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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-4404(IT)I

 

ENTRE :

 

KRYSTYNA JANKOWSKA-KAMAC,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 9 mars 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

 

l'honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions

 

Représentante de l'appelante :          Urszula Blaszczyk

 

Avocat de l'intimée :                         Me Victor Caux

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté pour les motifs ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2001.

 

 

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2001.

 

 

 

Martine Brunet, réviseure


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20010502

Dossier: 2000-4404(IT)I

 

ENTRE :

 

KRYSTYNA JANKOWSKA-KAMAC,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield, C.C.I.

 

[1]     Le présent appel, régi par la procédure informelle, est interjeté à l’encontre d’un avis de nouvelle cotisation dans lequel l’équivalent du montant pour conjoint que l’appelante a demandé relativement à son fils Jakub Kamac a été refusé pour l’année d’imposition 1997.

 

[2]     Les faits dans la présente affaire ne sont pas en litige. L’appelante, qui a quitté la Pologne pour immigrer au Canada avant 1997, a résidé dans un appartement de Vancouver Nord (Colombie‑Britannique) tout au long de l’année 1997 (la résidence de l’appelante). Des circonstances indépendantes de sa volonté l’ont contrainte à laisser derrière elle son fils unique, Jakub, alors âgé de 9 ans. Lorsque l’appelante a quitté la Pologne, Jakub est resté avec sa tante, la sœur de l’appelante, jusqu’à ce que les procédures relatives à son immigration soient terminées, en 1998. Si Jakub est resté avec sa tante en Pologne, c’est toutefois sa mère qui a subvenu à ses besoins tant financiers que psychologiques tout au long de leur séparation en 1997. L’appelante envoyait régulièrement à sa sœur de l’argent destiné à subvenir aux besoins financiers de son fils, à qui elle parlait régulièrement, au moins plusieurs fois par semaine, sinon quotidiennement à certains moments. L’appelante était la seule tutrice de Jakub et entretenait avec lui une relation parentale étroite. Jusqu’à ce que son dossier d’immigration soit réglé, Jakub ne pouvait subvenir à ses besoins financiers d’aucune autre façon. La sœur de l’appelante était habilitée, par procuration, à remplir les documents nécessaires en Pologne, mais l’intimée a reconnu qu’au cours de toutes les périodes pertinentes l’appelante avait subvenu aux besoins financiers de Jakub et entretenu avec ce dernier une relation affectueuse et attentionnée.

 

[3]     L’appelante a admis que son fils n’avait jamais été physiquement présent au Canada en 1997 et que, par conséquent, il n’avait jamais vécu avec elle dans sa résidence cette année‑là.

 

[4]     Le litige se résume donc aux exigences législatives auxquelles l’appelante doit satisfaire pour demander l’équivalent du montant pour conjoint relativement à son fils. L’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu énonce les conditions préalables à l’obtention de ce crédit. L’avocat de l’intimée a admis tous les faits invoqués par l’appelante relativement à l’application de cet alinéa, à l’exception d’un seul. Il a fait valoir que, aux termes du sous‑alinéa b)(ii), il fallait qu’à un moment de l’année Jakub ait effectivement habité la résidence de l’appelante (à savoir, l’établissement domestique maintenu par l’appelante, dans lequel elle vivait à un moment de l’année en question), et qu’il n’avait pas été satisfait à cette condition. Le sous‑alinéa 118(1)b)(ii) de la Loi énonce les conditions applicables dans les termes suivants :

 

b)                  Crédit équivalent pour personne entièrement à charge […] si le particulier ne demande pas de déduction pour l'année par l'effet de l'alinéa a) et si, à un moment de l'année :

 

[...]

 

(ii)        d'autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d'une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

 

            (A)       elle réside au Canada, sauf s'il s'agit d'un enfant du particulier,

 

            (B)       elle est entièrement à la charge soit du particulier, soit du particulier et d'une ou plusieurs de ces autres personnes,

 

            (C)       elle est liée au particulier,

 

            (D)       sauf s'il s'agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d'une infirmité mentale ou physique; [...].

 

[5]     Le paragraphe 248(1) définit « établissement domestique autonome » dans les termes suivants :

 

« établissement domestique autonome » Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

 

[6]     L’avocat de l’intimée fait valoir que, au sens de la définition d’un « établissement domestique autonome », l’enfant à charge doit réellement habiter la résidence de l’appelante. Il soutient à titre subsidiaire que, pour satisfaire à la condition prévue au sous‑alinéa b)(ii), à savoir que le particulier (l’appelante en l’espèce) subvienne aux besoins de l’autre personne dans l’établissement en question, l’enfant à charge doit réellement habiter cet établissement (la résidence de l’appelante).

 

[7]     Par définition, la résidence de l’appelante est un établissement domestique autonome si une personne l’habite (c’est‑à‑dire qu’elle y prend ses repas et y couche) et, dans un libellé explicite, le sous‑alinéa b)(ii) exige simplement que le particulier qui subvient aux besoins d’une personne habite cet établissement. Les mots « in which the individual lives » (« habite »), ajoutés entre parenthèses dans le texte anglais du sous‑alinéa b)(ii), précisent bien que c’est le particulier qui subvient aux besoins d’une personne qui doit « habiter » l’établissement en question. Le fait que les dispositions en question ne comportent pas de mention explicite de ce genre à l'égard de l’enfant à charge pourrait même laisser à penser qu’il n’est pas nécessaire que l’enfant habite l'établissement en question (y prenne ses repas et y couche) à un moment de l’année. Le sous‑alinéa b)(ii) va cependant plus loin.

 

[8]     En effet, il prévoit ensuite non seulement que le particulier qui subvient aux besoins d’une personne doit habiter l’établissement (à un moment de l’année), mais qu’il faut subvenir aux besoins de la personne dans l’établissement en question (à un moment de l’année). Peut‑on subvenir aux besoins d’une personne « dans » un endroit si cette personne n’est jamais présente « dans » cet endroit? L’intimée prétend que non, et c’est la principale question en litige en l’espèce.

 

[9]     L’appelante demande que les dispositions législatives en cause soient interprétées de façon libérale. Elle soutient, d’une part, que, suivant la pratique administrative, le crédit peut être accordé au parent qui subvient aux besoins d’un enfant qui ne vit pas avec lui parce qu’il fréquente l’école (IT‑513R) et, d’autre part, qu’une interprétation de la Loi qui permet un tel arrangement devrait permettre d'accorder le crédit dans ce cas‑ci également.

 

[10]   Contrairement à ce que l’appelante fait valoir, le Bulletin d’interprétation IT‑513R ne semble pas éliminer complètement la condition que l’enfant aux besoins duquel on subvient et qui fréquente l’école à l’extérieur ait un certain lien, pour ce qui est de l’habitation, avec la résidence du parent qui subvient à ses besoins. Au paragraphe 16, le bulletin requiert que l’étudiant vive « habituellement » avec le parent qui subvient à ses besoins lorsqu’il ne fréquente pas l’école. Si le bulletin fait le lien entre l’étudiant et la résidence du parent qui subvient à ses besoins, la question de savoir où une personne vit « habituellement » est hérissée de difficultés d’interprétation et sort du cadre de la disposition en cause. Pour cette raison, le bulletin n’est pas un outil d’interprétation utile dans ce cas‑ci et ne peut, de toute façon, avoir pour effet de modifier la loi.

 

[11]   L’appelante fait valoir que la division (A) de la disposition en cause donne à penser que, au moins dans le cas d’une personne qui subvient aux besoins de son enfant, la Loi n’exige pas la présence de celui‑ci dans l’établissement du parent qui subvient à ses besoins puisque, aux termes de la disposition en question, un enfant aux besoins duquel on subvient peut être un non‑résident. Cet argument repose sur l'hypothèse que la division (A) vise une situation factuelle précise, à savoir celle du particulier qui vit dans un établissement au Canada alors que l’enfant aux besoins duquel il subvient vit à l’étranger en tant que non‑résident. Si c’était là la situation factuelle que la division (A) visait en particulier, elle pourrait bien permettre que la disposition en question soit interprétée de façon que l’obligation de subvenir aux besoins de l’enfant à charge « dans » l’établissement ne signifie pas que ce dernier doive l’« habiter ». Or, il n’y a aucune raison de croire que c’est la situation factuelle envisagée dans cette division.

 

[12]   L’exception relative au non‑résident prévue à la division (A) pourrait faire en sorte que le crédit soit accordé dans les cas où l’enfant qui réside à l’étranger vit en fait avec un parent à un moment de l’année. L’enfant à charge qui vit à l’étranger pourrait être un résident d’un autre pays (par exemple à titre d’étudiant) et demeurer tout de même dans l’établissement domestique du parent qui subvient à ses besoins, au Canada, pendant une partie de l’année, sans pour autant être résident canadien. La division (A) permet d'accorder le crédit dans un tel cas; donc, on ne doit pas déduire de sa présence dans la Loi qu’elle appuie nécessairement une interprétation selon laquelle on peut subvenir aux besoins « dans » un établissement au Canada sans que l’enfant aux besoins duquel on subvient l’habite.

 

[13]   La raison d’être de l’exception prévue à la division (A) a en fait été attribuée à un autre cas. Il s’agit de celui où l’établissement domestique est maintenu à l’étranger par un particulier qui habite cet établissement, qui est encore un résident du Canada en vertu de la définition élargie d'une « résidence » énoncée au paragraphe 250(1) de la Loi, mais dont l’enfant à charge aux besoins duquel il subvient habite cet établissement et n’est pas un résident canadien. Dans ce cas, la division (A) permet que le parent qui subvient aux besoins de l’enfant obtienne le crédit, et l'on a jugé qu’il s’agissait d’une explication suffisante pour que l’ajout de la division (A) mette un terme à toute prétention selon laquelle elle appuierait une interprétation du sous‑alinéa b)(ii) telle qu'il ne serait pas nécessaire qu’un enfant aux besoins duquel on subvient habite avec le parent qui subvient à ses besoins pour que ce dernier obtienne le crédit[1].

 

[14]   L’appelante a fait valoir que les dispositions de la Loi devaient être interprétées en harmonie avec les réalités propres à l’immigration. Après tout, nous sommes une nation éclairée dont la croissance passée, présente et future repose sur des pratiques éclairées en matière d’immigration; des dispositions fiscales éclairées ne devraient pas pénaliser les familles qui sont en voie d’immigrer. Si l'on veut que la politique relative à l’équivalent pour conjoint permette à une mère monoparentale de demander le crédit relativement à un enfant entièrement à charge aux besoins duquel elle subvient et qui est clairement à sa charge dans tous les sens significatifs du terme ou presque, un empêchement temporaire lié à l’immigration ne devrait pas créer un obstacle de nature procédurale à l’attribution du crédit au parent qui subvient aux besoins d’une autre personne. L’argument n'est pas dénué de fondement sous l'angle de la politique publique. Cependant, même si une interprétation libérale de la disposition relative au crédit peut être équitable dans les circonstances de la présente affaire, on ne peut faire abstraction du libellé ordinaire de la disposition et des décisions judiciaires qui ont toujours été rendues dans le même sens concernant l'interprétation de cette disposition. En outre, l’argument suppose l’acceptation de l'idée selon laquelle une personne peut être « entièrement à charge » au sens de l’alinéa 118(1)b) et ne pas habiter avec le parent qui subvient à ses besoins. Après tout, on peut subvenir aux besoins d’une personne « à partir » d’un endroit. S’il s’agit là d’une prémisse défendable, elle n’est pas acceptée dans la jurisprudence portant sur l’alinéa en question. Dans l’affaire Narsing c. La Reine, C.A.F., no A‑939‑96, 26 janvier 1998 (98 DTC 6176), la Cour d’appel fédérale a conclu que la condition était claire. Pour être « entièrement à charge » d’un contribuable, la personne aux besoins de laquelle on subvient doit habiter le même établissement que la personne qui subvient à ses besoins.

 

[15]   Je ne suis pas certain de la raison pour laquelle le soutien doit être centralisé à un endroit en particulier, mais le législateur a prévu le crédit en cause uniquement dans le cas où, dans les faits, le particulier subvient aux besoins d’une personne « dans » l’établissement où il réside. À mon sens, examiner l’intention de la loi n’est d’aucune assistance dans la présente affaire. Le libellé de cette disposition n’est pas ambigu et les tribunaux ont toujours appliqué la disposition telle qu’elle est rédigée.

 

[16]   Par conséquent, l’appel doit être rejeté. Il appartient au législateur d’éliminer toute injustice découlant de cette conclusion. Ainsi que l’a conclu le juge Cattanach dans l’affaire La Reine c. Scheller, qui n’était pas sans ressembler à la présente affaire, lorsque le sens des dispositions d’une loi est clair, les tribunaux n’ont pas à se mêler de la politique qui les sous‑tend ni de la justice ou l’injustice qui en découle. Le rôle du juge est d’appliquer la loi telle qu’elle est rédigée car, s’il agissait autrement, il délaisserait sa fonction de juge pour assumer celle du pouvoir législatif. Dans cette affaire (Scheller), le fait que l’appelant subvenait aux besoins de sa fille alors qu’elle vivait à l’étranger (en Estonie) du fait de circonstances indépendantes de la volonté de l’appelant n’avait pas d’importance. Le crédit prévu à l’alinéa 118(1)b) a été refusé pour le motif que, dans cette affaire‑là, la fille n’avait vécu avec l’appelant à aucun moment de l’année, contrairement à ce que requiert cette disposition de la Loi. Je considère les remarques du juge Cattanach concernant le rôle des tribunaux comparativement à celui du pouvoir législatif comme une invitation, lancée au législateur en 1975, de reconsidérer ses politiques dans les cas analogues à l’affaire Scheller (c.‑à‑d. analogues à la situation en l’espèce). Le législateur n’a pas donné suite à cette invitation.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2001.

 

 

« J. E. Hershfield »

       J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2001.

 

 

 

Martine Brunet, réviseure



[1]               La raison d’être de l’exception prévue à la division (A) est exposée dans les affaires B. Ruzicka c. La Reine, C.C.I., n93-1285(IT)I, 9 décembre 1993 ([1994] 1 C.T.C. 2092) et Elenita A. Baltazar c. La Reine, C.C.I., no 94-780(IT)I, 2 février 1995 ([1995] 1 C.T.C. 2877). Bien que l’historique de la division (A) ne soit pas examiné dans ces affaires, je remarque que cette disposition a été adoptée au début des années 1980 et qu’elle est entrée en vigueur en 1982. Auparavant, en fait dans la version de 1952 de la Loi, il y avait toujours une obligation que le soutien soit accordé à la personne à charge « dans » l’établissement qu’habitait la personne qui subvenait à ses besoins. On semble avoir conclu invariablement que cette condition signifiait elle‑même que la personne à charge devait habiter réellement l’établissement en question avec la personne subvenant à ses besoins. Voir aussi R. c. Scheller, [1976] 1 C.F. 480 ([1975] C.T.C. 601) (C.F. 1re inst.) et Émile Tzouvelopoulos v. M.N.R., 63 DTC 889 (C.A.I.); plusieurs autres décisions sont citées dans cette dernière affaire.

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