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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020607

Dossier: 2001-3489(IT)I

 

ENTRE :

 

MYRON RUDIAK,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Pour l'appelant : L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée : Me George Boyd Aitken

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Prononcés oralement à l'audience le

25 avril 2002, à Kitchener (Ontario).)

 

Le juge McArthur

 

[1]     La question à trancher dans les appels en l'instance est de savoir si, dans les années d’imposition 1997, 1998 et 1999, les pertes subies par l’appelant relativement à l’exploitation d’un café‑couettes étaient limitées par le paragraphe 18(12) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est libellé de la façon suivante :

 

18(12)  Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition :

 

a)         un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement :

 

(i)         soit est son principal lieu d'affaires,

 

(ii)        soit lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

 

b)         si une partie de l'établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d'affaires ou lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise, le montant déductible pour cette partie d'établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l'année, calculé compte non tenu de ce montant et des articles 34.1 et 34.2;

 

c)         tout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année d'imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année, sous réserve des alinéas a) et b).

 

[2]     En 1996, l’appelant et son épouse, Carol, ont vendu la spacieuse résidence qu’ils possédaient à Toronto pour acheter et rénover une majestueuse maison ancienne à Stratford (Ontario). Ils ont payé la résidence 285 000 $ et y ont effectué des rénovations dont le coût s’est élevé à 205 000 $. Leurs enfants d’âge adulte avaient quitté la maison et l’appelant était désormais à la retraite, après une carrière dans le domaine du marketing. Son revenu annuel de pension s'élevait à quelque 70 000 $ par année. On peut lire ce qui suit dans l’avis d’appel :

 

          [TRADUCTION]

 

En août 1996, nous avons acheté un grand immeuble d’habitation à Stratford dans le seul but d’établir et d’exploiter notre propre société de personnes, le White House Bed & Breakfast. Ce devait être une petite auberge privée de prestige offrant le confort d’une auberge, ainsi que des chambres d’hôte privées et des petits déjeuners de type gastronomique. Le bien immeuble possédait une valeur historique et il était situé dans une zone cotée R-2, ce qui permettait l’aménagement de quatre chambres d’hôte. L’établissement appartenait autrefois au Festival de Stratford, qui y logeait son personnel et s’en servait aussi comme hôtel privé.

 

L’immeuble et l’emplacement convenaient bien à l’exploitation de la nouvelle entreprise, mais il était nécessaire d’effectuer des rénovations et réparations majeures pour répondre à nos besoins commerciaux.

 

Au nombre des rénovations projetées figurait l’aménagement d’une voie d’accès suffisante pour stationner 10 automobiles en retrait de la rue. Il était possible d’aménager quatre chambres d'hôte avec bain privé et, à l’avant de la maison, une grande entrée, un salon principal et une grande salle à dîner réservée aux clients.

 

On comptait faire construire un appartement séparé pour les propriétaires. Une grande cuisine rénovée allait être utilisée pour servir les clients d’une part, et pour y aménager une salle de télévision et une salle de repas pour nous, d’autre part. Une nouvelle buanderie allait être ajoutée pour les fins de l’entreprise et nos fins personnelles.

 

Pendant les huit mois suivants, l’immeuble a été réparé et rénové de fond en comble et la décoration en a été refaite. Un appartement séparé de quatre pièces avec entrée privée a été construit pour les propriétaires. Les systèmes d’électricité, de plomberie et de gaz ont été remplacés. Trois chambres d’hôte ont été équipées de salles de bain. Une quatrième chambre d'hôte a été aménagée pour loger des clients supplémentaires. Des systèmes de détection d’incendie et d’éclairage de sécurité ont été installés; le plâtre et les planchers ont été réparés à la grandeur de la maison, et toutes les chambres d’hôte ont été décorées et meublées individuellement.

 

Le White House Bed & Breakfast Inn a ouvert ses portes en juillet 1997. À cette époque‑là, on dénombrait plus de 200  café‑couettes dans la ville de Stratford, ainsi que plusieurs hôtels et environ 12 motels dans la région immédiate. Notre avantage concurrentiel devait reposer sur l'élégance et l’intimité de notre petit hôtel, la qualité exceptionnelle de notre cuisine et l’excellence du service. Dans le plan d’entreprise que nous avons soumis à La Société Canada Trust en vue d’obtenir un prêt à l’entreprise substantiel, il était prévu que l’entreprise allait croître à un rythme soutenu chaque année et atteindre la rentabilité dans cinq ans.

 

Nous nous attendions à ce que l’ADRC nous considère comme une petite entreprise ayant une attente raisonnable de profit et nous avons produit nos déclarations de revenu en conséquence. Dans notre avis d’opposition, nous avons recommandé que l’ADRC retienne cette approche en s'appuyant sur le fait que l’entreprise devrait réaliser des profits en 2002.

 

[...]

 

[...] La construction de l’appartement des propriétaires n’a pas été imputée à l’entreprise, non plus que l’amortissement de l’immeuble n’a été déduit à titre de dépense d’entreprise.

 

[3]     Après que Revenu Canada eut effectué une vérification, on a convenu d’un pourcentage révisé de 50 % relativement à l'utilisation à des fins personnelles et à des fins commerciales et le ministre du Revenu national a appliqué les restrictions prévues au paragraphe 18(12) en tenant pour acquis que l’appelant et son épouse utilisaient leur résidence à des fins commerciales. Dans l'affaire Lott c. La Reine, C.C.I., no 96-2865(IT)I, 27 novembre 1997 ([1998] 1 CTC 2869), mon collègue le juge Bowie a fait observer ce qui suit relativement au paragraphe 18(12) :

 

... Il ressort très clairement du libellé du paragraphe (12) que celui-ci vise à restreindre la mesure dans laquelle les particuliers qui utilisent leurs maisons à des fins commerciales peuvent déduire une partie des frais d'entretien de la maison de leur revenu d'entreprise. La disposition en question établit la règle selon laquelle les frais d'entretien de la maison où l'entreprise est exploitée ne peuvent être déduits que s'il est satisfait aux sous-alinéas (i) ou (ii), et alors seulement dans la mesure où cela n'a pas pour effet de créer une perte d'entreprise ou de contribuer à créer une perte d'entreprise.

 

[4]     L’appelant soutient que le logement dans lequel il habite avec son épouse est totalement séparé de l’aire réservée au café‑couettes à proprement dit, qui est un établissement domestique autonome. Il précise que Revenu Canada n’a jamais inspecté les lieux en dépit de ses demandes répétées. Pour illustrer son propos, l’appelant a fourni des photos de l'intérieur et de l’extérieur de l’aire réservée à des fins commerciales et de la partie utilisée à des fins personnelles. Il a ajouté ceci :

 

          [TRADUCTION]

 

[...] Le paragraphe 18(12) ne s’applique pas à notre entreprise car nous n’exploitons pas une entreprise dans notre résidence. Nous habitons dans un appartement ou un « établissement d’habitation autonome » situé à l’intérieur de l’immeuble qui sert à l’exploitation de l’entreprise, de la même manière qu’un hôtelier ou propriétaire de motel qui réside dans l’un des appartements de l’établissement. Notre café‑couettes est exploité comme une auberge. Nous offrons des services d’hébergement haut de gamme et de qualité à nos clients dans une partie de l'immeuble réservée à cette fin qui est complètement séparée de notre propre appartement. Nous ne partageons pas une partie de notre résidence avec nos clients et nous ne vivons pas dans les pièces qui leur sont réservées.

 

J’accepte cette déclaration de l’appelant, que je considère avérée. Le café‑couettes était ouvert durant la saison de théâtre, soit du début de mai jusqu’à la fin de novembre environ. L’appelant et son épouse utilisaient rarement les pièces réservées au café‑couettes durant la morte‑saison. Les exploitants sont tenus par règlement et pour des raisons d’ordre pratique d’habiter dans le café‑couettes à proprement dit ou dans un appartement contigu. L’appelant et son épouse avaient une résidence privée, mais leur cuisine privée était utilisée pour la préparation d’un élégant petit déjeuner pour les clients. La buanderie et le bureau qui se trouvaient dans leur appartement personnel étaient aussi utilisés à des fins commerciales. Les clients n’avaient pas accès à ces installations.

 

[5]     La résidence privée était inaccessible aux clients et elle était fermée à clé la plupart du temps. Elle était dotée d’une entrée et d’un garage privés, d’une salle de repas, d’une salle familiale, de toilettes et d’une chambre à coucher. La partie réservée aux clients était autonome et comprenait trois chambres avec salle de bain privée, une salle à dîner pour le petit déjeuner, un coin repos et une véranda.

 

[6]     L’appelant invoque la décision rendue par le juge Bowman dans l'affaire Sudbrack c. La Reine, C.C.I., no 98-2386(IT)G, 19 septembre 2000 (2000 DTC 2521). L’intimée fait une distinction entre les faits de l’affaire Sudbrack et ceux de l’espèce et renvoie aux affaires qui se trouvent dans son recueil de jurisprudence, dont Broderick c. La Reine, C.C.I., no 2000-3935(IT)I, 16 mars 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2033), Ellis c. La Reine,  C.C.I., no 93-1625(IT)I, 13 janvier 1994 (94 DTC 1731), Lott c. La Reine, C.C.I., no 96-2865(IT)I, 27 novembre 1997 ([1998] 1 C.T.C. 2869), Maitland c. La Reine, C.C.I., no 1999-4957(IT)I, 8 juillet 2000 ([2000] 3 C.T.C. 2840) et Sudbrack, mentionnée précédemment.

 

[7]     L’appelant a témoigné pour son propre compte et M. Hansen, agent d'évaluation municipal, a témoigné pour la Couronne. L’intimée a soutenu que l’ensemble du bien immeuble constituait la zone de travail de l’établissement domestique autonome au sens du paragraphe 18(12). L’appelant et son épouse ont insisté principalement sur le fait qu’ils n’exploitaient pas une entreprise dans leur résidence, que celle‑ci était autonome même si elle était rattachée au café‑couettes. L’intimée a répliqué que l’appartement n’était pas séparé de l’immeuble et qu’il faisait partie intégrante de l’aire réservée au café‑couettes et que la ligne de démarcation entre les deux était floue. L'intimée a dressé la liste suivante des parties de la structure globale qui étaient utilisées aux deux fins (je formule mes propres observations après chaque mention) :

 

a)       le garage servait partiellement d’entrepôt pour le café‑couettes; (c’était de toute évidence une utilisation commerciale limitée);

b)      la cuisine était utilisée pour la préparation du petit déjeuner des clients; (les clients n’utilisaient ni n'occupaient la cuisine; le petit déjeuner était servi dans la salle à dîner qui leur est réservée);

c)       la buanderie était utilisée à des fins commerciales et personnelles; (c’est exact, mais je précise à nouveau que les clients ne l’utilisaient pas);

d)      le bureau situé dans l’appartement de l’appelant était utilisé à des fins commerciales et personnelles; (c’était le bureau privé de l’appelant et il était utilisé exclusivement par lui);

e)       pendant deux semaines chaque année, le café‑couettes était utilisé pour loger des amis et des membres de la famille; (c’est exact, mais cela est une peccadille par rapport à l’utilisation générale);

f)       quatre mois durant l’année, soit la morte‑saison, l’appelant et son épouse avaient accès à l’aire réservée au café‑couettes; (mêmes observations qu’au point e));

g)       les services de chauffage et d’électricité étaient les mêmes pour les deux parties de l’immeuble; (je ne crois pas que ce soit un élément important);

h)       nulle mention n’est faite de l’existence d’un appartement séparé dans le compte de taxe municipale de la Ville de Stratford; (qu’est‑ce que ça prouve?);

i)        l’appelant était obligé d’habiter dans le café-couettes à proprement dit pour se conformer au règlement de zonage municipal; (non pertinent);

j)        la brochure utilisée par l’appelant pour faire la publicité du café‑couettes renfermait les mots « Nous vous souhaitons la bienvenue chez nous »; (battage et privilège publicitaires).

 

[8]     La question est de savoir si l’aire réservée au café‑couettes qui était utilisée exclusivement à des fins commerciales constituait « une partie » d’un établissement domestique autonome dans lequel l’appelant résidait. Un « établissement domestique autonome » est défini de la manière suivante à l’article 248 :

 


248(1)  Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi,

 

« établissement domestique autonome » Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche. 

 

L’aire réservée au café‑couettes et l’appartement de l’appelant étaient séparés l’un de l’autre. L’entreprise était exploitée dans la partie rénovée de la maison originale. Le lieu de résidence de l’appelant et de son épouse était totalement autonome et se trouvait dans la rallonge nouvellement construire à l’arrière des locaux de l’entreprise. Les clients n’utilisaient pas cette résidence séparée. L’appelant utilisait effectivement sa cuisine et sa buanderie privées ainsi qu’un petit garage à des fins commerciales, mais je ne crois pas que cela infirme la thèse de l’appelant selon laquelle l'utilisation était minime par rapport au reste. Le fait demeure que les clients n'utilisaient pas la cuisine, la buanderie et le bureau.

 

[9]     J’ai pris connaissance des diverses affaires citées et je conclus que celle qui se rapproche davantage de l’espèce est l’affaire Sudbrack, précitée. L’intimée fait valoir en l’instance que l’entreprise de café‑couettes occupe la totalité de l’immeuble. Après avoir appliqué le raisonnement du juge Bowman de la Cour, j’arrive à la conclusion, en m’appuyant sur les faits, que le lieu de résidence de l’appelant et de son épouse était un appartement séparé construit à l’arrière de l’aire réservée au café‑couettes et qu’il constituait un établissement domestique autonome. De toute évidence, il y avait chevauchement entre les deux parties, et les Rudiak utilisaient l’aire réservée au café‑couettes à l’occasion comme lieu de résidence personnel. Or, la période d’utilisation représentait moins de 10 % de l’année civile.

 

[10]    Les faits de l’espèce sont différents de ceux qui sont décrits dans l’affaire Broderick, qui portait aussi sur l’exploitation d’un café‑couettes et l’application du paragraphe 18(12). Dans l’affaire Broderick, comme dans les autres affaires mentionnées, à l’exclusion de l’affaire Sudbrack, l’appelant exploitait une entreprise dans sa résidence. Dans l’affaire dont je suis saisi, je conclus que l’appelant n’exploitait pas une entreprise dans sa résidence. Celle‑ci se trouvait dans la rallonge séparée construite à l’arrière, comme le montrent clairement les croquis portant la mention « C » et « D » annexés à la pièce A‑1.

 

[11]    Je trouve dommage que l’intimée n’ait pas procédé à une inspection des lieux. Je conclus que les clients n’occupaient pas l'établissement domestique autonome de l’appelant. C’était une structure distincte, fermée à clé qui tenait lieu d’appartement à l’appelant. Ce n’est pas le genre de formule de logement que l’on retrouve habituellement dans les cafés‑couettes. Je crois que la plupart des entreprises de ce genre sont aménagées dans la résidence de l’exploitant et que les exploitants et les clients utilisent des installations communes comme l’entrée, le salon, la salle de télévision, la salle à dîner, etc. Le café‑couettes de l’appelant était unique en son genre en quelque sorte. Dès lors, le paragraphe 18(12) ne s’applique pas. Je crois que les parties se sont entendues sur une répartition égale de certaines dépenses. S'il subsiste un litige au sujet des chiffres, les parties peuvent demander que soit organisée une téléconférence pour que je tranche la question.

 

[12]    L'appel est admis, avec frais, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'article 18(12) ne s'applique pas.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juin 2002.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mai 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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