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Date: 20000516

Dossier: 1999-42-IT-I

ENTRE :

AMI KAMINSKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel portant sur l'année d'imposition 1991.

[2] Les questions en litige dans le présent appel portent sur la déductibilité des paiements versés par l'appelant à des tiers au profit de son ancienne conjointe.

[3] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a considéré que l'année 1991 était constituée de deux périodes devant être prises en compte lors de l'établissement de la cotisation de l'appelant pour ladite année : la période antérieure au divorce et la période postérieure au divorce. Le jugement de divorce a été rendu le 4 juillet 1991 (pièce A-2). Un consentement à des mesures provisoires a été signé le 18 septembre 1987 (pièce A-1). Le ministre a donc refusé d'admettre les paiements faits à des tiers à partir du 4 juillet 1991. Certaines dépenses n'ont pas été admises pour la totalité de l'année 1991 au motif qu'elles ne relevaient pas de l'acception de l'expression “ pension alimentaire ”.

[4] Le ministre a établi ces deux périodes étant donné l'effet de la promulgation du paragraphe 56(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Ce paragraphe a été ajouté en 1988 et s'applique aux arrêts, ordonnances, jugements ou accords écrits pris ou passés avant le 28 mars 1986 ou après 1987. Ce paragraphe a été promulgué en vue de modifier le droit à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264 (86 DTC 6179).

[5] Les faits du présent appel sont décrits aux paragraphes 2, 5 et 6 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”).

[TRADUCTION]

2. Le 10 mars 1994, en établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1991, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé d'admettre, dans le calcul du revenu net, une somme de 35 292 $ déclarée en tant que pension alimentaire.

[...]

5. Le 30 septembre 1998, en établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1991, le ministre a révisé la déduction se rapportant à la pension alimentaire pour la fixer à 21 087 $.

6. En établissant, le 30 septembre 1998, une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1991, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

a) au cours de l'année d'imposition 1991, l'appelant vivait séparé de son ancienne conjointe, Mme Charlene Laprise;

b) en conformité avec l'accord écrit signé par les deux parties le 18 septembre 1987, l'appelant devait effectuer des paiements à titre de pension alimentaire à des tiers pour subvenir aux besoins de sa conjointe séparée et verser directement à cette dernière une pension alimentaire;

c) le 4 juillet 1991, l'honorable juge Yvan Macerola a rendu un jugement de divorce entre l'appelant et Charlene Laprise et a maintenu jusqu'au 31 décembre 1991 l'obligation dudit appelant d'effectuer des paiements à titre de pension alimentaire à des tiers pour subvenir aux besoins de son ancienne conjointe et de verser une pension alimentaire directement à cette dernière;

d) l'appelant a déclaré, comme suit, les paiements à titre de pension alimentaire faits à des tiers pour subvenir aux besoins de sa conjointe séparée et la pension alimentaire versée directement à cette dernière :

i) pension alimentaire 11 700,00 $

ii) intérêts de l'hypothèque

grevant l'unité condominiale 8 287,50

iii) impôts fonciers applicables à l'unité

condominiale 2,601,31

iv) assurance de l'unité condominiale 473,80

v) frais de condominium 3 900,00

vi) électricité pour l'unité condominiale 1 579,50

vii) télédistribution 279,00

viii) habillement 3 000,00

ix) assurance automobile 278,00

x) immatriculation du véhicule automobile 193,00

xi) entretien du véhicule automobile 3 000,00 $

35 292,11 $

e) le ministre a maintenu la déduction pour les paiements de pension alimentaire totalisant 11 700 $;

f) le ministre a interprété l'expression “ pension alimentaire ” comme s'entendant de la fourniture des nécessités de l'existence et a, par conséquent, considéré les dépenses suivantes comme n'étant pas déductibles :

i) télédistribution

ii) assurance automobile

iii) immatriculation du véhicule automobile

iv) entretien du véhicule automobile;

g) le ministre a considéré, puisque le jugement de divorce définitif en date du 4 juillet 1991 ne précisait pas l'application des paragraphes 60.1(2) et 56.1(2), que tout paiement versé à des tiers après cette date pour couvrir les besoins fondamentaux ne sont pas déductibles. Il a, par conséquent, admis les paiements suivants au titre de la pension alimentaire:

i) intérêts de l'hypothèque grevant l'unité

condominiale (8 287,50) 4 144 $

ii) impôts fonciers applicables à l'unité

condominiale 1 031

iii) frais de condominium (3 900) 1 950

iv) électricité pour l'unité condominiale

(127 x 6 mois) 762

v) habillement (250 x 6 mois) 1 500 $

9 387 $

[6] L'appelant était le seul témoin. Il a produit la pièce A-1, Consentement à des mesures provisoires (le “ consentement ”) entre lui-même et son ancienne épouse. Comme il a été mentionné précédemment, le consentement porte la date du 18 septembre 1987. Il n'était donc pas soumis au paragraphe 56(12) de la Loi. Le jugement de divorce a été rendu le 4 juillet 1991. Le paragraphe 56(12) serait donc applicable audit jugement. Les motifs du jugement de divorce ont été rendus le 1er avril 1992. Ils constituent la pièce A-3.

[7] L'article 2 du consentement (pièce A-1) prévoit une pension alimentaire d'un montant de 225 $ par semaine payable à l'ancienne épouse. Le ministre a admis la déduction du montant total de 11 700 $.

[8] L'article 3 prévoit que l'épouse avait le droit de résider au foyer conjugal. L'article 4 prévoit que l'appelant continuera à payer les dépenses du domicile commun : hypothèque, impôts fonciers, assurance, frais de condominium, électricité et télédistribution. La preuve a révélé que ces paiements ont été versés à des tiers et non à l'ancienne épouse de l'appelant.

[9] L'article 5 prévoit le paiement périodique de 250 $ par mois d'un crédit d'habillement dans un magasin particulier. En ce qui concerne cet article, l'avocate de l'intimée a informé la Cour que cela ne représentait plus une question en litige et que le ministre consentait à ce que la déduction de cet article soit admise.

[10] L'article 6 déclare que l'appelant s'arrangera pour que l'essence, à concurrence de 150 $ par mois, soit payée par l'employeur du défendeur qui, dans le présent appel est l'employeur de l'appelant.

[11] Le jugement de divorce a repris et prorogé un certain nombre des effets du consentement jusqu'à la fin de l'année 1991. Le passage pertinent est ainsi formulé :

[TRADUCTION]

... le statu quo prévaudra, pour la pension, les dépenses liées au condominium et les allocations pour l'entretien du véhicule automobile, l'essence et l'habillement, jusqu'au 31 décembre 1991, date après laquelle l'ensemble de ces avantages, y compris la pension, cessera automatiquement;

[12] La question en litige pour l'ensemble de l'année 1991 est le rejet de la déduction des dépenses liées à la télédistribution, à l'assurance automobile, à l'immatriculation du véhicule automobile et à l'entretien de ce dernier. Comme la réponse le mentionnait, le ministre a interprété ces termes comme ne relevant pas de l'acception de l'expression “ pension alimentaire ”.

[13] Je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire de décider si ces dépenses relèvent de l'acception de l'expression “ pension alimentaire ”. Il suffira de déterminer si elles constituaient des allocations ou si elles tombent sous le coup du paragraphe 60.1(2) de la Loi.

[14] Je souhaite renvoyer à une décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Pascoe, [1976] 1 C.F. 372, à la page 374 (75 DTC 5427, à la page 5428) concernant la signification d'une allocation :

Tout d'abord, nous sommes d'avis que le versement de ces sommes ne constitue pas le versement d'une allocation au sens de l'article 11(1)l). Selon nous, une allocation est une somme d'argent limitée et déterminée à l'avance, versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à l'avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne. Un versement effectué pour satisfaire à une obligation d'indemniser ou de rembourser quelqu'un ou de le défrayer de dépenses réellement engagées n'est pas une allocation; il ne s'agit pas en effet d'une somme susceptible d'être affectée par celui qui la touche, à sa discrétion, à certains types de dépenses.

De plus, même si l'acquittement des dépenses en cause pouvait être considéré comme le versement d'une allocation, il ne s'agit pas, selon nous, d'une allocation “ payable périodiquement ”, comme l'exige l'article 11(1)l). Ni l'acte de séparation de corps ni le jugement conditionnel ne prévoient le versement de ces sommes à intervalles fixes. Ils ne font même pas mention du moment où se feront les versements. Il importe peu que les sommes versées pour l'éducation des enfants l'aient en fait peut-être été périodiquement, car la périodicité exigée par la Loi a rapport à la manière dont l'allocation est payable et non à la façon dont elle est effectivement versée.

[15] La Cour suprême du Canada dans l'affaire Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264, aux pages 272 et 273 (86 DTC 6179, aux pages 6182 et 6183) a affirmé cette opinion :

Selon la définition de l'arrêt Pascoe,il faut, pour que l'on puisse qualifier une somme d'argent d'“ allocation ”, qu'elle satisfasse à trois conditions : (1) la somme doit être limitée et déterminée à l'avance; (2) la somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses; (3) cette somme doit être à l'entière disposition de celui qui la touche sans qu'il ait de comptes à rendre à personne.

On s'explique les deux premières conditions qui s'infèrent de l'al. 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La somme doit être limitée et déterminée à l'avance en conformité de l'arrêt, de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord écrit qui la fixe. La somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses savoir, les dépenses encourues pour subvenir aux besoins du bénéficiaire.

Mais pour quelle raison la définition de l'arrêt Pascoe impose-t-elle la troisième condition qui, elle, ne s'infère clairement pas de l'al. 60b)?

[...]

Selon l'arrêt Pascoe, cette condition signifie que le bénéficiaire doit pouvoir affecter cette somme à certains types de dépenses mais à sa discrétion et sans avoir à en rendre compte.

Cependant, cette condition peut aussi signifier que le bénéficiaire doit pouvoir disposer complètement de cette somme et que, pour autant qu'il en profite, il n'est pas pertinent qu'il ait à en rendre compte et qu'il ne puisse l'affecter à certains types de dépenses à son entière discrétion.

Il me paraît, soit dit avec égards, que c'est la deuxième interprétation qui est la bonne, selon la jurisprudence que l'arrêt Pascoe semble avoir erronément interprétée.

Ce qui importe, ce n'est pas la manière dont un contribuable peut disposer ou être obligé de disposer des sommes qu'il reçoit mais bien plutôt le fait qu'il puisse en disposer ou non.

[16] La décision dans l'arrêt Gagnon (précité) était fondée sur le fait que le montant des paiements était déterminé d'avance et que les paiements devaient être versés régulièrement à l'ancienne épouse et non à des tiers. Le but des paiements, cependant, était précisé, c'était les versements hypothécaires. C'est cette précision impliquant une responsabilité du débiteur qui gênait le ministre et qui a amené à la promulgation du paragraphe 56(12) de la Loi.

[17] En ce qui concerne les montants en litige pour la totalité de l'année 1991 (paragraphe 12 des présents motifs et paragraphe 6(f) de la réponse à l'avis d'appel se trouvant au paragraphe 5 des présents motifs), ces montants n'ont pas été versés à l'ancienne épouse et ne sont, par conséquent, pas déductibles en vertu des alinéas 60b) ou c) de la Loi. Ils ne peuvent pas non plus être déduits en vertu du paragraphe 60.1(1) de la Loi. C'est une disposition qui s'applique lorsque les montants ont été préalablement déterminés par le jugement ou par l'accord écrit et doivent être versés périodiquement. Le montant des paiements en question n'avait pas été préalablement déterminé et lesdits paiements ne devaient pas être effectués périodiquement. En outre, en vertu des modalités du consentement mentionnées au paragraphe 10 des présents motifs, les montants liés à l'entretien du véhicule automobile ne devaient pas être versés par l'appelant. Lesdits montants ne peuvent pas être déduits en vertu du paragraphe 60.1(2) de la Loi étant donné que ni l'accord, ni le jugement ne contient le libellé particulier exigé par ce paragraphe. Aux termes de ce libellé, le paragraphe 56.1(2) et le paragraphe 60.1(2) devront s'appliquer à un tel paiement et ce paiement sera réputé constituer un montant versé en tant qu'allocation payable périodiquement.

[18] En ce qui concerne les montants qui n'ont pas été admis pour la période postérieure au divorce (paragraphe 6(g) de la réponse se trouvant au paragraphe 5 des présents motifs), ils ont trait aux intérêts de l'hypothèque grevant l'unité condominiale, aux impôts fonciers applicables à l'unité condominiale, aux frais de condominium et à l'électricité pour l'unité condominiale. Ces paiements ne sont pas déductibles pour les raisons citées précédemment.

[19] L'appelant a produit la décision prise par notre cour dans l'affaire Pelchat c. La Reine, C.C.I., no 96-518(IT)G, 22 novembre 1996 (97 DTC 945). Les faits en l'espèce diffèrent de ceux du présent appel. La clause du jugement prévoyait que des paiements préalablement déterminés devaient être versés sur une base mensuelle à titre de pension alimentaire. La décision ne prévoyait pas si les paiements devaient être faits à l'ancienne conjointe ou à des tiers. En tout état de cause, l'accord contenait une clause que le juge a interprétée comme ayant le sens du libellé mentionné au paragraphe 60.1(2) de la Loi.

[20] L'appel est admis en ce qu'il porte sur la portion consentie par l'avocate de l'intimée concernant l'allocation vestimentaire. L'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2000.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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