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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1982(IT)G

 

ENTRE :

R. A. HEWITT & SONS LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appels entendus le 7 septembre 2000 à London (Ontario) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

 

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Ross F. Earnshaw

Avocats de l'intimée :                          Me Cathy Chalifour

                                                          Me Richard Gobeil

 

JUGEMENT

 

                    Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national selon les motifs de jugement ci-joints. L'intimée se voit adjuger des dépens entre parties.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2000.

 

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2001.

 

 

 

 

Philippe Ducharme, réviseur


 

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20000913

Dossier: 1999-1982(IT)G

 

 

ENTRE :

R. A. HEWITT & SONS LTD.,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Beaubier, C.C.I.

 

[1]     Le présent appel, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à London (Ontario) le 7 septembre 2000. Robert Hewitt (« M. Hewitt »), président et actionnaire dominant de l'appelante, a été le seul témoin.

 

[2]     Les extraits suivants de l'avis d'appel ont été admis par l'intimée dans sa réponse modifiée à l'avis d'appel :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'appelante est une société constituée sous le régime des lois de l'Ontario. Durant toute la période pertinente, ses administrateurs étaient Robert A. Hewitt et Yvonne M. Hewitt, ses dirigeants étaient :

 

            président                      -           Robert A. Hewitt

            secrétaire-trésorière      -           Yvonne M. Hewitt

 

            et son actionnaire dominant était Robert A. Hewitt.

 

2.         Robert A. Hewitt est résident du Canada et l'était durant toute la période pertinente.

 

3.         L'appelante est résidente du Canada et l'était durant toute la période pertinente.

 

4.         R. A. Hewitt and Sons (Bahamas) Limited (la « filiale ») a été constituée dans le Commonwealth des Bahamas le 2 janvier 1990 ou vers cette date.

 

5.         Durant toute la période pertinente, la filiale exploitait une entreprise agricole aux Bahamas. [...]

 

6.         Durant toute la période pertinente, la filiale avait trois administrateurs : Robert A. Hewitt, son épouse Yvonne J. M. Hewitt et leur fils David R. Hewitt.

 

7.         Yvonne J. M. Hewitt et David R. Hewitt étaient tous deux résidents du Canada durant toute la période pertinente.

 

[...]

 

9.         L'appelante finançait les activités de la filiale par des prêts consentis aux termes d’une convention conclue entre les deux parties le 13 novembre 1992 ou vers cette date. Bien que la convention prévoie le paiement d'intérêts, aucun intérêt n'a été payé.

 

[...]

 

11.       [...] Durant toute la période pertinente, la filiale avait 5 000 actions d'émises : a) 3 000 étaient enregistrées au nom d'Abaco Grower Limited (« Abaco »), soit une société constituée sous le régime des lois du Commonwealth des Bahamas; b) 2 000 étaient enregistrées au nom de l'appelante.

 

[...]

 

13.       Comme les actions émises de la filiale étaient enregistrées au nom d'Abaco dans une proportion de 60 p. 100, la filiale faisait valoir à l’occasion de ses rapports avec le gouvernement des Bahamas que des personnes de nationalité bahamienne étaient propriétaires bénéficiaires de la filiale dans une proportion d'au moins 60 p. 100. [...]

 

14.       Le ministre a établi à l'égard de l'appelante, pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de l'appelante, des cotisations basées sur le fait que l'appelante avait prêté de l'argent à une personne non-résidente qui n'était pas une « filiale contrôlée » de l'appelante (au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu), et ce, sans recevoir d'intérêts à un taux raisonnable. Le ministre a donc inclus des intérêts au taux prescrit dans le revenu de l'appelante pour les années d'imposition pertinentes en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

L’expression « filiale contrôlée » est définie comme suit au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

 

« filiale contrôlée » Société dont plus de 50 % du capital-actions émis (ayant plein droit de vote en toutes circonstances) appartient à la société dont elle est la filiale.

 

[3]     Les paragraphes 6 à 13, inclusivement, de la réponse modifiée à l'avis d'appel se lisent comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

6.         Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») de manière à inclure dans le revenu de l'appelante des intérêts réputés avoir été reçus, soit des montants de 31 639 $, de 48 449 $ et de 40 447 $ respectivement.

 

7.         En établissant ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1994 à 1996, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         L'appelante est une société résidant au Canada.

 

b)         R. A. Hewitt & Sons (Bahamas) Limited (la « filiale ») a été constituée aux Bahamas et est une personne non-résidente.

 

c)         Par convention écrite en date du 13 novembre 1992 (la « convention »), l'appelante a accepté de prêter de l'argent à la filiale à un taux d'intérêt annuel de 5 p. 100.

 

d)         Conformément à la convention, l'appelante a prêté de l'argent (le « prêt ») à la filiale.

 

e)         Le prêt est resté impayé pendant une année ou plus sans que des intérêts sur le prêt soient inclus dans le calcul du revenu de l'appelante.

 

f)          Le montant du prêt impayé à la fin des années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 était de 406 602 $, de 615 582 $, de 634 746 $ et de 669 224 $ respectivement.

 

g)         Les intérêts sur le prêt calculés au taux prescrit pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de l'appelante sont de 31 639 $, de 48 449 $ et de 40 447 $ respectivement.

 

h)         Aucun impôt n'a été payé à l'égard du prêt, contrairement à ce que prévoit la partie XIII de la Loi.

 

i)          La filiale n'est pas une société « dont plus de 50 p. cent du capital-actions émis (ayant plein droit de vote en toutes circonstances) appartient » à l'appelante.

 

j)          Une proportion de 40 p. 100 du capital-actions émis de la filiale appartient à l'appelante.

 

k)         Une proportion de 60 p. 100 du capital-actions émis de la filiale appartient à des nationaux des Bahamas.

 

l)          Le 24 février 1993, Robert Hewitt et Yvonne Hewitt ont, comme administrateurs de la filiale, signé une déclaration de propriété où l’on pouvait lire ceci : [TRADUCTION] « Nous déclarons que des personnes de nationalité bahamienne sont propriétaires bénéficiaires de la société susnommée dans une proportion d'au moins 60 p. 100. »

 

m)        Le 2 mars 1995, Robert Hewitt et Yvonne Hewitt ont, comme administrateurs de la filiale, signé une déclaration de propriété où l’on pouvait lire ceci : [TRADUCTION] « Nous déclarons que des personnes de nationalité bahamienne sont propriétaires bénéficiaires de la société susnommée dans une proportion d'au moins 60 p. 100. »

 

n)         Le 20 février 1996, Robert Hewitt et David Hewitt ont, comme administrateurs de la filiale, signé une déclaration de propriété où l’on pouvait lire ceci : [TRADUCTION] « Nous déclarons que des personnes de nationalité bahamienne sont propriétaires bénéficiaires de la société susnommée dans une proportion d'au moins 60 p. 100. »

 

o)         La « société susnommée » dont il est question dans les déclarations mentionnées aux alinéas 7l) à 7n) est R. A. Hewitt & Sons (Bahamas) Limited, dont le numéro de certificat est le « 37,263 ».

 

p)         Les déclarations mentionnées aux alinéas 71) à 7n) ont été envoyées au gouvernement des Bahamas et on s’attendait à ce qu’il y soit donné suite.

 

7.1       La nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 est une cotisation NÉANT, de sorte qu'il n'y a aucune obligation fiscale pour cette année‑là.

 

B.         QUESTIONS À TRANCHER

 

8.         L'appelante est-elle réputée avoir reçu des intérêts au taux prescrit aux termes du paragraphe 17(1) de la Loi par suite du prêt qu'elle a consenti à une personne non-résidente?

 

9.         Sinon, des intérêts à recevoir au taux de 5 p. 100 devraient‑ils être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante en application de l'alinéa 12(1)c) de la Loi?

 

9.1       L'appel interjeté par l'appelante pour l'année d'imposition 1994 est‑il valable?

 

C.        DISPOSITIONS LÉGISLATIVES, MOTIFS INVOQUÉS ET MESURE DE REDRESSEMENT DEMANDÉE

 

10.       Il invoque l'alinéa 12(1)c), les articles 17, 169 et 171 et le paragraphe 248(1) de la Loi, dans sa forme modifiée, pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

 

11.       Il soutient que la filiale est une société non-résidente qui appartient à des nationaux des Bahamas dans une proportion de plus de 50 p. 100.

 

12.       Il soutient également que la filiale n'est pas une « filiale contrôlée » de l'appelante et que celle-ci est réputée avoir reçu des intérêts au taux prescrit aux termes du paragraphe 17(1) de la Loi par suite du prêt qu'elle a consenti à une personne non-résidente.

 

13.       Il soutient subsidiairement que des intérêts à recevoir au taux de 5 p. 100 devraient être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante en application de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

 

13.1     Il soutient en outre que la nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 est une cotisation NÉANT et que l'appel visant cette année‑là n'est pas valable.

 

[4]     Les hypothèses figurant aux alinéas 7a), c), d), e), f), g), h), l), m), n), o) et p) n'ont pas été réfutées.

 

[5]     R. A. Hewitt & Sons (Bahamas) Limited (la « Bahamas ») a été constituée aux Bahamas le 2 janvier 1990. Robert Hewitt a témoigné que les actionnaires et administrateurs initiaux étaient lui-même, son épouse Yvonne et son fils David (pièce R‑1, onglet 13 et onglet 2) — bien que des intermédiaires d'un cabinet juridique semblent être les actionnaires inscrits. Le 13 novembre 1992, l'appelante et la Bahamas ont signé à Woodstock (Ontario) une convention de prêt aux termes de laquelle l'appelante acceptait de prêter de l'argent à la Bahamas à un taux d’intérêt de 5 p. 100.

 

[6]     Robert Hewitt estimait que la Bahamas avait de la difficulté à se développer et à exploiter son entreprise agricole aux Bahamas, et il s'est fait dire et a compris que c'était parce qu'elle appartenait à des étrangers (en l’occurrence des Canadiens). Ainsi, il a fait en sorte qu'Abaco soit constituée aux Bahamas le 18 février 1993. L'actionnariat en était le suivant :

 

Edgar Curling

(résident des Bahamas)

     200 actions

Edward Monroe

(résident des Bahamas)

     450 actions

Wayne Monroe

(résident des Bahamas)

     200 actions

Robert Hewitt

(résident du Canada)

     150 actions

 

TOTAL ÉMIS

  1 000 actions

 

Tous les certificats d'actions d'Edgard Curling, d'Edward Monroe et de Wayne Monroe ont immédiatement été endossés en blanc par eux et livrés à Robert Hewitt, qui les a rapportés avec lui à Woodstock (Ontario) quelques jours plus tard. Aucune convention de quelque type que ce soit n'a été conclue ou signée à cet égard.

 

[7]     Le 24 février 1993, les administrateurs de la Bahamas se sont réunis à Woodstock et ont émis :

 

                             à l'appelante                    2 000 actions

                             à Abaco                          3 000 actions

 

(pièce R-1, onglets 3 et 4). À ce stade, les actions que la Bahamas avait précédemment émises ont été annulées.

 

[8]     Par la suite, Robert Hewitt a déposé annuellement des demandes pour le compte de la Bahamas en vue d’obtenir une licence d'exploitation aux Bahamas. Les demandes indiquaient que 60 p. 100 des actions de la Bahamas (soit 3 000 actions) avaient été émises en faveur d'Abaco et que 40 p. 100 de ses actions (soit 2 000 actions) avaient été émises en faveur de l'appelante. Ces demandes portaient les dates suivantes :

 

                             16 mars 1995         (pièce R-1, onglet 9)

                             24 février 1993       (pièce R-1, onglet 9)

                             20 février 1993       (pièce R-1, onglet 9)

 

Il était ainsi maintenu qu'Abaco était une société contrôlée des Bahamas, tout comme la Bahamas. M. Hewitt a témoigné que, à l'automne 1993, ce n'était pas ce que l’on croyait aux Bahamas. Il avait néanmoins continué à maintenir cela. Il avait en outre déposé des déclarations selon lesquelles des personnes de nationalité bahamienne étaient propriétaires de la Bahamas dans une proportion d'au moins 60 p. 100, soit des déclarations en date du 20 février 1996 (pièce R‑1, onglet 6) et du 2 mars 1995 (pièce R‑1, onglet 9). Il en avait été de même le 24 février 1993 (pièce R‑1, onglet 9).

 

[9]     L'article 17 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

 

(1)        Lorsqu'une société résidant au Canada a prêté de l'argent à une personne non-résidente et que le prêt est resté impayé pendant une année ou plus sans que des intérêts sur ce prêt, à un taux raisonnable, aient été inclus dans le calcul du revenu du prêteur, la société est réputée avoir reçu, le dernier jour de chaque année d'imposition où le prêt était impayé, des intérêts sur ce prêt calculés au taux prescrit pour la période de l'année d'imposition où le prêt était impayé.

 

(2)        Le paragraphe (1) ne s'applique pas si un impôt a été acquitté sur le montant du prêt en vertu de la partie XIII.

 

(3)        Le paragraphe (1) ne s'applique pas si le prêt a été consenti à une filiale contrôlée et s'il est établi que l'argent prêté a été utilisé dans l'entreprise de cette filiale en vue de tirer un revenu.

 

[10]    Les états financiers que l'appelante avait produits avec ses déclarations de revenus indiquent qu’elle détenait pour 2 000 $ d'actions de la Bahamas durant ses exercices se terminant :

 

                             le 31 octobre 1994 (pièce R-1, onglet 16)

                             le 31 octobre 1995 (pièce R-1, onglet 17)

                             le 31 octobre 1996 (pièce R-1, onglet 18)

                             le 31 octobre 1996 (pièce R-1, onglet 19)

 

Au cours de son témoignage, Robert Hewitt a dit qu'il s'agissait de 2 000 actions.

 

[11]    Après le début de la vérification, l'avocat de la société aux Bahamas a établi des documents antidatés visant à apporter certains changements. Ainsi, les divers registres de société non établis par Robert Hewitt sont d'origine douteuse et ne corroborent pas les faits.

 

[12]    Dans les exercices de l'appelante se terminant les 31 octobre 1994, 1995 et 1996, Robert Hewitt était en possession de certificats d'actions en blanc représentant 85 p. 100 des actions d'Abaco et détenait personnellement les 15 p. 100 restants, qui étaient à son nom. Abaco détenait 60 p. 100 des actions de la Bahamas (soit 3 000 actions). Simultanément, Robert Hewitt faisait valoir aux autorités des Bahamas, verbalement et par écrit, que la Bahamas appartenait dans une proportion de 60 p. 100 à des nationaux des Bahamas. À cette époque, Robert Hewitt était le directeur de l'exploitation de l'appelante et affirmait dans des déclarations de revenus et des états financiers signés par lui et présentés au gouvernement canadien que l'appelante détenait seulement 2 000 actions de la Bahamas. Il était le signataire autorisé de ces deux sociétés à ces fins. Ce n'est qu'après le début de la vérification qu'il a cessé de soutenir ce qui précède.

 

[13]    Robert Hewitt était le seul à savoir pour le compte de qui il détenait les certificats d'actions en blanc d'Abaco. Il avait déclaré au gouvernement des Bahamas qu'Abaco était un national des Bahamas et qu'il priait le gouvernement d’adhérer à cette déclaration. Le gouvernement des Bahamas y a peut-être donné son adhésion. Aucune preuve allant dans un sens ou dans l'autre n'a été présentée à cet égard. Cela n'a toutefois jamais été modifié au cours des années en question. M. Hewitt avait déclaré au gouvernement du Canada que les 3 000 actions n'étaient pas détenues pour le compte de l'appelante et qu'il s’attendait à ce que cette déclaration soit reconnue, ce qui a été le cas.

 

[14]    Comme de nombreux documents de société ont été fictivement établis par un avocat des Bahamas après le début de la vérification, Robert Hewitt était souvent incapable de préciser quels documents représentaient les faits réels et quels documents ne représentaient pas les faits réels.

 

[15]    Quinze pour cent des actions d'Abaco étaient au nom de Robert Hewitt, qui a été résident du Canada en tout temps. Les actions restantes étaient demeurées enregistrées au nom d'intermédiaires qui avaient été inscrits par l'avocat de Robert Hewitt aux Bahamas et qui incluaient cet avocat. Il n'y a aucune preuve qu'ils avaient payé ces actions ou qu'ils avaient reçu quoi que ce soit pour les avoir endossées en blanc et les avoir livrées à Robert Hewitt. Ce dernier avait personnellement gardé toutes les actions d'Abaco au Canada. Il n'a jamais indiqué dans les espaces laissés en blanc les noms des cessionnaires dans les années en question.

 

[16]    De l'avis de la Cour, Robert Hewitt détenait 100 p. 100 des actions d'Abaco durant les années en question. Donc, la Bahamas n'était pas une « filiale contrôlée » de l'appelante. La situation était plutôt la suivante :

 

1)       L'appelante détenait 40 p. 100 des actions de la Bahamas (2 000 actions).

 

2)       Abaco, société entièrement détenue par l'actionnaire dominant de l'appelante, Robert Hewitt, résident du Canada, détenait 60 p. 100 des actions de la Bahamas (3 000 actions).

 

La Cour conclut également que la Bahamas était une société résidant au Canada durant les années en question, car :

 

1)       Les administrateurs de la Bahamas étaient Robert, Yvonne et David Hewitt. Robert et Yvonne ont toujours été des résidents du Canada. David a séjourné aux Bahamas de juillet 1993 à mai 1994 (son lieu de résidence à cette époque est inconnu), mais il a vécu et travaillé au Canada en tout autre temps.

 

2)       Le sceau et le registre des procès-verbaux de la Bahamas étaient à Woodstock (Ontario). Il n'y a aucune preuve de l'existence d'un registre des actionnaires, mis à part le registre des procès-verbaux.

 

3)       Presque toutes les réunions des administrateurs ont eu lieu à Woodstock. Une réunion peut avoir eu lieu aux Bahamas en 1996 et une autre réunion censément tenue aux Bahamas en 1993 peut ne pas y avoir eu lieu selon M. Hewitt, car les procès-verbaux ont été établis bien après cela, c'est‑à‑dire qu'ils ont été fabriqués par l'avocat des Bahamas, une fois la vérification commencée.

 

4)       Les demandes de permis et autres documents qui ont été produits avaient été établis par M. Hewitt à Woodstock (Ontario).

 

5)       Les décisions de la Bahamas étaient prises par Robert et Yvonne Hewitt chez eux, à Woodstock (Ontario).

 

6)       La décision de la Bahamas d'acheter de grosses immobilisations a été prise à Woodstock, et c'est de là que les commandes ont été passées. Les déclarations d'impôt et autres documents produits par la société ont été établis à Woodstock par Robert Hewitt.

 

7)       L'avocat de la société était à Nassau. Robert Hewitt a toutefois établi les états financiers nécessaires et, après la première année environ, aucun n'étant nécessaire, on n’en a ni établi ni tenu.

 

8)       La Bahamas avait un compte bancaire aux Bahamas, mais les commandes importantes ont été signées et passées à Woodstock, et les chèques y relatifs ont été signés à Woodstock et livrés à partir de là. Occasionnellement, la Bahamas a eu des employés aux Bahamas (un contremaître et un certain nombre d'ouvriers agricoles), et il n'y a aucun élément de preuve concernant leurs chèques.

 

9)       La Bahamas exploitait sans succès une ferme aux Bahamas, soit une entreprise que Robert Hewitt et Yvonne Hewitt géraient en prenant toutes les décisions importantes, y compris celles concernant les types de cultures, les changements de cultures, les exportations, les achats d'immobilisations et les relations avec le gouvernement des Bahamas.

 

Ainsi, l'entreprise de la Bahamas était en réalité exploitée à partir de Woodstock (Ontario), où la gestion et le contrôle étaient essentiellement assurés. La Cour conclut que cette entreprise relevait de Robert et Yvonne Hewitt, qui en étaient le cerveau.

 

[17]    L'alinéa 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

 

12(1)    Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

 

[…]

 

c)         les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l'année (selon la méthode qu'il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts dans la mesure où ces intérêts n'ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure;

 

[18]    La convention entre l'appelante et la Bahamas, qui est mentionnée à l'hypothèse c), a été signée par les parties à Woodstock (pièce R‑1, onglet 8). Elle avait été établie par Robert Hewitt et désignait l'appelante sous le nom de « SONS CANADA » et la Bahamas sous le nom de « SONS BAHAMAS ». On peut lire ceci dans le corps du texte de cette convention :

 

[TRADUCTION]

 

SONS CANADA consentira des avances en monnaie canadienne ou américaine à SONS BAHAMAS, soit des fonds qu'elle versera directement à SONS BAHAMAS, par chèque ou comptant, ou qu'elle versera à des fournisseurs de SONS BAHAMAS au titre du matériel acquis; au moment de leur disposition, les fonds seront réputés avoir été prêtés à SONS BAHAMAS, qui paiera des intérêts sur ce prêt au taux de 5 p. 100 par an, soit des intérêts calculés annuellement sur le solde impayé.

 

SONS BAHAMAS reconnaîtra le montant total payable à SONS CANADA annuellement, à la fin de chaque exercice de SONS BAHAMAS, soit le 31 octobre, et ce, en émettant en faveur de SONS CANADA un billet à vue pour toute la dette accumulée au cours de l’exercice en cause envers SONS CANADA aux termes de la convention.

 

Tant que la convention sera en vigueur, SONS BAHAMAS ne pourra hypothéquer ni autrement grever ses immobilisations sans le consentement écrit préalable de SONS CANADA.

 

C'est sur cette base que les prêts de l'appelante ont été consentis.

 

[19]    L'appelante n'avait jamais déclaré ni déterminé que les prêts étaient devenus des créances douteuses ou irrécouvrables dans les années en question ou pendant la vérification elle-même. Elle a toutefois soutenu cela pendant le procès. Les avocats de la Couronne ont répliqué que, dans chacune des années considérées dans les appels, l'appelante avait avancé plus d'argent. C'est vrai. De plus, le plan initial de la Bahamas était d'exploiter des citronniers qu'elle avait plantés en 1993 et qui devaient produire des fruits après trois ou quatre ans; la Bahamas a mis son plan à exécution. La culture provisoire de courges a été « un désastre » en 1993-1994. Cependant, des bâtiments ont été construits, un système d'irrigation a été mis en place, et des arbres ont été plantés dans les champs en 1994. En 1995, des papayes ont été récoltées et vendues, mais l'accent a continué à porter sur les citronniers jusqu'à la fin de l'exercice se terminant le 31 octobre 1996. En juin 1996, on a recruté un partenaire, qui est resté jusqu'en juillet 1997, s'attendant à ce que des pommes de terre soient cultivées. À la suite d’un ouragan, en 1999, le projet de citronniers a été abandonné.

 

[20]    Ainsi, il y a eu certains contretemps dans l'exploitation agricole, mais, jusqu'à la fin de l'exercice se terminant en 1996, il n'y avait aucune raison de voir dans la Bahamas autre chose qu'un investissement à long terme qui progressait lentement. Donc, le prêt de l'appelante n'était pas devenu une créance irrécouvrable ou douteuse au cours des années en question.

 

[21]    Pour ces motifs, la Cour conclut que l'appelante aurait dû inclure, dans le calcul de son revenu pour 1994, 1995 et 1996 et en conformité avec l'alinéa 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des intérêts à recevoir au taux de 5 p. 100 sur les prêts qu’elle avait consentis à la Bahamas. La question est en conséquence déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

 

[22]    L'intimée se voit adjuger des dépens entre parties.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2000.

 

 

 

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de février 2001.

 

 

 

 

Philippe Ducharme, réviseur

 

 

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