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Dossier : 2001-1190(IT)G

ENTRE :

882885 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 15 et 16 décembre 2005 et le

13 décembre 2006 à Windsor (Ontario).

 

Devant : L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef adjoint

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

MArthur M. Barat, c.r.

MSherry-Lynn Medaglia

Avocat de l’intimée :

MCharles Camirand

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 1993 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que la juste valeur marchande du don d’un bien que l’appelante a consenti à la ville de Windsor en 1993 était de 323 074 $.

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d’imposition 1994 et 1995 sont rejetés.


 

          Les avocats doivent présenter par écrit leurs observations concernant les dépens au plus tard le 1er mai 2007.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2007.

 

 

 

« Gerald J. Rip »

Gerald Rip, juge en chef adjoint

 

Traduction certifiée conforme

ce 10 jour de mars 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

 

Référence : 2007CCI131

Date : 20070305

Dossier : 2001-1190(IT)G

ENTRE :

882885 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Rip

 

[1]   Il s’agit en l’espèce de savoir si, en 1993, l’appelante 882885 Ontario Limited a consenti un don à la ville de Windsor, et dans l’affirmative de savoir quelle était la valeur de ce don, lorsque 882885 Ontario Limited a vendu un bien immeuble à la ville moyennant une contrepartie qui comprenait un reçu pour don de bienfaisance. Le prix d’achat de la propriété était de 1 175 000 $; il était composé de trois éléments : un montant de 175 000 $ versé en espèces au moment de la clôture de la vente, une hypothèque de 450 000 $ remboursable en trois versements annuels égaux et un reçu pour don de bienfaisance délivré aux fins de l’impôt par la ville de Windsor, d’un montant de 550 000 $.

 

[2]   Dans sa déclaration de revenu de 1993, l’appelante a déclaré, à l’égard de l’opération, un gain en capital de 571 548 $ (soit un gain en capital imposable de 428 661 $) et a demandé la déduction d’un montant de 550 000 $ à titre de don de bienfaisance, en déduisant un montant de 340 632 $ à ce titre pour l’année 1993. Sur le solde du montant de 550 000 $, l’appelante a reporté à l’année 1994 un montant de 205 687 $ et elle a reporté à l’année 1995 un montant de 3 681 $.

 

[3]   En établissant la cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a supposé que la juste valeur marchande du bien en question au jour de la vente, le 23 février 1993, n’était pas supérieure à 810 000 $ et il a conclu que la juste valeur marchande de la partie du bien qui constituait un don consenti à la ville de Windsor était de 185 000 $, soit la différence entre la juste valeur marchande de la totalité du bien, de 810 000 $, et le montant versé en espèces lors de la clôture de la vente, soit 175 000 $, plus un montant de 450 000 $ représenté par l’hypothèque. Conformément au sous‑alinéa 110.1(1)a)(iv) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), le ministre a autorisé l’appelante à déduire un montant de 185 000 $ seulement dans le calcul de son revenu imposable pour l’année 1993[1]. Le ministre a également ramené le gain en capital, en 1993, à 206 548 $ (soit un gain en capital imposable de 154 911 $). Il n’y a pas eu report prospectif du don de bienfaisance à l’année 1994 ou à l’année 1995.

 

[4]   Le ministre a soumis un argument subsidiaire, à savoir que la contrepartie déclarée de 1 175 000 $ constituait un trompe-l’œil et qu’elle ne correspondait pas à la véritable contrepartie donnée pour le bien en question. De l’avis du ministre, l’appelante et la ville de Windsor avaient des intérêts communs lorsqu’elles ont réduit le prix du bien en gonflant la contrepartie sans qu’il en coûte quoi que ce soit à la ville au moyen de la délivrance d’un reçu pour don de bienfaisance.

 

[5]   Le bien en question est situé au 185, rue Wyandotte Est, au coin de l’avenue Windsor, dans le centre de la ville de Windsor, près du casino actuel et à environ 400 pieds du tunnel Windsor‑Détroit. La superficie du terrain est de 0,59 acre, soit environ 29 909 pieds carrés, et le bâtiment s’y trouvant, qui était auparavant utilisé comme restaurant à repas‑minute Arby, avait une superficie de 2 908 pieds carrés (la « propriété »).

 

Contrepartie donnée pour la propriété

 

[6]   M. Alphonso Fanelli, qui était à la retraite lors de l’instruction, s’occupait de promotion immobilière, comme la société appelante. La femme de M. Fanelli, Susan, détenait 90 p. 100 des actions de l’appelante et elle était l’unique administratrice de la société. M. Fanelli a affirmé aider sa femme, mais c’est lui qui a négocié la vente de la propriété en faveur de la ville de Windsor et qui, si je comprends bien, exploite de fait l’appelante.

 

[7]   À un certain moment, en 1988 ou en 1989, la propriété appartenait à une personne n’ayant aucun lien de dépendance avec l’appelante. La personne à qui appartenait alors la propriété a conclu un contrat avec Delco Contractors (« Delco »), une société appartenant alors à M. Fanelli et à un certain M. Mancini[2], en vue de faire construire un restaurant à repas‑minute qui devait être exploité en tant que franchise d’Arby. À un moment donné – la preuve n’est pas claire – 971043 Ontario Limited, société dont les actions appartenaient à la femme de M. Fanelli et à celle de M. Mancini, est devenue créancière hypothécaire de la propriété.

 

[8]   Le restaurant a ouvert ses portes; il y a eu des problèmes financiers et, selon le témoignage de M. Fanelli, le franchisé, M. Merklinger, est décédé. Aucun membre de la famille du défunt ne voulait continuer à exploiter le restaurant. La créancière hypothécaire a pris possession de la propriété au mois de février 1992 et M. Fanelli s’est mis à la recherche d’un acheteur. Selon lui, la propriété – composée du terrain et du bâtiment – avait une valeur allant de 1,375 à 1,4 million de dollars. Les arriérés hypothécaires lors de la prise de possession s’élevaient à 561 734 $.

 

[9]     L’appelante a acquis la propriété au mois de février 1993 lorsqu’elle a exercé une option d’achat pour la somme de 600 000 $. L’option lui avait été accordée par 971043 Ontario Limited.

 

[10]    La propriété intéressait la ville de Windsor. La ville cherchait un endroit pour y installer la section de l’exploitation des stationnements. Le bâtiment déjà construit sur le terrain comportait un service à l’auto qui devait notamment permettre aux conducteurs de payer les amendes depuis leur voiture. Cela répondait à l’objectif de la ville et l’emplacement de la propriété se prêtait tout à fait aux besoins de la ville.

 

[11]    M. Bill Salzer, du service des biens de la ville de Windsor, a communiqué avec M. Fanelli en 1992 au sujet de l’achat de la propriété. M. Salzer et M. Fanelli ont négocié un prix d’achat. M. Salzer a relaté que le montant de 1 400 000 $, soit le prix initialement demandé par M. Fanelli, était trop élevé pour la ville. M. Salzer pouvait uniquement justifier un montant de 1 100 000 $. En fin de compte, selon M. Fanelli, la ville a offert de délivrer un reçu pour don de bienfaisance. M. Fanelli a soumis l’offre à son comptable pour que celui‑ci détermine ce à quoi correspondait, en dollars, le reçu pour don de bienfaisance.

 

[12]    L’appelante a convenu d’un prix de 1 100 000 $ parce que, comme l’a dit M. Fanelli, la vente ne comportait pas de commission et que le bâtiment devait être vendu « tel quel ». M. Salzer a ensuite demandé certaines [traduction] « transformations mineures ». Une société de la famille Fanelli, Marathon Concepts Inc., faisant affaire sous le nom de Marathon Contractors, a soumis une proposition en vue d’effectuer les transformations moyennant un coût de 49 000 $. Malheureusement, encore une fois selon M. Fanelli, la ville de Windsor ne disposait pas de la somme de 49 000 $ à cette fin. Marathon a présenté une seconde proposition au montant d’environ 25 000 $. M. Fanelli a déclaré que la seconde proposition était faite compte tenu de la remise d’un reçu de 50 000 $ pour impôt. La ville a convenu de verser 25 000 $ et de délivrer un reçu de 50 000 $. (Le prix de vente total de la propriété en question, pour les besoins de l’appel, est de 1 100 000 $, plus 75 000 $, soit 1 175 000 $, le reçu pour don de bienfaisance représentant le montant de 500 000 $ et le montant de 50 000 $.)

 

[13]    Dans une lettre datée du 15 décembre 1992, Mme Fanelli proposait au service des biens de la ville de Windsor trois façons possibles de structurer la vente de la propriété. La première solution (« A ») consistait à vendre la propriété pour la somme de 1 100 000 $, un versement en espèces de 150 000 $ étant effectué le 1er mars 1993 ainsi que le 1er janvier de chacune des années 1994, 1995 et 1996, plus un reçu pour don de bienfaisance de 500 000 $. La deuxième solution (« B ») consistait à vendre la propriété pour la somme de 725 000 $, la date de clôture de la vente étant le 1er mars 1993. M. Fanelli a témoigné qu’il ne cherchait pas à vendre la propriété pour la somme de 725 000 $ et que la ville n’était pas prête à payer en espèces la totalité du prix d’achat. M. Fanelli a affirmé qu’il n’avait jamais été question d’un [traduction] « marché au comptant ». La troisième solution (« C ») consistait à conclure avec la ville un bail de cinq ans, le loyer annuel s’élevant à 72 500 $ [traduction] « sur une base nette triple » avec la possibilité de reconduire le bail ou d’acheter la propriété à sa juste valeur marchande.

 

[14]    M. Fanelli a déclaré que la lettre avait été rédigée à l’intention de M. Salzer pour que celui‑ci en discute avec le conseil municipal. De fait, M. Fanelli a témoigné que c’était M. Salzer qui lui avait dit ce qu’il devait écrire dans la lettre. M. Salzer n’a pas nié la chose et, dans son témoignage, il a déclaré que [traduction] « l’on se concentrait » sur la première solution. M. Salzer a admis [traduction] qu’« il arrive » que des solutions qui ne sont pas réellement sérieuses soient soumises au conseil municipal.

 

[15]    M. Salzer ne travaille plus pour la ville de Windsor. Il est membre agréé de l’Institut canadien des évaluateurs depuis 1979. Il a travaillé comme évaluateur de biens immobiliers, à Revenu Canada, du mois de mai 1973 au mois de décembre 1993. Il a cessé de travailler pour la ville de Windsor au mois de septembre 2000. Lors de l’instruction, M. Salzer travaillait comme promoteur immobilier pour une société appartenant à la famille Fanelli, appelée Mastercraft.

 

[16]    Dans le cours de son emploi auprès de la ville de Windsor, M. Salzer s’est rendu compte qu’il y avait un [traduction] « boom imprévu » à Windsor au cours des années 1990, 1991 et 1992. Des terrains ont été expropriés pour un projet de construction d’aréna, non encore réalisé à ce jour; la ville de Windsor est devenue propriétaire d’une partie du tunnel Détroit‑Windsor en 1990 et elle a agrandi la place publique, à l’entrée et à la sortie du tunnel. M. Salzer estimait qu’au cours de cette période, les terrains situés à proximité de la propriété étaient vendus [traduction] « pour un montant approximatif » de 40 $ à 50 $ le pied carré.

 

[17]    M. Salzer a témoigné qu’à la ville de Windsor, son travail consistait à obtenir des terrains au prix le plus bas possible. Il a déclaré avoir structuré l’opération en question. M. Fanelli estimait que la propriété en question avait une valeur de 1 400 000 $. M. Salzer a déclaré que si l’emplacement depuis lequel étaient menées les activités de la section de l’exploitation des stationnements, au 444, avenue Windsor, avait été en bon état, la propriété ici en cause n’aurait pas intéressé la ville. M. Salzer a relaté que la ville avait convenu d’un [traduction] « montant approximatif » de 1 100 000 $, plus 50 000 $ pour les rénovations, mais qu’elle ne disposait pas dans son budget du montant voulu aux fins de l’acquisition de la propriété. M. Salzer a déclaré que la ville ne voulait pas payer plus que la juste valeur marchande. C’était le superviseur de M. Salzer, John Boyer, le commissaire aux finances à Windsor, J. Pinsoneault, et M. Salzer lui‑même qui avaient eu l’idée d’un reçu pour don de bienfaisance. Il y avait eu au moins deux autres opérations dans lesquelles la ville de Windsor avait utilisé des reçus pour don de bienfaisance. Toutefois, M. Salzer a reconnu que, dans les deux cas, le terrain avait été donné à la ville; il ne s’agissait pas d’opérations commerciales.

 

[18]    Quant à la lettre du 15 décembre 1992 de Mme Fanelli, M. Salzer a déclaré que deux des trois solutions proposées n’étaient pas réalisables; habituellement, la ville de Windsor ne loue pas de biens et la ville ne disposait pas du montant nécessaire de 750 000 $ pour la clôture de la vente.

 

[19]    M. Salzer a expliqué qu’il se peut que la ville verse au propriétaire foncier, dans le cas d’une expropriation, un montant supérieur à celui qu’elle verserait dans le cas d’une vente. M. Salzer a déclaré que, dans ce cas‑ci, le prix était axé sur le marché et qu’il n’y avait pas eu menace d’expropriation.

 

[20]    Les administrations municipales et leurs ressortissants traitent entre eux sans avoir de lien de dépendance. En l’espèce, l’Agence des douanes et du revenu du Canada, qui était le prédécesseur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») (qui de son côté était le prédécesseur de Revenu Canada), a reconnu ce qui suit dans une lettre datée du 12 juillet 2000 adressée au comptable de l’appelante, M. Franco Mancini :

 

[traduction] Nous reconnaissons que l’opération conclue entre 882885 [Ontario Limited] et la Corporation de la ville de Windsor [...] est une opération qui est de fait sans lien de dépendance.

 

[traduction] « Toutefois », l’auteur de la lettre ajoutait ce qui suit :

 

[traduction] [...] il ne s’ensuit pas nécessairement que le prix de transfert déclaré représentait la juste valeur marchande ou une contrepartie sans lien de dépendance. Comme vous le savez, la contrepartie comprenait un paiement en espèces ainsi qu’un reçu pour don de bienfaisance. Le reçu pour don de bienfaisance ne constitue aucunement un moyen commercial normal de conclure la vente d’un bien.

 

L’auteur de la lettre exprimait la préoccupation suivante :

 

[traduction] La délivrance du reçu pour don de bienfaisance ne comporte aucun coût pour la ville.

 

[21]    Les parties mettent ici en question la juste valeur marchande de la propriété au 23 février 1993, soit la date de l’opération. La propriété a été vendue [traduction] « au prix déclaré » de 1 175 000 $; le ministre s’est fondé sur ce chiffre lors de l’établissement de la cotisation. Toutefois, malgré un [traduction] « prix déclaré » négocié par des parties sans lien de dépendance, le ministre a en fait établi la cotisation de l’appelante en se fondant sur le fait que la valeur de la propriété était de 810 000 $ à la date de l’opération.

 

[22]    Si la juste valeur marchande de la propriété en question au mois de février 1993 était supérieure à l’ensemble du paiement en espèces, du montant de l’hypothèque consentie par le vendeur et du coût des transformations (175 000 $ + 450 000 $ + 75 000 $), l’excédent était payé au moyen d’un don de bienfaisance. Il s’agit de savoir à combien s’élevait l’excédent. Pour établir ce montant, je dois déterminer la valeur de la propriété à la date à laquelle celle‑ci a été vendue à la ville de Windsor.

 

[23]    Ray Bower est un expert en évaluation foncière chevronné, à Windsor; il est membre de l’Institut canadien des évaluateurs. L’avocat de l’intimée ne s’est pas opposé à ce que M. Bower soit reconnu à titre de témoin expert en matière d’évaluation immobilière.

 

[24]    M. Bower a rédigé un rapport préliminaire pour le compte de l’appelante [traduction] « en vue d’établir la fourchette de prix de vente la plus probable » à l’égard de la propriété en question [traduction] « en tant que terrain non bâti » au mois de février 1993; il a conclu que [traduction] « si un rapport d’évaluation autonome était établi en date de février 1999, l’estimation finale de la valeur marchande [...] serait probablement d’environ 970 000 $ ».

 

[25]    M. Bower a défini comme suit le [traduction] « prix de vente le plus probable » :

 

[traduction] Le prix le plus probable d’un bien [immeuble] sur un marché compétitif libre, lorsque toutes les conditions nécessaires visant à assurer une vente équitable sont réunies, lorsque l’acheteur et le vendeur agissent chacun d’une façon prudente et en toute connaissance de cause et lorsqu’aucun stimulant indu n’influe sur le prix. Cette définition laisse implicitement entendre que la vente est conclue à une date précise et que le titre du vendeur est transmis à l’acheteur selon les conditions suivantes :

 

1.      l’acheteur et le vendeur sont habituellement sérieux;

2.      les deux parties sont bien informées et bien avisées, et elles agissent selon ce qu’elles considèrent être au mieux de leurs intérêts;

3.      un délai raisonnable est accordé aux fins de l’exposition sur un marché libre;

4.      le paiement est effectué en espèces en dollars canadiens ou selon des dispositions financières comparables;

5.      le prix représente la contrepartie normale pour une propriété qui est vendue sans avoir recours à un financement spécial ou à un financement créatif et sans qu’une personne associée à la vente fasse des concessions.

 

[26]    Selon M. Bower, lorsque l’opération en question a été conclue, la conjoncture économique, à Windsor, était favorable. Ainsi, Chrysler, Ford et General Motors avaient annoncé que [traduction] d’« importants » investissements seraient effectués dans leurs activités à Windsor; la valeur des constructions commerciales, à Windsor‑Essex, avait augmenté en 1992 pour la première fois depuis l’année 1987; le gouvernement de l’Ontario avait annoncé, en 1992, que la ville de Windsor avait été choisie comme lieu d’essai pour un casino exploité par le gouvernement et des plans avaient été approuvés, en 1992, pour une nouvelle place publique plus étendue près du tunnel, les travaux devant coûter 20 000 000 $, ainsi que pour un parc au bord de l’eau situé dans le centre de la ville. Il était prévu que ces projets et d’autres plans auraient des retombées pour d’autres entreprises dans le centre de la ville.

 

[27]    La propriété était située dans une zone dite « District commercial 3.3 (« commercial CD3.3 »), ce qui permettait une myriade d’entreprises et d’autres utilisations, notamment pour des restaurants, stations‑service, postes d’essence, églises, tavernes, hôtels, aires de stationnement public et entrepôts.

 

[28]    La façade de la propriété, qui donnait sur la rue Wyandotte Est, était de 67,59 pieds, et il était possible d’accéder à la propriété depuis la rue Wyandotte et depuis l’avenue Windsor.

 

[29]    M. Bower a conclu que l’utilisation optimale de la propriété [traduction] « en tant que terrain non bâti » se rapportait aux diverses fins prévues par le zonage.

 

[30]    M. Bower a évalué la propriété en appliquant la méthode des ventes comparables. Selon M. Bower, une propriété qui est une propriété comparable est celle qui constituerait une solution de rechange raisonnable pour la plupart des acheteurs éventuels pouvant s’intéresser à la propriété en cause. M. Bower a examiné huit autres ventes qui ont eu lieu entre 1987 et 1994. Ces ventes se rapportaient à des terrains non bâtis à usage commercial d’une superficie allant de 8 018 à 42 447 pieds carrés et les terrains étaient tous situés dans le district commercial du centre de la ville de Windsor, à moins de huit pâtés de maisons de la propriété ici en cause.

 

[31]    Les huit propriétés qui ont été comparées à la propriété ici en cause sont les suivantes :

 

1)       La propriété située au 245, avenue Ouellette. Cette propriété était située sur la rue principale, à Windsor; sa superficie était de 19 306 pieds carrés. La propriété a été vendue au mois d’août 1990 à la Banque Royale du Canada pour la somme de 1 750 000 $, soit 90,65 $ le pied carré. Un bâtiment dans lequel il y avait antérieurement un magasin Kresge avait été démoli par l’acheteur et, au mois de février 1993, la propriété était utilisée comme parc de stationnement. La totalité du prix d’achat se rapportait au terrain. Cette propriété est située à environ six pâtés de maisons de la propriété ici en cause et M. Bower estimait qu’elle était de qualité supérieure à la propriété ici en cause pour ce qui est de l’emplacement.

 

[32]    M. Joseph Udvari, évaluateur à la retraite travaillant à temps partiel au bureau de London de l’ARC, a témoigné à titre de témoin de la Couronne. Il est lui aussi membre de l’Institut canadien des évaluateurs et il a été reconnu à titre d’expert.

 

[33]    M. Udvari a témoigné qu’il y avait eu un incendie dans le bâtiment situé sur la première propriété utilisée par M. Bower aux fins de la comparaison. La Banque Royale du Canada avait démoli le bâtiment. Toutefois, la propriété était touchée par des problèmes de BPC, et il en coûtait plus de 2,5 millions de dollars pour procéder au nettoyage.

 

[34]    Dans la preuve qu’il a soumise, M. Fanelli a également mentionné la propriété de la Banque Royale du Canada. L’une des sociétés de la famille Fanelli avait acheté la propriété de la Banque Royale du Canada pour la somme de 1 000 000 $ et y avait construit un bâtiment qui lui avait coûté 5 000 000 $; cette société loue deux étages à la Banque Royale du Canada. Avant d’acheter la propriété, M. Fanelli avait demandé à M. Bower d’établir sa valeur, et celui‑ci était arrivé à un montant de 970 000 $ pour le terrain.

 

[35]    2) La propriété située au 465, avenue Windsor a une superficie de 9 895 pieds carrés; elle est composée de quatre propriétés achetées au cours des années 1987 à 1991 inclusivement. Le prix d’achat global de 612 500 $ a été payé par la Windsor Municipal Employees Credit Union. Cette propriété était située dans une zone « commerciale CD3.1 ». Le prix au pied carré était de 61,90 $. Cette propriété se trouve de l’autre côté de la rue par rapport à la propriété ici en cause, au nord de la rue Wyandotte.

 

[36]    Michael Stamp, agent principal chargé des biens auprès de la ville de Windsor, est responsable de l’achat et de la vente de la plupart des biens auxquels la ville est partie; il a déclaré qu’avant que les achats aient été conclus, il y avait trois maisons sur la propriété, lesquelles ont depuis lors été démolies. De nos jours, dit‑il, le terrain est vacant. Dans son rapport, M. Bower a noté que la propriété était [traduction] « réaménagée pour y installer des bureaux ». Vers l’année 2003, la ville de Windsor a entamé des négociations en vue d’acheter la propriété, mais elle a décidé de ne pas procéder à l’achat.

 

[37]    M. Udvari ne considérait pas cette propriété comme une propriété véritablement comparable. La première vente avait eu lieu cinq ans avant la date de l’opération ici en cause. De vieilles maisons se trouvaient sur certains terrains qui avaient été rassemblés; les gens qui habitaient ces maisons voulaient les remplacer et on les avait payés pour acheter d’autres maisons.

 

[38]    M. Bower a fait remarquer que la superficie de cette propriété est inférieure à celle de la propriété ici en cause et que, habituellement, plus la superficie est grande moins elle a de valeur au pied carré.

 

[39]    3) La propriété sur City Hall Square a été vendue par la ville de Windsor au mois de mars 1993 au Conseil de gestion du gouvernement de l’Ontario, pour la somme de 495 000 $. La superficie de cette propriété était de 8 930 pieds carrés (51,46 $ le pied carré) et la propriété était située dans une zone « commerciale CD3.1 ». L’emplacement, rue Park et avenue Windsor, près de l’hôtel de ville, était utilisé comme parc de stationnement d’un bureau provincial de tourisme.

 

[40]    M. Bower a déclaré que lorsque le gouvernement achète ou vend une propriété, une évaluation est effectuée, les deux parties faisant preuve de la diligence requise.

 

[41]    M. Udvari a témoigné que la propriété faisait partie d’un parc existant, le parc Senator Croll. À son avis, le prix d’achat ne représente pas la valeur marchande : la ville ne vendrait pas l’emplacement d’un parc à un particulier. M. Stamp a déclaré qu’il est rare qu’un parc soit vendu.

 

[42]    4) La propriété située au 65, rue Park Est, dont la superficie est de 12 165 pieds carrés, a été vendue par la Corporation épiscopale catholique romaine à la ville de Windsor au mois de juin 1993 pour la somme de 547 425 $ (45 $ le pied carré). Cette propriété est située à un pâté de maisons à l’est de la rue Ouellette; elle a été achetée pour faciliter l’expansion du tunnel. La propriété qui a été vendue était située au milieu du pâté de maisons, dans le centre de la ville de Windsor; elle était fort semblable à la propriété ici en cause. M. Bower n’a pas procédé à un rajustement pour le facteur « temps ». Lors du contre‑interrogatoire, M. Bower a déclaré que le bâtiment qui se trouvait sur la propriété avait une valeur pour le vendeur, mais non pour l’acheteur, celui‑ci l’ayant démoli. M. Bower a déclaré ne pas avoir accordé beaucoup d’importance à cette vente. M. Udvari a convenu que c’était le terrain plutôt que le bâtiment qui avait amené l’acheteur à acquérir la propriété.

 

[43]    M. Stamp a déclaré qu’un collègue qui était responsable du projet relatif au tunnel l’avait informé que l’Église catholique romaine ne voulait pas vendre la propriété à un prix inférieur à ce qu’il en coûterait pour construire un nouveau presbytère.

 

[44]    5) La propriété située au 100‑136 rue Wyandotte Est a été vendue à la ville de Windsor par Valente Construction Ltd. au mois de novembre 1993 au prix de 765 000 $ (95,41 $ le pied carré). La superficie du terrain était de 8 018 pieds carrés. La propriété était située au coin nord‑est de la rue Goyeau. Un vieux bâtiment utilisé pour un commerce de détail avait été démoli afin de permettre des travaux d’amélioration du tunnel, à l’intersection. M. Bower a reconnu que le prix de vente comprenait le bâtiment, mais il ne savait pas de quelle façon le prix était réparti entre le terrain et le bâtiment.

 

[45]    M. Udvari a témoigné qu’un particulier ne paierait pas 95 $ le pied carré pour cette propriété. Il a indiqué que le prix d’achat comprenait probablement la valeur attribuée au terrain, au bâtiment et au flux de revenu afférent à l’entreprise déplacée ou au revenu de location. M. Stamp a confirmé l’opinion exprimée par M. Udvari.

 

[46]    6) La propriété située rue Church et rue Park, d’une superficie de 42 447 pieds carrés, a été achetée par l’Armée du salut au mois de février 1994 pour la somme de 925 000 $ (21,79 $ le pied carré). La propriété, située au coin d’une rue, se trouve à quatre pâtés de maisons à l’ouest de l’avenue Ouellette. M. Bower considérait cette propriété comme de qualité inférieure à la propriété ici en cause, même si elle était [traduction] « située dans le centre de la ville ».

 

47]     7) La propriété située sur la rue Wyandotte Ouest et l’avenue Victoria a été vendue au mois de septembre 1994 pour la somme de 300 000 $. La propriété a une superficie de 13 200 pieds carrés; elle est située à deux pâtés de maisons à l’ouest de l’avenue Ouellette.

 

[48]    M. Bower a déclaré qu’une station‑service se trouvait autrefois sur l’emplacement et que la propriété faisait l’objet d’une [traduction] « dévalorisation en raison de questions environnementales ».

 

[49]    8) La propriété située sur la rue Pitt Ouest, comme en a convenu M. Bower dans son rapport, était un emplacement de qualité inférieure de 9 888 pieds carrés; elle a été vendue au mois de mai 1992 au prix de 185 000 $ (18,71 $ le pied carré). La propriété était située dans le premier pâté de maisons, à l’ouest de l’avenue Ouellette, et elle était utilisée comme parc de stationnement.

 

[50]    Le prix moyen de ces ventes, au pied carré, était de 50,96 $; le prix médian était de 48,23 $. Les ventes 2, 3, 4 et 5 se rapportaient à des propriétés situées à moins de deux pâtés de maisons de la propriété ici en cause. Le prix de la vente 1 a été rajusté vers le bas par M. Bower étant donné que la propriété était située dans le secteur central de premier ordre du centre‑ville. De plus, comme l’a fait remarquer M. Bower, les valeurs immobilières avaient atteint leur point culminant en 1990.

 

[51]    M. Bower a témoigné que le secteur commercial de premier ordre de Windsor se trouve au coin de la rue University et de l’avenue Ouellette, soit [traduction] « le pâté 300 de l’avenue Ouellette ».

 

[52]    La valeur établie par M. Bower à l’égard de la propriété en cause en tant que terrain non bâti était de 37,50 $ le pied carré, soit 970 000 $. M. Bower a déclaré avoir rajusté vers le bas le prix des ventes des propriétés 1, 2, 3 et 4 dans une proportion de 41 p. 100, de 60 p. 100, de 73 p. 100 et de 83 p. 100 respectivement. La propriété numéro 2 lui a posé des problèmes parce que les calculs étaient [traduction] « faussés » par suite du regroupement des terrains, la première propriété ayant rapporté 35 $ le pied carré et la quatrième, par exemple, 126 $ le pied carré. Si les quatre lots étaient pris en considération, la valeur était de plus de 37,50 $ le pied carré.

 

[53]    Frank Mancini est vérificateur auprès de M. Fanelli et de son groupe de sociétés depuis une vingtaine d’années. Il a discuté de la vente de la propriété avec M. Fanelli au cours des négociations qui ont eu lieu avec la ville de Windsor et il a représenté l’appelante lorsqu’il s’est agi de défendre la position prise par celle‑ci auprès de Revenu Canada et des agences remplaçantes. Il a préparé les avis d’opposition de l’appelante. Il est d’accord avec M. Fanelli pour dire que l’appelante avait [traduction] « engagé » un montant de 1 300 000 $ dans la propriété.

 

[54]    M. Mancini a expliqué à M. Fanelli que l’appelante pouvait utiliser un reçu pour don de bienfaisance. La société gagnait un revenu de placement, qui était imposé à un taux élevé, ainsi que d’autres revenus qui pouvaient être réduits au fil des ans à l’aide du don. M. Mancini a préparé un document décrivant le montant net revenant aux actionnaires de l’appelante selon plusieurs scénarios :

 


[traduction]

 

A

B

C

D

Produit de la vente

      (A)        1 175 000 $

  725 000 $

 1 175 000 $

 850 000 $

Gain en capital (A – 600 00)

(B)             575 000 $

125 000 $

575 000 $

250 000 $

Gain imposable (B x 75 %)

(C)             431 250 $

93 750 $

431 250 $

187 500 $

Impôt à 44,3 %

(D)             191 044 $

41 531 $

191 044 $

83 062 $

Don

(E)             550 000 $

0 $

0 $

0 $

Économies d’impôt résultant du don

(E x 44,3 %)

(F)             243 650 $

0 $

0 $

0 $

Montant net revenant à la société

(A – D – E + F)

(G)            677 606 $

683 469 $

983 956 $

766 938 $

Dividende libre d’impôt disponible

(B x 25 %)

(H)            143 750 $

31 250 $

143 750 $

62 500 $

Remboursement de dividende

(C x 20 %)

(I)               86 250 $

18 750 $

86 250 $

37 500 $

Dividende imposable (G – H + I)

(J)             620 106 $

670 969 $

926 456 $

741 938 $

Impôt sur le dividende 33 %

(K)            204 635 $

221 420 $

305 730 $

244 840 $

Montant net (J + H - K)

(L)            559 221 $

480 799 $

764 476 $

559 598 $

 

[55]    M. Mancini a calculé qu’un prix de vente de 1 175 000 $, comprenant un don de 550 000 $, produisait un montant net de 559 221 $ pour les actionnaires, soit un montant semblable à celui tiré d’une vente conclue entièrement au comptant au montant de 850 000 $. L’avocat de l’intimée a signalé à M. Mancini que cela était [traduction] « presque identique » à ce que l’évaluation de 810 000 $ de l’intimée produirait.

 

[56]    M. Mancini a déclaré avoir expliqué à M. Fanelli qu’un dollar de don n’était pas égal à un dollar en espèces. Il faudrait un montant additionnel de 500 000 $ sous forme de dons, soit un prix de vente de 1 875 000 $, pour arriver à la même situation que celle qui existerait si la vente avait été conclue moyennant le paiement d’un montant de 1 175 000 $ en espèces, c’est‑à‑dire une vente sans reçu pour don de bienfaisance. M. Mancini avait conclu qu’en acceptant le reçu sur le produit de la vente de 1 175 000 $, l’appelante perdrait un montant de 200 000 $ par rapport à une opération conclue au comptant seulement.

 

[57]    M. Stamp, un témoin de la Couronne, ne croyait pas que les membres du conseil municipal de Windsor aient vu la lettre de Mme Fanelli du 15 décembre 1992; il n’est pas fait mention de la lettre dans les rapports au conseil. Le conseil a uniquement étudié la solution A.

 

[58]    M. Stamp a expliqué que lorsque des négociations échouent, une municipalité peut toujours exproprier la propriété si elle en a réellement besoin. Dans le cas d’une expropriation, des évaluations sont préparées en vue d’établir la juste valeur marchande de la propriété. L’administration expropriante paie les frais d’avocat du vendeur, les coûts d’évaluation ainsi que d’autres indemnités (comme une perte d’entreprise) en plus de la juste valeur marchande de la propriété. Les municipalités croient qu’il est toujours préférable d’acheter une propriété.

 

[59]    Lors du contre-interrogatoire, M. Stamp a révélé que, en 2004, la ville de Windsor avait négocié un prix de 372 000 $ pour la deuxième vente comparable utilisée par M. Bower, à 37,59 $ le pied carré, soit une réduction de 40 p. 100 sur le montant de 612 500 $, mais qu’elle n’avait pas donné suite à la vente.

 

[60]    M. Stamp ne savait pas si le montant du reçu pour don de bienfaisance avait été [traduction] « gonflé ». Il a déclaré que la ville n’avait pas pour politique de gonfler les prix; [traduction] « les gens, aux finances, poseraient des questions si un reçu était délivré pour un montant supérieur à la juste valeur marchande. » Quoi qu’il en soit, la ville n’avait pas évalué la propriété en question avant de l’acquérir en 1993.

 

[61]    Joseph Udvari a préparé une évaluation de la propriété ici en cause pour le ministre. À son avis, l’utilisation optimale de la propriété au mois de février 1993 était [traduction] « l’utilisation existante », soit un restaurant comme il l’a indiqué dans son témoignage.

 

[62]    M. Udvari a appliqué la méthode du coût et la méthode de la comparaison directe et il a adopté la méthode de la comparaison directe pour arriver à sa conclusion, à savoir qu’au 23 février 1993, la valeur marchande de la propriété en question s’élevait à 752 000 $.

 

[63]    M. Udvari a déclaré que la méthode du coût [traduction] « produit une estimation de la valeur par suite du calcul du coût de remplacement des améliorations, un amortissement cumulé de quelque source que ce soit étant déduit et la valeur du terrain en tant que terrain non bâti étant ajoutée ». On estime la valeur du terrain en se fondant sur des emplacements comparables, les coûts directs de construction étant estimés à l’aide de manuels d’établissement des coûts généralement reconnus ou d’une recherche des coûts locaux de construction. Toutefois, les coûts réels facturés constituent l’indication des coûts la plus fiable. Les coûts directs comprennent l’aménagement paysager, le pavage, les bordures de trottoirs et les caniveaux.

 

[64]    M. Udvari a également utilisé trois des propriété comparables employées par M. Bower pour déterminer la valeur selon la méthode du coût : les propriétés comparables 6, 7 et 8. Ces propriétés étaient composées de terrains non bâtis et aucune administration n’était partie aux ventes. Étant donné que les ventes 6 et 7 ont été conclues en 1994 et que la vente de la propriété ici en cause a été conclue en 1993, M. Udvari a effectué un rajustement mineur; la vente 8 a eu lieu en 1992 et M. Udvari a donc effectué un rajustement afin de tenir compte du facteur « temps » ainsi que de la superficie de la propriété. En se fondant sur ces trois propriétés comparables, M. Udvari a conclu que la juste valeur marchande du terrain était de 20 $ le pied carré ou de 25 909 pieds carrés x 20 $, soit 518 180 $.

 

[65]    M. Udvari a évalué le bâtiment à 510 000 $ en appliquant la méthode du coût de Marshall & Swift, qui fait autorité en la matière. Il a estimé que la superficie du bâtiment était de 2 900 pieds carrés au rez‑de‑chaussée et de 1 060 pieds carrés au sous‑sol, les trottoirs, l’aménagement paysager et un patio en briques étant inclus.

 

[66]    La valeur totale de la propriété selon la méthode du coût était de 1 028 180 $.

 

[67]    M. Udvari a déclaré que la méthode de la comparaison directe indique la valeur au moyen d’une comparaison et d’une analyse des opérations se rapportant à des propriétés semblables à la propriété en question, sur la base d’une unité commune de comparaison. De l’avis de M. Udvari, la meilleure unité de comparaison est le prix au pied carré du bâtiment, y compris le terrain.

 

[68]    M. Udvari a trouvé cinq ventes qui, selon lui, étaient comparables à la propriété ici en cause. Les ventes avaient eu lieu entre le mois de janvier 1993 et le mois de septembre 1993; aucun rajustement n’a été effectué pour le facteur « temps ».

 

[69]    Selon M. Udvari, la propriété en question était composée d’un terrain fort étendu comparativement à la taille du bâtiment. La superficie du terrain était de 25 909 pieds carrés, alors que la superficie du bâtiment était de 2 909 pieds carrés seulement. La superficie totale du bâtiment représentait seulement 11 p. 100 de la superficie totale du terrain. M. Udvari a évalué la propriété en question en se fondant sur une surface construite de 2:1 et a ajouté la valeur du terrain additionnel. Il a déclaré que la surface construite de 2:1 est basée sur celle de propriétés comparables. La superficie du bâtiment était de 2 909 pieds carrés; pour une surface construite de 2:1, la superficie totale du terrain devrait être de 5 816 pieds carrés, de sorte qu’il restait 20 093 pieds carrés de terrain additionnel.

 

[70]    En utilisant la méthode de la comparaison directe, M. Udvari a comparé cinq ventes différentes; il a obtenu une estimation de la valeur différente de celle qui était obtenue selon la méthode du coût.

 

[71]    Les ventes en cause étaient les suivantes :

 

(A)[3]   La propriété située au 185‑89 City Hall Square, d’une superficie de 13 800 pieds carrés, a été vendue au mois de septembre 1993 pour la somme de 611 000 $ (62,26 $ le pied carré, y compris le bâtiment). La propriété était composée d’un bâtiment de 9 750 pieds carrés, sur 70 p. 100 de la superficie totale. Le bâtiment était une construction composée en partie d’un étage et en partie de deux étages et il était dans un état acceptable lors de l’achat. M. Udvari a effectué un rajustement du prix vers le haut étant donné que des rénovations devaient être apportées au bâtiment.

 

(B)     La propriété située au 1550, avenue Ouellette a été vendue au mois de mai 1993. La propriété avait une superficie de 23 890 pieds carrés, le bâtiment ayant une superficie de 10 530 pieds carrés. La surface construite représentait 44 p. 100 du terrain et le prix de vente était de 1 050 000 $, soit 99,71 $ le pied carré, y compris le bâtiment.

 

M. Udvari a reconnu que cette propriété était située [traduction] « passablement loin », à environ deux kilomètres, de la propriété ici en cause. Cependant, il a affirmé avec insistance qu’il s’agissait d’une propriété semblable à la propriété Arby et qu’elle était située dans un bon emplacement commercial.

 

(C)     La propriété située au 1640, avenue Ouellette était plus éloignée de la propriété ici en cause que la propriété B. La superficie du terrain était de 26 550 pieds carrés et le bâtiment avait une superficie de 10 223 pieds carrés. La propriété a été vendue au mois de février 1993 au prix de 1 040 000 $ (101,73 $ le pied carré). Le bâtiment était dans un état [traduction] « exceptionnel » et M. Udvari n’a pas effectué de rajustement.

 

(D)     La propriété située au 155‑167, rue Wyandotte Est était adjacente à la propriété ici en cause. M. Udvari soupçonne que la vente qui a été conclue au mois de février 1993 n’était peut‑être pas conclue entre des parties sans lien de dépendance. Il a eu de la difficulté [traduction] « à obtenir des réponses des propriétaires ». La propriété a été vendue au prix de 262 000 $ (138,92 $ le pied carré). La superficie du terrain était de 1 875 pieds carrés, et le bâtiment avait une superficie de 1 886 pieds carrés; le bâtiment avait un « avant‑toit ».

 

(E)     La propriété située au 305, rue Victoria, dont le terrain avait une superficie de 17 430 pieds carrés et sur laquelle se trouvait un bâtiment à deux étages de 6 990 pieds carrés, a été achetée au mois de janvier 1993 par la Banque Toronto‑Dominion pour la somme de 695 000 $ (99,42 $ le pied carré). La surface était construite dans une proportion de 40 p. 100.

 

[72]    M. Udvari a ensuite effectué des rajustements pour la surface construite. Dans le cas de la propriété ici en cause, la surface construite était d’environ 10:1, de sorte que la surface était construite dans une proportion d’environ 11 p. 100. M. Udvari a rajusté le prix au pied carré, y compris une surface de 50 p. 100.

 

[traduction] La propriété « A » a été vendue au prix de 62,67 $ le pied carré, y compris la surface de 50 p. 100. Un rajustement du prix vers le haut pour la qualité du bâtiment et l’amélioration de l’emplacement est estimé à 40 $ le pied carré.

Pour A

62,67 $ plus 40 $

donne 102 $ le pied carré.

 

La propriété « B » a été vendue au prix de 99,71 $ le pied carré, y compris la surface construite de 50 p. 100. Un rajustement du prix vers le haut pour la qualité du bâtiment et l’amélioration de l’emplacement est estimé à 20 $ le pied carré.

Pour B

99,71 $ plus 20 $

Donne 119,71 $.

 

La propriété « C » a été vendue au prix de 101 $ le pied carré, y compris la surface construite de 50 p. 100. Cette vente n’exige aucun rajustement.

Pour C

101,73 $ sans rajustement

donne 101,73 $.

 

La propriété « D » a été vendue au prix de 138,92 $ le pied carré, y compris la surface construite de 50 p. 100. Le prix au pied carré est élevé, mais cela découle de la superficie globale du bâtiment, qui est de seulement 1 886 pieds carrés.

Pour D

138,92 $ sans rajustement

donne 138,92 $.

 

La propriété « E » a été vendue au prix de 99,42 $ le pied carré, y compris la surface construite de 50 p. 100. Cette vente exige un léger rajustement du prix vers le haut pour la qualité du bâtiment, estimé à 10 $ le pied carré.

Pour E

99,42 $ plus 10 $

donne 109,22 $.

 

 

[73]    Compte tenu du prix rajusté susmentionné au pied carré, la valeur marchande du bâtiment se trouvant sur la propriété ici en cause le 23 février 1993 était, selon M. Udvari, de 120 $ le pied carré, soit 2 908 pieds carrés x 120 $ = 349 080 $, chiffre qui a été arrondi à 350 000 $.

 

[74]    La valeur du terrain, comme elle a été établie selon la méthode du coût, est de 20 $ le pied carré selon un ratio 2:1. M. Udvari a conclu que la valeur du terrain additionnel était la suivante :

 

20 093 pieds carrés ou 20 093 x 20 $ =  401 860 $

arrondi à

402 000 $

plus la valeur marchande

350 000 $

Valeur totale

752 000 $

 

[75]    M. Udvari a dit qu’étant donné que la méthode de la comparaison directe et la méthode du coût donnaient des valeurs différentes, il avait pondéré la qualité et la quantité pour chaque méthode. Il préférait la méthode directe étant donné qu’il s’agit d’une analyse des actions de vendeurs et d’acheteurs agissant sur un marché libre. M. Udvari a dit que, pour obtenir une estimation fiable de la valeur, les propriétés comparables doivent être aussi semblables que possible à la propriété en cause.

 

[76]    M. Udvari a expliqué que la méthode du coût est fortement basée sur la dépréciation estimée dont la propriété fait l’objet par suite de facteurs physiques et fonctionnels de même qu’en raison de l’emplacement. Le fait qu’on avait bâti sur la propriété un restaurant à repas‑minute qui [traduction] « n’a[vait] jamais ouvert ses portes » a influencé M. Udvari. Selon M. Udvari, même si le coût est justifiable pour une utilisation en tant que restaurant, le marché ne justifiait pas ce coût. M. Udvari a donc conclu que les acheteurs ne paieraient pas le plein coût étant donné que le bâtiment ne répondait pas aux besoins d’une entreprise commerciale classique.

 

[77]    M. Udvari estimait que la méthode de la comparaison directe fournissait les données les plus fiables et il a évalué à 752 000 $ la valeur marchande de la propriété en question, au 23 février 1993.

 

[78]    Dans son rapport, M. Udvari a fait remarquer que, lors de la vente de la propriété en question, [traduction] « la ville de Windsor cherchait activement à acheter des propriétés dans le voisinage de l’expansion du tunnel Windsor‑Détroit. Les taux payés par la ville étaient de beaucoup supérieurs à ce que le marché immobilier général justifiait. La Commission du tunnel de Windsor, une administration chargée des expropriations, payait jusqu’à 45 $ le pied carré pour un terrain non bâti, alors que le marché immobilier général justifiait un prix de 18 $ à 22 $ le pied carré seulement ». M. Udvari estimait que le prix de vente de la propriété en question représentait le coût, par opposition au marché, pour les besoins spéciaux de la ville. Comme il l’a expliqué, les évaluateurs doivent omettre de tenir compte des achats effectués par les municipalités étant donné que celles‑ci sont autorisées à procéder à des expropriations.

 

[79]    Lors du contre‑interrogatoire, M. Udvari a reconnu qu’il était [traduction] « possible » que la ville de Windsor soit un acheteur spécial pour ce qui est de la propriété ici en cause. Toutefois, il n’a pas accordé beaucoup de poids au fait que la propriété était située à proximité du casino envisagé et de l’hôtel de ville. Il a déclaré qu’en 1993, on était encore en train de rassembler les terrains pour le casino, mais il n’estimait pas qu’il y ait [traduction] « quelque incidence visible liée au casino ».

 

[80]    En employant la méthode de la comparaison directe, M. Udvari a uniquement tenu compte du terrain et non des bâtiments, étant donné que les bâtiments étaient construits pour des utilisations précises. Il n’y avait pas de bâtiments comportant un service à l’auto sur les propriétés. M. Udvari n’a pas tenu compte de la méthode du coût, et ce, même si le bâtiment d’Arby était relativement neuf.

 

[81]    M. Udvari a reconnu que la ville de Windsor acquérait des propriétés au prix de 45 $ le pied carré, mais il n’a pas tenu compte de ces ventes parce que la ville aurait pu exproprier la propriété, bien qu’elle ne l’ait pas fait.

 

[82]    M. Bower a mis en question les critères que M. Udvari avait utilisés en évaluant la propriété. M. Udvari estimait que l’utilisation optimale de la propriété lors de la vente était une utilisation en tant que restaurant à repas‑minute. Toutefois, M. Bower a déclaré qu’il n’avait pas comparé de propriétés où il y avait un restaurant à repas‑minute. De plus, M. Bower ne comprenait pas les rajustements effectués par M. Udvari, de 40 $, 20 $ et 10 $, pour les propriétés A, B et D. Selon lui, un emplacement de restaurant à repas‑minute doit avoir un stationnement et si un bâtiment occupe la propriété, il y a moins de place pour le stationnement. Enfin, M. Bower a déploré le fait que M. Udvari n’avait accordé aucune importance à la méthode du coût et il a conclu que si la valeur de la propriété était de 752 000 $ et qu’un montant de 510 000 $ était attribuable au bâtiment, il ne restait que 242 000 $ pour le terrain, soit 9,34 $ le pied carré, ce qui est un montant fort peu élevé compte tenu de propriétés comparables.

 

[83]    L’appel a été suspendu pour une période d’un an. Lorsque l’instruction a repris, l’intimée a cité M. Ben Lansink, évaluateur de biens immobiliers, pour témoigner au sujet de deux documents que l’avocat de l’intimée avait tenté de produire par l’entremise de M. Udvari[4].

 

[84]    Il s’agissait des documents suivants : une évaluation que M. Lansink avait préparée au 15 juillet 1992 à l’égard d’une propriété située rue Goyeau, au centre de la ville de Windsor. Parmi les propriétés comparables incluses dans son rapport, il y avait la propriété ici en cause, qui était [traduction] « alors mise en vente au prix de 750 000 $ » par l’intermédiaire de Greg Barlow Canada Trust.

 

[85]    De l’avis de M. Lansink, le bâtiment d’Arby était désuet lorsque l’évaluation avait été préparée et seule la valeur du terrain avait été prise en considération. Ainsi, un franchisé de Tim Horton aurait démoli le bâtiment. M. Lansink a ajouté qu’un tel bâtiment se prête rarement à une autre utilisation que son utilisation initiale. Il a également déclaré que l’on [traduction] « espère » obtenir le prix demandé. Or, [traduction] « le prix demandé n’est pas [nécessairement] le prix obtenu ».

 

[86]    Lors du contre‑interrogatoire, M. Lansink a reconnu qu’il y a toujours un [traduction] « acheteur spécial », soit dans ce cas‑ci la ville de Windsor. Toutefois, il a dit qu’en évaluant une propriété, on ne tiendrait pas compte d’un cas spécial simplement parce que la ville de Windsor peut être l’acheteur.

 

[87]    M. Lansink a dit que les données relatives à la propriété ici en cause qu’il avait utilisées étaient [traduction] « tout au plus un indice ». M. Lansink s’est fondé sur le document pour confirmer ses renseignements. Selon les données, la propriété en question a été mise en vente à l’aide du service interagences le 16 juin 1991 au prix de 950 000 $. Le mandat a expiré sans qu’une vente soit conclue.

 

[88]    Au mois d’août 1997, le ministre a obtenu une évaluation de la propriété en cause d’un autre de ses évaluateurs, Wayne H. Pyke. M. Pyke a établi à 810 000 $ la juste valeur marchande de la propriété lors de la vente, soit environ 21 $ le pied carré. Ce rapport a été envoyé à M. Mancini, qui a consulté son client et qui a mis en question certaines parties du rapport. Par la suite, on a demandé à M. Udvari d’examiner l’évaluation de M. Pyke et M. Udvari a conclu que [traduction] « le montant de 810 000 $ pour le 23 février 1993 [était] raisonnable, compte tenu de la définition de la juste valeur marchande ». M. Udvari a écrit que l’achat de la propriété en cause par la ville de Windsor pouvait être considéré comme un [traduction] « achat spécial », de sorte que le prix d’achat pouvait excéder la valeur marchande estimative. La définition de la valeur marchande, a‑t‑il souligné, prévoit expressément [traduction] qu’« un stimulant indu n’influe pas sur le prix » et il a conclu que, dans ce cas‑ci, il se peut bien qu’il en soit de fait ainsi. Par conséquent, le 29 juin 2000, M. Udvari a complété sa propre évaluation, en fixant la valeur à 752 000 $.

 

[89]    M. Pyke n’a pas témoigné, mais son rapport a été produit sur consentement. En estimant la valeur de la propriété en question selon la méthode du coût, il a comparé la propriété aux propriétés comparables 6, 7 et 8 utilisées par M. Bower ainsi qu’à une autre propriété, rue Goyeau, au nord de la rue Erie, qui a été vendue au mois de septembre 1993 au prix de 167 000 $, soit 14,96 $ le pied carré. M. Pyke a reconnu que l’emplacement était plus petit que celui de la propriété ici en cause et qu’il n’était pas situé au coin d’une rue. En se fondant sur ces ventes, pour les besoins de la méthode du coût, M. Pyke a évalué la propriété, en tant que terrain non bâti, à 22 $ le pied carré, chiffre qu’il a arrondi à 570 000 $.

 

[90]    M. Pyke a estimé à 308 769 $ la valeur résiduelle du bâtiment qui se trouvait sur la propriété. Les frais de construction d’un restaurant Arby, à Windsor, s’élevaient à 90 $ le pied carré. M. Pyke a lui aussi appliqué les montants établis par Marshall & Swift à l’égard des coûts et il a conclu qu’un taux de 100 $ le pied carré était approprié pour le bâtiment. Il estimait que le coût de remplacement (100 $ x 2 908 pieds carrés) était de 290 800 $, plus 40 000 $ pour les améliorations additionnelles apportées à l’emplacement, soit 330 800 $. Il a amorti ce montant d’un montant de 22 031 $ et il a obtenu une valeur de 308 769 $ pour le bâtiment.

 

[91]    M. Pyke a estimé à 880 000 $ la valeur du terrain et du bâtiment selon la méthode du coût.

 

[92]    En appliquant la méthode de la comparaison directe, M. Pyke a utilisé les ventes A, B, C et E mentionnées dans le rapport de M. Udvari et il a estimé à 700 000 $ la valeur de la propriété en cause; l’estimation effectuée par M. Udvari était de 752 000 $.

 

[93]    M. Pyke a adopté la méthode du coût étant donné qu’il estimait que c’était la meilleure des deux méthodes. Le bâtiment était passablement neuf et il avait été construit à des fins précises. M. Pyke a pondéré les chiffres en prenant 60 p. 100 du montant de 880 000 $ (528 000 $) et 40 p. 100 du montant de 700 000 $ (280 000 $) et il a évalué la propriété à 808 000 $ au mois de février 1993, chiffre qu’il a arrondi à 810 000 $.

 

[94]    J’ai déjà dit que l’opération en question conclue entre l’appelante et la ville de Windsor était une opération sans lien de dépendance. Je suis également d’avis que les parties voulaient conclure une opération et qu’elles ont structuré l’opération d’une façon qui les satisfaisait toutes les deux. Si les parties étaient d’accord, comme l’a soutenu l’intimée, elles ne faisaient pas plus que ce que ferait tout autre acheteur ou vendeur d’un bien amortissable en attribuant par exemple un prix au terrain et un prix au bâtiment. De plus, bien que l’établissement du prix d’achat ait été plutôt créatif, il n’y a pas de trompe-l’œil dans l’opération en cause; on n’a pas voulu donner à qui que ce soit l’impression que des droits et obligations juridiques étaient créés entre les parties, lesquels étaient différents des droits et obligations réels que les parties voulaient créer.

 

[95]    Selon le juge Cattanach, l’expression « juste valeur marchande » signifie ce qui suit :

 

[...] le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. [...] [L]’élément essentiel [est] un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi [...] entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre [...][5].

 

[96]    Le juge McIntyre a défini comme suit l’expression « juste valeur marchande » :

 

[traduction] [...] prix le plus élevé exprimé en argent qu’un vendeur disposé à vendre peut obtenir pour son bien, sur un marché libre de toutes restrictions, d’un acquéreur bien informé et disposé à acheter, avec lequel il n’a aucun lien de dépendance[6].

 

[97]    Habituellement, la juste valeur marchande d’un bien est le prix dont conviennent l’acheteur et le vendeur sans lien de dépendance au sens des définitions susmentionnées. Toutefois, nous avons ici un cas dans lequel le coût pour l’acheteur (y compris les transformations) est inférieur de 550 000 $ au prix de vente (étant donné qu’il n’en coûte rien pour délivrer un reçu) et où la valeur du reçu pour don de bienfaisance de 550 000 $ pour le vendeur est de moins de 550 000 $ étant donné que l’avantage économique final que lui confère le reçu est moindre que la valeur nominale du reçu.

 

[98]    L’examen des évaluations de la propriété au mois de février 1993 sera sans doute utile lorsqu’il s’agira d’établir la juste valeur marchande de l’opération et de déterminer la juste valeur marchande de tout élément lié à un don inclus dans la contrepartie.

 

[99]    M. Bower a évalué à 970 000 $ la propriété en tant que terrain non bâti. L’appelante a ajouté à ce montant le coût réel du bâtiment d’Arby, à savoir 485 182 $, et elle est arrivée à une juste valeur marchande de 1 455 182 $, soit un montant se rapprochant de celui qui, selon M. Fanelli, était le prix demandé.

 

[100]  L’un des problèmes qui se posent, dans l’examen du rapport de M. Bower, se rapporte à l’importance que ce dernier a accordée à une opération dans laquelle des organismes publics traitaient l’un avec l’autre. La propriété comparable 3 utilisée par M. Bower était une propriété non commerciale qui a été transférée de la ville à la province au prix de 51,46 $ le pied carré. La propriété visée par la vente, qui faisait partie d’un parc public, ne serait pas offerte à un particulier. Un autre problème est lié au fait qu’en ce qui concerne la propriété comparable 4, à savoir une vente effectuée à la ville par l’Église catholique romaine, M. Bower a omis de tenir compte du fait que la valeur du bâtiment qui se trouvait sur l’emplacement constituait un facteur important lorsqu’il s’était agi de fixer le prix de vente. M. Bower a également omis de répartir le prix de vente de 95,46 $ le pied carré entre le bâtiment et le terrain en ce qui concerne la propriété comparable 5. Un prix de 90,65 $ le pied carré pour le terrain seulement serait anormal compte tenu d’autres prix obtenus dans le voisinage. Rien ne montre que la propriété qui a été vendue, en ce qui concerne la propriété comparable 5, soit semblable à celle de la propriété comparable 1, dans la mesure où cette propriété comparable est valable. Ici encore, M. Bower ne savait pas quel était l’état des propriétés rassemblées pour la propriété comparable 2. Par exemple, lorsqu’il a préparé son rapport, il n’a pas vérifié le nombre de maisons se trouvant sur les lieux ni vérifié quelle était la contrepartie attribuée à ces bâtiments, le cas échéant. La propriété décrite dans la propriété comparable 1 était apparemment de qualité supérieure à la propriété ici en cause et il fallait effectuer un rajustement du prix vers le bas; toutefois, M. Bower n’a pas expliqué comment il avait effectué ce rajustement. C’est pourquoi je n’accorde pas beaucoup de poids aux ventes comparables 1, 4 et 5. Je crois également qu’en ce qui concerne la propriété comparable 3, le prix n’est pas basé sur la seule valeur marchande.

 

[101]  Toutefois, je préfère l’opinion que M. Bower a exprimée au sujet de l’utilisation optimale de la propriété à celle exprimée par M. Udvari et M. Pyke. La propriété était composée dans une proportion d’environ 90 p. 100 d’un terrain non bâti et elle se prêtait à toutes les utilisations permises.

 

[102]  Selon M. Udvari, l’utilisation optimale de la propriété était celle d’un restaurant à repas‑minute. Comme M. Bower l’a indiqué, il faut un stationnement dans le cas d’un restaurant à repas‑minute. Pourtant, M. Udvari n’a pas tenu compte de ce fait et il a évalué le terrain par rapport au bâtiment selon une utilisation de 2:1; selon lui, le terrain non bâti excédentaire n’avait rien à voir avec le restaurant. On n’a pas démontré quelle proportion de terrain par rapport au bâtiment était appropriée pour un restaurant à repas‑minute en 1993.

 

[103]  Bien sûr, aucun évaluateur n’a tenu compte de la preuve soumise par M. Lansink, à savoir que la propriété avait été mise en vente au prix de 970 000 $ en 1991 et qu’en 1992, elle l’avait été au prix de 750 000 $.

 

[104]  La ville de Windsor était sans doute un acheteur spécial. Elle acquérait des terrains dans le secteur de la propriété en question pour le tunnel Windsor‑Détroit. Il peut être tenu compte des acheteurs spéciaux en évaluant une propriété[7]. De fait, les intérêts de la ville peuvent avoir eu pour effet de faire augmenter la valeur des propriétés situées dans le secteur[8].

 

[105]  Les ventes comparables appropriées à employer sont les ventes 6, 7 et 8 utilisées par M. Bower et par M. Udvari, et ce, bien que la propriété comparable 7 soit peut‑être faible en raison de problèmes environnementaux. Le fait que la propriété était située à proximité de l’entrée du tunnel Windsor‑Détroit et du casino projeté est un facteur à prendre en considération en déterminant sa valeur. Le fait que la ville de Windsor était un acheteur spécial à ce moment‑là est un autre facteur qui peut influer sur la valeur de la propriété. Je crois que ces facteurs ajouteraient environ 15 p. 100 à 20 p. 100 aux évaluations effectuées par M. Udvari et par M. Pyke, en moyenne. La valeur du terrain devrait être fixée à 24,675 $ le pied carré, soit 24,675 $ x 25 909 pieds carrés = 639 304,58 $[9].

 

[106]  Le bâtiment et la propriété avaient une valeur pour l’acheteur. La conception du bâtiment était un facteur important, de même que l’emplacement de la propriété, lorsqu’il s’est agi pour la ville de décider d’acquérir la propriété.

 

[107]  Je préfère l’analyse de la valeur du bâtiment effectuée par M. Pyke à celle de M. Udvari ou au coût historique avancé par l’appelante. La valeur établie par M. Pyke à l’égard du bâtiment, son coût de remplacement moins la dépréciation sur une période de quatre ans, était de 308 769 $.

 

[108]  La juste valeur marchande de la propriété au 23 février 1993 était donc égale à la somme de 639 305 $ + 308 769 $, soit 948 084 $.

 

[109]  En conséquence, la valeur de la partie de la propriété, y compris les transformations, que l’appelante a donnée à la ville de Windsor est de 948 074 $ - (175 000 $ + 450 000 $) = 323 074 $.

 

[110]  Par conséquent, l’appel concernant l’année d’imposition 1993 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que la juste valeur marchande du don que l’appelante a consenti à la ville de Windsor en 1993 était de 323 074 $. Étant donné que la juste valeur marchande du don consenti à la ville est inférieure au montant de 340 632 $ déduit par l’appelante à titre de don de bienfaisance dans le calcul du revenu pour l’année 1993, aucun montant ne peut être reporté aux années 1994 ou 1995. Les appels concernant les années d’imposition 1994 et 1995 sont rejetés. Les avocats devront présenter par écrit leurs observations concernant les dépens au plus tard le 1er mai 2007.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2007.

 

 

 

 

« Gerald J. Rip »

Gerald Rip, juge en chef adjoint

 

Traduction certifiée conforme

ce 10 jour de mars 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI131

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2001-1190(IT)G

 

INTITULÉ :                                       882885 ONTARIO LIMITED

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   WINDSOR (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 15 et 16 décembre 2005 et

                                                          le 13 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable Gerald J. Rip, juge en chef adjoint

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

MArthur M. Barat, c.r.

MSherry-Lynn Medaglia

Avocat de l’intimée :

MCharles Camirand

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Arthur M. Barat, c.r.

 

                   Cabinet :                         Barat, Farlam, Millson

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]               En 1993, le sous‑alinéa 110.1(1)a)(iv) de la Loi prévoyait ce qui suit : « Les montants suivants sont déductibles dans le calcul du revenu imposable d’une société pour une année d’imposition : [...] le total [...] des montants dont chacun représente la juste valeur marchande d’un don que la société a fait au cours de l’année, ou au cours d’une des cinq années d’imposition précédentes [...] à une municipalité du Canada. »

[2]               Il ne s’agit pas du vérificateur de l’appelante, M. Mancini, qui a témoigné lors de l’audition du présent appel.

[3]             J’utilise des lettres afin d’indiquer les propriétés comparables employées par M. Udvari, de façon qu’il n’y ait pas de confusion avec les propriétés comparables utilisées par M. Bower.

[4]               Bien qu’il ait été à la retraite, M. Udvari essayait d’obtenir du travail en matière d’évaluation auprès de cabinets privés, dont l’un était Lansink & Best Limited. En consultant les dossiers de Lansink & Best, il a trouvé un rapport d’évaluation et un ensemble de données sous forme de résumé, préparés par ce cabinet, dans lesquels la propriété ici en cause était mentionnée comme propriété comparable. L’avocat de l’appelante s’est opposé à la production des documents en invoquant le ouï‑dire. L’avocat de l’intimée a soutenu qu’il s’agissait d’une « pièce commerciale » et qu’il avait donné un avis adéquat. Article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Lorsque l’instruction a repris, M. Lansink, qui avait préparé le rapport, a comparu comme témoin. Je n’avais pas à me prononcer sur l’admissibilité de la documentation une fois que M. Lansink témoignait. On ne s’est pas opposé à ce qu’il témoigne.

[5]               Henderson Estate and Bank of New York v. M.N.R., 73 DTC 5471 (C.F. 1re inst.), page 5476.

[6]               Re Mann Estate, [1972] 5 W.W.R. 23 (C.S.C.‑B.), page 27, confirmée par Min. of Finance (BC) v. Mann Estate (BCCA), [1973] C.T.C. 561.

[7]               Glass v. I.R.C. (1915), 52 Sc. L.R. 414.

[8]               Laycock v. The Queen, 78 DTC 6349.

[9]               La valeur attribuée au terrain par M. Pyke était de 22 $, alors que celle attribuée par M. Udvari était de 20 $. J’ai établi une moyenne, à 21 $ le pied carré, et j’ai calculé une augmentation de 17,5 p. 100.

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