a été donnée à une simple question, où la réponse démontre que la question n’était pas légitime et où les parties ont convenu que les réponses écrites suffiront.

        Le tribunal rend généralement une telle ordonnance si elle s’avère nécessaire pour atteindre les objectifs de l’interrogatoire préalable. Des exemples de situations dans lesquelles une ordonnance serait appropriée sont les situations où les réponses apparaissent superficielles ou incomplètes, où elles donnent lieu à des questions complémentaires apparemment légitimes qui n’ont pas été posées, si les documents nouvellement produits nécessitent une explication ou si la transcription de l’interrogatoire préalable complété par les réponses n’est pas compréhensible ou utilisable au procès.

        Même si les réponses semblent nécessiter un suivi, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner des réponses par écrit ou de refuser d’ordonner un examen plus approfondi lorsqu’il apparaît que le coût ou la nature onéreuse de ce qui est proposé l’emporte sur les avantages possibles, ou lorsque, pour toute autre raison, il semble injuste de rendre une telle ordonnance. Ce pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que si l’intérêt de la justice l’exige.

[25]         La Cour conserve donc le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 110 des Règles de déterminer si elle doit obliger la partie à répondre et à se présenter à nouveau pour répondre aux questions complémentaires. Ce faisant, la Cour peut tenir compte des considérations qui précèdent pour déterminer si la question aurait dû être posée lors de l’interrogatoire initial, si le coût ou la nature onéreuse relativement au fait de répondre à la question l’emporte sur la pertinence éventuelle de la réponse ou si, pour toute autre raison, il semble injuste ou contraire aux buts et aux fins du processus de l’interrogatoire préalable d’exiger une réponse[18]. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hryniak[19], « l’application de règles de procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [TRADUCTION] englobe [...] un principe sousjacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du litige ».

[26]         L’intimée a évoqué la décision Muslija[20] du juge Potts de la Cour de l’Ontario (division générale) à l’appui de son affirmation selon laquelle les questions complémentaires de l’appelante sont inappropriées parce qu’elles auraient pu être posées à l’interrogatoire préalable de septembre. Je tiens à souligner que la cause devant le juge Potts concernait une partie requérante qui avait ajourné unilatéralement l’interrogatoire préalable du représentant de l’autre partie pour contraindre celui-ci à fournir une réponse à une question contestée. Cette question a été jugée avoir été dûment refusée, mais la partie requérante a ensuite cherché à poursuivre l’interrogatoire du représentant. Le juge Potts a conclu que l’interrogatoire principal était terminé et qu’il n’y avait aucun motif d’autoriser un second interrogatoire. Cette décision vise donc à déterminer quand l’interrogatoire principal s’est terminé et quand l’autorisation peut être accordée en vertu du paragraphe 93(1) des Règles pour un second interrogatoire préalable. Elle n’appuie pas l’affirmation de l’intimée selon laquelle les questions découlant de ce qui a été fourni à l’appelante en vertu de l’ordonnance de 2015 sont catégoriquement exclues des questions complémentaires légitimes simplement parce qu’elles auraient pu être posées à l’interrogatoire préalable de septembre.

[27]         Les principes découlant de la décision Direct Source Special Products Inc. c. Sony Music Canada Inc.[21] sont également clairs. Dans la décision Direct Source, le demandeur a ajourné unilatéralement l’interrogatoire préalable en vertu de la disposition des Règles des cours fédérales équivalente à l’article 108 des Règles, après moins de deux heures d’interrogatoire. La journée entière avait péremptoirement été consacrée à un interrogatoire obligatoire et le protonotaire devant qui la requête était plaidée a conclu que le représentant des défendeurs avait coopéré avec l’avocat de la demanderesse. Il a conclu que l’interrogatoire préalable avait pris fin après l’ajournement de l’interrogatoire. La juge Heneghan de la Cour fédérale a confirmé la décision pour le motif qu’elle n’était pas « manifestement erronée » dans la mesure où il s’agissait d’une décision discrétionnaire fondée sur une constatation factuelle par un protonotaire responsable de la gestion des instances et, par conséquent, appelait une grande déférence en appel[22]. Cette décision, tout comme la décision Muslija, porte sur la question de savoir si l’appelante peut ouvrir de nouveaux champs d’enquête en interrogeant Mme Jina et non pas de savoir si les questions refusées dont j’ai été saisi constituent des questions complémentaires légitimes.

[28]         Enfin, je soulignerais mes observations générales sur les circonstances procédurales et factuelles qui ont donné lieu à cette requête, dans la mesure où cela est approprié pour l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 110 et du paragraphe 93(1) des Règles et pour l’adjudication des dépens. Je constate que cette requête découle du refus, inapproprié mais de bonne foi, de répondre à certaines questions lors de l’interrogatoire préalable de septembre, fondé sur une position de principe de l’intimée qui était malheureusement incorrecte. Ces circonstances, tout en n’augmentant pas le niveau de gravité constaté dans la décision MIL, distinguent aussi, à mon avis, la présente espèce de celles dans lesquelles la partie interrogatrice cherche « à vérifier une thèse, qui a peutêtre bien été élaborée depuis l’interrogatoire, à l’élaboration de laquelle les réponses ont peutêtre donné lieu »[23].

[29]         Dans mon analyse des observations des parties sur le fond des questions refusées, j’ai été guidé par la nécessité d’établir un équilibre entre la nature de l’appel, la pertinence potentielle de l’information recherchée, l’impact que des réponses complètes et appropriées aux questions posées peuvent avoir sur la durée du processus de l’interrogatoire, les renseignements obtenus à ce jour par l’appelante à l’appui de sa thèse et une foule d’autres considérations similaires qui doivent être prises en compte dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour obliger l’intimée à répondre aux questions.

[30]         Les opérations en cause dans le présent appel ont été entièrement divulguées dans des documents publics, lesquels étaient soumis à un niveau élevé de divulgation en vertu du droit des valeurs mobilières applicable. L’appelante a également reçu un grand nombre de documents de la part de l’intimée. Dans ce contexte, les parties devraient dans une large mesure pouvoir s’entendre sur un grand nombre de faits importants. À mon avis, cela aurait dû faciliter le processus de l’interrogatoire. Malheureusement, tout a été éclipsé par l’incapacité des parties à parvenir à un accord sur ce qui est ou ce qui n’est pas potentiellement pertinent dans l’historique du processus de vérification et de cotisation. En conséquence, les parties semblent avoir adopté une approche plus combative, ce qui, à mon avis, entraînera plus de retards et de coûts pour les deux parties. Les parties semblent être engagées, encore une fois, dans une véritable confrontation. Le déroulement de ces escarmouches procédurières semble avoir empêché un discours plus calme et une coopération utile de s’imposer dans la procédure avant le procès. En tant que juge saisi de la requête, il est de mon devoir de veiller au déroulement plus ordonné du litige, compte tenu du fait que les renseignements demandés dans la présente requête sont, à mon avis, d’une importance très limitée. J’espère que les parties vont maintenant se tourner vers l’élaboration d’un exposé conjoint des faits.

[31]         L’appelante a soulevé un point qu’elle considère comme une caractéristique distinctive du présent appel – selon lequel une modification à la Loi a été apportée, prétendument en s’inspirant de l’opération en cause dans le présent appel comme modèle en vue de refuser les avantages fiscaux dans une optique prospective. L’appelante dit qu’une marge de manœuvre plus large pour explorer le processus d’adoption de cette modification est nécessaire à la lumière de cette circonstance exceptionnelle et de l’invocation de la RGAÉ par le ministre.

[32]         Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il s’agit là d’une circonstance exceptionnelle au point de rendre pertinentes les délibérations internes du ministère lorsqu’il s’agit de savoir si le ministre a présumé l’existence de la politique en cause ou si la politique existe effectivement dans la Loi. Il n’est certainement pas exceptionnel pour le ministère de réagir aux renseignements reçus de la part du ministre sur les stratégies de planification fiscale cernées lors des vérifications. Les raisons pour lesquelles le ministère a décidé de proposer une modification éventuelle aux fins d’examen parlementaire n’établissent pas les hypothèses du ministre en ce qui concerne l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante en vertu de la RGAÉ. Toute incidence que la modification a sur le champ d’enquête à cet égard sera probablement déterminée par des principes énoncés dans la jurisprudence[24].

[33]         L’appelante souligne que les documents divulgués à ce jour montrent qu’il y avait un débat en cours entre les hauts fonctionnaires de l’ARC quant à savoir si la RGAÉ pouvait être invoquée pour refuser l’avantage fiscal reçu par l’appelante. Je déduis que l’appelante souhaite présenter cela à titre de preuve pour démontrer que la politique sous-tendant les dispositions que le ministre a prétendument tenues pour acquises comme ayant fait l’objet d’un abus n’était pas suffisamment claire pour justifier une cotisation en vertu de la RGAÉ. C’est pourquoi le ministère a cherché à modifier la Loi, en partie en se fondant sur les observations du ministre. La détermination de la politique est cependant une question d’interprétation législative pour le juge du procès, qui devra mettre la modification législative dans son contexte approprié, compte tenu des principes énoncés dans la jurisprudence et des conclusions de l’intimée au procès sur l’existence de la politique. Au mieux, je ne vois pas très bien ce que l’appelante peut espérer trouver dans les dossiers du ministère qui l’aiderait à réfuter les points que voudra faire valoir l’intimée à ce sujet.

[34]         Tel que discuté plus en détail dans mon traitement des questions individuelles, je suis cependant d’avis que les observations de l’appelante combinent la prise de conscience par le ministre des délibérations du ministère pour décider de la manière de traiter la question soulevée par la conversion de l’appelante et les délibérations réelles entreprises par le ministère. Il me semble que les communications internes ou les délibérations dans les salles du ministère desquelles le ministre n’était pas au courant ne pouvaient être pertinentes pour le raisonnement du ministre en matière de vérification du contribuable et d’établissement de cotisations à son égard. Elles ne pouvaient pas non plus être pertinentes pour déterminer l’intention du législateur aux fins d’analyse de la RGAÉ au procès.

[35]         Puisque j’ai conclu que l’intimée n’a pas besoin de répondre aux questions qui ne sont pas pertinentes, elles ne pourraient pas servir de fondement à une requête en vertu du paragraphe 93(1) des Règles relativement à l’autorisation d’effectuer un deuxième examen. Dans la mesure où l’appelante pourrait chercher à interroger Mme Jina une deuxième fois sur des questions que j’ai jugé complémentaires, non pertinentes et inadéquates, l’autorisation de le faire est refusée. Les seules questions auxquelles l’intimée doit répondre sont celles qui sont précisées dans la présente ordonnance.

[36]         Les opérations en cause dans le présent appel, quoique difficiles à évaluer pour un profane, ne sont pas si complexes aux yeux de la Cour. Les principes que la Cour doit appliquer pour déterminer la validité d’une cotisation fondée sur la RGAÉ sont devenus bien établis dans les décisions fondamentales des cours supérieures. À mon avis, le présent appel semble prêt à être entendu. Dans ce contexte, il m’est difficile d’imaginer comment l’appelante subira un préjudice si l’intimée n’est pas obligée de répondre aux questions que j’ai identifiées comme ayant été légitimement refusées ou comme ayant reçu une réponse adéquate légitime. À mon avis, ce qui précède justifie également ma décision de ne pas permettre que d’autres questions complémentaires découlant des réponses données en vertu de la présente ordonnance soient posées sans autorisation de la Cour.

[37]         Je passe maintenant à l’examen des questions contestées à la lumière de l’ordonnance de 2015 et dans le contexte de l’interrogatoire préalable de septembre.

B. QUESTIONS RELATIVES À LA CHAÎNE DE COURRIELS ENTRE M. ADAMS ET M. ERNEWEIN

[38]         L’appelante a demandé à Mme Jina de confirmer qu’une chaîne de courriels, reproduite à l’onglet 1 de l’onglet 2.P. du dossier d’appel et présentée à Mme Jina lors de l’interrogatoire préalable de décembre, représente la série complète de courriels entre M. Wayne Adams et M. Brian Ernewein ou d’affirmer qu’il existe d’autres communications entre M. Adams et M. Ernewein en ce qui concerne l’objet de ces courriels[25]. On a également demandé à Mme Jina de vérifier s’il existait un dossier concernant les discussions qui ont eu lieu entre le ministère et la Direction des décisions en impôt de l’ARC (la « Direction ») concernant l’objet en question[26].

[39]         L’appelante a également demandé à Mme Jina de s’informer auprès de M. Ernewein au sujet des documents ou des correspondances qu’il pourrait avoir au sujet de la chaîne de courriels[27]. De plus, l’appelante a demandé à Mme Jina de demander à M. Adams pourquoi il a désigné certaines autres personnes (M. Marc Vanasse, M. Mark Symes et M. Yves Moreno) comme des personnes-ressources concernant les objets de ces courriels[28]. L’appelante a ensuite demandé à Mme Jina de produire tout document de la Direction portant sur ce sujet[29] et de faire un suivi auprès de M. Vanasse, de M. Symes, de M. Moreno et de M. David Palamar pour déterminer s’ils connaissaient des documents portant sur l’objet traité dans les courriels[30].

[40]         Ces questions découlent de la production du courriel daté du 18 décembre 2008 de M. Adams à M. Ernewein, caviardé conformément à l’ordonnance de 2015, et elles y sont logiquement liées. Elles sont pertinentes dans la mesure où elles se rapportent à la même question que le document 4, c’est-à-dire les faits et les circonstances entourant l’acte de procédure concernant la politique. Dans le courriel, M. Adams cite la conversion (à la date prévue) du Fonds en ce qui est maintenant l’appelante, à l’aide d’une société existante, comme exemple des opérations de transfert de pertes comprenant des fonds de revenu qui causaient l’érosion de [TRADUCTION] « milliards de dollars » de l’assiette fiscale.

[41]         L’intimée avait soutenu qu’une copie caviardée du courriel en question avait été obtenue par l’appelante en vertu de la Loi sur l’accès à l’information[31] désignée dans les présents motifs comme un « document visé par la LAI ») et que des parties toujours lisibles de cette copie donnaient suffisamment de renseignements pour permettre à l’appelante de poser ces questions lors de l’interrogatoire préalable de septembre. L’intimée fait remarquer que l’appelante a effectivement posé des questions à Mme Jina lors de l’interrogatoire préalable de septembre qui sont semblables à celles actuellement en litige, mais que l’appelante n’a pas présenté une demande formelle en ce qui concerne ces questions lorsqu’elle a présenté sa requête initiale. L’intimée est d’avis que l’appelante devrait subir les conséquences de sa limitation stratégique des questions et ne devrait pas être autorisée à les relancer sous le couvert de questions complémentaires précédemment refusées.

[42]         L’appelante soutient que le prisme approprié pour examiner le contexte de ces questions est que le courrier électronique produit est essentiellement un document différent du document visé par la LAI en raison du caviardage pertinent qui a été fait dans ce dernier document. Même si je suis d’accord, en principe, pour reconnaître que le caviardage contenu dans un document puisse effectivement en faire un document différent dans la mesure où les renseignements qu’il véhicule sont restreints ou modifiés, les différences entre le courrier électronique produit et la version du document visé par la LAI seraient pertinentes seulement s’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une partie pose les questions en litige après avoir pris connaissance de la version du document visé par la LAI. Comme l’a souligné l’intimée, l’appelante avait posé des questions à l’interrogatoire préalable de septembre qui étaient assez semblables à celles qu’elle cherche maintenant à présenter. À mon avis, cela montre nettement que ces questions ne découlent pas nécessairement du document 4.

[43]         Toutefois, cela ne règle pas la question. L’intimée a démontré dans ses réponses à d’autres questions posées à l’interrogatoire préalable de décembre qu’elle était en mesure de communiquer avec les personnes requises afin de fournir une réponse[32]. L’intimée, en plus de clairement exprimer dans ses observations orales son opinion selon laquelle la cause est prête à être entendue, n’a fourni aucune autre raison pour laquelle toutes ces demandes devaient être refusées. Rien n’indique qu’elles ne sont pas pertinentes, qu’elles sont onéreuses, qu’elles constituent un interrogatoire à l’aveuglette[33] ou qu’elles sont en contradiction avec les principes que j’ai énoncés ci-dessus. Après avoir examiné la chaîne de courriels, je considérerais que l’objet de la chaîne de courriels se caractérise par le texte suivant tiré du courriel de M. Adams du 18 décembre 2008 : [TRADUCTION] « [La notification du ministère] de la perte de revenus résultant du recours à des sociétés non affiliées ayant des comptes d’impôt déductibles pour poursuivre les activités des fiducies de revenu ». Je suis d’avis que l’information relative aux opinions des représentants de l’ARC à ce sujet est pertinente relativement à l’acte de procédure du ministre concernant la politique alléguée.

[44]         Dans les circonstances en l’espèce, je suis disposé à ordonner des réponses aux demandes 107, 108, 110, 111 et 112.

[45]         En revanche, l’intimée s’est opposée aux demandes 113, 114 et 115 invoquant un motif additionnel selon lequel ces demandes ont une portée excessive dans la mesure où elles sollicitent à la fois des renseignements pertinents et non pertinents. Je crois que ces préoccupations ne se posent pas à mon avis sur l’objet de la chaîne de courriels. En outre, j’estime que rien n’empêche l’appelante de demander de documents de réponse parce qu’elle a sollicité des documents pertinents non caviardés puis abandonné sa demande de documents pertinents non caviardés précédemment dans le présent appel. Étant donné que ces demandes peuvent être utiles à ce que l’appelante tente de justifier devant le juge du procès et qu’elles sont par ailleurs légitimes, l’intimée devrait répondre à ces questions.

C. RÔLES DES PARTIES DANS LA CHAÎNE DE COURRIELS DU 5 MARS 2010

[46]         Cette catégorie fait suite à la production du document 20, qualifié comme tel dans les motifs de 2015, qui était un courriel de M. Ted Cook, ancien représentant du ministère, à M. Gérard Lalonde, un de ses collègues du ministère, daté du 5 mars 2010, et qui transférait en pièce jointe une chaîne de courriels dans lesquels les représentants de l’ARC discutaient des [TRADUCTION] « conversions de fiducies » et qui avait été fourni à M. Cook par M. Symes de l’ARC. Même si l’appelante avait une version de ce document avant l’ordonnance de 2015, la partie qui contenait la discussion entre les représentants de l’ARC avait été caviardée.

[47]         L’appelante a demandé à Mme Jina de chercher à se renseigner sur la contribution de chacun des participants dans la chaîne de courriels (M. Palamar, M. Vanasse, M. Moreno, M. Prud’homme et M. Bisson) dans l’objet traité dans cette série[34].

[48]         Il semble évident que la question complémentaire découle de la production du document non caviardé. Bien que la ligne d’objet de la chaîne de courriels entre les représentants de l’ARC n’ait pas été caviardée, le contenu de la discussion n’était pas à la disposition de l’appelante au moment de l’interrogatoire préalable de septembre. L’appelante n’aurait donc pas eu connaissance de la teneur exacte de la chaîne de courriels, mis à part le fait qu’elle pouvait contenir des déclarations que le ministre avait communiquées au ministère relativement à l’introduction de l’alinéa 256 (7)c.1) de la Loi. En l’espèce, je considère qu’il s’agit d’un ensemble approprié de questions complémentaires, peu importe si l’appelante pouvait ou non poser ces questions lors de l’interrogatoire préalable de septembre.

D. DISCUSSIONS AVEC M. PALAMAR

[49]         L’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner auprès de M. Palamar au sujet de documents que lui ou la Direction pourraient avoir concernant des discussions avec le ministère sur la modification de l’alinéa 256(7)c) de la Loi et de produire ces documents ou d’indiquer les circonstances dans lesquelles ces documents ont été détruits ou supprimés, selon le cas[35].

[50]         L’appelante soutient que ces questions constituent également un suivi légitime de la divulgation de la chaîne de courriels non caviardés du 5 mars 2010. Je suis d’accord et je suis d’avis qu’il faudrait répondre à ces questions pour des raisons essentiellement similaires à celles concernant les rôles des différents représentants de l’ARC dont le nom se trouve dans la chaîne de courriels. Tel qu’il a été mentionné précédemment, je n’estime pas que l’appelante ne peut pas demander de documents de réponse parce qu’elle a sollicité des documents pertinents non caviardés plus tôt dans le présent appel.

[51]         Je signale que, dans ses observations, l’intimée a soulevé la possibilité que les documents qui répondent à cette série de questions soient susceptibles d’être considérés comme des renseignements confidentiels du Cabinet. Ma décision ne peut pas être interprétée comme étant déterminante à l’égard de cette question, car aucun certificat en ce sens n’a été présenté en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada[36]. Je m’attends à ce qu’un échéancier convenable pour les deux parties pour l’examen des documents de réponse et les réponses soit déterminé après le prononcé des présents motifs, de façon à prévoir un délai approprié pour que ces certificats soient délivrés au besoin.

E. DISCUSSIONS AVEC M. COOK

[52]         Dans le même ordre d’idées, l’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner auprès de M. Cook s’il avait des documents concernant ses discussions avec la Direction, y compris M. Palamar, concernant la modification de l’alinéa 256(7)c) de manière générale et les commentaires de M. Palamar plus particulièrement[37]. Mme Jina a également été invitée à se renseigner sur les documents existants au sein de la Direction concernant le point soulevé par M. Symes auprès de M. Cook au sujet de la façon dont les modifications constituaient une réponse incomplète au problème de transfert de pertes des FIPD[38] et à se renseigner si ces documents ont été détruits et, dans l’affirmative, comment[39]. Ces questions sont présentées comme un suivi légitime de la divulgation de la chaîne de courriels non caviardés du 5 mars 2010, de même que les vérifications faites à l’égard de M. Palamar.

[53]         Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que ce sont des questions complémentaires appropriées et que je répondrais de la même façon que je l’ai fait pour les demandes 122 à 124. Bien que ces questions laissent supposer que des vérifications devront être faites auprès d’un ancien représentant du ministère, elles sont formulées de façon à capturer des documents relatifs à ses conversations avec la Direction sur un sujet particulier. Dans la mesure où la demande 125 traite de la correspondance entre la Direction et M. Cook ou des documents résumant ces conversations, elle est appropriée. De plus, l’intimée n’a présenté aucun argument alléguant qu’un fardeau disproportionné lui était imposé en l’obligeant à communiquer avec M. Cook pour effectuer ces vérifications. En conséquence, ces demandes sont appropriées. Comme il a été mentionné précédemment, cette décision n’est en aucun cas déterminante quant à la question des renseignements confidentiels du Cabinet, si elle était correctement invoquée.

F. AUTRES DEMANDES RELATIVES AUX PRÉOCCUPATIONS DE LA DIRECTION PORTANT SUR LA MODIFICATION DE L’ALINÉA 256(7)c)

[54]         L’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner auprès de M. Palamar, de M. Vanasse, de M. Moreno, de M. Prud’homme, de M. Bisson et de M. Symes pour savoir si la chaîne de courriels du 5 mars 2010, tel qu’elle a déjà été produite, correspond à la série complète de courriels traitant des préoccupations de la Direction selon lesquelles la modification était une réponse incomplète de la part du ministère[40] et de produire tous les courriels et toute la correspondance portant sur la communication avec le ministère au sujet de l’alinéa 256(7)c) voulant qu’il ne s’agisse pas d’une réponse complète au problème de transfert de pertes des FIPD[41]. On a également demandé à Mme Jina de se renseigner auprès de la Direction au sujet des documents en sa possession portant sur l’alinéa 256(7)c) constituant une réponse incomplète au problème de transfert de pertes des FIPD et de produire lesdits documents[42].

[55]         De plus, l’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner auprès de M. Lalonde, de M. Wach et de M. Isabella pour savoir quels documents ils peuvent avoir concernant l’opinion de la Direction selon laquelle la modification constituait une réponse incomplète au problème de transfert de pertes des FIPD[43].

[56]         Pour des raisons semblables à celles fournies ci-dessus, je constate que la plupart de ces questions sont des questions complémentaires légitimes auxquelles il faut répondre. Cependant, en ce qui concerne la demande 131, j’ai du mal à comprendre comment cette demande, concernant les documents relatifs à la prétendue opinion de la Direction portant sur l’alinéa 256 (7)c.1) que les représentants du ministère avaient en leur possession, est appropriée. Elle produirait l’information qui est déjà entre les mains du ministre (et donc susceptible de faire l’objet de l’interrogatoire préalable pour ce motif) ou qui n’est pas pertinente parce qu’elle constitue de l’information à laquelle le ministre n’a pas accès. Même si j’admets la possibilité que des documents auxquels le ministre avait accès, mais dont il n’existe pas de dossier dans les fichiers du ministre, puissent exister, la demande 131 couvre trop de renseignements non pertinents et répétitifs pour obtenir des renseignements potentiellement pertinents. Cela fait largement référence aux documents [TRADUCTION] « concernant le point de vue de la Direction », ce qui selon moi ratisse trop large. Je considère cela comme inapproprié.

G. DEMANDES DÉCOULANT DU COURRIEL DU 28 NOVEMBRE 2011

[57]         Cette question fait suite à la production du document 21, désigné comme tel dans les motifs de 2015. Ce document comprenait une correspondance interne entre M. Shawn Porter et Mme Annemarie Humenuk, l’une de ses collègues au ministère, datée du 21 décembre 2011, dans laquelle a été transférée une chaîne de courriels en pièce jointe à Mme Humenuk et à d’autres représentants du ministère qui rédigeaient des observations au comité de la RGAÉ sur l’application de la RGAÉ [TRADUCTION] « relativement au transfert de pertes dans le cas des conversions des FIPD ». Même si l’appelante avait une version du document visé par la LAI avant l’ordonnance de 2015, une partie importante de la série, y compris la majorité des ébauches de propositions, avait été caviardée.

[58]         L’appelante a noté dans les ébauches de propositions une déclaration portant qu’une loi n’a d’effet rétroactif que lorsque le législateur se prononce sur ce point, et ce dans des circonstances exceptionnelles et clairement définies[44]. L’appelante a demandé à Mme Jina si elle savait si le ministère avait un document détaillant ces circonstances[45] et elle lui a demandé de produire ce document[46]. Advenant un refus, l’appelante a demandé à Mme Jina de s’informer auprès de Mme Humenuk pour savoir ce qu’elle voulait dire dans ce courriel, pourquoi elle a déclaré que de telles circonstances n’existaient pas dans les circonstances qui ont mené au présent appel, s’il existe un dossier portant sur l’examen de cette question par le ministère (par suite de la demande du comité de la RGAÉ), si un tel dossier peut être fourni à l’appelante et, dans l’éventualité où il n’existe plus, quand il a été détruit et dans quelles circonstances[47].

[59]         L’intimée a refusé de se renseigner en vue d’obtenir des documents internes de la part du ministère qui n’ont pas été divulgués à l’ARC, parce que ces demandes de renseignements porteraient sur des documents non pertinents et que, par conséquent, il ne s’agit pas de questions complémentaires légitimes.

[60]         Je suis porté à être d’accord. Comme l’a souligné l’intimée, ce n’est pas en se référant aux réflexions confidentielles de chaque représentant du ministère que l’intimée essaiera d’établir la politique alléguée dont dépend une cotisation fondée sur la RGAÉ. Ces documents ne permettront pas non plus à l’appelante de chercher à réfuter l’existence d’une telle politique. En résumé, ils ne seront pas pertinents pour la demande de renseignements entreprise par le juge du procès éventuel en l’espèce.

[61]         Les documents internes du ministère qui ne servent ni à préciser la recherche d’intention du législateur dans l’analyse délibérée de la RGAÉ ni à établir l’état d’esprit du ministre dans l’application de la RGAÉ ne sont pas pertinents pour la question en litige. Ces demandes ont été dûment refusées.

H. MODIFICATIONS DE MME ROACH

[62]         Dans la même chaîne de courriels que celle mentionnée dans la catégorie précédente, Mme Davine Roach fait référence aux modifications qu’elle a apportées aux ébauches de propositions au comité de la RGAÉ. Cela figure dans son courriel adressé à Mme Humenuk en date du 6 décembre 2011. L’appelante a demandé à Mme Jina d’obtenir la copie d’un document précisant ces changements[48]. La Couronne a rejeté cette demande, affirmant que la demande concernerait une communication interne du ministère puisque les détails des modifications de Mme Roach n’ont pas été communiqués à l’ARC. L’appelante souligne son opinion selon laquelle le refus général de divulguer les communications internes du ministère va à l’encontre de l’esprit de l’ordonnance de 2015.

[63]         Pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées plus haut, je ne vois pas comment ces changements auraient un semblant de pertinence pour l’enquête mandatée par le présent appel. La demande a été dûment refusée.

I. DOCUMENTS DU COMITÉ DE LA RGAÉ

[64]         L’appelante a demandé à Mme Jina de demander au ministère quels documents existent concernant l’enquête du comité de la RGAÉ, de produire ces documents ou d’indiquer si des documents confidentiels ont été détruits (ainsi que le moment où ils ont été détruits et les circonstances dans lesquelles ils ont été détruits)[49].

[65]         L’intimée est d’avis que les documents du ministère préparés à l’interne, même s’ils sont préparés pour élaborer des propositions du ministère au comité de la RGAÉ, ne sont pas pertinents. Je suis porté à être d’accord. Il n’est pas question ici des propositions du représentant du ministère au sein du comité de la RGAÉ auprès des collègues de l’ARC ou des communications concernant autrement les parties qui sont venues à la conclusion que la RGAÉ devrait s’appliquer à l’appelante. Cette demande de renseignements permettrait de produire des documents qui ne seraient pertinents ni aux fins de réfutation en ce qui concerne la question de savoir si le ministre a effectivement tenu pour acquis la prétendue politique ni aux fins d’évaluation de l’intention du législateur qui sera entreprise par le juge du procès. Ces questions ont été dûment rejetées.

J. COURRIEL DE MME HUMENUK DU 7 DÉCEMBRE 2011

[66]         L’appelante a attiré l’attention de Mme Jina sur une partie d’un courriel faisant partie de la chaîne de courriels (document 21) où Mme Humenuk a déclaré qu’après avoir pris connaissance de certains dossiers, elle a conclu que l’alinéa 256(7)c.1) ne visait pas à exclure l’application de la RGAÉ aux opérations antérieures au 5 mars 2010 et dans laquelle elle a également fait référence à une discussion qu’elle avait eue avec deux autres personnes. L’appelante a alors demandé à Mme Jina de déterminer à quels dossiers Mme Humenuk a fait référence et de les produire[50], mais aussi de déterminer la nature de la discussion et de produire cette discussion[51].

[67]         L’intimée soutient que cette demande est inappropriée pour les mêmes raisons que celles qui ont été invoquées pour contester les autres demandes de communications internes du ministère. Pour des raisons sensiblement similaires à celles qui ont permis de résoudre ces objections, ces demandes de renseignements sont inappropriées.

K. DOCUMENT INTERNE DU MINISTÈRE

[68]         L’appelante a posé des questions à Mme Jina au sujet du document interne du ministère dont le sujet est [TRADUCTION] « Renvoi relatif au comité de la RGAÉ (le 1er novembre 2011, par suite de la réunion du 19 avril 2011) ». Plus précisément, on lui a posé les questions suivantes :

a.      Qui est son auteur?

b.     Quand a-t-il été créé?

c.     Dans quel but a-t-il été créé?

d.     Dans quel dossier a-t-il été trouvé (et quels autres documents sont dans ce dossier)?

e.      À qui a-t-il été communiqué[52]?

f.       Qui sont « les membres » qualifiés d’« intéressés »[53]?

g.     Quelle information l’auteur avait-il quand il a écrit au point 5 de ce document[54]?

h.     Quelles personnes ont exprimé les préoccupations qualifiées de [TRADUCTION] « préoccupations de l’ARC » au point 5 du présent document, et de quelle division proviennent-elles[55]?

i.        En ce qui concerne la déclaration du point 5, qui semble pessimiste quant à l’application réussie de la RGAÉ en l’espèce, on lui a demandé de fournir :

                                                              i.      des détails du fondement de cette déclaration;

                                                            ii.      la source de cette déclaration;

                                                          iii.      ce qui a été invoqué lors de cette déclaration;

                                                         iv.      ce qui a éclairé cette déclaration, etc.[56]

j.        En ce qui concerne une déclaration dans le document en question selon laquelle [TRADUCTION] « nous ne proposons pas de nous opposer à l’ARC » dans sa thèse contre l’invocation de la RGAÉ, à qui au sein de l’ARC[57] fait-on référence?.

[69]         L’intimée a rejeté ces questions et ces demandes au motif que les questions sur l’applicabilité de l’alinéa 256(7)c) ne sont pas pertinentes, puisque cet alinéa n’a pas été appliqué. Elle soutient également qu’il est [TRADUCTION] « évident » que l’alinéa en question [TRADUCTION] « ne s’applique qu’aux sociétés ». La Couronne a fait une mise en garde à l’égard de ses réponses au sujet du document : elle ne fera pas d’autres démarches pour obtenir les communications internes du ministère si ces documents n’ont pas été préparés dans le contexte de la vérification de l’appelante ou n’ont pas été pris en compte par les vérificateurs. L’intimée a déclaré que Mme Humenuk est probablement l’auteure du document en question. L’intimée a également noté que le document [TRADUCTION] « aurait été préparé environ une semaine avant la réunion du comité de la RGAÉ, possiblement à la fin d’octobre 2011. [Mme Humenuk] ne se souvient pas à qui il a été communiqué, mais il est probable que ce fût à des responsables de la Direction de la politique de l’impôt au [...] ministère ». L’intimée affirme que le document n’a jamais été communiqué à l’ARC. En ce qui concerne [TRADUCTION] « certains membres » qui avaient des préoccupations quant au document, l’intimée affirme après une enquête plus approfondie, qu’il s’agissait en réalité d’un seul membre, M. Dan Rivet. La Couronne affirme en outre qu’elle a produit toute la correspondance du ministère adressée au comité de la RGAÉ.

[70]         Dans la mesure où le différend entre les parties porte sur un désaccord relatif à la question de savoir si l’intimée a fourni des renseignements suffisants pour répondre aux questions de l’appelante au sujet de ce document, je suis d’avis que c’est le cas. En outre, les demandes de nouveaux documents dans le même dossier que celui-ci concerneraient des documents internes du ministère qui ne sont pas pertinents pour l’appel.

L. THÈSE DE LA DIVISION DE LA PLANIFICATION FISCALE ABUSIVE LORS DE LA RÉUNION DU COMITÉ DE LA RGAÉ

[71]         On a demandé à Mme Jina si l’intimée était d’accord avec l’appelante pour dire qu’une série précise de courriels, figurant dans le document 22 des pièces produites par suite de l’ordonnance de 2015, confirme qu’à la réunion du comité de la RGAÉ, la Division de la planification fiscale abusive était d’avis que la RGAÉ ne devrait pas être invoquée dans le présent appel[58].

[72]         L’intimée déclare qu’elle n’est pas d’accord, étant donné que la chaîne de courriels est datée d’avant la réunion du comité de la RGAÉ. L’appelante cherche à obtenir une réponse au motif que la réponse est incomplète puisque les courriels font clairement référence à la prochaine réunion du comité de la RGAÉ et à la thèse de la Division de la planification fiscale abusive à ce sujet.

[73]         L’appelante est d’avis que la réponse de l’intimée est trop technique. Il me semble toutefois que l’intimée a répondu pleinement à la question posée au sujet de la thèse de l’intimée.

M. THÈSE DU MINISTÈRE SUR LA RÉTROACTIVITÉ DE LA MODIFICATION

[74]         L’appelante a demandé à Mme Jina si l’intimée savait que le ministère envisageait d’apporter une modification rétroactive et si l’intimée n’en savait rien, de se renseigner afin de connaître la réponse et de demander au ministère s’il avait envisagé une telle démarche[59].

[75]         L’intimée rejette la question au motif que ce n’est pas un suivi approprié et que la question aurait pu être posée lors de l’interrogatoire préalable de septembre. À titre subsidiaire, l’intimée soutient que les communications internes ou les analyses internes du ministère, qui n’ont pas été soulevées lors de la vérification et qui n’ont pas été examinées par les représentants qui ont participé à la vérification, ne sont pas pertinentes. En outre, toute réponse pleinement appropriée nécessiterait des renseignements qui sont très probablement considérés comme des renseignements confidentiels du Cabinet.

[76]         Bien que l’appelante établisse des parallèles entre ces questions et les questions posées à Mme Jina lors de l’interrogatoire préalable de septembre, il est clair qu’elles ont une portée plus large. La question 4 traitée dans l’ordonnance de 2015 se lit comme suit : [TRADUCTION] « En ce qui concerne la date à laquelle le ministère des Finances a proposé la modification de 2010, avezvous des faits, des renseignements ou des connaissances quant à la question de savoir si le ministère des Finances a envisagé de donner un effet rétroactif à cette modification? » Cette question porte sur les connaissances de l’ARC des délibérations du ministère portant sur la rétroactivité de la modification.

[77]         En revanche, les questions de l’appelante en l’espèce, visent à demander à Mme Jina de se renseigner auprès du ministère pour savoir si cette rétroactivité a bien été prise en compte. Elle est appelée à répondre à la fois au nom de l’ARC et du ministère, et à examiner les documents internes du ministère pour établir les faits.

[78]         Cela dépasserait évidemment le cadre de la question de savoir si le ministre croyait vraiment à l’existence de la politique supposée, puisqu’il ne se limite pas aux communications faites à l’ARC par le ministère. Il s’agit d’identifier les délibérations internes du ministère des Finances sur la rétroactivité et de savoir si le ministère pense qu’une telle politique sous-tend la Loi.

[79]         Le problème est que, comme l’indique l’intimée, les opinions du ministère sur la question ne sont pas pertinentes pour déterminer si une telle politique existe réellement. L’existence de la prétendue politique est une question de droit, l’intimée ayant le fardeau de cerner clairement la politique sous-jacente à la législation pertinente qui serait contournée[60]. C’est en se référant à l’intention du législateur, et non à l’intention d’un représentant du ministère, que l’analyse de la RGAÉ est faite. Les représentants du ministère estiment qu’une telle politique n’a pas d’incidence sur l’objet, sur l’esprit ou sur le but des dispositions pertinentes édictées par le législateur.

[80]         Par conséquent, je ne peux pas conclure que ces questions, dans la mesure où elles ne se limitent pas à la connaissance de l’ARC, sont bien adaptées. Elles visent à solliciter des renseignements non pertinents et dont la portée est trop large, contrairement à la question 4 de l’ordonnance de 2015.

N. UTILISATION DU MOT « PRÉCISER » DANS LES NOTES TECHNIQUES

[81]         L’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner auprès du ministère pour savoir pourquoi il a choisi de remplacer le mot « étendre » dans les notes techniques accompagnant l’adoption de l’alinéa 256(7)c.1) par « préciser »[61]. L’appelante a ensuite demandé à Mme Jina de se renseigner auprès des personnes susmentionnées, au sein du ministère et de l’ARC, si la raison du changement de terminologie était une conversation entre le ministère et l’ARC qui mettait en évidence la possibilité que le juge du procès ne retienne pas l’argument de la Couronne au sujet de la RGAÉ[62].

[82]         Plus tard, lors de l’interrogatoire préalable de décembre, l’appelante a demandé à Mme Jina de se renseigner sur le rôle des membres du ministère dans le comité de la RGAE et sur le rôle de M. Wach dans cette affaire[63]. Elle lui a également demandé de s’informer auprès de M. Wach pour savoir s’il a des faits, des renseignements ou des connaissances sur la raison pour laquelle le libellé des notes techniques avait été modifié ou s’il avait joué un autre rôle dans le changement[64].

[83]         Les demandes 197, 198 et 211 à 213 visent toutes à obtenir des renseignements découlant des communications et des délibérations internes du ministère. On a répondu à la demande 198 dans la mesure où elle a trait à des renseignements dont l’ARC a connaissance. Toute autre réponse présenterait des renseignements non pertinents et la question a donc été dûment rejetée.

[84]         Toutefois, les demandes 208 et 210 sont dans le suivi approprié des observations de l’appelante et il faut y répondre. La demande 208 découle des réponses aux questions posées et prises en délibéré lors de l’interrogatoire préalable de septembre. Ces questions portaient sur la question de savoir si certains représentants du ministère étaient des membres permanents du comité de la RGAÉ ou s’ils avaient été spécialement invités à la réunion du 6 mars 2012. Dans les réponses aux engagements, l’intimée a informé l’appelante que ces représentants du ministère n’étaient pas des membres permanents et que le directeur de la Division de la législation de l’impôt du ministère choisirait les membres du ministère qui assisteraient aux réunions du comité de la RGAÉ. Si l’on se fie à ces réponses, il semblerait que M. Lalonde, directeur de la Division de la législation de l’impôt, aurait reçu l’ordre du jour de toute réunion du comité de la RGAÉ et les documents connexes afin de pouvoir sélectionner les représentants du ministère devant assister à la réunion.

[85]         La demande 208 n’est pas une question légitime qui découle des réponses aux engagements pris par Mme Jina. Comme l’a souligné l’appelante elle-même, le principal différend dans la requête préalable visant à obtenir des réponses était de savoir si l’appelante avait le droit d’examiner le raisonnement suivi par le ministre. Bien que j’aie autorisé d’autres questions dans la présente requête parce que les réponses à ces questions auraient également été refusées par l’intimée étant donné sa thèse dans la requête précédente visant à obtenir des réponses, je ne vois pas comment demander des renseignements au sujet du rôle des représentants du ministère au sein du comité de la RGAÉ découle logiquement des questions qui ont fait l’objet de l’ordonnance de 2015. Une telle demande de renseignements ne résulte pas logiquement des réponses aux questions ou des documents produits à la suite de l’ordonnance de 2015. La présence de représentants du ministère au sein du comité de la RGAÉ était connue de l’appelante lors de l’interrogatoire préalable de septembre. La demande a donc été dûment refusée parce qu’elle ne constituait pas une question légitime qui découle des réponses.

[86]         Cependant, je peux conclure que la demande 210 est un suivi approprié dans ces circonstances. Bien que la participation de M. Wach dans la chaîne de courriels dans le document 20 des documents révélés par l’ordonnance de 2015 soit évidente, l’importance de la chaîne de courriels pour la cause de l’appelante n’était pas facilement perceptible pour l’appelante en raison des caviardages substantiels apportés à la copie du document visé par la LAI. Même si l’appelante avait pu présenter la demande 210 lors de l’interrogatoire préalable de septembre, la divulgation du contenu de la chaîne de courriels aurait également pu modifier la mesure dans laquelle l’appelante était intéressée par la réponse. En effet, l’appelante n’a pas hésité à poser des questions à Mme Jina lors de l’interrogatoire préalable de septembre. Le fait qu’elle cherche maintenant à poser cette question, qui découle logiquement du document 20, qui est dûment divulgué, laisse entendre que c’est le contenu précédemment caviardé de la chaîne de courriels qui a ouvert les yeux de l’avocat de l’appelante sur la pertinence de cette question que l’appelante cherche à soumettre au juge du procès. Il convient donc de répondre à la demande.

IV. DÉPENS

[87]         Bien que les deux parties aient demandé l’adjudication de leurs dépens dans la présente requête, le succès nuancé de chacune des parties et mes observations antérieures sur le contexte procédural et factuel ayant donné lieu à la présente requête m’ont permis de conclure que chacune des parties devrait payer ses propres dépens.

[88]         Par conséquent, la requête en vue d’obtenir une ordonnance de répondre à des questions en ce qui concerne les questions ayant indûment fait l’objet de refus, soit les demandes 107, 108, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 117, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130 et 210, est accueillie.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de septembre 2016.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de septembre 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 217

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2939(IT)G

INTITULÉ :

SUPERIOR PLUS CORP. c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Canada

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mai 2016

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 29 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji, Me Edward Rowe, Me Joanne Vandale

Avocats de l’intimée :

Me Raj Grewal, Me Perry Derksen, Me Kristian DeJong

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Al Meghji, Me Edward Rowe, Me Joanne Vandale

 

Cabinet :

[BLANK/EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]               Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) :

[2]               Voir le paragraphe 32 des motifs de l’ordonnance de 2015 dans la décision Superior Plus Corp. c. La Reine, 2015 CCI 132 (« les motifs de 2015 »).

[3]               Les motifs de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire se trouvent à la référence 2015 CAF 241.

[4]               Voir la lettre datée du 9 juin 2016 de l’avocat de l’appelante adressée au greffier de la Cour canadienne de l’impôt.

[5]               L’appelante a cherché à obtenir des réponses à un plus grand nombre de questions et de demandes dans la première version de la présente requête. À titre indicatif, l’appelante ne cherche plus à obtenir des réponses aux demandes 109, 116, 118, 132, 139, 140, 141, 155, 159, 162 et 165. La demande 116 a été retirée en réponse à l’affirmation de l’avocat de l’intimée selon laquelle les renseignements demandés concerneraient un contribuable différent et une question différente, alors que la demande 118 a été retirée après que l’intimée a bien voulu fournir une réponse complète. Il reste les demandes 107, 108, 110 à 115, 117, 122 à 131, 146 à 152, 154, 156 à 158, 160, 161, 164, 167, 169 à 171, 182, 191, 192, 194, 197, 198 , 208 et 210 à 213 en litige dans la présente requête.

[6]               Voir la lettre, précitée, à la note de bas de page 4.

[7]               DORS/90-688a.

[8]               Arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, au paragraphe 18, [2002] 3 RCS 3.

[9]               C’est le cas, même si l’interrogatoire n’est pas techniquement terminé. Voir la décision Mercer c Cronin, 2014 NBBR 207; confirmée en appel, 2015 NBCA 13.

[10]             Décision MIL (Investments) S. A. c. La Reine, 2006 CCI 208, au paragraphe 17 (MIL), citant les motifs du juge Sharlow dans l’arrêt SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, 2002 CAF 229, [2002] 4 C.T.C. 93. La discussion pertinente dans ce dernier arrêt se trouve aux paragraphes 35 à 37.

[11]             Décision Stanfield c. La Reine, 2007 CCI 480, au paragraphe 53. Voir aussi l’arrêt Ontario v. Rothmans Inc., 2011 ONSC 2504, au paragraphe 98, 5 C.P.C. (7th) 112 – autorisation d’interjeter appel refusée, 2011 ONSC 3685 (Cour div.).

[12]             Arrêt Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Company, 2007 CAF 379, au paragraphe 35.

[13]             Pour des exemples dans le contexte du contentieux civil en Ontario, voir la décision Hollycorp Investments Ltd. v Genna Foods Ltd. (2001), 105 A.C.W.S. (3d) 1032 ( C.S.J. de l’Ont.); la décision Seabreeze Electric Corp. v Young Estate (2005), 142 A.C.W.S. (3d) 50 ( C.S.J. de l’Ont.).

[14]             Décision MIL, précitée, aux paragraphes 9, 13, 14, 18.

[15]             Voir la décision Seabreeze Electric, précitée, aux paragraphes 27 à 32.

[16]             Voir la décision MIL, précitée, aux paragraphes 13 à 19. Dans d’autres instances, les réponses données lors de l’interrogatoire principal étaient si vagues qu’elles ne permettaient pas la formulation de questions complémentaires détaillées (voir la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, 2007 CF 236). Il y a également des instances où certaines questions avaient déjà été posées lors de l’interrogatoire principal par une partie et un tiers cherchait à obtenir des réponses à un stade ultérieur de la procédure sans que la légitimité des questions posées n’ait été déterminée (voir la décision Zündel c. Canada (Procureur général) et autres, [1998] A.C.F. no 1365 (QL), (1998), 157 F.T.R. 59, 82 A.C.W.S. (3d) 867 (C.F., 1re inst.)).

[17]             Décision Teranet Inc. c. La Reine, 2016 CCI 42, au paragraphe 43, citant la décision Blais v Toronto Area Transit Operating Authority, 2011 ONSC 1880, aux paragraphes 61 à 63. Le paragraphe 63 de la décision Blais reproduit à son tour ces principes tirés du paragraphe 7 de la décision Senechal v Muskoka (Municipality) (2005), 138 ACWS (3d) 639 (C.S.J. de l’Ont.).

[18]             Bon nombre de ces considérations ont été examinées dans les motifs de 2015, dans lesquels ces principes ont été reproduits à partir de la décision HSBC Bank Canada v The Queen, 2010 TCC 228. Récemment, la Cour d’appel fédérale a reproduit l’extrait en question dans l’arrêt Cherevaty c. Canada, soulignant qu’il s’agissait d’un résumé des principes appliqués jusqu’en 2010 par la Cour canadienne de l’impôt en ce qui concerne les interrogatoires préalables. Voir 2016 CAF 71, au paragraphe 18. Je note la réaffirmation de ces principes dans la décision Banque canadienne impériale de commerce c. La Reine, 2015 CCI 280. Je note également les principes, mentionnés ci-dessus, contenus dans l’arrêt Senechal.

[19]             Voir l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87, au paragraphe 31, (renvois omis).

[20]             Muslija v. Pilot Insurance Co. (1991), 3 O.R. (3d) 378, 50 C.P.C. (2d) 179 (Cour de l’Ont., Div. gén.).

[21]             2003 CF 1227.

[22]             Ibid., aux paragraphes 20 à 22.

[23]             Décision Labow c. La Reine, 2008 CCI 511, aux paragraphes 11 à 12.

[24]             Voir, entre autres, les paragraphes 54 à 57 de la décision Gwartz c. La Reine, 2013 CCI 86, pour obtenir une déclaration de ces principes.

[25]             Voir les demandes 107 et 108, « annexe A » de l’avis de requête de l’appelante. Ces courriels ont été appelés document 4 dans les motifs de 2015.

[26]             Voir la demande 112.

[27]             Voir la demande 110.

[28]             Voir la demande 111.

[29]             Voir la demande 113.

[30]             Voir les demandes 114 et 115.

[31]             L.R.C. 1985, ch. A-1.

[32]             Même ceux qui ont pris leur retraite de l’ARC – voir la réponse de l’intimée à la demande 134, tel qu’elle est résumée à l’annexe A des observations écrites de l’intimée.

[33]             La demande 109, dans laquelle on demandait où se trouvait la chaîne de courriels et si elle était dans un dossier électronique ou papier, a été retirée par l’avocat de l’appelante dans la lettre susmentionnée adressée au greffier après l’audience. L’intimée s’y était opposée en affirmant qu’il s’agissait d’un interrogatoire à l’aveuglette.

[34]             Voir la demande 117.

[35]             Voir les demandes 122, 123 et 124.

[36]             Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

[37]             Demande 125.

[38]             Demande 126.

[39]             Demande 127.

[40]             Demande 128.

[41]             Demande 129.

[42]             Demande 130.

[43]             Demande 131.

[44]             La déclaration en question a été conservée dans l’ébauche et faisait partie des propositions faites à M. Phil Jolie du comité de la RGAÉ le 21 décembre 2011.

[45]             Demande 146.

[46]             Demande 147.

[47]             Demande 148 à 152.

[48]             Demande 154.

[49]             Voir les demandes 156 à 158.

[50]             Demande 160.

[51]             Demande 161.

[52]             Demande 164.

[53]             Demande 167.

[54]             Cet élément semble caractériser l’inquiétude de l’ARC quant à l’application de la RGAÉ en l’espèce comme quelque chose de semblable à la thèse de l’appelante.

[55]             Demande 169.

[56]             Demande 170.

[57]             Demande 171.

[58]             Voir la demande 182.

[59]             Voir les demandes 191, 192 et 194.

[60]             Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, aux paragraphes 64 et 65, [2005] 2 RCS 601.

[61]             Voir la demande 197. Une question semblable a été posée au titre de la demande 213, bien qu’elle ait été formulée en tant que demande d’engagement pour déterminer pourquoi le mot « étendre » apparaît dans la première série de notes techniques tandis que le terme « préciser » apparaît dans la deuxième série.

[62]             Demande 198.

[63]             Demandes 208 et 210.

[64]             Demandes 211 et 212.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.