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Dossier : 2014-517(IT)G

ENTRE :

PIERRE POMERLEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 6 juin 2016, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me Angelo Nikolakakis

Me Louis Tassé

 

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, datée du 19 mai 2011, à l’égard de l’année d’imposition 2005 de l’appelant est rejeté avec dépens conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2016.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


Référence : 2016 CCI 228

Date : 20161110

Dossier : 2014-517(IT)G

ENTRE :

PIERRE POMERLEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]             Il s’agit ici d’un appel à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »), datée du 19 mai 2011 à l’égard de l’année d’imposition 2005 de l’appelant.

[2]             En vertu de cette nouvelle cotisation, le ministre a requalifié, en vertu du paragraphe 245(5) de la Loi, les conséquences fiscales découlant du rachat par Gestion Pierre Pomerleau Inc. des 1 993 812 actions de catégorie C détenues par l’appelant. Par conséquent, l’appelant est réputé avoir reçu un dividende de 994 628 $ (dividende imposable de 1 243 285 $) par l’application de l’article 245 de la Loi qui est connu comme étant la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ »). Le solde de cette nouvelle cotisation s’élève à 229 114,75 $, soit 162 643,10 $ en impôts payables et 66 471,65 $ en intérêts sur les arriérés.

[3]             À l’ouverture de l’audience, les avocats de l’appelant ont admis que le rachat des 1 993 812 actions de catégorie C par Gestion Pierre Pomerleau Inc. faisait partie d’une série d’opérations d’évitement dans le but de procurer un avantage fiscal à l’appelant, soit la distribution libre d’impôt des surplus de ladite société à la hauteur de 994 628 $ grâce à l’utilisation des déductions pour gains en capital réclamées par l’appelant, par sa mère et par sa sœur.

[4]             La seule question en litige consiste donc à déterminer si cette stratégie a pour effet de contourner, d’une manière abusive, l’objectif de l’article 84.1 de la Loi, qui est d’éviter le dépouillement des surplus d’une société en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de la déduction pour gains en capital ou de la valeur des actions au jour de l’évaluation, soit au 31 décembre 1971.

I.     Les faits

[5]             Les parties ont déposé une entente partielle sur les faits qu’il y a lieu de reproduire en totalité sans les annexes :

1.    Hervé Pomerleau Inc. est une société opérante québécoise qui œuvre dans le domaine de la construction. Constituée en 1966 par Hervé Pomerleau, sa dénomination sociale fut changée à Pomerleau Inc. le 1er janvier 2006. Durant la période pertinente au litige, les actions d’Hervé Pomerleau Inc. étaient détenues par la société de gestion Groupe Pomerleau Inc.

2.    Le 14 décembre 2004, le capital-actions de Groupe Pomerleau Inc.[1] était détenu par Hervé Pomerleau, sa conjointe (Laurette Pomerleau), leurs enfants (l’appelant, Francis, Gaby et Élaine Pomerleau) et les sociétés de gestion de l’appelant et de Francis Pomerleau (P Pom Inc. et F Pom Inc.) :

Actionnaires

Catégories

Nombre

CV

PBR

JVM

Laurette

F

390 256

680 $

500 386 $

390 256 $

Élaine

F

4 403 936

7 680 $

407 600 $

4 403 936 $

Gaby

F

4 403 936

7 680 $

407 600 $

4 403 936 $

Appelant

F

4 403 936

7 680 $

407 600 $

4 403 936 $

Francis

F

4 403 936

7 680 $

407 600 $

4 403 936 $

P Pom Inc.

A

100

0 $

0 $

12 050 000 $

F Pom Inc.

A

100

0 $

0 $

12 050 000 $

Hervé

G

895 592

67 723 $

895 592 $

895 592 $

Hervé

C

100

100 $

100 $

100 $

3.    Le PBR des actions de catégorie F au 14 décembre 2004 était, pour chacun des actionnaires, un montant à l’égard duquel une déduction avait été demandée en vertu de l’article 110.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu. En effet, le 21 novembre 1989, Hervé, Laurette, Francis, Gaby, Élaine et l’appelant ont cristallisé leur déduction pour gain en capital applicable aux actions admissibles de petite entreprise prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi, en échangeant les actions de catégorie A qu’ils détenaient dans Groupe Pomerleau Inc. pour des actions de catégorie F, et ce conformément au paragraphe 85(1) de la Loi.

4.    P Pom Inc., société de gestion de l’appelant, a été constitué [sic] le 19 octobre 1999, en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec. Son capital-actions était alors composé d’actions de six (6) catégories : des actions participantes de catégorie A, des actions de contrôle de catégorie B, des actions de roulement de catégories C et D, et des actions de financement de catégories E et F.[2]

La série de transactions

5.    Le 26 novembre 2004, Gestion Pierre Pomerleau Inc. a été constituée en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec.[3]

6.    Le 26 novembre 2004, les statuts de P Pom Inc. ont été modifié [sic] pour autorisé [sic] la création d’une nouvelle catégorie d’actions (actions de catégorie G) et pour subdiviser les cent (100) actions de catégorie A émises en dix millions (10 000 000) d’actions de catégorie A.[4]

7.    Le 14 décembre 2004, le capital-actions de P Pom Inc. était détenu comme suit :

Actionnaire

Catégorie

Nombre

CV

PBR

JVM

Pierre

A

10 000 000

100 $

100 $

17 397 000 $

Pierre

C

100

100 $

100 $

100 $

8.    Le 15 décembre 2004, l’appelant a souscrit à 100 actions de catégorie B de P Pom Inc. pour une contrepartie de 100 $.

9.    Le 15 décembre 2004, Laurette a donné 195 128 actions de catégorie F de Groupe Pomerleau Inc. à l’appelant. L’alinéa 69(1)c) de la Loi s’est appliqué à la transaction et l’appelant fut réputé avoir acquis les actions à leur juste valeur marchande, soit 195 128 $.

10.  Le 15 décembre 2004, Groupe Pomerleau Inc. a racheté les 100 actions de catégorie C détenues par Hervé en contrepartie de 100 $; et P Pom Inc. et F  Pom Inc. ont chacun souscrit à 50 actions de catégorie C du capital-actions de Groupe Pomerleau Inc. pour une considération de 50 $.

11.  Le 3 janvier 2005, l’appelant et Gaby ont transféré la totalité des actions de catégorie F qu’ils détenaient dans Groupe Pomerleau Inc. à P Pom Inc. en contrepartie d’actions de catégories A et G de cette dernière. Les transferts ont été effectués en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi. Les caractéristiques des actions de Groupe Pomerleau Inc. qui ont été cédées, et des actions de P Pom Inc. reçues en contrepartie, étaient les suivantes :

Actions de Groupe Pomerleau Inc. cédées

 

Gaby

Pierre

Catégorie

F

F

Nombre

4 403 936

4 599 064

CV

7 680 $

8 020 $

PBR

407                         600 $

602 728 $

JVM

4 403 936 $

4 599 064 $

 


Actions de P Pom Inc. reçues en contrepartie

 

Gaby

Pierre

Catégorie

A

G

A

G

Nombre

2 297 141

407 600

2 297 141

602 728

CV

-          $

7 680 $

-          $

8 020 $

PBR

-          $

407 600 $

-          $

602 728 $

JVM

3 996 336 $

407 600 $

3 996 336 $

602 728 $

12.  Le 3 janvier 2005, Gaby a donné 574 285 actions de catégorie A et 407 600 actions de catégorie G de P Pom Inc. à l’appelant. Les alinéas 69(1)b) et 69(1)c) de la Loi se sont appliqués à la transaction. Gaby a réalisé un gain en capital de 999 084 $ sur les actions de catégorie A. Aucun gain n’a été réalisé sur les actions de catégorie G. L’appelant est réputé avoir acquis les actions à leur juste valeur marchande, soit 999 084 $ pour les actions de catégorie A et 407 600 $ pour les actions de catégorie G. Suite à ces transactions, l’appelant détenait les actions suivantes dans le capital-actions de P Pom Inc. :

Actionnaire

Catégorie

Nombre

CV

PBR

JVM

Pierre

A

12 871 426

100 $

999 184 $

22 392 420 $

Pierre

C

100

100 $

100 $

100 $

Pierre

B

100

100 $

100 $

100 $

Pierre

G

1 010 328

15 700 $

1 010 328 $

1 010 328 $

 

13.  Le 3 janvier 2005, l’appelant a demandé le rachat des 1 010 328 actions de catégorie G qu’il détenait dans P Pom Inc. Il a reçu la somme de 1 010 328 $ et le rachat a engendré un dividende réputé de 994 628 $, en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi, et une perte en capital de 994 628 $. La perte en capital fut réputée nulle par application de l’alinéa 40(3.6)a) de la Loi, et fut ajoutée, en vertu des alinéas 40(3.6)b) et 53(1)f.2) de la Loi, au PBR des 12 871 525 actions de catégorie A de P Pom Inc. détenues par l’appelant.

14.  Le 3 janvier 2005, l’appelant a transféré la totalité des actions de catégorie A qu’il détenait dans P Pom Inc. à Gestion Pierre Pomerleau Inc., en contrepartie d’actions de catégories A et C de cette dernière. Les transferts ont été effectués en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi et la somme convenue a été fixée à 1 993 812 $. Les conditions d’application du paragraphe 84.1 de la Loi étaient remplies. Le capital versé des actions de catégorie C de Gestion Pierre Pomerleau Inc. a été fixé à 1 993 812 $, soit le montant du PBR des actions de catégorie A de P Pom Inc. Les caractéristiques des actions étaient les suivantes :

Actions de P Pom Inc. échangées

Catégorie

Nombre

CV

PBR

JVM

A

12 871 426

100 $

1 993 812 $

22 392 420 $

 

Contrepartie reçue en actions de Gestion Pierre Pomerleau Inc.

Catégories

Nombre

CV

PBR

JVM

A

10 000

100 $

100 $

20 398 608 $

C

1 993 812

1 993 812 $

1 993 812 $

1 993 812 $

15.  Le 3 janvier 2005, Gestion Pierre Pomerleau Inc. a racheté les 1 993 812 actions de catégorie C de son capital-actions qui étaient détenues par l’appelant pour la somme de 1 993 812 $. Cette transaction n’a engendré aucune conséquence fiscale pour l’appelant, étant donné que le CV et le PBR des actions équivalaient à la somme reçue.

L’avantage fiscal

16.  Les opérations en cause ont donné lieu à un avantage fiscal au sens des paragraphes 245(1) et (2) de la Loi.

17.  N’eut été de la série d’opérations, le 994 628 $ aurait été imposable à titre de dividende.

Les opérations d’évitement

18.  Les opérations suivantes constituent des opérations d’évitement au sens des paragraphes 245(2) et 245(3) de la Loi :

(i)    la constitution de Gestion Pierre Pomerleau Inc;

(ii)   la modification des statuts de P Pom Inc. pour autoriser la création d’une nouvelle catégorie d’actions (actions de catégorie G) et pour subdiviser les cent (100) actions de catégorie A émises en dix millions (10 000 000) d’actions de catégorie A;

(iii)  le transfert par l’appelant et Gaby de la totalité des actions de catégorie F qu’ils détenaient dans Groupe Pomerleau Inc. à P Pom Inc. en contrepartie d’actions de catégories A et G de cette dernière;

(iv)  le rachat des 1 010 328 actions de catégorie G que l’appelant détenait dans P Pom Inc.;

(v)   le transfert par l’appelant de la totalité des actions qu’il détenait dans P Pom Inc. à Gestion Pierre Pomerleau Inc., en contrepartie d’actions de catégorie A et C de cette dernière.

La cotisation

19.  Le 19 mai 2011, le ministre du Revenu national a émis un avis de nouvelle cotisation à l’appelant pour l’année d’imposition 2005, dans le cadre duquel il a requalifié, en vertu de [sic] du paragraphe 245(5) de la Loi, les conséquences fiscales découlant du rachat par Gestion Pierre Pomerleau Inc. des 1 993 812 actions de catégorie C de son capital-actions détenues par l’appelant. L’appelant fut réputé avoir reçu un dividende de 994 628 $ (dividende imposable de 1 243 285 $) par application de l’article 245 de la Loi.

20.  Le 15 août 2011, l’appelant a déposé un avis d’opposition à l’égard de la cotisation.

21.  Le Ministre a ratifié la cotisation le 4 novembre 2013.

[6]             Le diagramme de l’ensemble des opérations qui ont été réalisées par l’appelant dans le cadre de la réorganisation est joint en annexe du présent jugement et en fait partie intégrante.

[7]             La planification fiscale des opérations décrites ci-dessus a été faite au cours de l’année 2004 par le cabinet de comptables agréés Ernst & Young. Les documents expliquant les différentes idées de planification considérées, dont les trois scénarios permettant à l’appelant et à Francis, son frère, d’encaisser des montants d’argent de leur société de gestion respective tout en minimisant les impacts fiscaux, ont été déposés en preuve. Le ministre a également cotisé Francis Pomerleau qui a accepté d’être lié par la décision rendue dans le présent appel.

[8]             Monsieur Pierre Pomerleau a témoigné à l’audience. Il a brossé l’évolution du marché de la construction au Québec de 1983 à 2015 tout en soulignant les principales mesures prises pour assurer la pérennité de l’entreprise. Il a notamment fait référence à la création en 1983 de la Fiducie Laurette Pomerleau pour détenir des centres commerciaux et dont les bénéficiaires étaient les quatre enfants (Pierre, Francis, Elaine et Gaby) du couple Hervé et Laurette Pomerleau. Il a aussi mentionné le gel successoral effectué en 1989 alors que le groupe Pomerleau avait une valeur de 18,9 millions de dollars. Il a, de plus, relaté que le marché immobilier a connu une sévère récession entre les années 1990 à 1995 alors que l’entreprise construisait l’immeuble situé au 1 000, rue de la Gauchetière Ouest à Montréal, le musée des Beaux-Arts de Montréal et le projet hydro-électrique LG-1 en partenariat avec la société française Construction Bouygues. Pour survivre, le groupe Pomerleau a restructuré ses activités et s’est départi des hôtels et de certains autres actifs et a même dû fermer une entreprise.

[9]             De 1994 à 1997, la famille Pomerleau a participé à des séminaires quant aux mesures à prendre pour assurer la pérennité de l’entreprise. Il fut alors décidé d’inclure des administrateurs externes au conseil d’administration et de former un conseil de famille entouré d’experts et de conseillers de calibre international. Le résultat de cette longue réflexion a été de céder à Elaine et à Gaby la fiducie familiale qui détenait alors un parc immobilier ayant une très bonne valeur et qui générait d’importants revenus sur une base constante et régulière et de céder à Pierre et à Francis, les deux étant ingénieurs, l’entreprise de construction qui était à rebâtir et donc plus risquée.

[10]        En 1997, l’appelant alors âgé de 34 ans a été nommé président de l’entreprise de construction. En 1998, un nouveau plan d’affaires prônant la gérance, le design et le financement de projets de construction a été mis en œuvre. En 1999, des cadres ont été nommés vice-présidents et ils s’attendaient de pouvoir bénéficier d’un régime d’actionnariat. Il fut également décidé de mettre fin aux activités internationales alors dirigées par Francis Pomerleau.

[11]        En 2002, la société de construction était profitable et était en bonne santé financière. Son chiffre d’affaires oscillait entre 350 et 400 millions de dollars. Les cadres participaient à un régime d’actions fictives qui faisait en sorte que leur rémunération était basée sur la performance de l’entreprise.

[12]        En 2004, la fiducie familiale était à la fin de sa vie utile après 21 ans, ce qui a forcé la distribution de valeurs. Afin de mettre en vigueur les décisions prises en 1995, la restructuration fiscale fut mise en place. C’est dans ce contexte que les sociétés de gestion de Pierre et de Francis furent créées pour éviter une double imposition sur les dons des deux sœurs aux deux frères et pour permettre la distribution de fonds aux deux frères.

[13]        L’appelant a qualifié cette planification fiscale de réussite totale parce que les deux sœurs et les deux frères étaient satisfaits des résultats et parce que la société de construction a continué de croître pour atteindre en 2015 un chiffre d’affaires de plus d’un milliard et demi de dollars et un profit de l’ordre de 50 millions de dollars.

[14]        L’appelant a expliqué qu’entre 1997 et 2005, il y avait eu peu ou pas de dividendes qui avait été versé aux actionnaires et que le but du versement du dividende d’un million de dollars était pour lui permettre de construire un chalet.

[15]        Selon l’appelant, les opérations effectuées dans le cadre de la planification fiscale s’inscrivaient en partie dans un contexte de transfert de l’entreprise familiale aux quatre enfants du fondateur qui s’est échelonné sur une dizaine années.

II.    Les dispositions législatives pertinentes

[16]        Les dispositions législatives pertinentes de la Loi permettant de disposer du présent appel sont les paragraphes 40(3.6), 84.1(1) et (2) et 245(1) à (5) et l’alinéa 53(1)(f.2). Ces dispositions dans leur version applicable à l’année 2005 sont ici reproduites :

40(3.6)   Perte lors de la disposition d’une action

              Dans le cas où un contribuable dispose, en faveur d'une société qui lui est affiliée immédiatement après la disposition, d'une action d'une catégorie du capital-actions de la société, sauf une action privilégiée de renflouement au sens du paragraphe 80(1), les règles ci-après s'appliquent :

                 a)   la perte du contribuable résultant de la disposition est réputée nulle;

b)      est à ajouter dans le calcul du prix de base rajusté, pour le contribuable après la disposition, d'une action d'une catégorie du capital-actions de la société qui appartenait au contribuable immédiatement après la disposition le produit de la multiplication du montant de sa perte résultant de la disposition, déterminé compte non tenu de l'alinéa (2)g) et du présent paragraphe, par le rapport entre :

(i)        d’une part, la juste valeur marchande de l'action immédiatement après la disposition,

(ii)   d’autre part, la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de l'ensemble des actions du capital-actions de la société appartenant au contribuable.

84.1(1)   Lorsque, après le 22 mai 1985, un contribuable qui réside au Canada (à l’exclusion d’une société) dispose d’actions qui sont des immobilisations du contribuable — appelées « actions concernées » au présent article — d’une catégorie du capital-actions d’une société qui réside au Canada — appelée « la société en cause » au présent article — en faveur d’une autre société — appelée « acheteur » au présent article — avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance et que, immédiatement après la disposition, la société en cause serait rattachée à l’acheteur, au sens du paragraphe 186(4) si les mentions « société payante » et « société donnée » y étaient respectivement remplacées par « la société en cause » et « acheteur »:

a)    dans le cas où les actions de l’acheteur — appelées « nouvelles actions » au présent article — ont été émises en contrepartie des actions concernées, le montant calculé selon la formule suivante est déduit dans le calcul du capital versé, à un moment postérieur à l’émission des nouvelles actions, au titre d’une catégorie donnée d’actions du capital-actions de l’acheteur :

(A - B) × C/A

       où :

       A    représente le montant correspondant à l’augmentation — conséquence de l’émission des nouvelles actions — du capital versé au titre de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur, calculée sans que le présent article soit appliqué à l’acquisition des actions concernées,

       B     l’excédent éventuel du plus élevé des montants suivants :

              (i)    le capital versé au titre des actions concernées immédiatement avant la disposition,

              (ii)   le prix de base rajusté des actions concernées pour le contribuable immédiatement avant la disposition, sous réserve des alinéas (2)a) et a.1),

           sur la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toute contrepartie, à l’exclusion des nouvelles actions, reçue de l’acheteur par le contribuable pour les actions concernées,

       C     le montant correspondant à l’augmentation — conséquence de l’émission des nouvelles actions — du capital versé au titre de la catégorie donnée d’actions, calculée sans que le présent article soit appliqué à l’acquisition des actions concernées;

 

b)    pour l’application de la présente loi, un dividende, calculé selon la formule suivante, est réputé avoir été versé par l’acheteur au contribuable et reçu par celui-ci au moment de la disposition :

(A + D) - (E + F)

       où :

       A    représente le montant correspondant à l’augmentation — conséquence de l’émission des nouvelles actions — du capital versé au titre de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur, calculée sans que le présent article soit appliqué à l’acquisition des actions concernées,

       D    la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toute contrepartie, à l’exclusion des nouvelles actions, reçue de l’acheteur par le contribuable pour les actions concernées,

       E     le plus élevé des montants suivants :

              (i)    le capital versé au titre des actions concernées immédiatement avant la disposition,

              (ii)   le prix de base rajusté des actions concernées pour le contribuable immédiatement avant la disposition, sous réserve des alinéas (2)a) et a.1),

       F     le total des montants dont chacun représente un montant que l’acheteur doit déduire selon l’alinéa a) dans le calcul du capital versé au titre d’une catégorie d’actions de son capital-actions à cause de l’acquisition des actions concernées.

 

            84.1(2)   Pour l’application du présent article :

          a)    dans le cas où une action dont dispose un contribuable a été acquise par celui-ci avant 1972, le prix de base rajusté de l’action pour le contribuable à un moment donné est réputé égal au total des montants suivants :

         (i)    le montant qui serait le prix de base rajusté de l’action pour le contribuable compte non tenu des paragraphes 26(3) et (7) des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

         (ii)   le total des montants dont chacun représente un montant que le contribuable a reçu, après 1971 et avant ce moment, à titre de dividende sur l’action, et pour lequel la société qui a versé le dividende a fait le choix prévu au paragraphe 83(1);

          a.1) dans le cas où une action dont dispose un contribuable a été acquise par celui-ci après 1971 auprès d’une personne avec qui il avait un lien de dépendance ou était une action substituée à une telle action ou était une action substituée à une action dont le contribuable était propriétaire à la fin de 1971, le prix de base rajusté de l’action pour le contribuable à un moment donné est réputé égal à l’excédent éventuel du prix de base rajusté de l’action pour le contribuable, déterminé par ailleurs, sur le total des montants suivants :

         (i)    si l’action ou une action y substituée était, à la fin de 1971, la propriété du contribuable ou d’une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance, le montant au titre de cette action égal à l’excédent éventuel :

          (A)  de la juste valeur marchande de l’action ou de l’action y substituée, selon le cas, au jour de l’évaluation — au sens de l’article 24 des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu —,

                sur le total des montants suivants :

          (B)  le coût effectif — au sens du paragraphe 26(13) de cette loi — de l’action ou de l’action y substituée, selon le cas, pour le contribuable ou pour cette personne le 1er janvier 1972,

          (C)  le total des montants dont chacun représente un montant que le contribuable ou cette personne a reçu, après 1971 et avant ce moment, à titre de dividende sur l’action ou sur l’action y substituée, et pour lequel la société qui a versé le dividende a fait le choix prévu au paragraphe 83(1),

         (ii)   le total des montants dont chacun représente un montant calculé après 1984 selon le sous-alinéa 40(1)a)(i) dans le cas d’une disposition antérieure de l’action ou d’une action à laquelle l’action a été substituée (ou le montant moins élevé que le contribuable indique comme étant le montant à l’égard duquel une déduction a été demandée en vertu de l’article 110.6) par le contribuable ou par un particulier avec qui le contribuable avait un lien de dépendance;

          […]

          b)    pour toute disposition décrite au paragraphe (1), et faite par un contribuable, d’actions du capital-actions de la société en cause en faveur de l’acheteur, il est entendu que le contribuable est réputé avoir un lien de dépendance avec l’acheteur, si :

         (i)    d’une part, immédiatement avant la disposition, il faisait partie d’un groupe de moins de 6 personnes qui contrôlaient la société en cause,

         (ii)   d’autre part, immédiatement après la disposition, il faisait partie d’un groupe de moins de 6 personnes — dont chacune était membre du groupe visé au sous-alinéa (i) — qui contrôlaient l’acheteur;

                 […]

          d)    une fiducie et ses bénéficiaires ou les personne liées à ceux-ci sont réputés avoir un lien de dépendance.

              […]

245(1)    Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

          attribut fiscal (tax consequences)

S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

          avantage fiscal (tax benefit)

Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

opération (transaction)

Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

            245(2)    En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

            245(3)    L’opération d’évitement s’entend :

            a)    soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

            b)    soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

            245(4)    Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

          a)    qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

         (i)    la présente loi,

         (ii)   le Règlement de l’impôt sur le revenu,

  (iii)  les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

         (iv)  un traité fiscal,

         (v)   tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

          b)    qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

            245(5)    Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

          a)    toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

          b)    tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

          c)    la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

          d)    les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

53(1)      Un contribuable doit, dans le calcul du prix de base rajusté, pour lui, d’un bien à un moment donné, ajouter au coût, pour lui, de ce bien les montants suivants qui s’y rapportent :

[…]

f.2)    lorsque le bien est une action, le montant à ajouter en application de l’alinéa 40(3.6)b) (ou, dans le cas où le bien a été acquis par le contribuable avant 1996, en application de l’alinéa 85(4)b), dans sa version applicable aux biens dont il a été disposé avant le 26 avril 1995) dans le calcul du prix de base rajusté de l’action pour le contribuable;

III.  Positions des parties

        A. Position de l’appelant

[17]        Selon les avocats de l’appelant, la planification faite par Ernst & Young est à la fois légitime et non abusive parce qu’elle s’inscrit dans le cadre du transfert de l’entreprise familiale de construction aux deux fils du fondateur.

[18]        La Couronne a le fardeau d’établir l’abus aux fins de la RGAÉ.

[19]        Les avocats de l’appelant ont soumis à la Cour une décision anticipée datée du 1er janvier 2006 publiée par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») dont les faits sont très similaires au cas sous étude et qui traitait de l’utilisation de l’exonération du gain en capital dans le contexte d’un transfert d’une entreprise familiale en faveur des deux enfants du propriétaire. La RGAÉ n’a pas été appliquée par la suite en raison des opérations projetées. La position administrative de l’ARC a été en vigueur pendant plusieurs années mais elle a été officiellement abandonnée le 24 novembre 2015 suite à la décision du juge Hogan de notre Cour dans l’affaire Descarries c. La Reine, 2014 CCI 75.

[20]        Les règles prévues à l’article 84.1 sont de nature très technique et résultent d’un choix politique délibéré du législateur. Le rachat d’actions est spécifiquement prévu par ces règles.

[21]        L’une des conséquences du rachat des 1 010 328 actions de catégorie G de la société P Pom Inc. a été de transférer une perte en capital d’un montant de 994 628 $ au prix de base rajusté des actions de catégorie A que l’appelant détenait dans la société P Pom Inc. par l’effet du paragraphe 40(3.6) de la Loi. L’appelant prétend ainsi avoir transformé en un prix de base rajusté dit « dur » non visé par les mécanismes de réduction du prix de base rajusté prévus au paragraphe 84.1(2) de la Loi, ce qui constituait jadis un prix de base rajusté dit « mou » résultant entièrement du montant de la déduction pour gains en capital que l’appelant, sa mère et sa sœur avaient réclamé lors de la cristallisation des actions de catégorie F qu’ils détenaient chacun dans la société Groupe Pomerleau Inc. auxquelles les actions de catégorie G de la société P Pom Inc. ont été substituées.

[22]        Les avocats de l’appelant ne voient pas la clarté de l’abus. L’exonération du gain en capital n’est pas en soi un abus puisqu’elle est spécifiquement prévue à la Loi. Le contexte factuel commercial et familial doit être pris en considération pour déterminer si un abus d’une disposition législative existe. La position administrative de l’ARC, telle qu’énoncée dans la décision anticipée citée ci-dessus, démontrait l’absence d’abus manifeste dans le genre d’opérations effectuées par l’appelant.

          B. Position de l’intimée

[23]        L’appelant a effectué une série d’opérations dans le but d’extraire sous forme de retour de capital libre d’impôt un montant de 994 628 $ des surplus imposables de la société Groupe Pomerleau Inc. Les opérations en cause ont mené à un résultat que l’article 84.1 de la Loi vise à empêcher, soit le dépouillement des surplus d’une société en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de l’exonération des gains en capital.

[24]        Puisqu’il y a eu un évitement fiscal abusif de l’article 84.1 de la Loi, le ministre était justifié d’appliquer l’article 245 de la Loi afin que l’appelant soit réputé avoir reçu un dividende de 994 628 $ (dividende imposable de 1 243 285 $) au cours de l’année 2005. La cotisation visait donc à supprimer l’avantage fiscal obtenu par l’appelant.

[25]        Selon l’intimé, l’avantage fiscal a découlé de la série d’opérations d’évitement que l’appelant a concédée (voir le paragraphe 18 de l’entente partielle sur les faits) et des opérations suivantes :

(i)                la souscription par l’appelant à 100 actions de catégorie B de P Pom Inc.;

(ii)             le don par Laurette (mère de l’appelant) de 195 128 actions de catégorie F de Groupe Pomerleau Inc. à l’appelant;

(iii)           le don par Gaby (la sœur de l’appelant) de 574 285 actions de catégorie A et de 407 600 actions de catégorie G de P Pom Inc. à l’appelant;

(iv)           le rachat par Gestion Pierre Pomerleau Inc. des 1 993 812 actions de catégorie C de son capital-actions.

[26]        Pour l’intimée, la conclusion qu’une série d’opérations a été effectuée principalement pour un objet véritable non fiscal comme le transfert intergénérationnel d’une entreprise, n’empêche pas que le ministre puisse conclure que l’objet principal d’une ou plusieurs opérations de la série était l’obtention d’un avantage fiscal, lequel n’était pas considéré comme un objet véritable.

[27]        Si une des opérations de la série n’a pas été principalement effectuée pour un objet véritable non fiscal, il s’agit alors d’une opération d’évitement et la RGAÉ permet alors de supprimer l’avantage fiscal qui découle de la série d’opérations.

[28]        Selon l’intimée, une opération d’évitement a un caractère abusif dans les circonstances suivantes :

(i)                lorsqu’elle produit un résultat que la disposition vise à empêcher;

(ii)             lorsqu’elle va à l’encontre de la raison d’être de la disposition; ou

(iii)           lorsqu’elle contourne l’application d’une disposition de manière à contrecarrer l’objet ou l’esprit de cette disposition.

[29]        L’ARC n’a jamais accepté le dépouillement des surplus des sociétés sur une base libre d’impôt. Les faits de la décision anticipée à laquelle l’appelant a fait référence sont différents de ceux du présent appel.

IV.    Analyse

          Applicabilité de la Règle générale anti-évitement

[30]        L’arrêt phare en ce qui a trait aux critères d’analyse pertinents dans le cadre de l’application de la RGAÉ provient de la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601. Il en découle que trois conditions doivent être satisfaites afin que la RGAÉ puisse être appliquée, auquel cas le paragraphe 245(2) de la Loi permet au ministre de refuser l’avantage fiscal découlant de la série d’opérations d’évitement en cause et de déterminer quelles devraient en être les conséquences fiscales raisonnables.

[31]        Aux paragraphes 65 et 66 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, la Cour suprême du Canada expliquait la démarche qui doit être suivie par les tribunaux dans le cadre d’une telle analyse :

65 En pratique, c'est le dernier énoncé qui est important. Une fois qu'il a démontré qu'il respecte le libellé d'une disposition, le contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu'il n'a pas, de ce fait, contrevenu à l'objet ou à l'esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente d'invoquer la RGAÉ de décrire l'objet ou l'esprit des dispositions qui auraient été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l'intention du législateur dans le but d'interpréter les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui s'applique à l'opération en cause.

66 L’approche relative à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

1.         Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s'applique :

(1)     il doit exister un avantage fiscal découlant d'une opération ou d'une série d'opérations dont l'opération fait partie (par. 245(1) et (2));

(2)     l’opération doit être une opération d'évitement en ce sens qu'il n'est pas raisonnable d'affirmer qu'elle est principalement effectuée pour un objet véritable - l'obtention d'un avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

(3)     il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu'il n'est pas raisonnable de conclure qu'un avantage fiscal serait conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

2.         Il incombe au contribuable de démontrer l'inexistence des deux premières conditions, et au ministre d'établir l'existence de la troisième condition.

3.         S’il n'est pas certain qu'il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.

4.         Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l'avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l'avantage a été conféré. Le but est d'en arriver à une interprétation téléologique qui s'harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l'avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l'ensemble de la Loi.

5.         La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d'autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d'évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu'un élément des faits qui sous-tendent l'affaire et serait insuffisante en soi pour établir l'existence d'un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l'interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

6.         On peut conclure à l'existence d'un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l'objet ou à l'esprit des dispositions censées conférer l'avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

7.         Si le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d'appel ne doivent pas intervenir en l'absence d'erreur manifeste et dominante.

[32]        Les parties ont reconnu que les deux premiers critères d’applicabilité de la RGAÉ, soit la présence d’une opération d’évitement dans la série d’opérations et d’un avantage fiscal, étaient satisfaits. Ainsi, la seule question à trancher pour régler le présent appel consiste à déterminer si l’opération d’évitement ou la série d’opérations d’évitement donnant lieu à l’avantage fiscal était abusive au sens du paragraphe 245(4) de la Loi.

          Fardeau de la preuve

[33]        Il appartient au ministre d’établir, selon la balance des probabilités, qu’il existe un évitement fiscal abusif au sens du paragraphe 245(4) de la Loi. Pour ce faire, le ministre doit faire valoir que, compte tenu du texte, du contexte et de l’objet des dispositions en cause, l’opération d’évitement ou la série d’opérations d’évitement contrecarre l’objet ou l’esprit des dispositions de la Loi.

[34]        La RGAÉ s’appliquera donc lorsque, selon une interprétation littérale ou stricte des dispositions pertinentes, leur application a été contournée et que l’objet ou l’esprit des dispositions en cause serait ainsi contrecarré (voir le paragraphe 66 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité et le paragraphe 21 de l’arrêt Lipson c. La Reine, [2009] 1 R.C.S. 3).

[35]        Par ailleurs, tel que le rappelait la Cour suprême du Canada au paragraphe 66 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, s’il subsiste un quelconque doute quant à savoir si l’opération d’évitement ou la série d’opérations d’évitement constitue un évitement fiscal abusif, ce doute doit profiter au contribuable.

          Évitement fiscal abusif

[36]        Comme l’indiquait la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, le paragraphe 245(4) de la Loi requiert une analyse en deux étapes afin de déterminer si une opération d’évitement ou la série d’opérations d’évitement contrecarre l’objet ou l’esprit d’une disposition de la Loi :

55  En résumé, le par. 245(4) prescrit un examen en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l'objet ou l'esprit des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont invoquées pour obtenir l'avantage fiscal, eu égard à l'économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles. La deuxième étape consiste à examiner le contexte factuel de l'affaire pour déterminer si l'opération d'évitement contrecarrait l'objet ou l'esprit des dispositions en cause.

[37]        La première étape consiste donc à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions à l’origine de l’avantage fiscal en effectuant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée de celles-ci. En effet, il peut arriver que « [l]a raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux‑mêmes (voir le paragraphe 70 de la décision Copthorne Holdings Ltd. c. La Reine, [2011] 3 R.C.S. 721).

[38]        La deuxième étape consiste à déterminer si l’objet ou l’esprit des dispositions en cause a été frustré par l’opération d’évitement ou par la série d’opérations d’évitement (voir le paragraphe 65 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité). Cette étape « oblige à examiner attentivement les faits pour décider si l’attribution d’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable » (voir le paragraphe 59 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité).

[39]        En raison de leur importance, il convient de reproduire ci-après les paragraphes 44, 45, 46, 49 et 50 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité :

44 L’interprétation  contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable et l'application des dispositions interprétées correctement aux faits d'une affaire donnée sont au coeur de l'analyse fondée sur le par. 245(4). Il faut d'abord interpréter les dispositions générant l'avantage fiscal pour en déterminer l'objet et l'esprit. Il faut ensuite déterminer si l'opération est conforme à cet objet ou si elle le contrecarre. L'analyse globale porte donc sur une question mixte de fait et de droit. L'interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu est essentiellement une question de droit, mais l'application de ces dispositions aux faits d'une affaire dépend nécessairement des faits.

45 Cette analyse aboutit à une conclusion d'évitement fiscal abusif dans le cas où le contribuable se fonde sur des dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu pour obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher. Ainsi, il y a évitement fiscal abusif lorsqu'une opération va à l'encontre de la raison d'être des dispositions invoquées. Un mécanisme qui contourne l'application de certaines dispositions, comme des règles anti-évitement particulières, d'une manière contraire à l'objet ou à l'esprit de ces dispositions peut également donner lieu à un abus. Par contre, l'existence d'un abus n'est pas établie lorsqu'il est raisonnable de conclure qu'une opération d'évitement au sens du par. 245(3) était conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions conférant l'avantage fiscal.

46 Une fois que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sont interprétées correctement, la question de fait à laquelle doit répondre le juge de la Cour de l'impôt est de savoir si, en supprimant l'avantage fiscal, le ministre a établi l'existence d'un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). Pourvu que le juge de la Cour de l'impôt se soit fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d'appel ne doivent pas intervenir en l'absence d'erreur manifeste et dominante.

[…]

49 Dans tous les cas où l'applicabilité du par. 245(4) est en cause, la question centrale est de savoir si, compte tenu du texte, du contexte et de l'objet des dispositions invoquées par le contribuable, l'opération contrecarre l'objet ou l'esprit de ces dispositions. Les points suivants sont dignes de mention :

       (1)   Bien que les notes explicatives emploient les mots "exploiter, [...] détourner ou [...] frustrer", il semble que ces trois termes soit synonymes et que le mot "frustrer" au sens de "contrecarrer" permet le mieux d'en saisir le sens.

       (2)   Les notes explicatives indiquent que la RGAÉ est censée s'appliquer lorsque, selon une interprétation littérale des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'objet et l'esprit de ces dernières seraient contrecarrés.

       (3)   Les notes explicatives précisent que la RGAÉ doit être appliquée à la lumière des faits de l'affaire en cause dans le contexte de l'agencement de la Loi de l'impôt sur le revenu.

       (4)   Les notes explicatives indiquent également que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu visent les opérations ayant une raison d'être économique.

50 Comme nous l'avons vu, le législateur cherchait à prévenir l'évitement fiscal abusif tout en maintenant l'uniformité, la prévisibilité et l'équité en matière de droit fiscal, et la RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que dans les cas où l'opération en cause est manifestement abusive.

[40]        Dans l’arrêt Lipson, précité, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada a décrit les paragraphes 44 et 45 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, comme capturant l’essentiel de l’approche retenue par la Cour lorsqu’elle fait face à la RGAÉ. La Cour y écrivait au paragraphe 40 :

Suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Trustco Canada, une opération d’évitement peut entraîner un abus dans l’application de la Loi de trois façons : a) elle donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher, b) elle va à l’encontre de la raison d’être de ces dispositions ou c) elle contourne l’application de certaines dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit (Trustco Canada, par. 45).

[41]        Au paragraphe 44 de l’arrêt Gwartz c. La Reine, 2013 CCI 86, le juge Hogan a passé en revue certains principes ayant trait, entre autres, à « (i) la planification fiscale en général; (ii) la pertinence d’utiliser la RGAÉ comme mesure visant à combler les lacunes; et (iii) l’existence d’une politique générale dans la LIR relativement au dépouillement de surplus ». 

[42]        Le juge Hogan a en effet référé aux arrêts Hypothèques Trustco Canada c. Canada et Copthorne, précités. Ces arrêts ont chacun réitéré le principe selon lequel toute planification fiscale visant à réduire la facture fiscale d’un contribuable ne constitue pas, en soi, un évitement fiscal abusif au sens du paragraphe 245(4) de la Loi. Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, la Cour suprême du Canada indiquait ce qui suit :

61 Une interprétation correcte du libellé des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ainsi que le contexte factuel pertinent d'une affaire donnée permettent d'établir un équilibre entre la nécessité de prévenir l'évitement fiscal abusif et celle de maintenir la certitude, la prévisibilité et l'équité en droit fiscal afin que les contribuables puissent organiser leurs affaires en conséquence. Le législateur souhaite que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi qui confèrent des avantages fiscaux. Il n'a pas voulu que la RGAÉ mine ce précepte fondamental du droit fiscal.

[43]        En d’autres mots, « [o]n ne peut conclure qu'il y a évitement fiscal abusif si on reproche seulement au contribuable d'avoir fait abus d'une politique générale non fondée sur les dispositions de la LIR » (voir le paragraphe 47 de la décision Gwartz, précitée). Il serait ainsi « inapproprié, si les opérations ne sont pas par ailleurs contraires à l'objet et à l'esprit des dispositions de la LIR, d'appliquer la RGAÉ pour supprimer un avantage fiscal résultant du fait qu'un contribuable a exploité une lacune légale passée inaperçue jusqu'alors » (voir le paragraphe 50 de la décision Gwartz, précitée).

[44]        Le paragraphe 50 de la décision Gwartz, précitée, rappelle par ailleurs que les tribunaux ont, à plusieurs reprises, fait valoir que le dépouillement de surplus ne constitue pas, en soi, un évitement fiscal abusif. La Cour suprême l’avait notamment réitéré dans l’arrêt Copthorne, précité, où elle écrivait au paragraphe 118 :

Copthorne rétorque que seule l’existence d’une politique générale défavorable au dépouillement de surplus pourrait fonder pareille conclusion.  Or, vu l’absence d’une telle politique, l’objet ou l’esprit du par. 87(3) ne peut être de prévenir le dépouillement de surplus par l’addition de CV.  Cet argument prend appui sur la mise en garde de notre Cour dans Trustco, à savoir que « [l]es tribunaux ne peuvent chercher une politique prépondérante de la Loi qui n’est pas fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions en cause » (par. 41).  Ce qui n’est pas permis, c’est de conclure à l’abus sur le fondement d’un énoncé de principe général — contre le dépouillement de surplus, par exemple — qui n’a aucun lien avec les dispositions en cause.  Cependant, l’objectif fiscal relevé dans les présents motifs prend appui sur les dispositions de la Loi relatives au CV, et non sur une politique formulée en termes généraux.  La démarche s’attache à la raison d’être des dispositions sur le CV précisément en liaison avec la fusion et le rachat, et non avec une politique générale étrangère au régime en cause. 

La disposition en cause

[45]        L’analyse doit porter sur l’objet ou l’esprit de la disposition à l’origine de l’avantage fiscal et doit chercher à savoir si les opérations en cause ont pour effet de les contrecarrer (voir le paragraphe 69 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité).

[46]        Dans la présente affaire, le ministre prétend que la série d’opérations a permis au contribuable de contourner l’application de l’article 84.1 de la Loi de manière non conforme à son objet ou à son esprit, résultant ainsi directement ou indirectement en un abus des dispositions de la Loi, lue dans son ensemble.

          L’objet et l’esprit de l’article 84.1 de la Loi

[47]        La Cour d’appel fédérale rappelait dans l’arrêt Collins & Aikman Products Co. c. La Reine, 2010 CAF 251, que le champ d’application de l’article 84.1 de la Loi était restreint :

[4] Les dispositions principales de la Loi de l’impôt sur le revenu sur lesquelles la Couronne se fonde maintenant pour dresser le portrait de l’économie de la loi pertinente, soit les articles 84.1 et 212.1, ont été soigneusement rédigées de sorte qu’elles ne s’appliquent pas à une vente par Products de ses actions de CAHL à une autre société, même une société apparentée qui était résident canadien. Nous ne voyons aucune raison pour conclure que la portée limitée de ces dispositions était autre chose qu’un choix politique délibéré du législateur. Par conséquent, étant donné que Products a vendu ses actions de CAHL pour une contrepartie équivalente à leur juste valeur marchande, nous ne voyons rien qui constituerait un abus en exigeant que les conséquences légales de cette vente soient reconnues à des fins fiscales et qu’elles régissent les conséquences fiscales canadiennes, même si la contrepartie n’a pas été payée en espèces et que le but souhaité de l’opération était de mettre en place une filiale canadienne avec un capital déclaré et un capital versé équivalent à cette contrepartie.

[Je souligne.]

[48]        Dans l’arrêt Copthorne, précité, la Cour suprême du Canada décrivait l’article 84.1 de la Loi comme étant une règle anti-évitement spécifique visant le dépouillement de surplus :

95 Le paragraphe 89(1) incorpore par renvoi des dispositions qui réduisent le CV des actions d’une société.  Par exemple, les art. 84.1 et 212.1 réduisent tous deux le CV lors d’opérations avec lien de dépendance.  On les qualifie de dispositions « anti‑évitement » visant le dépouillement des dividendes (Collins & Aikman Products Co. c. La Reine, 2009 CCI 299 (CanLII), par. 55 et 105, conf. par 2010 CAF 251 (CanLII)), car grâce à ces opérations avec lien de dépendance, les sociétés peuvent verser aux actionnaires, à titre de remboursement de capital non imposable plutôt que de dividende imposable, une somme supérieure à l’investissement initial de fonds libérés d’impôt.

[Je souligne.]

[49]        Toute planification fiscale effectuée par un contribuable ayant pour but de pouvoir distribuer les surplus d’une société sous forme de dividendes libres d’impôts doit respecter les dispositions anti-évitement spécifiques de la Loi, notamment l’article 84.1 (voir le paragraphe 43 de la décision Descarries, précitée).

Analyse textuelle

[50]        Bien que dans les causes ayant trait à la RGAÉ, l’application littérale de la disposition en cause n’interdit pas l’avantage fiscal que le contribuable tente d’obtenir au moyen de la série d’opérations réalisées, le texte même de la disposition demeure pertinent aux fins de déterminer l’objet ou l’esprit que celle-ci renferme (voir le paragraphe 88 de l’arrêt Copthorne, précité).

[51]        La règle prévue à l’article 84.1 de la Loi s’applique lorsque sont remplies les conditions suivantes :

(i)          il y a eu une disposition d’actions (actions concernées) par un particulier (cédant) résidant au Canada;

(ii)        les actions concernées doivent être des actions d’une société résidant au Canada (société en cause);

(iii)     les actions concernées constituent pour le cédant, des biens en immobilisation;

(iv)     la disposition s’effectue en faveur d’une autre société (l’acheteur) avec laquelle le cédant a un lien de dépendance; et

(v)        la société dont les actions font l’objet de la disposition doit être rattachée à la société qui s’en porte acquéreur.

[52]        Cet article a pour conséquence, soit de réduire le capital versé des nouvelles actions reçues en contrepartie des actions concernées, soit de réputer un dividende imposable pour le cédant, dans la mesure où la contrepartie autre qu’en actions et/ou le capital versé des nouvelles actions excèdent le plus élevé du capital versé ou du prix de base rajusté des actions concernées immédiatement avant la disposition.

[53]        Aux fins de déterminer les conséquences fiscales de l’article 84.1 de la Loi, le prix de base rajusté des actions concernées doit être calculé en tenant compte des alinéas 84.1(2)a) et a.1). Seul le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) de la Loi est pertinent pour nos fins.

[54]        Ce sous-alinéa a pour effet de réduire le prix de base rajusté des actions concernées du montant de la déduction pour gains en capital réclamée par le cédant ou par une personne avec qui celui-ci avait un lien de dépendance, lors d’une disposition antérieure des actions concernées ou d’actions auxquelles elles ont été substituées.

[55]        Par conséquent, le capital versé des actions reçues par le cédant dans l’opération en cause est limité au plus élevé du capital versé des actions concernées ou du prix de base rajusté des actions concernées diminué du montant de tout gain en capital réalisé sur une disposition antérieure des actions concernées – ou d’actions qui lui ont été substituées – entre personnes ayant un lien de dépendance et à l’égard duquel une déduction pour gains en capital a été réclamée.

[56]        Dans la présente affaire, lors du roulement de la totalité des actions de catégorie A de la société P. Pom Inc. détenues par l’appelant en contrepartie d’actions de catégorie A et C de la société Gestion Pierre Pomerleau Inc., l’alinéa 84.1(2)a.1) de la Loi n’a pas eu pour effet de réduire le capital versé des actions de catégorie C de la société Gestion Pierre Pomerleau Inc. reçues par l’appelant, et ce, malgré qu’un montant de 994 628 $ du prix de base rajusté des actions cédées provenait d’un gain en capital sur une disposition antérieure d’actions entre personnes ayant un lien de dépendance à l’égard duquel une déduction pour gains en capital a été demandée conformément à l’article 110.6 de la Loi.

[57]        En effet, lors du rachat antérieur des 1 010 328 actions de catégorie G que l’appelant détenait dans la société P. Pom Inc., la perte en capital de 994 628 $, attribuable au prix de base rajusté élevé des actions qui ont fait l’objet d’une cristallisation, qui a été engendrée fut réputée nulle et ajoutée au prix de base rajusté des actions de catégorie A de la société P. Pom Inc. que l’appelant détenait en vertu des alinéas 40(3.6)a), 40(3.6)b) et 53(1)f.2) de la Loi, ne tombant pas ainsi sous le champ d’application textuel du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) de la Loi.

          Analyse contextuelle

[58]        Dans l’arrêt Copthorne, précité, la Cour suprême du Canada a indiqué que « l’examen du contexte suppose l’examen d’autres dispositions de la Loi, ainsi que des moyens extrinsèques admissibles […] Cependant, toutes les dispositions de la Loi ne sont pas pertinentes pour la définition du contexte de la disposition en cause. La pertinence tient en fait au ‘regroupement des dispositions ou à leur interaction pour la mise en œuvre d’un plan plausible et cohérent ».

[59]        Le contexte pertinent en l’espèce comprend le régime de la Loi en matière d’imposition des sociétés et de leurs actionnaires, et le régime de la Loi en matière de capital versé.

[60]        Le régime de la Loi en matière d’imposition des sociétés et de leurs actionnaires implique deux paliers d’imposition : la société est imposée sur son revenu et l’actionnaire est imposé lorsqu’il reçoit une distribution de la société.

[61]        Lorsque la distribution se fait par voie de dividende à un actionnaire qui est un particulier, le dividende est majoré et inclus dans le revenu de l’actionnaire en vertu du paragraphe 82(1) et de l’alinéa 12(1)j) de la Loi. L’actionnaire a alors droit à un crédit d’impôt pour dividende en vertu de l’article 121, ce qui compense pour l’impôt déjà payé par la société.

[62]        Généralement, dans le cas d’un dividende reçu par un actionnaire qui est lui-même une société, le dividende sera inclus dans le calcul du revenu net de la société, mais pourra être déduit lors du calcul de son revenu imposable en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi.

[63]        Ce mécanisme de majoration des dividendes imposables et de crédit d’impôt pour dividendes est fondamental dans le régime fiscal canadien. Il a pour but, en termes de politique fiscale, d’assurer une certaine neutralité fiscale, qu’une source de revenu soit réalisée par le particulier directement comme entrepreneur autonome ou indirectement par l’entremise d’une société canadienne. C’est le principe d’intégration.

[64]        Lorsque la distribution des surplus d’une société se fait autrement que par voie de dividendes, la Loi prévoit plusieurs dispositions, notamment les articles 84, 84.1 et 212.1 et le paragraphe 85(2.1), qui visent à assimiler de telles distributions à des versements de dividendes. Il existe donc un schéma clair dans la Loi qui vise à imposer entre les mains de ses actionnaires les surplus d’une société à titre de dividendes, à moins que ces montants ne représentent un remboursement du capital. Ces dispositions empêchent qu’une société soit dépouillée de ses surplus et que, conséquemment, le palier d’imposition au niveau du particulier soit évité ou réduit (voir le paragraphe 49 de la décision Gwarz, précitée).

[65]        Le régime en matière de capital versé prévoit que le montant de capital investi par un actionnaire dans une société peut lui être retourné libre d’impôt parce que l’investissement initial est effectué au moyen de fonds libérés d’impôt. En droit fiscal canadien, le capital versé (défini au paragraphe 89(1) de la Loi) représente normalement, le capital investi lors de l’émission des actions. Toute distribution d’un montant qui excède cet investissement initial est sujet à l’impôt à titre de dividende.

[66]        Par exemple, le paragraphe 84(3) de la Loi permet aux actionnaires de toucher le capital versé de leurs actions en franchise d’impôt lors du rachat de celles-ci. L’excédent de la somme payée par la société lors du rachat sur le capital versé des actions est réputé être un dividende.

[67]        De plus, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne, précité, le paragraphe 89(1), qui définit l’expression « capital versé » pour les fins de la Loi, incorpore par renvoi des dispositions, comme les articles 84.1 et 212.1, qui réduisent le capital versé des actions d’une société. Ces dispositions permettent que soit atteint l’objectif du législateur, « à savoir que seul le remboursement des fonds libérés d’impôt investis ne soit pas ajouté au revenu ». Les articles 84.1 et 212.1 « réduisent tous deux le capital versé lors d’opérations avec lien de dépendance. On les qualifie de dispositions « anti-évitement » visant le dépouillement des dividendes […] car grâce à ces opérations avec lien de dépendance, les sociétés peuvent verser aux actionnaires, à titre de remboursement de capital non imposable plutôt que de dividende imposable, une somme supérieure à l’investissement initial de fonds libérés d’impôt (voir les paragraphes 92 à 96 de l’arrêt Copthorne, précité).

[68]        Lorsque l’article 84.1 s’applique, le montant maximal qui peut être reçu par le contribuable cédant à titre de remboursement de capital versé, est limité au plus élevé du capital versé des actions transférées et de ce qu’on peut désigner comme étant « le prix de base rajusté effectif sans lien de dépendance » ou comme étant le prix de base rajusté dit « dur » des actions pour l’auteur du transfert (communément appelé « hard ACB » en anglais). Voici comment l’explique Michael Dolson and Jon D. Gilbert dans leur récent article intitulé « Accessing Surplus: What Works, What Doesn’t, What’s Left », 2014 Prairie Provinces Tax Conference, (Toronto : Canadian Tax Foundation), 9: 1-57, aux pages 8 et 9 :

While subsection 84.1(1) would ordinarily apply to prevent surplus stripping in the form of a straightforward exchange of a shareholder’s shares for property of the corporation, it does not apply to prevent surplus stripping using « hard » ACB (i.e. ACB resulting from an arm’s length share purchase or a non-arm’s length transaction in which the capital gain on the share transfer was not sheltered by a capital gains deduction or V-Day increment).

If a shareholder realizes a capital gain on his or her shares in any manner that does not involve the claiming of a capital gains deduction or V-Day increment, the shareholder will have hard ACB in those shares to the extent of the gain, and subsection 84.1(1) would not apply if the shares were exchanged for a note or high-PUC share of another non-arm’s length corporation. This legislative gap in the legislative scheme supports the contention that there is not a general scheme of the Act relating to surplus stripping, as Parliament must be aware of the potential for rate arbitrage in circumstances where ACB is created.

          Analyse téléologique

[69]        À cette étape de l’analyse, la Couronne doit démontrer l’esprit sous-jacent à la disposition en cause de manière précise (voir le paragraphe 94 de l’arrêt Lipson, précité, le paragraphe 41 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, et le paragraphe 30 de la décision Evans c. La Reine, 2005 CCI 684).

[70]        L’article 84.1 a été ajouté dans la Loi lors du discours sur le budget de 1977. Son objectif initial était d’éviter que les contribuables puissent retirer libre d’impôts les surplus en mains existants d’une société au 31 décembre 1971.

[71]        En 1985, pour faire suite à l’adoption des règles relatives à la déduction pour gains en capital, des modifications ont été proposées relativement à l’article 84.1 de la Loi. En novembre 1985, le ministre des Finances a publié les notes techniques relatives au projet de loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois connexes :

L’article 84.1 de la loi constitue une règle anti-évitement servant à prévenir le retrait des surplus imposables d'une corporation à titre de remboursement du capital en franchise d'impôt lorsqu'il y a transfert d'actions avec lien de dépendance d'un particulier résidant au Canada à une corporation. Bien que le but de cette disposition soit conservé, les moyens pris à cet égard ainsi que la portée de ce but ont été modifiés par suite de la nouvelle exemption à vie pour gains en capital.

Le présent paragraphe 84.1(1) de la loi a pour effet de réputer un gain en capital immédiat ou une réduction du prix de base rajusté lors de certains transferts avec lien de dépendance d'actions d'une corporation résidant au Canada en faveur d'une autre corporation par un contribuable résidant au Canada autre qu'une corporation. Étant donné que l'impôt net sur les dividendes équivalait approximativement [à] l'impôt sur les gains en capital, l'article 84.1 avait pour but de décourager le recours à certaines techniques de dépouillement des surplus par les corporations, appelées dépouillements du « jour de l'évaluation ».

Par suite de l'introduction de l'exemption pour gains en capital, les règles prévues actuellement au paragraphe 84.1(1) ne sont plus appropriées étant donné que le gain sur le transfert d'actions peut être exonéré. Par conséquent, le paragraphe 84.1(1) est abrogé et remplacé par une règle qui exige une réduction du capital versé et, dans certaines circonstances, la reconnaissance immédiate d'un dividende sur certains transferts d'actions avec lien de dépendance à une corporation qui ont lieu après le 22 mai 1985. À cette fin, les critères relatifs aux liens de dépendance que renferme actuellement le paragraphe 84.1(2) sont conservés. La règle fondamentale prévue au nouveau paragraphe 84.1(1) est que le montant maximal qui peut être reçu par l'auteur du transfert de la part de la corporation bénéficiaire du transfert à titre de produit sous forme de toute contrepartie autre qu'en actions et le capital versé de la contrepartie en actions est limité au plus élevé du capital versé des actions transférées et de ce que l'on peut désigner comme le prix de base rajusté effectif sans lien de dépendance des actions pour l'auteur du transfert.

Le nouvel alinéa 84.1(1)a) prévoit une réduction du capital versé pour chaque catégorie d'actions de l'acheteur duquel les actions ont été émises en contrepartie de l'acquisition par celui-ci d'actions d'une autre corporation. Il faudra effectuer une réduction du capital versé dans le cas où l'augmentation du capital légal versé des actions de l'acheteur résultant du transfert des actions dépasse l'excédent éventuel du plus élevé du capital versé des actions transférées et du prix de base rajusté, modifié en vertu des nouveaux alinéas 84.1(2)a) et a.1), pour l'auteur du transfert des actions, sur la juste valeur marchande de toute contrepartie autre qu'en actions versée par l'acheteur et faisant partie du prix d'achat des actions transférées. La réduction du capital versé est répartie parmi les différentes catégories d'actions de l'acheteur en fonction des augmentations de capital légal versé résultant du transfert des actions.

En vertu du nouvel alinéa 84.1(1)b), l'acheteur est réputé avoir payé un dividende à l'auteur du transfert lorsque le total du montant de l'augmentation du capital légal versé de ses actions résultant du transfert des actions, et de la juste valeur marchande de la contrepartie autre qu'en actions donnée par l'acheteur pour les actions transférées dépasse le total

a)      du plus élevé du prix de base rajusté, modifié en vertu du nouvel alinéa 84.1(2)a) ou a.1) pour l'auteur du transfert des actions transférées, et du capital versé des actions transférées et

b)      du total des réductions de capital versé qui doivent, en vertu de l'alinéa 84.1(1)a), être effectuées par l'acheteur.

L’excédent est le montant qui sera considéré comme un dividende.

[72]        Dans leur article intitulé « Accessing Surplus : What works, What Doesn’t, What’s Left », précité, les auteurs Jon. D Gilbert et H. Michael Dolson ont dressé un portrait très pertinent de l’article 84.1 de la Loi et de ce qu’il avait pour objet de prévenir (voir les extraits suivants tirés des pages 4, 5, 9 et 14) :

. . .

Section 110.6 permits shareholders to receive up to $800,000 (indexed for inflation) tax-free on a disposition of shares in the capital stock of a qualified small business corporation, family farm corporation or family fishing corporation. Preventing taxpayers from using the capital gains deduction to extract surplus on a tax-free basis is one of the main reasons why subsection 84.1(1) is needed, as the surplus stripping potential of the capital gains deduction is obvious.

. . .

Subsection 84.1(1) does apply in a more robust fashion to shares with “soft” ACB described in subsection 84.1(2), which was either created by owing (sic) property on V-Day or through the use of the capital gains deduction. It is this “soft” ACB that presents the most attractive tax planning opportunities, as utilizing V-Day increment or the capital gains deduction while avoiding subsection 84.1(1) permits the tax-free extraction of corporate surplus. Unsurprisingly, the need to police the direct or indirect use of “soft” ACB adds complexity to section 84.1.

. . .

Speaking generally, section 84.1 is intended to prevent taxpayers from directly exchanging low-PUC or low-ACB shares for corporate assets without paying a dividend, while also preventing exchanges of high-ACB shares for corporate assets in circumstances where the ACB arose from a non-taxable transaction or event.

[Je souligne.]

[73]        Dans l’affaire Desmarais c. La Reine, 2006 CCI 44, la Cour expliquait l’objectif visé par le législateur en édictant l’article 84.1 de la Loi de la façon suivante :

[32] Il découle de l'analyse textuelle et contextuelle de l'article 84.1 que - et cela est conforme aux notes techniques du ministre des Finances - l'intention du législateur est d'empêcher le dépouillement des surplus d'une société en exploitation lorsqu'on utilise pour ce dépouillement un mécanisme semblable à celui utilisé ici par monsieur Desmarais. Ce mécanisme est celui au moyen duquel ce dernier a pu recevoir sans impôt des surplus d'une société en exploitation à la suite d'un transfert des actions de cette société à une société de portefeuille et à la suite du rachat, à même les surplus reçus de la société en exploitation, des actions émises en contrepartie des actions de la société en exploitation.

[74]        Ce raisonnement fut suivi par le juge Hogan dans la décision Descarries, précitée, une cause s’apparentant grandement à la présente, dans laquelle il a confirmé les explications données par les auteurs H. Michael Dolson et Jon D. Gilbert :

[53] Les alinéas 84.1(2)a), a.1) et le paragraphe 84.1(2.01) modifient le calcul du prix de base rajusté des actions concernées aux fins mentionnées ci‑dessus. En vertu des règles établies dans ces dispositions, la partie du prix de base rajusté des actions concernées qui est attribuable à la valeur accumulée en 1971 n’est pas reconnue, et ce, afin d’empêcher que les actionnaires utilisent la marge libre d’impôt pour dépouiller une société de ses surplus. Cet ajustement s’applique également lorsque les actionnaires ont acquis les actions concernées après 1971 d’une personne avec qui ils avaient un lien de dépendance. Une règle similaire s’applique pour empêcher que l’exonération des gains en capital soit utilisée pour dépouiller une société de ses surplus dans des cas analogues. En résumé, les règles précises démontrent que l’objet et l’esprit de l’article 84.1 de la Loi sont d’empêcher que les contribuables mettent en place des transactions dont l’objectif est de dépouiller une société de ses surplus en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de la marge libre d’impôt ou de l’exonération des gains en capital.

[75]        C’est à juste titre que l’intimée a soulevé l’historique de l’ancien paragraphe 247(1) de la Loi aux fins de l’analyse de l’objet de l’article 84.1. En effet, l’ancien paragraphe 247(1) de la Loi qui correspond aujourd’hui à la RGAÉ, prévue à l’article 245, a également été modifié avec l’arrivée de la déduction pour gains en capital dans le régime fiscal canadien. Tel que le prévoyaient les Notes techniques du Ministère des Finances de novembre 1985, précitées, relativement au paragraphe 247(1), cette disposition générale anti-évitement sera applicable dans la mesure où, au terme de la réorganisation d’une société canadienne, le capital versé des actionnaires est augmenté de façon inappropriée sans qu’une disposition spécifique anti-évitement de la Loi ne s’applique.

          Y a-t-il eu contravention de l’objet ou de l’esprit de l’article 84.1?

[76]        Puisque l’appelant a admis qu’il existait un avantage fiscal découlant d’une série d’opérations d’évitement, les motivations qui ont mené à la présente réorganisation ne sont pas pertinentes aux fins de déterminer si ces opérations ont eu pour effet d’abuser ou de contrecarrer l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes (voir les paragraphes 34 à 38 de l’arrêt Lipson, précité).

[77]        La RGAÉ ne s’applique pas dès qu’il est établi qu’une série d’opérations a mené à un avantage fiscal. Plutôt, la RGAÉ s’applique si cette série d’opérations a eu pour effet de contrecarrer ou d’abuser l’objet ou l’esprit de la disposition en cause – soit l’article 84.1 de la Loi (voir les paragraphes 44, 57 et 59 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité).

[78]        En l’espèce, il ressort de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique que l’objet ou l’esprit de l’article 84.1 de la Loi est d’empêcher qu’un contribuable puisse, au moyen de transactions avec des personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance, s’adonner au dépouillement de surplus d’une société grâce à l’utilisation de la déduction pour gains en capital ou de la valeur libre d’impôt au jour de l’évaluation (voir les paragraphes 30 à 34 de la décision Desmarais, précitée, les paragraphes 53 et 54 de la décision Descarries, précitée, et les paragraphes 61, 62 et 90 de la décision Poulin c. La Reine, 2016 CCI 154). Je note toutefois que la prémisse de cette disposition n’est pas d’empêcher tout dépouillement de surplus libre d’impôt.

[79]        Pour paraphraser le juge Hogan dans la décision Descarries, précitée, l’article 84.1 constitue une disposition anti-évitement qui a pour objet d’« empêcher que [dans un contexte de transactions entre personnes ayant entre elles un lien de dépendance] l’exonération des gains en capital soit utilisée pour dépouiller une société de ses surplus » (voir le paragraphe 53 de la décision Descarries, précitée et le paragraphe 30 de la décision Desmarais, précitée) de manière à éliminer la facture d’impôt. Or, c’est exactement ce qui s’est produit ici.

[80]        Lorsque l’appelant a procédé au rachat des 1 010 328 actions de catégorie G de la société de P. Pom Inc., celles-ci avaient un capital versé de 15 700 $ et un prix de base rajusté correspondant à leur juste valeur marchande, soit 1 010 328 $. Le prix de base rajusté de ces actions provenait entièrement du montant de la déduction pour gains en capital que l’appelant, sa mère et sa sœur avaient réclamé conformément à l’article 110.6 de la Loi lors de la cristallisation des actions de catégorie F qu’ils détenaient chacun dans la société Groupe Pomerleau Inc. auxquelles les actions de catégorie G dans la société P. Pom Inc. ont été substituées. Il s’agissait ainsi d’un prix de base rajusté dit « mou » (« soft » adjusted cost base en anglais).

[81]        L’une des conséquences de ce rachat a été de générer pour l’appelant une perte en capital d’un montant de 994 628 $, laquelle fut transférée au prix de base rajusté des actions de catégorie A qu’il détenait dans la société P. Pom Inc. par l’effet du paragraphe 40(3.6) de la Loi. Ce faisant, l’appelant prétend avoir transformé ce qui constituait jadis un prix de base rajusté dit « mou » en un prix de base rajusté dit « dur » non visé par les mécanismes de réduction du prix de base rajusté prévus au paragraphe 84.1(2) de la Loi. Cette opération a par conséquent permis d’augmenter, lors d’un roulement ultérieur, le capital versé des actions de catégorie C qu’il a reçues de Gestion Pierre Pomerleau Inc. en contrepartie des actions de catégorie A de la société P. Pom Inc. en évitant l’application de l’article 84.1 de la Loi.

[82]        Cette stratégie a, par contre, eu pour effet de contourner d’une manière abusive l’objectif même de l’article 84.1 de la Loi, soit d’éviter le dépouillement du surplus d’une société en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de la valeur au jour de l’évaluation ou de la déduction pour gains en capital (voir le paragraphe 57 de la décision Descarries, précitée).

[83]        En effet, cette série d’opérations a permis à l’appelant, lors du rachat des actions de catégorie C de la société Gestion Pierre Pomerleau Inc., d’extraire en retour un capital libre d’impôt au montant de 994 628 $ provenant des surplus de sa société grâce à l’utilisation de sa déduction pour gains en capital et de celles de sa mère et de sa sœur.

[84]        Avant la réorganisation, le montant qui pouvait être rapatrié libre d’impôt de la société était nominal. Après la série d’opérations, les attributs fiscaux des actions permettaient une distribution sans impact fiscal des surplus de la société Gestion Pierre Pomerleau Inc. à la hauteur de 994 628 $, ce qui correspond exactement au montant des déductions pour gains en capital réclamées par l’appelant, sa mère et sa sœur.

[85]        À défaut d’avoir préalablement isolé le prix de base rajusté dit « mou » dans les actions de catégorie G de la société P. Pom Inc. afin de procéder au rachat ayant généré la perte en capitale et ayant par conséquent servi à augmenter le prix de base rajusté des actions de catégorie A de la société P. Pom Inc., il n’aurait pas été possible d’éviter les impacts fiscaux découlant de l’article 84.1 de la Loi. En effet, un simple roulement de celles-ci n’aurait pas empêché les nouvelles actions de voir leur prix de base rajusté réduit par l’effet des alinéas 84.1(2)a) et a.1) de la Loi.

[86]        Tel qu’expliqué à l’audience par l’avocate de l’intimée, le capital versé des actions de catégorie C de la société Gestion Pierre Pomerleau Inc. détenues par l’appelant a été augmenté d’une manière inappropriée, lui permettant ainsi de retirer en franchise d’impôt un montant supérieur aux fonds libérés d’impôt qui ont été investis dans la société; un résultat que l’article 84.1 de la Loi vise spécifiquement à empêcher. Je suis convaincu qu’il s’agit là d’un évitement fiscal abusif de l’article 84.1 de la Loi et que, par conséquent, le ministre était justifié d’appliquer l’article 245 de la Loi afin de réputer un dividende imposable d’un montant de 994 628 $ à l’appelant au cours de l’année en cause.

[87]        Les avocats de l’appelant ont soumis que, dans un contexte de rachat d’actions dont le prix de base rajusté a préalablement été augmenté par l’effet de l’utilisation de la déduction pour gains en capital, le régime prescrit par les alinéas 40(3.6)b), 53(1)f.2) et l’article 84.1 de la Loi ne prévoient aucune règle de limitation des pertes. Selon ces derniers, de conclure comme je l’ai fait, aurait pour effet de créer une règle de limitation des pertes qui n’est en rien supportée par la Loi, telle que lue dans son ensemble. À cet égard, ils ont rappelé que la RGAÉ ne doit servir qu’à combler une lacune législative ou un oubli du Parlement (voir les paragraphes 41 et 42 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, et les paragraphes 47 et 48 de la décision Gwartz, précitée).

[88]        Finalement, les avocats de l’appelant ont soutenu que, si je devais conclure que la RGAÉ s’appliquait à la transaction, je devrais distinguer les actions dont le prix de base rajusté dit « mou » a été reçu de sa mère et sa sœur des actions qu’il possédait lors de la cristallisation. Avec respect, je ne partage pas cet avis.

[89]        En effet, rien dans la Loi ne supporte une telle prétention. Au contraire, l’alinéa 84.1(2)a.1) de la Loi a pour effet que le prix de base rajusté dit « mou » d’une action suit cette action lors de transactions réalisées dans un contexte de lien de dépendance de même que de toute nouvelle action y étant substituée. Une fois qu’il est établi que les transactions ont eu lieu dans un contexte de lien de dépendance, l’article 84.1 de la Loi ne prévoit aucune distinction quant à savoir si les actions concernées ont fait l’objet d’un transfert effectif de propriété ou non.

[90]        La décision anticipée à laquelle les avocats de l’appelant ont fait référence dans le cadre de leurs plaidoiries, ne liait l’ARC qu’à l’égard de la partie qui l’a demandée. Les décisions anticipées qui sont publiées, au même titre que les bulletins d’interprétation et les circulaires d’information, ne sont que des positions administratives n’ayant aucune force obligatoire et ne pouvant lier d’aucune façon l’ARC. De toute façon, la décision anticipée en question a été publiée après que l’appelant ait réalisé les opérations d’évitement ci-dessus décrites.

[91]        Pour toutes ces raisons, l’appel de l’appelant à l’encontre de la nouvelle cotisation datée du 19 mai 2011 à l’égard de l’année d’imposition 2005 est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2016.

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 









 

 


 

RÉFÉRENCE :

2016 CCI 228

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-517(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Pierre Pomerleau et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 6 juin 2016

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

le 10 novembre 2016

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me Angelo Nikolakakis

Me Louis Tassé

 

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Noms :

Me Angelo Nikolakakis

Me Louis Tassé

Cabinet :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Certificats et Statuts de modification de Groupe Pomerleau Inc., 15 décembre 1995, 18 décembre 1997, 17 décembre 1998 et 26 novembre 2004, Annexe A.

[2] Certificat et Statuts de constitution de P Pom Inc., 19 octobre 1999, Annexe B.

[3] Certificat et Statuts de constitution de Gestion Pierre Pomerleau Inc., 26 novembre 2004, Annexe C.

[4] Certificat et Statuts de modification de P Pom Inc., 26 novembre 2004, Annexe D.

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