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Dossier : 2005-1351(IT)G

ENTRE :

BRIDGETTE CAYER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus les 5, 6 et 7 décembre 2006, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelante :

Me Kenneth Bickley

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels concernant les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001 et 2002 sont rejetés, avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2007.

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2007CCI136

Date : 20070315

Dossier : 2005-1351(IT)G

ENTRE :

 

BRIDGETTE CAYER,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Campbell

 

 

[1]     Il s’agit d’un appel concernant les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1999, 2000, 2001 et 2002 de l’appelante.

 

[2]     À l’ouverture de l’audience, l’appelante a accepté de retirer son appel pour les années d’imposition 1999 et 2000. Par conséquent, le présent appel ne traite que des années d’imposition 2001 et 2002. Il n’y a donc que deux questions à trancher :

 

-         Les profits tirés par l’appelante de la vente de trois propriétés résidentielles devraient-ils être considérés comme un revenu d’entreprise et donc être imposables aux termes du paragraphe 9(1), ou comme des gains en capital et être exonérés d’impôt parce qu’il s’agissait de résidences principales aux termes de l’alinéa 40(2)b);

 

-     Si les profits sont considérés comme un revenu d’entreprise, les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) sont-elles appropriées dans les circonstances.

 

[3]     Si je conclus que les profits de l’appelante constituent un revenu d’entreprise, les parties ont reconnu que les profits évalués devraient être rajustés de la manière suivante :

 

 

 

2001

2002

Évaluation initiale du profit

166 329 $

121 616 $

Évaluation rajustée du profit

125 541 $

  86 547 $

 

 

Qualification des profits

 

[4]     La question de savoir si la vente de propriétés constitue un revenu d’entreprise ou est exonérée à titre de gain en capital est uniquement une question de fait. Pour prendre cette décision, il faut analyser toutes les circonstances de l’espèce.

 

[5]     L’appelante est une mère monoparentale de trois enfants. À part quelques exceptions, elle n’a pas été employée pendant quelque 20 ans. Sa principale source de revenu, qu’elle a inscrite dans ses déclarations d’impôt de 1993 à 2002, provenait de l’aide sociale. Il semblerait qu’elle touche maintenant des prestations d’invalidité provinciales.

 

[6]     Malgré ce revenu limité, qu’elle a déclaré, l’appelante a acheté, construit ou rénové, puis vendu des propriétés évaluées entre 300 000 $ et 400 000 $. Cet appel traite précisément de trois de ces propriétés, qui ont été achetées et vendues sur une période de vingt-six mois : le 38 Balding Crescent à Kanata (« Balding »), le 19 Stonecroft Terrace à Kanata (« Stonecroft ») et le 35 Franklin Cathcart Crescent à Stittsville (« 35 Franklin »). Toutefois, ces trois transactions ne peuvent être analysées de façon séparée. Il faut les examiner dans le contexte d’événements reliés qui se sont produits avant et après cette période.

 

 

[7]     De la fin des années 1980 jusqu’au début des années 1990, l’appelante et son époux étaient propriétaires d’une compagnie de construction, Brickton Construction Inc. (« Brickton »). Chacun détenait 50 % des actions et, du moins au début, ils étaient tous deux administrateurs. Il ne ressort pas clairement de la preuve si l’appelante a continué d’occuper ce poste, ou un autre, pendant toute la durée d’existence de la société.

 

[8]     Pendant son existence, Brickton a construit et vendu à peu près sept maisons. Toutefois, Brickton n’a jamais déclaré de revenu et, au début des années 1990, la société a fait l’objet d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Comme aucun registre n’était tenu, l’ARC a établi des cotisations à l’encontre de l’appelante et de son époux concernant l’affectation des profits de la société.

 

[9]     Il semblerait que l’époux de l’appelante était responsable des activités de construction de la société, alors que l’appelante se chargeait des fonctions administratives. L’appelante a laissé entendre que son rôle était très minime : [Traduction] « Tout ce que je – j’essayais de faire, comme je l’ai dit, c’était d’organiser l’argent que mon ex-époux ramenait à la maison » (transcription, page 193, lignes 10 et 11). Les affirmations de l’appelante ne me convainquent pas, cependant, et je crois que ses déclarations sont de simples tentatives pour minimiser son rôle dans Brickton. Le vérificateur de l’ARC, Gaétan Lafleur, a déclaré que l’appelante était la « personne-ressource » (transcription, page 500, ligne 8, et page 513, ligne 5) et que c’était elle qui [Traduction] « tenait les livres de la société et connaissait suffisamment les registres et leurs rapports avec sa déclaration » (pièce A‑3, page 469). Bien qu’elle n’ait pas elle-même participé aux travaux, je conclus qu’à titre d’actionnaire et d’administratrice de Brickton, elle était activement engagée avec son époux dans la construction de propriétés résidentielles destinées à la vente.

 

[10]    En 1993, Brickton a mis fin à son exploitation et l’appelante et son époux se sont séparés. Au cours des sept années qui ont suivi, l’appelante a poursuivi ses activités d’agente immobilière et elle a, par elle-même, acheté et vendu cinq propriétés résidentielles.

 

[11]    Au moment de sa séparation, l’appelante était propriétaire du 10 Holly Ridge Crescent à Stittsville. Elle a vendu cette maison en septembre 1994 pour la somme de 300 000 $ après en avoir été propriétaire pendant un an et demi, parce que [Traduction] « c’était le foyer conjugal, et nous nous étions séparés » (transcription, page 221, ligne 1) et [Traduction] « je ne pouvais en assumer les frais toute seule » (transcription, page 223, ligne 2).

 

[12]    L’appelante a ensuite acheté le 14, Fourth Avenue à Stittsville, en septembre 1994 pour la somme de 220 000 $, parce qu’elle voulait [Traduction] « une maison pour que mes enfants y vivent, qu’ils puissent fréquenter la même école et qu’ils n’aient pas l’impression que leur vie était trop bouleversée » (transcription, page 125, lignes 3 à 6). Elle a vendu cette maison en septembre 1996 pour 227 000 $ parce que [Traduction] « je n’en avais pas les moyens » (transcription, page 82, ligne 13) et que [Traduction] « je ressentais un certain malaise sur Fourth Avenue, parce que j’étais la seule mère monoparentale du voisinage et je ne m’y sentais pas bien » (transcription, page 84, lignes 2 à 4).

 

[13]    Ensuite, en novembre 1996, l’appelante a acheté le 28, Sherring Crescent à Kanata, pour 160 000 $ parce que [Traduction] « c’était une maison plus petite, plus dans mes moyens » (transcription, page 83, lignes 21-22) et que [Traduction] « ma sœur vivait là-bas, et ma mère était plus près à Bells Corners. Les dépenses étaient aussi moins élevées que celles que j’avais dans ma maison » (transcription, page 225, lignes 9 à 11). Elle a vendu cette maison en novembre 1997 pour 202 500 $ parce que [Traduction] « mon beau-frère m’a offert un terrain un peu plus haut sur la rue et il m’a dit qu’il m’aiderait à y construire une maison » (transcription, page 225, de la ligne 25 à la ligne 1 de la page 226).

 

[14]    Avant de vendre le 28, Sherring Crescent, l’appelante a acheté le terrain du 78, Sherring Crescent à Kanata pour la somme de 55 000 $ en septembre 1997, où elle a construit sa première maison après s’être séparée de son époux. Elle l’a vendue pour 275 500 $ le 26 septembre 2000, sous prétexte que [Traduction] « je ne me sentais pas bien là-bas » (transcription, page 227, lignes 6 et 7) à cause de différends avec son voisin; elle ajoute que, [Traduction] « en plus de trois ans, je ne lui ai jamais parlé, et il était difficile de vivre près de lui, j’en avais assez » (transcription, page 93, lignes 18 à 20) et [Traduction] « je ne voulais vraiment pas avoir affaire à lui. Tout ce que je voulais, c’était partir » (transcription, page 94, lignes 23 et 24). Elle prétend avoir quitté cette propriété [Traduction] « en pensant que, plus tard, j’aimerais me construire une autre maison » (transcription, page 228, lignes 15 et 16) (non souligné dans l’original).

 

[15]    Nous abordons maintenant la période qui fait l’objet du présent appel. Le tableau suivant détaille la chronologie des trois opérations pertinentes.

 

 

 

Balding

Stonecroft

35 Franklin

Date du contrat d’achat

27 août 2000

10 septembre 2000

13 septembre 2001

Date de signature

27 septembre 2000

7 novembre 2000

1er octobre 2001

Prix d’achat

324 300 $

49 500 $

46 000 $

Date du permis de construction

s/o

21 novembre 2000

10 septembre 2001

Date d’occupation

s/o

29 mars 2001

17 janvier 2002

Date de mise
 en vente

24 octobre 2000

8 juin 2001

26 avril 2002

Date des contrats de vente

1er novembre 2000

22 août 2001

12 juin 2002

Date de vente

30 mars 2001

2 novembre 2001

15 octobre 2002

Prix de vente

395 000 $

335 000 $

338 000 $

 

[16]    Je traiterai d’abord de Balding. L’appelante prétend qu’elle était pressée de trouver une nouvelle propriété. Elle déclare ceci : [Traduction] « J’avais très peu de temps pour quitter la maison. Les gens qui avaient acheté Sherring étaient de l’extérieur de la ville. Je n’avais pas beaucoup de temps pour acheter. Il y avait très peu de maisons sur le marché à l’époque. J’ai même pensé louer quelque chose. Mais les loyers étaient astronomiques. En plus, je voulais rester dans le même quartier pour que mes enfants n’aient pas à changer d’école, et c’était la seule maison disponible » (transcription, page 96, de la ligne 23 à la ligne 5 de la page 97). Elle a en outre ajouté ceci : [Traduction] « Le prix était plus élevé que ce que je pouvais me permettre quand je l’ai achetée. Mais, n’ayant rien trouvé d’autre … » (transcription, page 98, lignes 9 et 10).

 

[17]    L’appelante a immédiatement commencé à faire d’importantes rénovations à la propriété Balding, notamment changer les planchers, remplacer les comptoirs de cuisine et repeindre les murs. Elle prétend ceci : [Traduction] « Oui, j’avais l’intention de demeurer là-bas » (transcription, page 230, lignes 24 et 25), « pas pour toujours » (transcription, page 231, ligne 5), « je ne savais pas pour combien de temps. Mais, je n’avais certainement pas l’intention d’y emménager pour déménager tout de suite après » (transcription, page 231, lignes 10 et 11). Quand l’avocat l’a interrogée concernant ses déclarations faites lors de l’interrogatoire préalable, et plus précisément celle-ci : [Traduction] « Je n’ai jamais eu l’intention d’y demeurer » (transcription, page 235, lignes 6 et 7), l’appelante a répondu : [Traduction] « J’aurais dû m’exprimer différemment. Cela n’a jamais été mon intention d’y demeurer pour toujours, parce que je voulais construire une autre maison » (transcription, page 235, lignes 23 à 25).

 

[18]    Si l’on examine la chronologie des événements, on constate que l’appelante a acheté la propriété Balding le 27 septembre 2000, qu’elle l’a rénovée et l’a ensuite mise en vente le 4 octobre 2000, moins d’un mois plus tard. Elle a déclaré que c’était [Traduction] « plus cher que ce que je pouvais me permettre. Elle coûtait […] l’hypothèque était élevée, et la maison ne me plaisait pas vraiment. Elle était grande et il y avait un grand sous-sol avec une sortie donnant sur l’extérieur » (transcription, page 99, lignes 12 à 15).

 

[19]    En réalité, l’appelante avait déjà signé un contrat d’achat pour le terrain Stonecroft le 10 septembre 2000, bien avant d’emménager sur Balding. Après avoir trouvé un acheteur pour Balding, elle a immédiatement commencé la construction de Stonecroft. Dans la planification de l’aménagement de Stonecroft, l’appelante a dit qu’elle a tenu compte du fait que son ami, Rodney Phillips, emménagerait avec elle et elle a modifié les plans pour y accueillir les deux filles de M. Phillips. Ils ont emménagé dans la maison, une fois celle-ci terminée, à la fin de mars 2001.

 

[20]    En juin 2001, M. Phillips est parti et, selon l’appelante, c’est ce qui l’a amenée à mettre Stonecroft en vente. Elle a déclaré : [Traduction] « J’ai mis la maison en vente parce que je voulais tout simplement quitter cette maison. Je me sentais très honteuse dans le petit quartier où je vivais » (transcription, page 108, lignes 11 à 13). Elle a également déclaré : [Traduction] « Mon fils était parti et me manquait beaucoup. Il fréquentait l’école à Stittsville » (transcription, page 108, lignes 9 et 10) et [Traduction] « Je voulais revenir à Stittsville pour que mes enfants puissent aller à l’école ensemble. Cela me dérangeait beaucoup qu’il – nous étions divorcés, mais cela ne veut pas dire que mes enfants devaient être divorcés, eux aussi » (transcription, page 108, lignes 16 à 21).

 

[21]    L’appelante a vendu Stonecroft le 2 novembre 2001. Une partie du contrat de vente était un contrat d’un an sous la « garantie du constructeur » (pièce R-1, onglet 31) qui stipulait qu’à titre de constructeur, l’appelante garantissait que la propriété était exempte de certains vices de construction, notamment pour les fondations, le câblage électrique et la plomberie.

 

[22]    Entre-temps, l’appelante a acheté le terrain du 35 Franklin le 13 septembre 2001 et a commencé la construction peu après. À Noël 2001, apparemment, l’appelante et M. Phillips s’étaient réconciliés. Elle prétend qu’ils ont de nouveau discuté de la façon dont leurs familles pourraient vivre ensemble et décidé que la maison n’était pas appropriée. [Traduction] « Alors nous avons regardé – nous nous sommes demandé si nous pouvions modifier la maison que je venais juste de construire pour agrandir l’étage supérieur afin d’y loger nos quatre enfants, c’est-à-dire que tous les week-ends il y en aurait cinq, et la plupart du temps quatre » (transcription, page 119, lignes 12 à 16).

 

[23]    L’appelante a acheté le lot d’en face, au 39 Franklin Cathcart Crescent (le « 39 Franklin »), le 8 mars 2002. Elle a déclaré : [Traduction] « J’ai décidé – en fait, nous avons décidé, mais c’était mon idée de construire une maison, selon le même plan, mais en apportant des changements pour que nous puissions y vivre comme une famille avec tous nos enfants » (transcription, page 121, lignes 9 à 12). Elle a donc mis le 35 Franklin en vente le 26 avril 2002.

 

[24]    Le 22 mai 2002, l’appelante a également mis en vente le terrain non bâti du 39 Franklin. Elle a qualifié l’inscription de cette propriété de stratégie de marketing qui aiderait à la vente du 35 Franklin, précisant cependant qu’en fait le terrain n’était pas vraiment à vendre. Toutefois, le témoignage du courtier en immeubles contredit clairement celui de l’appelante : le 39 Franklin avait été mis en vente et, en fait, pouvait être vendu. Selon l’inscription du 39 Franklin, le constructeur était « Const. Cayer » et la propriété était ainsi décrite : [Traduction] « Nouvelle maison à construire. Pour voir modèle (également en vente sous le no 518949 du service interagences), appelez L.A. Le constructeur suivra les plans de l’acheteur – peut également construire un bungalow si désiré. Magnifique occasion de dessiner les plans de votre maison de rêve dans un croissant tranquille situé près de sentiers pédestres » (pièce R-1, onglet 40). Elle a déclaré que ces tactiques, y compris l’utilisation d’un nom de société pour vendre la propriété, étaient des stratégies de marketing suggérées par son courtier en immeubles.

 

[25]    Le 15 octobre 2002, l’appelante a vendu le 35 Franklin. Une fois encore, une partie du contrat d’achat était visée par la « garantie d’un an du constructeur » (pièce R-1, onglet 27), stipulant qu’en tant que constructeur l’appelante garantissait la propriété contre certains vices de construction, notamment les fondations, le câblage électrique et la plomberie.

 

[26]    L’appelante a emménagé le 6 octobre 2002, dans la maison nouvellement construite sur l’ancien terrain non bâti, situé au 39 Franklin. Le 10 janvier 2003, moins de trois mois plus tard, elle a accepté de vendre la propriété. Ici encore, une partie du contrat d’achat était visée par la « garantie d’un an du constructeur » (pièce R-1, onglet 55), stipulant qu’en tant que constructeur l’appelante garantissait la propriété contre certains vices de construction, notamment les fondations, le câblage électrique et la plomberie. Bien que le 39 Franklin ne soit pas l’une des propriétés en cause dans le présent appel, cela démontre que l’appelante poursuivait ses activités de vente immobilière et fournit un autre exemple de la nature contradictoire de son témoignage par rapport à ceux des autres témoins.

 

[27]    Entre l’été 2002 et le début de 2003, l’appelante a accepté d’acheter trois autres terrains sur le Franklin Cathcart Crescent :

 

(1)     58 Franklin – elle a accepté d’acheter le terrain le 16 août 2002 (pièce R-1, onglet 45) et elle en est toujours propriétaire, bien que lui aussi ait déjà été mis en vente;

 

(2)     31 Franklin – elle a accepté d’acheter le terrain le 31 janvier 2003, toutefois, la vente n’a pas été conclue parce qu’elle a cédé le contrat à un tiers le 30 avril 2003 (pièce R-1, onglet 60);

 

(3)     44 Franklin – elle a accepté d’acheter le terrain le 5 février 2003 et est toujours propriétaire de cet « investissement » (transcription, page 281, ligne 3).

 

[28]    Outre l’ensemble des circonstances décrites ci-dessus, il convient de noter que l’appelante, qui détenait un permis de vendeur d’immeubles a été, selon le témoignage de Laura Schwartz, une bonne vendeuse pour Tamarack Developments Corporation pendant environ 13 mois. Elle a dit que l’appelante était très compétente étant donné qu’elle avait réussi à vendre plusieurs terrains difficiles à vendre. Il est aussi intéressant de noter que l’appelante a donné des garanties du constructeur pour Stonecroft, le 35 Franklin et le 39 Franklin, pour un certain temps : un an, je crois. Selon le témoignage du courtier en immeubles, cela lui permettait de concurrencer d’autres constructeurs dans le voisinage. Toutefois, plusieurs acheteurs ont déclaré dans leur témoignage avoir fait une réclamation à l’appelante au sujet des garanties données. Enfin, il est tout à fait révélateur de constater qu’en raison des activités et de l’expérience antérieures de l’appelante dans le domaine de l’immobilier, M. Phillips a déclaré qu’il voulait s’engager avec elle dans une entreprise de construction.

 

[29]    La décision la plus fréquemment citée comme faisant autorité dans ce domaine est Happy Valley Farms Ltd. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 259, 86 DTC 6421 (C.F. 1re inst.) (« Happy Valley »). En 2003, la Cour d’appel fédérale a affirmé, dans l’arrêt Isaaks c. La Reine, [2003] 4 C.T.C. 183, 2003 DTC 5494 (C.A.F.), que cette décision faisait toujours autorité. Dans la décision Happy Valley, on fait ressortir six facteurs à prendre en considération pour faire la distinction entre les gains en capital et le revenu, dans le contexte d’une prétention à « résidence principale » aux termes de l’alinéa 40(2)b) de la Loi :

 

          -        la nature du bien vendu,

 

          -        la durée de la possession à titre de propriétaire,

 

          -        la fréquence ou le nombre d’opérations similaires,

 

          -        les améliorations apportées au bien,

 

          -        la raison qui a entraîné la vente du bien, et

 

          -        l’intention du contribuable au moment de l’acquisition du bien.

 

[30]    La nature du bien vendu – Toutes les propriétés étaient soit construites, soit rénovées dans de nouveaux secteurs d’aménagement où les propriétés changeaient rapidement de propriétaires et semblaient toutes présenter des caractéristiques susceptibles de plaire aux acheteurs éventuels. Ce facteur appuie la position de l’intimée selon laquelle l’entreprise de l’appelante consistait à vendre des propriétés à profit.

 

[31]    La durée de la possession à titre de propriétaire – Les trois maisons ont appartenu à l’appelante pendant un très court laps de temps. Toutefois, ce qui est encore plus révélateur, c’est le temps écoulé entre la prise de possession ou la date d’occupation, quand elle emménageait dans une propriété, et la date à laquelle elle la mettait en vente : Balding – quatre semaines, Stonecroft – dix semaines, et le 35 Franklin – quatorze semaines. En outre, quand on examine comment ces achats se chevauchent, il est clair que l’appelante n’a jamais eu l’intention de les conserver très longtemps. À mon avis, ces laps de temps très courts sont déterminants en l’espèce, étant donné qu’ils indiquent qu’il s’agissait de biens d’une entreprise, et non pas de résidences principales.

 

[32]    La fréquence ou le nombre d’opérations similaires – En tant qu’administratrice de Brickton, l’appelante avait participé à la construction d’au moins sept propriétés résidentielles destinées à la vente. Par la suite, en moins de dix ans, elle a acheté onze propriétés. Pour ce qui concerne les trois propriétés visées dans le présent appel, il est certainement intéressant de noter qu’elles présentaient des caractéristiques semblables. Il s’agissait dans tous les cas de propriétés résidentielles haut de gamme, valant entre 300 000 $ et 400 000 $ et situées dans des secteurs nouvellement lotis et recherchés. Toutes avaient des caractéristiques très semblables, par exemple, des planchers de bois franc, des plafonds de neuf pieds de hauteur et des armoires en bois franc. Je ne peux pas, non plus, ignorer le fait qu’elle a acheté cinq terrains sur Franklin Cathcart Crescent. Deux des maisons qu’elle y a construites suivaient à peu près le même plan et ont été vendues au même prix. L’appelante fait valoir que cette similitude s’explique simplement par le fait que les maisons ont été construites selon ses goûts personnels. À mon avis, les maisons étaient toutes semblables parce qu’elle insistait pour leur donner des caractéristiques de fort bonne qualité marchande qui permettraient une revente rapide afin de maximiser ses profits.

 

[33]    Les améliorations apportées au bien – L’appelante prétend que toutes les améliorations qu’elle a apportées aux propriétés avaient pour but de mieux les adapter à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle prétend que chaque maison qu’elle a construite était conçue uniquement selon ses goûts. Par exemple, elle prétend avoir choisi des couleurs vives qui s’harmonisaient avec ses meubles et son linge de maison, mais que ces couleurs ne plairaient pas nécessairement à d’éventuels acheteurs (avis d’appel de l’appelante, paragraphe 13). Toutefois, dans son témoignage, l’acheteur du 35 Franklin a décrit ces couleurs de la façon suivante : [Traduction] « principalement différentes couleurs de terre, des verts et des ocres, des jaunes et des bruns et des tons dans la même palette » (transcription, page 373, lignes 6 à 8) et il a nié qu’il y ait eu des pièces « très excentriques » (transcription, page 373, lignes 9 et 10). De même, de son propre aveu, l’appelante a utilisé un certain nombre de stratégies de marketing pour vendre ses propriétés. Elle a donné des garanties du constructeur aux acheteurs de ses propriétés. Elle prétend qu’elle a mis en vente le 35 et le 39 de la rue Franklin comme stratégie pour vendre le 35 Franklin. Elle a utilisé le nom « Construction Cayer » parce que toutes les autres maisons en vente dans le voisinage étaient vendues par des constructeurs. Que l’idée d’agir ainsi vienne d’elle, de son courtier en immeubles ou des courtiers en immeubles des acheteurs n’est pas pertinent, à mon avis. Elle a accepté d’adopter ces stratégies pour vendre ses propriétés. Ses choix pour la conception et la vente des propriétés indiquent tous qu’elle avait l’intention d’attirer un large marché, afin de maximiser ses profits.

 

[34]    La raison qui a entraîné la vente du bien – L’appelante a énuméré différentes raisons pour expliquer la vente des propriétés : trop grandes, trop petites, trop chères, trop loin et trop d’émotions, pour n’en citer que quelques-unes. Son témoignage intéressé à cet égard ne m’a pas convaincue. Elle a emménagé dans les maisons parce qu’elle croyait que c’était la seule façon de les vendre sans déroger au programme de garantie des nouvelles maisons : [Traduction] « Si je construis une maison, c’est pour y vivre » (transcription, page 255, lignes 1 et 2). Elle déménageait dès qu’elle trouvait un acheteur. Bien qu’il puisse y avoir un brin de vérité dans ses excuses opportunes, à mon avis, et au vu de l’ensemble de la preuve, ce ne sont pas les raisons principales pour lesquelles elle a vendu les propriétés. Elle a vendu les maisons parce que c’était son métier de vendre des propriétés résidentielles.

 

[35]    L’intention du contribuable au moment de l’acquisition du bien – L’appelante a fait valoir qu’en achetant toutes ces propriétés, son but était de donner un foyer à ses enfants. Cette prétention défie toute logique quand on considère qu’elle a mis les propriétés en vente après quatre, dix et quatorze semaines. Elle a également utilisé des marges de crédit pour payer ces projets, ce qui lui permettait de ne payer que les intérêts, et non pas le capital. À mon avis, il en ressort tout à fait clairement qu’elle n’a jamais prévu demeurer longtemps dans ses propriétés et qu’elle n’y séjournait que brièvement en attendant de les revendre. Quand on l’a questionnée au sujet du remboursement des prêts, l’appelante a simplement déclaré ceci : [Traduction] « C’était juste moins cher pour moi d’être – et plus facile à gérer pour moi à ce moment‑là » (transcription, page 246, lignes 22 et 23). En réalité, ce financement à court terme minimisait ses frais généraux dans l’espoir d’une revente rapide. Je dois conclure que son intention première dans l’achat de ses propriétés était de les vendre à profit le plus rapidement possible.

 

[36]    Ces faits sont clairs et il ne peut y avoir d’autre conclusion. Le métier de l’appelante était de vendre des propriétés résidentielles. Ses profits tirés de la vente de Balding, de Stonecroft et du 35 Franklin doivent être qualifiés de revenu d’entreprise.

 

Pénalités pour faute lourde

 

[37]    Le paragraphe 163(2) autorise le ministre à imposer une pénalité à un contribuable qui a soit sciemment, soit en vertu de circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration d’impôt sur le revenu, ou y participe, y consent ou y acquiesce. La décision classique qui permet de déterminer si un contribuable a agi d’une façon qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) est Venne c. La Reine, [1984] C.T.C. 223, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.) (« Venne »).

 

[38]    Dans l’interprétation du paragraphe 163(2), les tribunaux ont toujours conclu qu’« il faut un degré de culpabilité plus élevé, soit avec connaissance réelle, soit avec faute lourde » (Venne, paragraphe 6). Il en est ainsi parce que « le paragraphe en cause est une disposition pénale et qu’elle doit être interprétée de façon restrictive, de sorte que s’il existe une interprétation raisonnable propre à éviter la pénalité dans un cas particulier, cette interprétation devrait être adoptée » (Venne, paragraphe 34).

 

[39]    Je conclus que les pénalités sont appropriées en l’espèce et les raisons en sont nombreuses. L’expérience de l’appelante relativement à une vérification antérieure de l’ARC l’exposait aux conséquences fiscales que peut entraîner la vente de propriétés non correctement déclarées. Elle a omis de déclarer les commissions de vente gagnées chez Tamarack Developments Corporation d’avril à juillet 1999 et elle a délibérément essayé de dissimuler ce revenu en demandant que ses commissions lui soient payées au moyen d’un seul chèque établi à l’ordre de son père, qu’elle a encaissé en passant par le compte de celui‑ci. Elle n’a pas déclaré en 2000 le revenu tiré des commissions reçues de Monarch Homes. Elle a omis de déclarer le revenu qu’elle a gagné par suite de l’achat et de la vente d’actions de Unique Broadband Systems. Elle n’a pas payé les taxes foncières tant qu’elle n’a pas été tenue de le faire à la vente des propriétés. Tous ces gestes, outre sa condamnation criminelle antérieure pour fraude à l’aide sociale, signalent le penchant de l’appelante à vouloir gagner des revenus sans payer d’impôt.

 

[40]    En outre, dans son témoignage, l’appelante se contredisait et essayait généralement de jeter le blâme sur autrui. Il y a de nombreux cas où, dans la preuve documentaire, elle se décrit elle-même comme constructeur, entrepreneur ou travailleur autonome. Ces documents incluaient les garanties du constructeur, une inscription au service interagences, des permis d’occupation et de construction, des documents bancaires pour l’achat de véhicules et une demande d’ouverture de compte de transactions en direct. Dans un certain nombre de ces documents, elle a indiqué que son revenu était de 70 000 $ par année et de 7 500 $ par mois. Tout cela s’est produit pendant que l’appelante touchait des prestations d’aide sociale. Il est remarquable qu’elle puisse croire qu’elle peut se présenter devant la Cour au vu de cette preuve et me demander d’accepter son témoignage indiquant qu’elle n’est pas un constructeur.

 

[41]    Il s’agit là simplement d’un exemple de ce que j’appellerais au mieux sa tendance à l’évasion fiscale et, au pire, à la duperie. Dans cette longue liste, il n’y a pas un acte qui ait plus d’importance qu’un autre. C’est quand on les considère ensemble, en même temps que la preuve globale, que la tendance à ce comportement intentionnel et trompeur se révèle. Quand on lui a demandé si elle savait qu’il y avait des répercussions fiscales découlant de la construction et de la vente de ces maisons, elle a répondu : [Traduction] « Non, pas de la façon dont je le faisais » (transcription, page 342, ligne 14). À mon avis, l’appelante a agi intentionnellement, délibérément et stratégiquement dans ses tentatives pour dissimuler à l’ARC les profits réalisés sur ces propriétés et donc, les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) sont appropriées.

 

Dispositif

 

[42]    Les profits que l’appelante a tirés de la vente de Balding, de Stonecroft et du 35 Franklin sont considérés et traités comme revenu d’entreprise et, par conséquent, ils sont imposables en vertu du paragraphe 9(1). Il s’agit manifestement d’un cas typique justifiant l’imposition de pénalités. L’appelante passait d’une propriété à l’autre en traînant ses enfants avec elle, sur de très courtes périodes, dans une tentative mal déguisée pour cacher ses activités commerciales afin d’éviter de payer de l’impôt.

 


[43]    L’appel est rejeté, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2007.

 

 

 

 

 « Diane Campbell »

Juge Campbell

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

RÉFÉRENCE :

2007CCI136

 

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-1351(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

BRIDGETTE CAYER

C.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 5, 6 et 7 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Kenneth Bickley

 

Avocat de l’intimée :

Me Ronald MacPhee

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Kenneth Bickley

 

Cabinet :

Barnes Sammon LLP

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

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