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Date: 19990216

Dossier: 98-707-IT-I

ENTRE :

YVON ROYER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel selon la procédure informelle concernant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

[2] La question en litige est de savoir si l'appelant a droit de déduire des frais de véhicule automobile en application de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3] Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est fondé pour établir sa cotisation sont décrits aux paragraphes 9 et 11 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

9. Dans le calcul de ses revenus pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, l'appelant a réclamé entre autres, des frais de véhicule automobile de 5 842,95 $ pour l'année d'imposition 1994, de 5 361,52 $ pour l'année d'imposition 1995 et de 6 150,68 $ pour l'année d'imposition 1996.

...

11. Pour établir les nouvelles cotisations datées du 2 juin 1997 pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) au cours des années en litige, l'appelant était à l'emploi de la Société Canadien National Rail (ci-après la « Société » );

b) au cours des années en litige, l'appelant a reçu de la Société une allocation non imposable pour ses frais de véhicule automobile basée sur le kilométrage parcouru;

c) au cours des années en litige, le lieu d'affaires de l'appelant correspondait aux différents endroits où il devait se rendre pour accomplir les tâches de son emploi;

d) par conséquent, les frais de véhicule automobile réclamés par l'appelant dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition en litige, n'étaient pas déductibles étant donné que l'appelant a reçu une allocation non imposable de la Société.

[4] L'appelant a témoigné à la demande de ses représentants. Monsieur Yves Côté, agent des appels à Revenu Canada, a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimée.

[5] L'appelant est un opérateur de machines lourdes. Il explique que son employeur l'informe le vendredi ou au cours de la fin de semaine de l'endroit où ses services seront requis pour la semaine suivante. Les endroits sont les différentes cours de triage de son employeur. Ce peut être la cour Turcot, à Montréal, ou d'autres cours de triage situées à divers endroits comme Coteau, Drummondville, Richmond, St-Lambert, Ste-Hélène, Windsor Mills, Ottawa et autres.

[6] Les déclarations de revenu de l'appelant pour chacune des années en cause ont été déposées comme pièces I-1 et I-2. Dans la formule T2200, Déclaration des conditions de travail, on y voit, par exemple, pour l'année 1995 que l'appelant reçoit .1305 $ par kilomètre pour une distance parcourue de 34 480 kilomètres pour un total de 4 499,64 $. On y voit aussi, et cela peut sembler contradictoire, que l'appelant est tenu de payer ses frais de voiture. Pour les années en cause, l'appelant n'a pas considéré que les allocations de voyage de son employeur étaient suffisantes. Il a fait le calcul de ses dépenses de transport et a déduit les allocations de son employeur.

[7] La pièce A-2 est le livre de bord de l'appelant. C'est sur le nombre de kilomètres inscrits qu'il est remboursé par son employeur. La pièce A-5 est un extrait de la convention collective ayant trait aux allocations de voyage.

[8] La position du Ministre est difficile à déterminer car d'une part en n'incluant pas dans le revenu de l'appelant les allocations pour l'usage d'un véhicule à moteur, il admet que les allocations de voyage reçues par l'appelant l'ont été pour voyager dans l'accomplissement des fonctions de son emploi. Par ailleurs, le paragraphe 11 c) de la Réponse allègue que l'appelant ne faisait que se rendre aux lieux d'affaires de son employeur, ce qui impliquerait que les frais de transport sont des frais personnels. Dans ces circonstances, les allocations reçues devraient être incluses dans le revenu de l'appelant à titre d'avantage à un employé.

[9] L'agent des appels a expliqué à la Cour que chacun des chantiers de l'employeur est un lieu d'affaires de l'employeur et qu'en conséquence, l'appelant ne peut pas appliquer en sa faveur l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi. Il a indiqué à la Cour qu'en principe l'allocation que l'appelant a reçu de son employeur aurait dû être imposable en tant qu'avantage personnel en application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi. Il n'a pas donné de raisons précises pourquoi cela n'a pas été fait.

[10] L'avis de ratification, déposé comme pièce A-1, exprimait une autre notion soit celle de la preuve des frais réclamés. Il se lisait ainsi :

Vous n'avez pas démontré que vos frais de déplacement pour l'accomplissement de vos fonctions étaient supérieurs à l'allocation de 4 045,00 $ pour 1994, 4 499,64 $ pour 1995 et 2 785,00 $ pour 1996 que vous avez reçue de votre employeur. Par conséquent, vous ne pouvez pas déduire les sommes de 5 842,95 $ en 1994, 5 361,52 $ en 1995 et 6 150,68 $ en 1996 au titre de frais afférents à un véhicule à moteur en vertu de l'alinéa 8(1)h). De plus, selon le paragraphe 8(2), vous ne pouvez pas déduire ces montants dans le calcul de vos revenus tirés d'une charge ou d'un emploi.

[11] L'argumentation écrite de l'avocate de l'intimée reprend la position ambiguë du Ministre :

15. La position de l'intimé est à l'effet que l'appelant n'a pas droit à la déduction de ses frais de déplacement de son domicile à son lieu de travail.

16. L'intimée soutient que du point de vue de l'appelant, la place d'affaire de l'employeur est assimilable à chacun des chantiers énumérés au livre de bord de l'appelant.

17. La preuve a démontré que le travail de l'appelant implique qu'il se déplace dans la région du St-Laurent.

18. Bien qu'il soit admis que les frais de déplacements ont été encourus, il ne demeure pas moins que les déplacements effectués par l'appelant entre son domicile et son lieu de travail sont considérés par le ministre du Revenu national, de nature personnelle. Il est sans conteste que les dépenses personnelles ne sont pas déductibles.

[12] S'il s'agit d'allocations pour frais personnels, elles doivent être incluses dans le revenu de l'appelant en vertu de l'alinéa 6(1)b) de la Loi. Or elles ne le sont pas. Si elles ne le sont pas, je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un simple oubli du Ministre. C'est qu'il ne s'agit pas, selon la logique de la Loi, d'allocations pour frais personnels et nous verrons pourquoi.

[13] L'avocate de l'intimée se réfère à Madsen v. M.N.R., 70 DTC, 1475 et à Davey v M.N.R., 61 DTC 531 pour démontrer qu'un chantier est un lieu d'affaires et qu'un employé n'a pas droit de déduire les frais de déplacement pour s'y rendre.

Dans la première affaire, il s'agissait d'un ouvrier de la construction qui avait été employé de façon régulière sur un seul chantier et dans la deuxième affaire d'un contribuable qui travaillait pour trois employeurs mais sur un seul chantier de chacun de ces employeurs. Les faits sont à leur face même différents de ceux de la présente affaire où l'employé doit travailler sur plusieurs chantiers loin les uns des autres.

[14] Elle se réfère aussi à Viitkar v. M.N.R., 76 DTC 1073. Dans cette décision, les faits sont identiques à ceux de la présente affaire, l'employé devait travailler sur divers chantiers de son employeur. Toutefois, je crois que cette décision a été modifiée par les décisions récentes de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale : The Queen v. Chrapko, 84 DTC 6544, The Queen v. Chrapko (C.A.F.), 88 DTC 6487 et The Queen v. Merten, 90 DTC 6600. Je me réfère aux propos du juge Jérome dans l'affaire Chrapko (supra) :

... Il me semble plutôt que le législateur avait l'intention de créer une déduction à l'intention de ceux qui sont en mesure de contrôler leurs frais de déplacement vers leur principal lieu de travail mais qui, parce qu'il sont tenus de se présenter à différents endroits de travail, ne peuvent contrôler les frais qu'il doivent engager pour se rendre à ces dernier. ...

et à ceux du juge Strayer dans l'affaire Merten (supra) :

... En appel, la Cour d'appel a implicitement limité la portée de cette expression en reconnaissant qu'un contribuable peut déduire ses frais de déplacement entre son domicile et son lieu de travail, pourvu que ce lieu soit autre que celui où il travaille « habituellement » . ...

[15] L'alinéa 8(1)h.1) de la Loi se lit ainsi :

(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

...

h.1) Frais afférents à un véhicule à moteur – dans le cas où le contribuable, au cours de l'année, a été habituellement tenu d'accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu'un lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits et a été tenu, aux termes de son contrat d'emploi, d'acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur qu'il a engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année au titre de frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi, sauf s'il a, selon le cas :

(i) reçu une allocation pour frais afférents à un véhicule à moteur qui, par l'effet de l'alinéa 6(1)b), n'est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l'année,

(ii) demandé une déduction pour l'année en application de l'alinéa f);

[16] En m'appuyant sur la jurisprudence déjà citée, je suis d'avis que l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi prévoit deux situations : la première concerne l'employé qui est habituellement tenu d'accomplir ses fonctions ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur et l'autre concerne l'employé qui est habituellement tenu d'accomplir ses fonctions à différents endroits. Je crois que la première situation vise le cas d'une personne qui se rapporte à un endroit, qui est un lieu d'affaires, et qui doit habituellement exercer ses fonctions à l'extérieur de ce lieu.

[17] En ce qui concerne la deuxième situation, je ne crois pas que l'expression « différents endroits » exclut un lieu d'affaires. J'accepte la position de l'avocate de l'intimée, appuyée par la jurisprudence ci-avant citée, qu'un chantier est un lieu d'affaires. S'il y a plusieurs lieux d'affaires où un employé doit accomplir ses fonctions, ces lieux d'affaires prennent justement le sens de différents endroits. Si dans ces différents endroits, il y en a un qui est attribué à l'employé de manière habituelle et que les autres lieux le sont à la discrétion de l'employeur, le transport au lieu d'affaires habituel sera de la nature de frais personnels. Les conditions de travail sont importantes pour arriver à déterminer ce qui est la place habituelle du travail et ce qui constitue les différents endroits. La distance d'un endroit à l'autre et le changement du lieu de travail selon les besoins de l'employeur feront, notamment, que les lieux de travail constitueront différents endroits.

[18] L'avocate de l'intimée se réfère au Bulletin d'interprétation IT-522R, paragraphe 33 qui se lit comme suit :

33. L'obligation mentionnée au point 31b) ci-dessus est respectée si les conditions suivantes sont remplies :

...

b) les frais raisonnables de déplacement engagés par l'employé ne doivent pas être entièrement remboursés par l'employeur. Pour déterminer si les frais de déplacement dont l'employé demande la déduction sont raisonnables, on va regarder le mode de transport que l'employé a utilisé comparativement au mode de transport qui aurait pu être utilisé pour effectuer les déplacements nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

[19] Dans sa plaidoirie écrite l'avocate de l'intimée soutient ceci :

36. À cet effet, nous soumettons à la Cour que c'est exactement ce à quoi fait référence la convention collective. L'employeur accorde le taux de transport en commun considérant que les employés pourraient utiliser ce mode de transport.

[20] Je suis d'avis qu'il est trop tard pour avancer ce genre d'argument selon les règles usuelles de la plaidoirie. C'est dans la Réponse qu'il aurait fallu le lire. La Réponse aurait dû s'appuyer sur le fait que l'allocation reçue par l'appelant était raisonnable pour permettre l'application de l'exclusion prévue au sous-alinéa 8(1)h.1)(i) de la Loi. En effet, selon le sous-alinéa 6(1)b)(vii.1), les allocations raisonnables pour l'usage d'un véhicule à moteur qu'un employé a reçu de son employeur pour voyager dans l'accomplissement des fonctions de son emploi ne sont pas à inclure dans le calcul du revenu tiré d'un emploi. Il aurait alors appartenu au contribuable de prouver que ces allocations n'étaient pas raisonnables pour pouvoir bénéficier de la déduction prévue à l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi.

[21] Les représentants de l'appelant ont demandé le remboursement des frais engagés par l'appelant auprès de professionnels pour le conseiller en cette affaire. L'article 10 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) (les « Règles » ) se lit ainsi :

10(1) Les dépens sont laissés à la discrétion du juge qui règle l’appel, dans les circonstances établies au paragraphe 18.26(1) de la Loi qui prévoit ce qui suit :

18.26 (1) Dans sa décision d’accueillir un appel visé à l’article 18, la Cour peut, conformément aux modalités prévues par ses règles, allouer les frais et dépens à l’appelant si le jugement réduit de plus de la moitié le total de tous les montants en cause ou le montant des intérêts en cause, ou augmente de plus de la moitié le montant de la perte en cause.

(2) Le juge peut ordonner le paiement d’un montant forfaitaire, au lieu des dépens taxés.

[22] La Cour d'appel fédérale dans The Queen v. Munro, 98 DTC 6443, a déterminé que les seuls coûts qui peuvent être accordés sont ceux prévus aux Règles. Je cite un passage du paragraphe [14] de cette décision :

Les frais et dépens autorisés en vertu des Règles relatives à la procédure informelle sont de deux types : un montant forfaitaire au lieu des dépens taxés (règle 10(2)), ou les dépens taxés qu'une partie doit payer à l'autre. Ces dépens taxés sont classés, à toutes fins pratiques, sous deux rubriques : ceux entre parties et ceux entre procureur et client. ...

[23] L'appel est accordé avec paiement d'un montant forfaitaire de 600 $ en faveur de l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février, 1999.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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