Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981112

Dossiers: 97-1847-UI; 97-1852-UI

ENTRE :

HARSHA RAITHATHA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Khatau Daya Management Ltd., faisant affaires sous la raison sociale Silverstone Learning Centre, (le “ payeur Silverstone ”) et N.S.D. Management Corporation Ltd., faisant affaires sous la raison sociale Twin Towers Day Nursery (le “ payeur Twin Towers ”), ont demandé à l'intimé de décider si l'appelante occupait ou non un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”) lorsqu'elle était employée, d'une part, par le payeur Silverstone pendant les périodes allant du 4 janvier 1994 au 25 février 1994 et du 4 décembre 1995 au 3 mai 1996, et, d'autre part, par le payeur Twin Towers pendant les périodes allant du 28 février 1994 au 29 juillet 1994.

[2] L'intimé a avisé l'appelante et les payeurs qu'il avait été déterminé que l'emploi de l'appelante auprès des payeurs au cours des périodes en question n'était pas un emploi assurable parce que l'appelante et les payeurs avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[3] L'appelante occupait-elle un “ emploi assurable ” auprès du payeur Silverstone au cours des périodes allant du 4 janvier 1994 au 25 février 1994 et du 4 décembre 1995 au 3 mai 1996 (les “ périodes concernées ”)?

[4] L'appelante occupait-elle un “ emploi assurable ” auprès du payeur Twin Towers au cours de la période allant du 28 février 1994 au 29 juillet 1994 (“ la période concernée ”)?

PLAIDOIRIES RELATIVES AU PAYEUR SILVERSTONE

[5] L'appelante n'a plaidé aucun fait dans l'avis d'appel, mais elle a soutenu ce qui suit :

- les contrats de louage de service étaient valides;

- l'appelante et le payeur Silverstone n'avaient pas de lien de dépendance; et

- les modalités d'emploi étaient comparables à celles de parties qui n'ont pas de lien de dépendance.

[6] L'intimé s'est appuyé sur les présomptions de fait suivantes :

- les actions du payeur Silverstone sont possédées entièrement par Noor Daya, qui contrôle tous les aspects de l'entreprise du payeur Silverstone. Noor Daya possède aussi et contrôle N.S.D. Management Corporation Ltd., qui fait affaires en sa qualité de payeur Twin Towers. Les deux payeurs sont situés dans le même immeuble et, mis ensemble, ils peuvent accueillir jusqu'à 139 enfants;

- du 4 janvier 1994 au 25 février 1994, l'appelante a travaillé à temps partiel (16 heures par semaine); elle faisait de la tenue de livres, achetait des épiceries et des jouets, obtenait et examinait des prospectus, et elle mettait le payeur au courant des questions liées aux garderies qu'elle avait notées en lisant les journaux. Pour ce travail, l'appelante touchait un salaire bimensuel de 330 $ (soit 165 $ par semaine ou 8 580 $ par an);

- l'appelante a reçu des prestations d'assurance-chômage jusqu'au 22 janvier 1994;

- du 4 décembre 1995 au 3 mai 1996, l'appelante a travaillé à plein temps (35 heures par semaine) moyennant 500 $ par semaine (26 000 $ par an), remplissant les mêmes fonctions que celles mentionnées plus haut;

- l'appelante n'avait pas d'heures de travail fixes, n'a reçu aucune formation, ne faisait pas l'objet d'une grande supervision, avait une clef du bureau et pouvait aller et venir à sa convenance. L'emploi de l'appelante était simplement temporaire dans la mesure où il pouvait y être mis fin n'importe quand selon la santé du propriétaire;

- entre les périodes concernées, l'appelante était employée par le payeur Twin Towers et travaillait à plein temps (35 heures par semaine), remplissant essentiellement les mêmes fonctions qui étaient les siennes chez le payeur Silverstone au cours des périodes concernées;

- aucun impôt sur le revenu n'a été déduit du salaire de l'appelante puisque le comptable du payeur Silverstone a dit qu'il savait à l'avance qu'aucun impôt ne serait dû.

[7] Sur le fondement des présomptions de fait qui précèdent, l'intimé a fait valoir les arguments suivants :

- les fonctions remplies ne justifient pas d'avoir engagé l'appelante pendant 35 heures par semaine. La décision d'employer l'appelante pendant 35 heures par semaine pour exercer des fonctions qu'elle remplissait en 16 heures par semaine indique l'existence d'un contrat de travail conclu entre des personnes ayant un lien de dépendance;

- bien que l'appelante et le payeur Silverstone n'étaient pas des personnes liées entre elles, ils avaient un lien de dépendance, au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi;

- une employée sans lien de dépendance avec le payeur aurait été rétribuée seulement pour les heures pendant lesquelles elle avait travaillé et non sur la base d'un salaire fixe;

- le prétendu emploi de l'appelante auprès du payeur Silverstone au cours des périodes concernées rendait l'appelante admissible aux prestations de l'assurance-chômage, et il n'était fondé sur aucune considération ou nécessité commerciales;

- il n'existait aucun contrat de louage de services entre l'appelant et le payeur Silverstone; et

- il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

PLAIDOIRIES RELATIVES AU PAYEUR TWIN TOWERS

[8] L'appelante n'a plaidé aucun fait dans l'avis d'appel, mais elle a soutenu ce qui suit :

- le contrat de louage de services était valide;

- l'appelante et le payeur Twin Towers n'avaient pas de lien de dépendance; et

- les modalités d'emploi étaient comparables à celles des parties qui n'ont pas de lien de dépendance.

[9] La réponse à l'avis d'appel a exposé les présomptions de faits suivantes :

- le payeur Twin Towers est une garderie dont M. Noor et M. Sadru Daya se partagent les actions à égalité (50 % chacun). M. Noor Daya contrôle l'entreprise du payeur Twin Towers aussi bien que celle d'une autre garderie, celle du payeur Silverstone, qui est située dans le même immeuble et, ensemble, les deux garderies peuvent accueillir 139 enfants;

- l'appelante travaillait à plein temps (35 heures par semaine), gagnant un salaire fixe bimensuel de 1 500 $ (39 000 $ par an) pour accomplir les tâches suivantes : tenue de livres, achat et triage des épiceries et des jouets, obtention et examen de prospectus et lecture des journaux afin de mettre le président au courant des questions liées aux garderies;

- l'appelante n'avait pas d'heures de travail fixes, n'a reçu aucune formation, ne faisait pas l'objet d'une supervision directe, pouvait aller et venir à sa convenance, et son emploi était simplement temporaire dans la mesure où il pouvait y être mis fin n'importe quand selon la santé du propriétaire;

- pendant les sept semaines qui ont précédé la période concernée, l'appelante était employée par le payeur Silverstone et travaillait à temps partiel (16 heures par semaine), remplissant essentiellement les mêmes fonctions qu'elle exerçait à plein temps chez le payeur Twin Towers au cours de la période concernée;

- les prestations d'assurance-chômage de l'appelante ont pris fin le 22 janvier 1994; et

- aucun impôt sur le revenu n'a été déduit du salaire de l'appelante au cours de la période concernée puisque le comptable du payeur Twin Towers savait à l'avance qu'aucun impôt ne serait dû.

[10] Sur le fondement des présomptions de faits qui précèdent, l'intimé a fait valoir les arguments suivants :

- la décision d'employer l'appelante à plein temps pour exercer les mêmes fonctions qu'elle remplissait à temps partiel auprès du payeur Silverstone indique l'existence d'un contrat de travail conclu entre des personnes ayant un lien de dépendance;

- bien que l'appelante et le payeur Twin Towers n'étaient pas des personnes liées entre elles, ils avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi;

- une employée sans lien de dépendance avec le payeur aurait été rétribuée seulement pour les heures pendant lesquelles elle avait travaillé et non sur la base d'un salaire fixe;

- le prétendu emploi de l'appelante auprès du payeur Twin Towers au cours de la période concernée rendait l'appelante admissible aux prestations de l'assurance-chômage, et il n'était fondé sur aucune condition ou nécessité commerciales;

- il n'existait aucun contrat de louage de services entre l'appelante et le payeur Twin Towers; et

- il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur Twin Towers auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

IMPORTANTS ÉLÉMENTS DE PREUVE CONCERNANT LE PAYEUR SILVERSTONE ET LE PAYEUR TWIN TOWERS

[11] M. Noor Daya contrôlait à tous égards les deux payeurs Silverstone et Twin Towers (l'exploitation de garderies). Un établissement était situé à Rexdale et l'autre à Etobicoke.

[12] En janvier 1994, la situation personnelle de M. Daya lui imposait suffisamment de stress et de pression pour qu'il doive être traité pour dépression.

[13] À cette époque, il a avisé son comptable externe qu'il avait besoin d'aide dans l'exécution de ses tâches journalières concernant la recherche, l'achat, l'entreposage et la livraison de produits alimentaires aux garderies. L'emploi devait se poursuivre jusqu'à ce que la santé de M. Daya s'améliore.

[14] Le comptable, qui n'était pas lié à M. Daya, a laissé entendre que son épouse (l'appelante) pourrait être intéressée a exercer les fonctions en question.

[15] Suite à une discussion entre M. Daya et l'appelante, celle-ci a été engagée à temps partiel, et plus tard à plein temps.

[16] L'appelante a tout d'abord été formée en cours d'emploi par M. Daya pendant son emploi à temps partiel, puis elle a rempli seule ses fonctions lorsque le travail s'est transformé en emploi à plein temps. Sa formation a surtout porté sur l'achat d'aliments de la façon la plus rentable, notamment par la lecture des annonces publicitaires dans les journaux. On lui a aussi enseigné à étudier et à signaler à M. Daya les articles des journaux concernant l'exploitation des garderies, tâche rendue nécessaire en raison des profonds changements apportés aux politiques gouvernementales régissant cette industrie.

[17] Les centres d'affaires (Rexdale et Etobicoke) et le bureau d'affaires et l'aire d'entreposage (Scarborough) étaient séparés les uns des autres par une certaine distance qui nécessitait des déplacements considérables.

[18] L'appelante travaillait chaque jour, appliquant une formule fixe et elle était supervisée par M. Daya. Son travail était répétitif, continu et organisé.

[19] La source du revenu d'emploi de l'appelante (c'est-à-dire l'employeur qui la rémunérait) faisait l'objet d'une décision commerciale de la part de M. Daya; cependant, le travail de l'appelante était accompli pour les deux payeurs en même temps.

LOIS ET JURISPRUDENCE

[20] Le paragraphe 3(1) de la Loi dit, notamment, qu'un “ emploi assurable ” est un emploi non compris dans les “ emplois exclus ”. Le paragraphe 3(2) énumère les “ emplois exclus ” aux fins de la Loi. L'alinéa 3(2)c) dit expressément qu'un emploi est un “ emploi exclu ” lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance. Le sous-alinéa 3(2)c)(i) dit que la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu dit que la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à une date donnée est une question de fait. Bien qu'il soit nécessaire de considérer toutes les circonstances pour décider cette question, les tribunaux se sont posé trois questions pour déterminer si des parties non liées entre elles avaient ou non un lien de dépendance dans le cadre d'une opération particulière :

- y avait-il une intention commune dirigeant les négociations entre les deux parties?

- les parties agissaient-elles de concert et sans intérêts distincts?

- y avait-il contrôle réel d'une partie par une autre?

ANALYSE

[21] D'après la preuve soumise en l'espèce, je conclus que les présomptions du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) ont été réduites à néant à l'égard de plusieurs points importants.

[22] Lorsque l'appelante travaillait à temps partiel, elle aidait M. Daya et, de fait, on lui a montré comment remplir ses fonctions. Lorsqu'elle était employée à plein temps, elle remplissait ses fonctions seule, ce qui explique la différence entre les rémunérations versées au cours des périodes concernées.

[23] Les entreprises, le bureau et l'aire d'entreposage étaient distincts et éloignés les uns des autres, nécessitant donc un temps considérable pour aller des uns aux autres.

[24] L'appelante a reçu une formation et M. Daya la supervisait dans l'exécution de ses tâches.

[25] Le salaire de l'appelante a fait l'objet de déductions d'impôt sur le revenu.

[26] La base du salaire a été négociée entre M. Daya et l'appelante. M. Daya a fait l'offre et l'appelante l'a acceptée.

[27] La durée du travail était reliée à la santé de M. Daya et dépendait d'elle.

[28] Selon la preuve, aucune autre motivation ne semble avoir gouverné la durée de l'emploi.

CONCLUSIONS

[29] C'est M. Daya qui a engagé l'appelante pour le compte des payeurs. M. Daya a dit très clairement qu'il prenait lui-même les décisions reliées aux entreprises sans être influencé par qui que ce soit.

[30] Les rapports entre M. Daya et le mari de l'appelante étaient ceux qui existent entre un client et un comptable externe dont les services sont retenus, sans autre lien d'affaires. L'époux de l'appelante n'a pas exercé, ni tenté d'exercer, un contrôle ou une influence sur le processus décisionnel de M. Daya et sur ses entreprises. Aucune intention commune ne régissait les négociations entre les entreprises de M. Daya et l'appelante. Les parties avaient des intérêts distincts et elles agissaient indépendamment l'une de l'autre.

[31] Je conclus que l'appelante n'avait pas de lien de dépendance avec les payeurs.

[32] L'appelante et les payeurs, comme il est reconnu dans les plaidoiries, ne sont pas des personnes liées. Étant donné cette reconnaissance, la prétention de l'intimé que l'alinéa 3(2)c) s'applique est sans fondement. Le ministre ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire lorsque l'appelant et les payeurs ne sont pas des personnes “ liées ”.

ANALYSE DU CONTRAT DE TRAVAIL

[33] Les sociétés payeuses, par l'entremise de M. Daya, contrôlaient, dirigeaient et supervisaient l'appelante dans l'exercice de ses fonctions.

[34] L'appelante n'avait pas la possibilité de faire des bénéfices ni ne courait le risque de subir des pertes dans le cadre des relations employeur-employé existant entre elle et les payeurs.

[35] Les payeurs fournissaient à l'appelante ses instruments de travail.

[36] La dynamique de l'ensemble des opérations a fait que l'appelante était intégrée dans les entreprises des payeurs.

DÉCISION

[37] Les appels sont accueillis et les règlements du ministre sont infirmés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de novembre 1998.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.