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Date : 20000316

Dossier : 98-2628-IT-I

ENTRE :

JOSEPH VOSICKY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s'agit en l'espèce d'un appel relatif à l'année d'imposition 1997 et portant sur le calcul du crédit d'impôt pour étalement du revenu de l'appelant en vertu des articles 110.4 et 120.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Après avoir établi la cotisation de l'appelant pour l'année d'imposition 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a conclu que le crédit d'impôt en question s'élevait à 1 789,30 $, plutôt qu'à 2 099,84 $, montant qu'avait indiqué l'appelant. Les dispositions de la Loi qui visaient le crédit d'impôt pour étalement du revenu ne sont plus en vigueur. Le paragraphe 110.4(1) de la Loi a été abrogé par 1988, ch. 55, par. 80(1), qui s'applique à l'année d'imposition 1988 et aux années d'imposition subséquentes. Toutefois, le paragraphe 110.4(2) de la Loi permet aux particuliers de continuer à bénéficier de ce régime et d'inclure une fraction du montant d'étalement accumulé dans le calcul du revenu imposable pour une année d'imposition se terminant avant 1998.

[2] Les hypothèses de fait sur lesquelles se fonde le ministre pour établir la cotisation sont décrites au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”) de la façon suivante :

a) l'appelant a résidé au Canada tout au long de l'année d'imposition 1997;

b) l'appelant a produit une déclaration d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997, accompagnée de la formule T581 prescrite, avant le 30 avril 1998;

c) au cours de l'année d'imposition en litige, l'appelant n'était ni un fermier, ni un pêcheur;

d) le montant d'impôt que l'appelant était tenu de verser pour l'année d'imposition 1997 est de 2 910,70 $;

e) le ministre a établi la cotisation de l'appelant en se fondant sur les montants déclarés par ce dernier sur la formule T581 prescrite, à l'exception du pourcentage de crédit d'impôt fédéral pour étalement du revenu, qui a été ramené de 34 % à 29 %;

f) sur cette formule T581, l'appelant a notamment inscrit les montants suivants :

Montant d'étalement accumulé

à la fin de l'année d'imposition 1996 6 176 $

ii) Retrait du montant d'étalement accumulé 6 176 $

iii) Crédit d'impôt fédéral pour étalement du revenu

6 176 $ X 34 % = 2 099 $

g) le ministre a notamment apporté les modifications suivantes à la formule T581 de l'appelant :

i) Montant d'étalement accumulé

à la fin de l'année d'imposition 1996 6 170 $

ii) Retrait du montant d'étalement accumulé 6 170 $

iii) Crédit d'impôt fédéral pour étalement du revenu

6 170 $ X 29 % = 1 789 $

h) d'où l'appel de l'appelant, en janvier 1994, auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour l'année d'imposition 1992. Cet appel portait le numéro 94-96 (IT) I;

i) la question en litige était essentiellement la même que celle soulevée dans le présent appel;

j) l'appel a été rejeté dans un jugement rendu le 22 juillet 1994 par l'honorable juge Archambault;

k) au cours du mois de novembre 1995, l'appelant a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour l'année d'imposition 1994. Cet appel portait le numéro 95-3701 (IT)I;

l) encore une fois, la question en litige était essentiellement la même que celle soulevée dans le présent appel;

m) le 27 mars 1996, l'honorable juge D.G.H. Bowman a rendu jugement à l'audience et a rejeté l'appel;

n) le 21 avril 1996 ou vers cette date, l'appelant a déposé une demande auprès de la Cour fédérale du Canada afin de faire examiner la décision rendue le 27 mars 1996 par la Cour canadienne de l'impôt. Cette demande portait le numéro A-331-96;

o) l'audition de la cause no A-331-96 a eu lieu le 30 octobre 1996 devant la Cour fédérale du Canada, qui a rejeté l'appel;

p) par la suite, le ministre a appliqué le montant calculé au paragraphe g) comme crédit d'impôt pour étalement du revenu pour l'année d'imposition faisant l'objet du litige.

[3] L'appelant a admis chacun des faits exposés ci-dessus.

[4] Au cours de l'année 1985, M. Vosicky a exercé, selon la formule prescrite, un choix concernant l'application de l'option d'étalement du revenu quant à une portion de son revenu de 1985. Je fais maintenant référence à la description des faits faite par le juge Bowman dans le jugement dont il est fait mention à l'alinéa 4m) de la réponse. Je cite le paragraphe 3 et une partie du paragraphe 4 de ce jugement :

[3] Fondamentalement, en 1985, M. Vosicky a présenté un choix en vertu des dispositions de la Loi concernant l'étalement du revenu à l'égard d'un montant d'environ 16 000 $. Il a payé un impôt correspondant à 34 p. 100 de ce montant en vertu de la Loi fédérale. C'était un taux beaucoup plus élevé que celui qu'il aurait payé s'il n'avait pas présenté de choix. M. Vosicky a présenté un choix en se fondant sur deux hypothèses, à savoir, 1) que son revenu diminuerait au cours des années ultérieures et 2) que le crédit prévu à l'article 120.1 continuerait à être de 34 p. 100. Les hypothèses émises par M. Vosicky étaient principalement fondées sur une brochure intitulée “Étalement du revenu”, que le ministère du Revenu national a publiée, laquelle expliquait le fonctionnement des dispositions de la Loi concernant l'étalement du revenu.

[4] En fin de compte, les attentes de M. Vosicky n'étaient pas fondées. En 1988, le taux marginal maximum est passé de 34 p. cent à 29 p. 100, ainsi que le taux du crédit prévu à l'article 120.1. Bref, M. Vosicky a choisi, en 1985, de payer des impôts au taux de 34 p. 100, taux qui ne se serait pas appliqué s'il n'avait pas présenté de choix. Lorsque le taux marginal maximum est passé à 29 p. 100 au cours des années subséquentes, il en a été de même pour le crédit. [...]

[5] L'appelant a déposé en preuve la pièce A-3, qui est une brochure portant sur l'étalement du revenu, publiée par Revenu Canada en septembre 1985. L'appelant a mentionné certains extraits :

Ce que c'est

L'étalement du revenu permet à certains contribuables d'étaler un revenu admissible reçu dans l'année sur des années à venir où ils prévoient être à un palier d'imposition inférieur.

Le revenu admissible est alors exclu du calcul du revenu imposable. Ce revenu est cependant assujetti à l'impôt au taux marginal le plus élevé, comme il est décrit plus loin. Le revenu admissible et l'impôt qui en découle sont ainsi reportés sur les années suivantes.

Dans toute année subséquente, le contribuable peut choisir de déclarer une partie ou la totalité de ce revenu et demander que la fraction appropriée de l'impôt déjà payé soit portée au crédit de son compte d'impôt à payer pour cette année-là. Il en résulte une économie d'impôt si, à ce moment-là, le revenu du contribuable (incluant le montant ajouté au revenu) a diminué de telle façon que son palier d'imposition est inférieur à celui où il était l'année de l'étalement.

Un contribuable peut choisir l'étalement du revenu pour toute année où il est admissible.

Comment ça fonctionne

Supposons que vous ayez reçu une importante somme ou un paiement forfaitaire dans une année :

Vous devez d'abord déterminer si vous avez droit à l'étalement du revenu et si votre revenu y est admissible, conformément aux explications fournies plus loin dans ce dépliant.

Puis, vous exercez le choix d'étaler une partie ou la totalité de votre revenu admissible, lequel ne peut être inférieur à 1 000 $, à l'aide de la formule T540, “ Calcul de l'impôt sur le revenu étalé ”, disponible à votre bureau de district d'impôt.

Le montant que vous désignez, c'est-à-dire le revenu ayant fait l'objet d'un choix, est alors exclu du calcul de votre revenu imposable pour l'année de l'étalement. Vous devez cependant payer un impôt fédéral de 34 p. 100 et la surtaxe fédérale, s'il y a lieu, sur ce montant exclu et un impôt provincial au taux fixé pour votre province.

Votre revenu qui a fait l'objet d'un choix sera reporté jusqu'à ce que vous choisissiez de faire des retraits de cette somme. Vous pourrez y ajouter des montants d'année en année si vous le désirez. Tous les ans, un facteur d'indexation fondé sur les changements de l'indice des prix à la consommation sera appliqué à votre revenu qui a fait l'objet d'un choix pour en maintenir la pleine valeur.

Le montant qui en résultera constituera votre revenu étalé accumulé.

[...]

Comment effectuer un retrait de votre revenu étalé accumulé

[...]

Pour faire un retrait de votre revenu étalé accumulé et l'incorporer dans votre revenu, vous n'avez qu'à décider du montant que vous voulez incorporer dans votre revenu, remplir une formule T581, que vous pouvez vous procurer à votre bureau de district d'impôt, et la produire avec votre déclaration au plus tard le 30 avril de l'année. Il vous suffit d'inscrire à la ligne 225 de votre déclaration le montant de votre retrait et d'ajouter ce montant à votre revenu net. Inscrivez sur la ligne 458 le montant total de crédits d'impôt fédéraux et provinciaux sur le revenu étalé auquel vous avez droit. Le crédit fédéral correspond à 34 p. 100 du montant que vous avez reporté à la ligne 225 de votre déclaration, [...]

[6] L'appelant a affirmé vigoureusement qu'il croyait que ce montant d'impôt payé était comme un compte en banque et qu'il pourrait l'utiliser intégralement comme crédit d'impôt lorsqu'il aurait inclus, dans ses déclarations d'impôt des années suivantes, une partie de son montant d'étalement accumulé.

[7] Bien que les deux juges de notre cour qui ont entendu les appels antérieurs de l'appelant, auxquels il est fait référence aux alinéas 4j) et 4m) de la réponse, aient exprimé leur sympathie à l'égard de la situation soulevée dans la présente cause, ils ont néanmoins rejeté ces appels. Le juge Archambault a conclu que les dispositions pertinentes de la Loi ne comportaient aucune ambiguïté, et le juge Bowman a pour sa part conclu que la Charte ne pouvait s'appliquer en l'espèce. Je souscris entièrement aux conclusions de ces juges, d'autant plus que leurs décisions ont été confirmées par la Cour d'appel fédérale. Cependant, une question n'a pas été traitée en première instance; elle a brièvement été abordée en appel et s'impose à l'examen de la cause de l'appelant. Il s'agit de la question de droits acquis dont traite l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation.

[8] Cet alinéa se lit comme suit :

43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence :

[...]

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

[9] Le paragraphe 110.4(1) de la Loi prévoyait ce qui pouvait être inclus dans le montant étalé. Le paragraphe 110.4(2) de la Loi permettait l'inclusion d'une partie du montant d'étalement accumulé dans le calcul du revenu imposable. La déduction et l'ajout d'impôt étaient traités aux paragraphes 120.1(1) et 120.1(2). Le paragraphe 120.1(1) de la Loi se lisait ainsi :

(1) Est déductible de ce que serait, sans le présent article, l'impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie par un particulier pour une année d'imposition – sauf s'il s'agit de l'impôt payable pour une déclaration de revenu visée au paragraphe 110.4(5) – , le produit obtenu en multipliant:

a) le montant indiqué dans son choix pour l'année en application du paragraphe 110.4(2) et, si le représentant légal du particulier a produit au nom de ce dernier un choix en application du paragraphe (2) pour l'année, son montant d'étalement accumulé à la fin de l'année

par

b) le pourcentage visé à l'alinéa 117(2)c).

L'alinéa 120.1(2)(a) était libellé comme suit :

Il doit être ajouté au montant qui serait, si ce n'était du présent article, l'impôt par ailleurs payable en vertu de la présente Partie (autre que l'impôt payable relativement à une déclaration de revenu visée au paragraphe 110.4(5)) par un particulier pour une année d'imposition un montant égal au total

(a) du produit obtenu en multipliant le montant déduit dans le calcul de son revenu imposable pour l'année en vertu du paragraphe 110.4(1) par le pourcentage visé à l'alinéa 117(5.2)(j); et

[...]

[10] On peut voir, à la lecture des paragraphes 120.1(1) et 120.1(2), que le calcul de l'impôt payable sur le montant étalé est fonction du pourcentage mentionné à l'alinéa 117(5.2)(j) de la Loi. À l'époque, l'alinéa 117(5.2)(j) était libellé comme suit :

L'impôt payable par un particulier, en vertu de la présente Partie, sur son revenu imposable ou son revenu imposable gagné au Canada, selon le cas, (appelé dans la présente sous-section le “ total imposable ”) pour les années d'imposition 1982 et suivantes, est

[...]

(j) pour un total imposable supérieur à $24,000, $5,950 plus 34 % de la tranche au-dessus de $24,000.

[11] C'est lors de la modification de l'alinéa 117(5.2)(j) qu'a été modifié le montant de la déduction d'impôt ou des crédits d'impôt auxquels l'appelant aurait eu droit en 1985.

[12] L'appelant bénéficiait-il d'un droit acquis ? En d'autres termes, a-t-il été privé de l'un de ses droits de propriété ? A-t-il été dépossédé de montants auxquels il avait droit ? La question de droit visant les droits acquis n'ayant pas été soulevée explicitement dans l'avis d'appel, je ne bénéficie pas de l'opinion de l'intimée quant à savoir s'il est exact que l'appelant ne pourra plus recevoir certains montants qu'il a payés à titre d'impôt en 1985. L'intimée est d'avis que les dispositions pertinentes de la Loi sont claires et qu'elles ont été appliquées en conséquence. Néanmoins, puisque l'appelant n'est pas représenté par avocat, j'estime opportun de résumer la notion de droits acquis.

[13] Sur la question des droits acquis, la Cour suprême du Canada, dans Gustavson Drilling (1964) Limited v. M.N.R., [1977] 1 S.C.R. 271, à la page 282, s'exprime ainsi :

Deuxièmement, l'interférence avec des droits acquis. Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation : Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board [[1933] R.C.S. 629], à la p. 638. La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l'intention contraire, s'applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu'elle produise son effet dans l'avenir. Ce dernier type de loi peut être mauvais s'il porte atteinte à des droits acquis sans l'exprimer clairement. Toutefois, cette présomption s'applique seulement lorsque la loi est d'une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations. Il est évident que la plupart des lois modifient des droits existants ou y portent atteinte d'une façon ou d'une autre, et les lois fiscales ne font pas exception. Les seuls droits dont un contribuable peut se prévaloir au cours d'une année d'imposition au regard de réclamations d'exemptions sont ceux que lui accorde la Loi de l'impôt sur le revenu alors en vigueur. L'appelante fonde son argumentation sur le fait qu'elle possède un droit acquis et continu de déduire dans le calcul de son revenu les dépenses de forage et d'exploration engagées par elle, alors qu'il est clair que la Loi de l'impôt sur le revenu de 1960 et des années antérieures n'accorde aucun droit à l'égard des années d'imposition 1965 et suivantes. C'est une erreur que de considérer les dépenses de forage et d'exploration comme un compte en banque duquel il est possible d'effectuer des retraits indéfiniment ou, du moins, jusqu'à l'épuisement du solde. Personne n'a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu'elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l'évolution des besoins sociaux et de l'attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l'espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d'une modification à la législation.

[14] La Cour d'appel fédérale, dans la décision qu'elle a rendue sur cette question pour l'année 1992 (Vosicky c. La Reine, C.A.F. no A-412-94, 22 mars 1995 (95 DTC 5224)), a cité un passage de la décision ci-dessus :

[...] Toutefois, les tribunaux doivent appliquer la loi en fonction de sa rédaction, et contrairement à ce que pense le requérant, il n'avait [Traduction] “ aucun droit acquis dans le maintien de la loi telle qu'elle était ” en 1985.

Cette décision n'explique pas la façon dont la Cour d'appel fédérale est arrivée à la conclusion visant la cause de l'appelant et suivant laquelle il n'existait pas de droits acquis, mais il me faut penser que celle-ci a procédé à l'analyse appropriée.

[15] Il est néanmoins intéressant d'examiner la doctrine sur le sujet. Dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition, de Ruth Sullivan, on trouve une analyse de la question aux pages 528 à 543. Il y est écrit que pour qu'un droit constitue un droit acquis, il lui faut être particulier et personnel. Le droit invoqué doit avoir été exercé et réellement réclamé comme appartenant à la personne l'ayant exercé. Pour évaluer la force probante de la présomption voulant qu'on ne puisse porter atteinte aux droits acquis, il faut avant tout évaluer le degré d'injustice que l'atteinte entraînerait dans des cas particuliers.

[16] On retrouve une autre analyse des droits acquis dans l'Interprétation des lois, 2e édition, de Pierre-André Côté, aux pages 153 à 171. L'auteur écrit, à la page 155:

Il faut beaucoup d'audace, et même un peu de témérité, pour risquer une définition de l'expression “ droits acquis ”. Selon le vocabulaire conventionnel, les “ droits acquis ” s'opposent aux simples expectatives.

Il écrit, aux pages 157 et 158 :

Par contre, nier l'existence de droits acquis et décider l'application immédiate de la loi nouvelle comporte aussi sa part d'inconvénients pour l'individu ou, si l'on veut, implique des coûts individuels qui peuvent être très élevés. La vie juridique a besoin, pour s'épanouir, d'une certaine stabilité : la réforme du droit, si elle n'est pas menée progressivement, peut causer aux individus des préjudices très graves. [...] Pour reconnaître des droits acquis, les tribunaux exigent du justiciable qu'il puisse démontrer : 1) que sa situation juridique est individualisée et concrète et non générale et abstraite et 2) que sa situation juridique était constituée au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. [...][L]a seule possibilité de se prévaloir d'une loi ne saurait fonder de droits acquis.

Il continue, aux pages 160 et 161 :

[...] Une situation juridique suffisamment constituée

La jurisprudence exige non seulement que la situation juridique alléguée par qui prétend à des droits acquis ne soit pas abstraite : il faut aussi que cette situation ait atteint un certain degré de concrétisation, qu'elle soit, de l'avis du tribunal, suffisamment individualisée et parfaite pour justifier une protection.

À quel moment une situation juridique devient-elle assez concrétisée pour fonder des droits acquis? Question délicate où le justiciable doit, dans bien des cas, essayer de deviner l'endroit où le juge fera passer la ligne entre l'expectative et le droit acquis. “La distinction entre ce qui constitue “ un droit ” et ce qui n'en constitue pas un doit souvent être très subtile ”.

[17] En l'espèce, il ne s'agit pas d'une personne qui aurait pu se prévaloir d'une disposition particulière; il s'agit plutôt d'une personne qui s'est prévalue d'une disposition qui a été modifiée ultérieurement. À mon avis, cela place l'appelant dans une position différente de celle du contribuable dans l'affaire Gustavson Drilling (précitée).

[18] Dans le cas d'un contribuable qui, lorsqu'il a choisi de se prévaloir des dispositions relatives à l'étalement du revenu, a dû verser de l'impôt selon le taux d'imposition le plus élevé, il ne semble pas qu'il subisse une injustice découlant de la modification subséquente du taux d'imposition utilisé dans le calcul de la déduction fiscale, et plus tard du crédit d'impôt. Néanmoins, dans les circonstances particulières de l'espèce, où le revenu du contribuable n'a pas été imposé au taux le plus élevé de 34 p. 100, mais à 29 p. 100, et où le contribuable a accepté de payer le taux d'imposition le plus élevé sur un montant étalé, croyant qu'il aurait droit à un crédit pour ce montant au cours d'années subséquentes, alors les modifications ultérieures apportées à la Loi semblent plus injustes.

[19] Comme je l'ai mentionné plus tôt, je n'ai pu bénéficier de l'opinion de l'intimée sur la question et je n'ai pas cherché à l'obtenir, à la lumière de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale mentionné au paragraphe 14 des présents motifs, qui écarte de façon spécifique toute possibilité de droits acquis. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2000.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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