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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2001-3428(IT)I

ENTRE :

BLAIR DIRK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

Appel entendu le 8 mars 2002, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

 

l'honorable juge A. A. Sarchuk

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :                Me Nadine Taylor

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté. 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2002.

 

 

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mai 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020525

Dossier: 2001-3428(IT)I

ENTRE :

BLAIR DIRK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sarchuk

 

[1]     L’appel en l'instance, interjeté par Blair Dirk, est à l’encontre d’une cotisation établie à son égard pour l’année d'imposition 1999, dans laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé la demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées. Le ministre fait valoir que l’appelant n’avait pas droit au crédit en vertu des paragraphes 118.3(1) et 118.4(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) parce que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne n’était pas limitée de façon marquée.

 

Contexte

 

[2]     En 1985, l’appelant, qui était à ce moment‑là au début de la vingtaine, a perdu son bras droit, lequel a été remplacé par une prothèse. L’appelant a eu de la difficulté à décrire les problèmes que sa déficience lui occasionne parce qu’il a appris à s’adapter et, ainsi qu’il l’a fait observer : [TRADUCTION] c’est assez difficile, parfois, de décrire les activités qui me causent des difficultés car je suis tellement habitué à les accomplir maintenant ». À titre d’exemple, il a mentionné les diverses manipulations que suppose la préparation d’un repas, le temps requis, ainsi que les difficultés que lui causent des tâches aussi élémentaires qu’ouvrir des pots et des boîtes de conserve, saisir des ustensiles et des casseroles, couper des aliments et même, à l’occasion, accomplir quelque chose d’aussi simple que beurrer une rôtie. Il a précisé que, pour accomplir une tâche comme ouvrir une boîte de conserve, il doit tenir un ouvre‑boîte avec sa prothèse. Cependant, «la préhension n’est pas assez forte et il arrive que ça […] ».

         

          [TRADUCTION]

 

Question :         Glisse?

 

Réponse :         Oui, que ça glisse et — il faut alors que je fasse plusieurs fois le tour.

 

Question :         Mais vous finissez par y arriver?

 

Réponse :         Oui, ah oui.

 

Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres d’un certain nombre d’activités liées à la préparation d’un repas que l’appelant accomplit péniblement. On peut comprendre qu’il avait de la difficulté à estimer combien de temps il lui fallait de plus pour hacher un oignon, préparer un sauté de poulet ou peler une pomme de terre — des questions qui semblaient toutes revêtir une grande importance pour le ministre. Quoi qu’il en soit, il est ressorti très clairement de son témoignage que, comparé à d’autres, l’appelant consacrait un temps excessif à la préparation d’un simple repas.

 

[3]     En ce qui concerne la capacité de s’habiller, l’avocate a demandé à nouveau à l’appelant d’établir une comparaison entre le temps qu’il met actuellement à s’habiller et le temps qu’il consacrait à cette activité il y 20 ans quand il avait encore son bras. Bien entendu, il a été incapable de répondre aux questions de l’avocate. Cependant, son témoignage a clairement permis d’établir le simple fait qu’il lui faut beaucoup plus de temps pour s’habiller. Il a décrit les difficultés que lui causaient tous les types de fermoirs, boutons, fermetures à glissière, crochets, les lacets, etc., qui nécessitent pour la plupart l’utilisation des deux mains. En ce qui concerne les fermetures à glissière, il a dit ceci : [TRADUCTION] « les fermetures à glissière me compliquent réellement l’existence parce qu’il faut en quelque sorte tenir la […] et la tirer vers le haut, et la prothèse ne peut pas réellement tenir le curseur de la fermeture à glissière »[1]. Il a essayé différentes techniques, mais il n’a pas réussi à en trouver une qui lui convenait, principalement parce qu’il est incapable d’articuler la prothèse de manière à l’amener assez près de son corps. Il a déclaré : [TRADUCTION] « Je ne suis pas capable de toucher mon visage avec le crochet ou de l’amener près de mon corps en raison du type de prothèse. C’est pourquoi je ne peux pas accomplir des tâches qui nécessitent l’utilisation de la prothèse près du corps. En réalité, c’est comme si j’avais juste une main. » Il y a un autre facteur qui complique encore davantage les choses pour l’appelant et c’est le fait qu’il était droitier à l’origine et qu’il est désormais obligé de se servir de sa main gauche pour accomplir de nombreuses tâches comme se brosser les dents. Même après 20 ans, il a toujours de la difficulté « parce que ce n’est pas ma main dominante ».

 

[4]     Les problèmes que l’appelant éprouve dans la vie quotidienne sont exacerbés par le fait qu’il ne peut pas porter la prothèse tout le temps. Cela arrive, a‑t‑il dit, lorsque des plaies se forment :

 

          [TRADUCTION]

 

au point de jonction du moignon et de l’emboîture, et lorsque ça arrive, je dois enlever ma prothèse et j’ai alors beaucoup de difficultés à accomplir toutes ces tâches. Vous savez, cela rend les choses, je dirais, je ne sais pas, dix fois plus difficiles que lorsque je porte ma prothèse. Ce n’est pas une situation exceptionnelle, ça se produit  « plus souvent l'été quand il fait chaud, à cause de la transpiration, qui semble aggraver le problème. »

 

L’appelant a aussi mentionné qu’il lui arrivait d’avoir des attaques de « douleurs illusionnelles », [TRADUCTION] « c’est comme si je recevais des chocs électriques. Et quand ça se produit, je ne peux pas porter la prothèse non plus. »

 

[5]     Depuis un certain nombre d’années, y compris l’année visée par l’appel, l’appelant travaille à son compte, exploitant une entreprise de messagerie et de livraison. À ce propos, il a indiqué que, pour être en mesure d'utiliser sa prothèse au travail, il évite de [TRADUCTION] « trop s’en servir afin d’être capable de la porter toute la journée, ce qui complique encore plus les tâches que j’ai à accomplir, parce que j’évite d’utiliser la prothèse ». J’ai supposé qu’il voulait dire que, pour pouvoir exécuter les fonctions de son emploi (car, en plus de conduire, il doit soulever et déplacer les colis et les autres articles à livrer), il doit nécessairement limiter l’utilisation de la prothèse à des fins personnelles.

 

[6]     L’article 118.4 définit la nature d’une déficience de la manière suivante :

 

118.4(1)           Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

 

 a)        […]

 

b)         la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

 

c)         […]

 

Dans l'arrêt Johnston c. La Reine[2], le juge Letourneau a formulé les observations suivantes au sujet de cette disposition :

 

On n'a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne.  À mon avis, l'expression « temps excessif » renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé.  Il implique une différence marquée d'avec ce que l'on considère normal.

 

L'objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l'aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l'arrêt Radage v. R, à la p. 2528 :

 

L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

 

Le juge poursuit à la p. 2529 en faisant la remarque suivante, à laquelle je souscris :

 

Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

 

En effet, même si elles ne s'appliquent qu'aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci.

 

Je suis convaincu que la preuve produite dans le cadre des appels en l’instance satisfait au critère énoncé dans l’affaire Johnston, précitée. Il est incontestable que la capacité de l’appelant d’accomplir la tâche essentielle de s’habiller et de s’occuper de son hygiène personnelle lui prend un temps excessif quand on établit un comparaison raisonnable avec une situation « normale ». J’arrive à la même conclusion en ce qui concerne le temps requis pour préparer ses repas et se nourrir. Je fais également observer que, lorsqu’il ne peut pas porter sa prothèse parce qu’elle lui cause de l’inconfort ou lui fait mal, sa capacité d’accomplir ces tâches par ailleurs assez simples serait limitée de façon marquée.

 

[7]     Les choses ne s’arrêtent cependant pas là étant donné que, pour avoir droit au crédit, il est nécessaire de soumettre un certificat pour crédit d’impôt pour personnes handicapées dûment rempli. En l’espèce, l’appelant a produit en preuve le certificat partiellement rempli par le Dr M. Gordon qui avait été soumis au ministre[3]. Au paragraphe 6, sous la rubrique Se nourrir et s’habiller du certificat, on pose deux questions. À la question : « Votre patient peut‑il se nourrir lui‑même, à l’aide d’un appareil si nécessaire? », et à la question : « Votre patient peut-il s'habiller lui-même, à l'aide d'un appareil si nécessaire? », le Dr Gordon a répondu « oui » et « voir ci‑après ». À la question 9 : « La déficience est‑elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l’activité essentielle de la vie quotidienne même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie? », le Dr Gordon a répondu ce qui suit :

 

          [TRADUCTION]

 

la capacité est limitée, ça lui prend plus de temps que la moyenne pour faire sa toilette et s’habiller ? suffisamment limitée pour le rendre admissible — il vous appartient de décider,

 

mais il n’a pas coché la case appropriée.

 

[8]     Selon l’appelant, le médecin :

         

          [TRADUCTION]

 

m’a dit qu’il ne voulait vraiment pas le remplir parce que, a‑t‑il dit, selon lui, il faut être aveugle, en fauteuil roulant ou confiné à un lit pour être admissible. […] Donc, il remplit le formulaire pour moi et laisse, je veux dire, une case en blanc pour que Revenu Canada prenne la décision, laquelle m’est défavorable en bout de ligne parce qu’il n’a pas coché la case où il devait indiquer si, selon lui, la déficience est suffisamment grave ou non.

 

Je comprends que le Dr Gordon puisse avoir trouvé difficile de remplir le formulaire requis et de répondre à la question. Or, à cause de son refus, il a été impossible de se prononcer sur la demande de l’appelant au fond. Nul ne niera que le libellé des questions formulées par le législateur est une source de problèmes, mais, à mon sens, cela n’excuse pas la conduite du médecin. Il lui appartenait de poser suffisamment de questions au patient pour déterminer s’il devait répondre aux questions par l’affirmative ou la négative. Si, à l’issue de cet examen, il n’était pas disposé à remplir le certificat, il aurait dû en aviser le patient et lui permettre d’obtenir une seconde opinion.

 

[9]     Dans deux affaires récentes, MacIsaac c. Canada et Morrison c. Canada[4], la Cour d’appel fédérale a été appelée à se pencher sur les renseignements à fournir dans les formulaires T2201 que doivent remplir les médecins des demandeurs et elle a formulé les observations suivantes :

 

… Le paragraphe (sic) 118.3(1)a.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas simplement indicatif. Il s'agit d'une disposition impérative. Dit simplement, selon le libellé de ces dispositions, il doit y avoir une attestation faite par un médecin qui indique que l'individu souffre de déficiences. Notre Cour a rendu une décision dans le même sens dans l'affaire Partanen c. Canada, [1999] A.C.F. no 751, et nous nous estimons liés par cette décision.

 

Il n'est pas évident que de poser les questions telles qu'elles le sont dans le formulaire amène le médecin à faire un examen approfondi des questions auxquelles il fait face.  Cocher des cases n'est peut-être pas la meilleure façon d'obtenir un résultat juste.  Néanmoins, la Loi exige de telles attestations et en fait une condition préalable pour l'obtention de crédits d'impôt pour déficience.

 

[10]    Vu que le Dr Gordon n'a pas rempli le certificat pour le crédit pour personnes handicapées comme il se devait, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel de l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2002.

 

 

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mai 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Mots manquant dans la transcription anglaise.

[2]           C.A.F., no A-347-97, le 6 février 1998 (98 DTC 6169).

[3]           A-2.

[4]           [1999] A.C.F. 1898.

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