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Date : 19991214

Dossier : 97-1479-UI

ENTRE :

ROGER REHBERG,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1]Roger Rehberg, ci-après appelé l'“ appelant ”, interjette appel d'une décision du ministre du Revenu national, ci-après appelé l'“ intimé ”, datée du 8 septembre 1997, selon laquelle l'emploi exercé par l'appelant auprès de George David Rehberg, ci-après appelé le “ payeur ”, propriétaire unique de Navy View Construction, ci-après appelée l'“ entreprise ”, du 21 octobre 1993 au 10 mars 1994, n'était pas un emploi assurable car l'appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance.

Décision

Hypothèses de l'intimé

[2]L'intimé a tout d'abord fait valoir que l'emploi exercé par l'appelant pour le payeur n'était pas un emploi assurable au motif que c'était un emploi exclu puisque l'appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[3]Subsidiairement, l'intimé a ensuite fait valoir que l'appelant n'était pas engagé par le payeur aux termes d'un contrat de louage de services au cours de la période en cause étant donné que les véritables propriétaires et exploitants de l'entreprise à propriétaire unique étaient l'appelant et son épouse.

[4]À l'appui de son premier argument, l'intimé a invoqué les hypothèses suivantes dans sa réponse à l'avis d'appel :

a) l'entreprise offrait des services de peinture et des services à forfait;

b) l'appelant et son épouse, Donna Rehberg, prétendent que William Hewitt était le propriétaire et l'exploitant de l'entreprise;

c) seule l'épouse de l'appelant détenait le pouvoir de signature sur le compte bancaire de l'entreprise;

d) certains des chèques qui avaient été émis portaient la signature de l'appelant;

e) l'appelant travaillait censément comme peintre;

f) l'appelant touchait censément 500 $ pour une semaine de 40 heures;

g) l'appelant n'a pas reçu tous les salaires qui lui étaient censément dus;

h) l'appelant et son épouse étaient les seuls travailleurs qui avaient été engagés par le présumé payeur au cours de la période en cause;

i) l'appelant s'est acquitté de ses présumées tâches à sa résidence personnelle et a utilisé son véhicule personnel à cette fin;

j) l'appelant ne recevait aucun montant pour l'utilisation de sa résidence ou de son véhicule;

k) les montants inscrits sur les chèques payables à l'appelant, censément au titre du salaire, au cours de la période en cause ne correspondent pas aux montants indiqués pour cette période sur le relevé d'emploi délivré par le présumé payeur;

l) l'appelant a fourni des services au présumé payeur avant et après la période en cause, alors qu'il travaillait pour un autre payeur;

m) l'appelant n'était pas obligé de tenir un registre des heures de travail;

n) l'appelant était libre d'embaucher d'autres personnes, au besoin;

o) l'appelant et le présumé payeur étaient des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

p) l'appelant et le présumé payeur avaient entre eux un lien de dépendance;

q) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelant et le présumé payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[5]À l'appui de son deuxième argument, l'intimé a fait valoir les hypothèses suivantes :

a) George David Rehberg (le “ présumé payeur ”) n'est devenu propriétaire de l'entreprise à propriétaire unique qu'après le 15 avril 1994;

b) avant le 16 avril 1994, l'entreprise était censément l'entreprise individuelle de William Hewitt, qui ne participait d'aucune manière à la gestion ou au contrôle des activités de l'entreprise;

c) avant le 16 avril 1994, le présumé payeur ne participait d'aucune manière à la gestion ou au contrôle des activités de l'entreprise;

d) avant le 16 avril 1994, toutes les décisions se rapportant à la gestion, au contrôle et aux activités quotidiennes de l'entreprise étaient prises par l'appelant ou son épouse, Donna Rehberg;

e) l'épouse de l'appelant a inscrit le payeur aux fins de la taxe sur les produits et services et a indiqué qu'elle était une associée.

Analyse des hypothèses

[6]Au cours de son témoignage, l'appelant a admis les hypothèses formulées aux alinéas a), b), e), f), m) et n) de la première partie de la réponse de l'intimé, mais uniquement dans la mesure où elles se rapportent à son association avec William Hewitt (ci-après appelé “ M. Hewitt ”) à titre de propriétaire et exploitant de l'entreprise, mais il n'a admis aucune autre des hypothèses formulées dans cette partie de la réponse.

[7]Au cours de son témoignage, l'appelant n'a admis aucune des hypothèses formulées dans la deuxième partie de la réponse, soit l'argument subsidiaire de l'intimé.

[8]Dans l'arrêt Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes à appliquer lorsqu'une personne conteste les hypothèses formulées par l'intimé. Dans cette affaire en matière fiscale, la Cour s'est penchée sur les hypothèses formulées par l'intimé pour établir une cotisation. Les principes énoncés s'appliquent tout autant aux hypothèses formulées par l'intimé dans une décision rendue en application de la Loi sur l'assurance-chômage. La Cour suprême a déterminé qu'il incombait à l'appelant de produire suffisamment de preuves pour “ démolir ” les présomptions de l'intimé. Pour ce faire, il suffisait que l'appelant produise suffisamment d'éléments de preuve pour respecter la norme de la preuve prima facie.

[9]On dit d'une preuve qu'elle est une preuve “ prima facie ” lorsqu'elle est étayée par des éléments de preuve jugés suffisamment probables pour que le tribunal soit contraint de l'accepter s'il y accorde foi, à moins qu'elle soit réfutée ou qu'une preuve du contraire soit produite. On peut l'opposer à la preuve concluante, qui exclut toute possibilité qu'une autre conclusion soit véridique.

[10]La Cour se penchera en premier lieu sur les hypothèses formulées par l'intimé dans la première partie de la réponse.

Analyse des hypothèses a) à n) inclusivement formulées à l'appui du premier argument

[11]En ce qui concerne les alinéas c) et d), l'appelant ne se rappelait pas s'il détenait le pouvoir de signature ou non, mais deux des chèques figurant dans la pièce R-1, le chèque no 16, daté du 26 mai 1993, payable à un fournisseur, et le chèque no 20, daté du 28 mai 1993, payable à l'appelant et portant la mention “ salaire ”, auraient été signés par l'appelant et sa défunte épouse. La Cour utilise le conditionnel parce que, tout au long de son témoignage, l'appelant a eu de la difficulté à reconnaître ne serait-ce que sa propre signature ou les chèques libellés à son nom. La signature de “ Donna Rehberg ” qui apparaît sur ces deux chèques diffère de celle qu'on trouve sur les chèques antérieurs, dont il a été reconnu qu'ils avaient été signés par elle. L'appelant a reconnu que le chèque de 600 $ — soit le chèque no 43 daté du 7 septembre 1993 — qui avait été émis au nom de son fils, Roger T. Rehberg, avait été signé par Donna Rehberg. Ce chèque se trouve à la page 1 de la pièce R-1. Les deux chèques datés du mois de mai mentionnés précédemment ont été rédigés quelque cinq (5) mois avant que l'appelant soit censément engagé par M. Hewitt. L'appelant n'a fourni aucune explication au sujet de son association avec M. Hewitt à cette époque-là.

[12]En ce qui concerne les alinéas g) et k), la seule preuve fournie par l'appelant pour établir qu'il était un employé salarié du payeur est le relevé d'emploi (pièce A-1) indiquant qu'il avait reçu 10 000 $ au total au cours de la période en cause et que ce montant lui avait été versé en argent comptant. La partie de ce montant à attribuer à l'année 1993 serait, selon les calculs de la Cour, de 5 300 $. Cependant, la pièce R-1 indique que l'entreprise a versé à l'appelant, au cours de l'année 1993, les montants suivants :

Page 22 - Chèque no 20, 28 mai 1993 500 $

Page 15 - Chèque no 27, 1er juin 1993 1 760

Page 1 - Chèque no 28, 3 juin 1993 500

Page 23 - Chèque no 11, 6 août 1993 189

Page 22 - Chèque no 10, 3 septembre 1993 1 000

Page 22 - Chèque no 36, 29 septembre 1993 1 500_

5 449 $

[13]En outre, l'appelant a reçu le chèque no 36, daté du 10 juin 1993, dont le montant est de 2 985 $ (pièce R-1, page 14) au titre du remboursement du prêt qu'il avait consenti à l'entreprise. Le montant incluait vraisemblablement les intérêts, lesquels auraient dû être inclus dans le revenu. Par ailleurs, l'appelant avait reçu deux chèques de 300 $ les 11 et 23 février 1994 (chèques nos 84 et 97). Sur le premier était inscrite la mention “ Sub C ” et sur le deuxième, la mention “ hand cash receipts ” [montant reçu en espèces]. Ces chèques se trouvent aux pages 9 et 16 respectivement de la pièce R-1. Ce sont les seuls chèques remis par l'entreprise à l'appelant au cours de la période en cause.

[14]L'appelant n'a pas fourni d'explication au sujet de son association avec l'entreprise au cours des mois de mai à septembre 1993, mais il est manifeste que le T4 de 1993 — État de la rémunération payée — n'indiquait pas le montant exact de la rétribution totale que l'entreprise lui avait versée. Selon les calculs de la Cour, il manquait un montant de 5 449 $.

[16]Il faut encore ici souligner que la signature figurant sur un grand nombre de ces chèques, qui ont censément été signés par Donna Rehberg, diffère, comme l'examen le révélera, de celle qui a été reconnue comme étant la sienne.

[17]Pour ce qui est de l'alinéa h), les chèques produits sous la cote R-1 montrent que plusieurs personnes étaient inscrites dans le livre de paie du payeur, et l'appelant a énuméré les travailleurs dont les noms correspondent à ceux figurant sur les chèques. La Cour accepte cette preuve.

[18]En ce qui concerne l'alinéa i), l'appelant a témoigné qu'il avait exécuté les contrats de l'entreprise soit en supervisant les autres employés soit en exécutant lui-même le travail. Il a en outre témoigné qu'il avait utilisé son propre véhicule et que M. Hewitt lui aurait remis un peu d'argent à l'occasion au titre de ses dépenses en carburant.

[19]Relativement à l'alinéa j), l'appelant n'a pu se rappeler si on lui avait versé un loyer pour l'utilisation de sa résidence.

[20]En ce qui concerne l'alinéa k), les chèques mentionnés sont deux chèques émis en février; ils se rapportaient à des postes autres que le salaire.

[21]Au sujet de l'alinéa l), l'appelant a témoigné que, au cours de la période en cause, l'entreprise appartenait à M. Hewitt et que, pendant qu'il travaillait pour ce dernier, il était également la première personne que Mme Rehberg appelait lorsqu'il s'agissait d'exécuter du travail pour une compagnie contrôlée par son épouse et pour laquelle il travaillait aussi au cours de la période en litige.

Analyse des hypothèses o) à q) formulées relativement au premier argument de l'intimé et des hypothèses a) à e) formulées relativement au deuxième argument de l'intimé.

[22]La Cour examinera en même temps les hypothèses formulées aux alinéas o), p) et q) relativement au premier argument et celles formulées aux alinéas a) à e) relativement au deuxième argument, la preuve est semblable dans les deux cas.

[23]En ce qui concerne les hypothèses formulées aux alinéas o), p) et q) et à l'alinéa a), si le payeur était George David Rehberg, l'appelant serait lié à ce dernier pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 251 de la Loi est libellé en partie comme suit :

(1) Aux fins de la présente loi,

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance; et

[...]

Le paragraphe 251(2) de la Loi est libellé en partie comme suit :

(2) Définition du lien. Aux fins de la présente loi, des “ personnes liées ” ou des personnes liées entre elles, sont

a) des particuliers unis par les liens du sang [...]

[24]Si George David Rehberg était propriétaire unique de la compagnie, son association avec l'appelant ne serait alors manifestement pas une association sans lien de dépendance. L'appelant a fait valoir qu'au cours de la période en litige, M. Hewitt était propriétaire unique de l'entreprise.

[25]L'appelant a produit en preuve, sous la cote A-4, une photocopie d'une déclaration de modification de la composition de la société de personnes. Cette déclaration avait été rédigée à la main. Le certificat est attesté sous serment par George David Rehberg et est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Je, soussigné, en ma qualité d'unique associé de Navy View Construction, déclare par les présentes sous la foi du serment :

1. Que j'ai dix-neuf ans révolus;

2. Que j'exploite une entreprise au lieu de résidence situé au 3, chemin Fernhill, Dartmouth (Nouvelle-Écosse), adresse postale C.P. 28091, bureau ambulant, Tacoma, Dartmouth (Nouvelle-Écosse), code postal B2W 6E2, pour les fins et objets suivants, à savoir : services de peinture et de construction, 3, chemin Fernhill, Dartmouth (Nouvelle-Écosse).

3. Que, depuis la dernière déclaration relative à la société de personne déposée conformément à la Partnerships and Business Names Registration Act, la personne mentionnée ci-après a cessé de faire partie de la société à la date indiquée :

Nom Date Signature

William Hewitt 16 mars 1994 (signé) Wm Hewitt

4. En date du 16 mars 1994, je suis le seul membre de cette entreprise :

Nom Adresse résidentielle (y compris le code postal)

George David Rehberg 59, McCormicks Lane

Eastern Passage, comté de Halifax (N.-É.)

B3G 1A2

Adresse postale : Navy View Construction, C.P. 28091,

Bureau ambulant, Tacoma, Dartmouth (Nouvelle-Écosse)

Code postal B3G 1M7

Attesté sous serment à Halifax

dans le comté de Halifax

dans la province de la Nouvelle-Écosse

ce 16e jour de mars 1994

En ma présence,

(Signé) G Pauls (Signé) George David Rehberg

Gloria Pauls, Commissaire de la

Cour suprême de la Nouvelle-Écosse

[26]La déclaration se rapporte à un changement de composition de la société de personnes. Le certificat indique qu'une déclaration relative à la composition de la société de personnes avait déjà été déposée conformément à la loi. Aucune copie de cette déclaration n'a été produite en preuve. L'intimé formule l'hypothèse que George David Rehberg était propriétaire unique, mais qu'il ne participait d'aucune manière à la gestion de l'entreprise. Une copie certifiée conforme de la déclaration antérieure indiquant que William Hewitt était propriétaire unique de l'entreprise au cours de la période en cause, accompagnée d'une preuve selon laquelle il n'y avait eu aucun changement au cours de cette même période, aurait constitué une preuve prima facie de ce fait. George David Rehberg aurait pu être appelé à témoigner au sujet de l'identité des anciens associés. Je reviendrai là-dessus un peu plus loin dans les présents motifs.

[27]En ce qui concerne les alinéas b), c), d) et e), l'appelant a produit les éléments de preuve qui suivent.

[28]L'appelant travaillait depuis fort longtemps dans le secteur de la construction. Il avait exploité une entreprise de construction appelée Seebreeze Construction à la fin des années 1980 ou au début des années 1990. Cette compagnie a fermé ses portes et il a ensuite créé une compagnie appelée Recho Construction, que sa défunte épouse contrôlait et qui a par la suite fait des affaires à l'occasion et qui était active au cours de la période en cause.

[29]Aux alentours de 1993, l'appelant a rencontré M. Hewitt qui était le propriétaire et l'exploitant de Navy

View Construction, une entreprise qui, entre autres choses, obtenait des contrats du ministère de la Défense nationale pour la rénovation et la réparation d'installations militaires. Peu d'éléments de preuve ont été produits concernant M. Hewitt, si ce n'est qu'il était menuisier et peintre et qu'il se joignait parfois aux employés, dont l'appelant, pour exécuter les contrats. L'appelant n'a pas réussi à se rappeler si c'est en 1993 ou en 1994 qu'il avait vu M. Hewitt pour la dernière fois.

[30]Il a conclu avec M. Hewitt un accord de travail aux termes duquel il devait toucher 500 $ par semaine soit pour exécuter les contrats, soit pour superviser les travailleurs exécutant les contrats, peu importe le nombre d'heures de travail. Craignant de ne pas être payé, il a insisté pour que son épouse, Donna Rehberg, qui est décédée subitement en mai 1999, soit chargée de la tenue de livres et détienne le pouvoir de signer tous les chèques, et pour que le bureau de l'entreprise soit situé dans sa résidence, ce à quoi M. Hewitt a donné son accord.

[31]L'appelant ne savait à peu près rien des opérations financières de l'entreprise, et il n'en a jamais discuté avec sa femme. Il était payé en espèces; comme les rentrées d'argent de l'entreprise n'avaient pas toujours lieu à temps, le paiement de son salaire était parfois retardé.

[32]Un témoignage donné sous serment se doit d'être accepté dans une certaine mesure, et le juge ne peut simplement le rejeter du revers de la main sous prétexte qu'il ne croit pas le témoin. Les juges ont une discrétion appréciable lorsqu'il s'agit de déterminer la preuve qu'ils accepteront, mais cette discrétion n'est pas absolue, et ils devraient indiquer les motifs pour lesquels ils rejettent la preuve qu'ils n'acceptent pas. Dans l'arrêt R. v. Norman, 87 CCC (3rd) 148, une décision de la Cour d'appel de l'Ontario, le tribunal a soulevé la question des témoins et de la crédibilité des témoignages et a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Dans l'arrêt White v. R., [1947] S.C.R. 89, CCC 148, à la page 151, le juge Estey, doyen des juges de la Cour suprême, a discuté de la question de la crédibilité. Il a déclaré que c'était une question de fait qui ne pouvait être tranchée par l'application d'une série de règles. Il a notamment dit ceci :

[TRADUCTION]

Pour trancher cette question, il est nécessaire de tenir compte d'un très grand nombre de facteurs humains, tant favorables que défavorables. L'intégrité générale du témoin, son pouvoir d'observation, sa capacité de se remémorer les choses et l'exactitude de ses déclarations revêtent de l'importance. Il importe également de déterminer si le témoin s'efforce honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère ou franc ou s'il a un parti pris, s'il est circonspect ou si ses réponses sont évasives. Pour répondre à ces questions et porter un jugement sur la crédibilité du témoin, il est nécessaire d'observer la conduite et le comportement général de ce dernier.

[33]Sauf lorsque j'ai indiqué le contraire dans les présentes, je ne crois pas le témoignage de l'appelant relativement à la période en litige, pour les raisons exposées ci-après.

[34]Il a témoigné que son association avec le payeur remontait au 21 octobre 1993 alors que, en fait, il lui prêtait déjà de l'argent en juin 1993. Son épouse, qui était partie à l'entente censément conclue par l'appelant et le payeur en octobre, signait des chèques pour l'entreprise avant le mois de juin 1993. Pourquoi n'a-t-il pas admis l'association antérieure? Pourquoi n'a-t-il pas inclus cette période dans sa demande de prestations? Pourquoi a-t-il témoigné que l'entente avait été conclue en octobre 1993 alors qu'elle semble avoir été conclue en mai 1993 ou même avant? L'inférence évidente qu'on peut tirer de cela est qu'il avait conclu avec M. Hewitt une entente autre qu'un contrat de louage de services et qu'il y avait entre eux un lien de dépendance.

[35]Il a produit un T4 délivré par l'entreprise pour l'année 1993 — État de la rémunération payée — sur lequel il est indiqué que la rémunération totale versée par l'entreprise au cours de cette année s'élevait à 5 500 $. La preuve indique que l'appelant a reçu un montant additionnel de 5 449 $ de l'entreprise à une période autre que celle qui nous intéresse. Pourquoi cette somme n'a-t-elle pas été déclarée? Si elle faisait partie du montant de 5 500 $, elle n'aurait alors pas été gagnée au cours de la période en question.

[36]J'ai eu la nette impression que l'appelant ne s'appliquait pas de façon honnête à dire la vérité. Ses réponses étaient évasives; il répondait généralement aux questions en disant que sa mémoire lui faisait défaut, car ses réponses auraient joué contre lui. Il avait de l'expérience dans le domaine de la construction et avait exploité deux entreprises avant de s'associer au payeur ou à M. Hewitt. L'affirmation selon laquelle il ne savait rien des finances de l'entreprise du payeur ou de M. Hewitt n'est pas digne de foi. Il avait consenti des prêts à l'entreprise et, pour garantir le versement de son salaire hebdomadaire de 500 $, indépendamment du nombre d'heures de travail, il avait en réalité fait transférer la totalité de l'administration financière de l'entreprise à sa résidence et en avait assumé le contrôle absolu avec sa défunte épouse. L'appelant signait des chèques, mais il a été incapable de se rappeler s'il détenait le pouvoir de signature avec son épouse.

[37]L'appelant a affirmé qu'il n'arrivait pas à se souvenir des dates. Il a supposé que les dates indiquées sur le relevé d'emploi (pièce A-1) étaient exactes étant donné que le document avait été signé par M. Hewitt. Un examen de la preuve mentionnée ci-après révèle qu'il est quasiment impossible que le document ait en fait été signé par M. Hewitt.

[38]L'appelant a produit en preuve, dans le but de prouver que l'entreprise appartenait à M. Hewitt, une copie d'un bon de travail pour un contrat devant être exécuté par ce dernier pour une certaine Veronica Smith (pièce A-3). Le bon de travail est signé “ Wm Hewitt ”.

[39]Les signatures apparaissant sur le bon de travail et sur la déclaration sont manifestement identiques, et il semble que M. Hewitt signait habituellement “ Wm Hewitt”. Toutefois, le relevé d'emploi (pièce A-1) est signé “ William Hewitt ” et la graphie ne correspond absolument pas à celle qui figure sur le bon de travail et sur la déclaration. Si M. Hewitt a signé le relevé d'emploi, pourquoi sa signature est-elle si différente de celle qu'il utilisait normalement?

[40]Le relevé d'emploi doit avoir été établi à la résidence de l'appelant, où tous les registres de l'entreprise étaient conservés, et il faut inférer qu'il a été préparé soit par l'appelant ou sa défunte épouse, soit suivant leurs instructions. Qui plus est, le relevé a été délivré environ un mois après que M. Hewitt eut cessé d'être un associé de l'entreprise. On peut se demander si M. Hewitt se trouvait toujours dans la région en avril 1994, puisque l'appelant a témoigné qu'il ne pouvait pas se rappeler s'il l'avait vu pour la dernière fois en 1993 ou en 1994.

[41]C'est une règle de preuve bien connue que l'omission, par un témoin ou une partie, de produire une preuve qu'il ou elle aurait pu produire et qui aurait permis de tirer les faits au clair justifie la Cour d'inférer que la preuve en question aurait été défavorable au témoin ou à la partie ayant omis de la produire. La partie visée par cette inférence peut contrer celle-ci en démontrant de manière convaincante que des circonstances l'ont empêchée d'appeler un témoin (voir Murray c. Saskatchewan, [1952] 2 D.L.R. 499, aux pages 505 et 506).

[42]L'appelant a témoigné que son fils, Roger T. Rehberg, et un frère, Wayne, travaillaient pour M. Hewitt pendant la période où il était lui-même au service de ce dernier. En fait, Roger T. Rehberg a gagné plus de 6 000 $ pendant sa période d'emploi; il doit donc avoir exécuté la plupart des contrats de l'entreprise. Le frère de l'appelant, George, est ultérieurement devenu propriétaire unique de la compagnie. Du fait du décès de son épouse, qui aurait été en mesure de témoigner, l'appelant aurait certainement dû appeler à la barre son fils et ses frères, qui auraient pu, eût-on espéré, corroborer son témoignage. La Cour ne peut qu'inférer que leurs témoignages n'auraient pas étayé la preuve de l'appelant.

[43]Dans son plaidoyer final, l'avocat de l'appelant a fait valoir que l'intimé n'avait pas produit de preuve établissant que l'épouse de l'appelant avait inscrit l'entreprise aux fins de la taxe sur les produits et services et qu'elle avait indiqué qu'elle était une associée. La charge de la preuve n'incombe pas à l'intimé, mais à l'appelant, qui doit “ démolir ” les hypothèses, comme le précise la jurisprudence, au moyen d'une preuve prima facie. Si tel n'avait pas été le cas, l'appelant aurait pu produire une copie de l'inscription pour démolir l'hypothèse.

[44]La preuve établit sans contredit que M. Hewitt jouait un rôle dans l'entreprise ou, du moins, qu'il participait à son exploitation entre les mois d'août et de décembre 1993 (voir les chèques nos 09, 32, 126 et 200 à la page 19 de la pièce R-1), mais il n'y a aucune preuve que les chèques avaient été encaissés. Il n'existe aucune preuve de sa participation après le mois de décembre 1993.

[45]L'hypothèse de l'intimé portant que M. Hewitt ne participait d'aucune manière à la gestion et au contrôle des activités de l'entreprise et que l'appelant et son épouse s'occupaient de la gestion et du contrôle des activités quotidiennes de l'entreprise n'est pas réfutée par les éléments de preuve que la Cour accepte.

[46]La Cour conclut que l'appelant n'était pas, au cours de la période en litige, à savoir du 21 octobre 1993 au 10 mars 1994, au service de l'entreprise aux termes d'un contrat de louage de services.

[47]L'appel est rejeté.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick) ce 14e jour de décembre 1999.

“ Murray F. Cain ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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