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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3619(IT)I,

2001-3621(IT)I,

2001-3622(IT)I,

2002-88(IT)I

 

ENTRE :

 

DARLENE CRAWFORD,

GARY FORSYTH,

DEBBIE RENKO,

JOHN STEWART,

 

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appels entendus le 23 avril 2002, à Victoria (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions

 

Avocat des appelants :              Me J. Andre Rachert

Avocate de l'intimée :                Me Lisa Macdonell

 

 


JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 sont rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2002.

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mai 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20020619

Dossier : 2001-3619(IT)I,

2001-3621(IT)I,

2001-3622(IT)I,

2002-88(IT)I

 

ENTRE :

 

DARLENE CRAWFORD,

GARRY FORSYTH,

DEBBIE RENKO,

JOHN STEWART,

 

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie, C.C.I.

 

[1]     Chacun des quatre appelants en l'espèce interjette appel à l'égard de nouvelles cotisations d'impôt pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999. Toutes les parties ont consenti à ce que les appels soient entendus sur preuve commune en vertu de la procédure informelle de la Cour à Victoria (C.‑B.). On m'a indiqué qu'ils étaient représentatifs d'un nombre important d'appels en suspens devant la Cour. Dans chaque cas, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les déductions faites par les appelants à l'égard des montants payés pour leurs repas pendant qu'ils étaient au travail, en vertu de l'alinéa 8(1)g) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). Cette disposition est libellée de la façon suivante :

 

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

g) lorsque le contribuable a été employé par une personne dont la principale activité d'entreprise était le transport de voyageurs, de marchandises, ou de voyageurs et marchandises et que les fonctions de son emploi l'obligeaient régulièrement :

 

(i) d'une part, à voyager à l'extérieur de la municipalité dans laquelle était situé l'établissement de son employeur où il devait se présenter pour son travail, et, le cas échéant, hors de la région métropolitaine où était situé cet établissement, dans des véhicules utilisés par l'employeur pour transporter les voyageurs ou marchandises,

 

(ii) d'autre part, pendant qu'il était ainsi absent de cette municipalité et région métropolitaine, à engager des frais pour ses repas et son logement,

 

les sommes qu'il a ainsi déboursées au cours de l'année, dans la mesure où il n'a pas le droit d'être remboursé à cet égard;

 

[2]     Selon le ministre, aucun des appelants n'a le droit de déduire un montant en vertu de cette disposition parce que les fonctions de son emploi ne l'obligeaient pas à débourser des frais pour « ses repas et son logement », mais seulement pour ses repas. L'avocate de l'intimée fait valoir que le mot « et » dans ce contexte est conjonctif. L'avocat des appelants prétend qu'il est disjonctif et qu'on peut déduire les frais engagés soit pour les repas, soit pour le logement.

 

[3]     Aux époques pertinentes, tous les appelants travaillaient à bord des transbordeurs exploités par la British Columbia Ferry Corporation (« B.C. Ferries »). Darlene Crawford est superviseur de cafétéria, Deborah Renko est préposée à la restauration et Gary Forsyth est chef mécanicien. Ils travaillent tous sur le transbordeur qui fait le trajet entre Schwartz Bay sur l'île de Vancouver et Tsawassen sur le continent. Tous les quarts de travail des appelants durent au moins huit heures et parfois jusqu'à dix heures. Le quart du matin débute à 6 h 45, ou un peu plus tôt dans le cas de M. Forsyth, et se termine vers 14 h 45 ou 15 h. Le quart de l'après‑midi débute après celui du matin et se termine à 23 h, ou plus tard si le transbordeur accuse un retard. Les transbordeurs exploités sur ce trajet font deux allers‑retours durant chaque quart. Tous les vaisseaux sur ce trajet ont une cafétéria où les employés de B.C. Ferries peuvent acheter de la nourriture et bénéficient d'un rabais de 50 % par rapport aux prix payés par les passagers. Mme Renko et Mme Crawford ont toutes deux des pauses durant leurs quarts; une pause d'une demi‑heure et des pauses de quinze minutes chaque deux heures. Elles ont témoigné toutes les deux qu'elles prennent habituellement deux repas durant chaque quart de jour. M. Forsyth prend ses repas lorsque le transbordeur est à quai entre les trajets au lieu de quitter son poste pendant le trajet. Il a dit qu'il prend habituellement plusieurs petits repas pendant un quart, pour lesquels il débourse en moyenne de 4 $ à 7,50 $.

 

[4]     John Stewart travaille comme matelot de pont sur un transbordeur qui fait le trajet entre Campbell River sur l'île de Vancouver et l'île Quadra. Le trajet ne prend qu'environ dix minutes et il y a généralement 17 allers‑retours durant un quart de neuf heures. Le quart du matin débute à 6 h et se termine à 15 h; le quart de l'après‑midi débute à 15 h et se termine à 23 h, ou à minuit les fins de semaine. M. Stewart a témoigné qu'il ne peut quitter le vaisseau durant un quart pour aller manger et qu'il apporte de la nourriture que son épouse a achetée à l'épicerie et la prépare à bord du transbordeur. Il y a un réfrigérateur, une cuisinière, un four et un four à micro‑ondes dans les quartiers de l'équipage. Il ressort de son témoignage qu'il se prépare des repas assez substantiels durant ses quarts. Il a dit qu'il prend habituellement deux repas durant le quart de jour et un repas durant le quart de l'après-midi.

 

[5]     On ne sera pas surpris d'apprendre qu'aucun des appelants n'a conservé tous les reçus pour les repas payés durant les années en litige afin de pouvoir calculer exactement le montant dépensé à cet égard et ensuite demander une déduction équivalant à 50 % de ce montant[1]. Darlene Crawford a conservé des reçus après que le ministre ait commencé à remettre en question le droit des appelants, et de bon nombre de leurs collègues de travail, de demander une déduction pour les frais de repas. Le montant de leurs déductions a été déterminé selon ce que, lors des témoignages, a été appelé la méthode administrative. Il s'agit simplement de l'application d'une politique publiée par le ministre selon laquelle une déduction peut être demandée en vertu de l'alinéa 8(1)g) pour un montant fixe de 11 $ par repas au lieu de conserver chaque reçu pour chaque repas pris durant l'année. L'avocate de l'intimée a contre-interrogé les témoins au sujet du montant des déductions demandées, mais la vraie raison d’être des présents appels réside dans l'interprétation des circonstances où la déduction peut être demandée, et non dans les montants réclamés. De la façon dont j'ai compris leur témoignage, tous les appelants devant moi avaient l'intention de déduire un montant de 11 $ pour chaque repas pris durant l'exercice de leurs fonctions, divisé par deux comme l'exige l'article 67.1 de la Loi, et, sauf dans le cas de M. Stewart, divisé par deux encore une fois pour tenir compte du rabais accordé par leur employeur. M. Stewart ne pouvait pas acheter ses repas de B.C. Ferries et il ne bénéficiait donc d'aucun rabais. Toutefois, je doute fort que les ingrédients qu'il utilisait coûtaient en moyenne 11 $ par repas. Étant donné la conclusion à laquelle j'en suis venu au sujet de la principale question en litige, il n'est pas nécessaire d'établir le coût des repas pris par les appelants pendant qu'ils travaillaient. Si j'étais obligé de le faire, je conclurais, selon les éléments de preuve, que les appelants Crawford, Forsyth et Renko dépensaient en moyenne 10 $ par quart de travail et auraient par conséquent eu le droit de demander une déduction de 5 $ par quart de travail, une fois appliqué le rabais de 50 %. Je conclurais que M. Stewart dépensait la moitié de ce montant et que, par conséquent, il aurait eu le droit de demander une déduction de 2,50 $ par quart. Pour les motifs exposés ci-dessous, cependant, je conclus qu'ils n'ont droit à aucune déduction et que leurs appels doivent être rejetés.

 

[6]     Certaines questions importantes ne sont pas en litige. Tsawassen est situé dans la région métropolitaine de Vancouver, et Schwartz Bay est situé dans la région métropolitaine de Victoria. De même, l'île Quadra et Campbell River, bien que pas très éloignés l'un de l'autre, sont situés dans des municipalités différentes. Ainsi, tous les appelants quittent le territoire de la municipalité où ils se présentent pour leur travail durant leur journée de travail. En fait, ils le font plus d'une fois. Il n'est pas contesté non plus qu'ils terminent leur journée de travail à l'endroit où elle a commencé et qu'ils peuvent rentrer chez eux chaque soir. Il n'est pas contesté non plus que la principale activité d'entreprise de B.C. Ferries était le transport de voyageurs, de marchandises ou des deux. Le seul point en litige réside, par conséquent, dans la prétention des appelants selon laquelle le mot « et » doit être lu de façon disjonctive dans l'expression « frais pour ses repas et son logement » au sous‑alinéa 8(1)g)(ii) de la Loi.

 

[7]     En disant cela, je ne passe pas outre à l'argument de Me Rachert selon lequel le ministre est préclus de nier qu'un contribuable peut demander une déduction pour des repas même s'il n'engage pas de frais pour son logement. Cet argument est fondé sur une lettre écrite par un fonctionnaire de Revenu Canada, comme on l'appelait alors, à un représentant du syndicat. Cet argument n'est pas fondé. D'abord, les appelants n'ont pas plaidé la préclusion, quoique, selon la règle, il a toujours été nécessaire de plaider la préclusion pour être en mesure de la soulever à l'audience. Quoi qu'il en soit, la supposée préclusion porte sur une question de droit et non de fait. Il est établi depuis longtemps que la préclusion ne s'applique pas à l'interprétation d'une loi : voir l'affaire M.R.N c. Inland Industries[2].

 

[8]     À l'audience, MRachert a longuement contre-interrogé l'ancien fonctionnaire de Revenu Canada au sujet de la lettre qu'il avait écrite, ainsi que le répartiteur pour tenter de démontrer qu'il avait été partial ou, du moins, qu'il n'avait pas pleinement donné aux appelants, ni aux autres personnes ayant fait l'objet de nouvelles cotisations, la possibilité de se faire entendre. Ces contre-interrogatoires sont passés à côté de la question. Je ne suis pas ici pour examiner la manière dont le répartiteur a effectué son travail, et bien qu'en l'espèce il me semble qu'il s'est conduit d'une façon parfaitement raisonnable et correcte du point de vue de la procédure, cela n'a aucune importance en l'espèce. Je suis ici pour établir les faits, dans la mesure où ils sont en litige, à partir des éléments de preuve dont je suis saisi, puis pour appliquer à ces faits la loi telle que formulée par le législateur et interpréter le libellé de la Loi s'il est ambigu.

 

[9]     Il n'y a pas d'ambiguïté en l'espèce. La même question a été soulevée devant le juge Bonner, alors qu'il était membre de la Commission de révision de l'impôt, dans l'affaire Derrien c. M.R.N.[3], où les faits ne peuvent être distingués de ceux en l'espèce. Il a dit, aux pages 5 et 6 (DTC : à la page 1753) :

 

Selon moi, la solution ressort d'elle-même lorsque l'alinéa 8(1)g) est lu à la lumière des autres dispositions. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, les déductions du traitement ou du salaire dans le calcul du revenu provenant d'une charge ou d'un emploi sont envisagées, en général, de façon restrictive. À cet égard, il faut se reporter au paragraphe 8(2) de la Loi. Il ne faudrait pas penser que les exceptions prévues au paragraphe 8(1) sont arbitraires. L'exception prévue pour les employés des entreprises de transport à l'alinéa 8(1)g) reconnaît que la nature du travail oblige souvent les employés à s'éloigner beaucoup de la région où ils vivent et se présentent pour travailler. Ces voyages imposent des frais pour les repas et le logement que ne supporte pas le travailleur ordinaire qui, la plupart du temps du moins, peut dormir et manger chez lui. La réserve apportée par l'expression « pendant qu'il était ainsi absent » et l'emploi du terme « et » dans l'expression « frais pour ses repas et son logement » tendent à appuyer cette conclusion. Pour le travailleur ordinaire, les frais de nourriture et de logement sont des dépenses personnelles. Pour un employé d'une entreprise de transport, ces frais, qu'il doit engager dans le cours de ses fonctions, sont reliés beaucoup plus directement au gain du revenu.

 

Il est facile de constater, si l'alinéa 8(1)g) est lu dans son contexte, que certaines des définitions du dictionnaire du terme « voyager », comme « aller d'un endroit à l'autre », ne conviennent pas. Lorsque l'alinéa 8(1)g) parle de voyager à l'extérieur d'une municipalité et de sa région métropolitaine, il prévoit des déplacements sur des distances assez éloignées et de durée assez longue pour que l'intéressé soit obligé d'engager des frais pour ses repas et son logement. Il ne porte pas sur les cas où le contribuable va d'un endroit, à l'intérieur de la région métropolitaine, à un autre, à l'extérieur, mais tout près.

 

[10]    La question des demandes de déduction en vertu de l'alinéa 8(1)g), auparavant le paragraphe 11(7), a maintes fois fait l'objet de décisions judiciaires, tant avant qu'après le prononcé de la décision dans l'affaire Derrien, sans que la justesse de cette décision ne soit mise en doute. Dans bon nombre de ces cas, la question en litige en l'espèce n'a même pas été soulevée; le montant dont la déduction pouvait être demandée était souvent le seul point en litige. Toutefois, chaque fois que la question a été soulevée, la Cour a régulièrement appliqué la décision dans l'affaire Derrien[4].

 

[11]    Il y a peu que je puisse ajouter de façon utile à ce qu'a déjà dit le juge Bonner sauf, peut-être, souligner que sa décision est conforme aux plus récents arrêts de la Cour suprême du Canada en matière d'interprétation des lois. Le mot « et », dans son sens ordinaire, est clairement conjonctif. En cas d'ambiguïté, ce mot a été interprété autrement pour atteindre l'objectif de la loi. Dans l'affaire Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex[5], la Cour suprême réitère encore une fois qu'avant de délaisser le sens ordinaire des mots utilisés dans la loi et d'appliquer l'un des nombreux principes d'interprétation, il faut d'abord qu'il ait été démontré que le libellé choisi par le législateur, lu dans le contexte global de la loi, est ambigu. En l'espèce, il n'y a aucune ambiguïté, et la loi doit être appliquée telle qu'elle a été écrite.

 

[12]    MRachert a fait valoir au nom des appelants que le fait de donner à l'alinéa 8(1)g) son sens ordinaire aurait un effet pervers dans le cas où un camionneur, par exemple, voyage pendant plusieurs jours sans engager de frais pour son logement parce qu'il peut dormir dans le compartiment‑couchette du tracteur routier. Je ne suis pas saisi d'un tel cas hypothétique et je n'ai pas l'intention de poser des hypothèses à cet égard. Dans les cas en l'espèce, l'intention du législateur est claire. Il n'avait pas l'intention de permettre aux travailleurs qui rentrent régulièrement chez eux chaque soir de déduire des frais de repas. Il est peut-être superflu de souligner que, s'il en était autrement, les appelants en l'espèce se retrouveraient dans une situation privilégiée par rapport aux nombreuses personnes qui occupent des emplois où elles ne sont pas appelées à voyager à l'extérieur de la municipalité où elles commencent leur journée de travail chaque jour mais qui, pour une multitude de raisons, ne peuvent aller dîner à la maison.

 

[13]    L'avocate de l'intimée m'a présenté certains éléments de preuve sur l'intention du législateur lorsqu'il a adopté l'alinéa 8(1)g). Toutefois, puisqu'il n'y a pas d'ambiguïté, je ne fais aucune observation à cet égard.

 

[14]    Les appels sont rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2002.

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mai 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           L'article 67.1 limite le montant déductible en vertu de l'alinéa 8(1)g) à 50 % du montant payé ou d'un montant raisonnable, le montant le moins élevé étant retenu.

[2]           [1974] R.C.S. 514, aux pages 523 et 524 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[3]           C.R.I., no 79‑1641, 13 octobre 1980, 80 DTC 1751.

[4]           Foster v. M.N.R., 83 DTC 620 (le juge Rip); Kraushar v. M.N.R., 86 DTC 1210 (le juge Bonner); MacDonald c. La Reine, C.C.I., no 95‑1584(IT)I, 21 septembre 1995, 1995 CarswellNat 2028 (le juge en chef adjoint Christie); Charboneau c. La Reine, C.C.I., no 94‑1554(IT)I, 23 janvier 1995, [1995] 2 C.T.C. 2017 (le juge en chef adjoint Christie).

[5]           Bell ExpressVu Limited Partnershi c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559.

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