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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2001-4502(IT)I

ENTRE :

 

THOMAS BODANIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appels entendus le 22 avril 2002, à Toronto (Ontario), par

 

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocate de l’intimée :                Me Brianna Caryll

 

JUGEMENT

 

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de permettre la déduction des pertes qui découlent de l'entreprise de musique.

 

L'appelant a droit à ses frais, s'il en est, conformément au tarif.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour d'avril 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020514

Dossier: 2001-4502(IT)I

 

ENTRE :

 

THOMAS BODANIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman

 

[1]     Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999. La question est de savoir si l’appelant, qui est un musicien professionnel, peut déduire les pertes qu’il a engagées dans le cadre de l’exploitation de son entreprise à titre de musicien et de compositeur. Les pertes ont été rejetées au motif qu’il s’agissait de dépenses personnelles ou de frais de subsistance qui n’ont pas été engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien et que l’entreprise n’avait pas une attente raisonnable de profit.

 

[2]     M. Bodanis a travaillé comme appréciateur et inspecteur des douanes pour Revenu Canada jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 1986, année au cours de laquelle il a enregistré son entreprise à titre d’artiste de spectacle. Il a passé deux années et demie à l’école de musique The Juilliard School à New York. Il avait un groupe appelé The Bodanis Group et a joué à l’occasion de nombreuses réceptions dans la région de Toronto. Il fait partie de la Toronto Musicians’ Association, qui est une section locale de l’American Federation of Musicians. Il est membre de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN). Il a produit des cassettes de musique et prépare actuellement un disque compact de musique macédonienne. Il possède un grand studio d’enregistrement dans son sous-sol. Depuis 1987, il a fait beaucoup de publicité pour son groupe en distribuant des brochures et d’autres types d’annonces.

 

[3]     Depuis qu’il a pris sa retraite, il a consacré toute sa vie à la musique, qui constitue une occupation à temps plein pour lui. Dans la mesure où cette activité doit être décrite comme une entreprise, il m’apparaît important de préciser en quoi consiste celle-ci. Dans le cas de M. Bodanis, elle comporte plusieurs aspects. En plus de jouer de différents instruments (le saxophone, la clarinette et le piano), il fait des arrangements, il compose et il dirige un groupe.

 

[4]     M. Bodanis et son groupe étaient un peu plus actifs au début des années 1990 qu’ils le sont aujourd’hui. Néanmoins, l’appelant n’a pas connu un grand succès. L’alinéa 7c) des hypothèses de la réponse fait état du revenu qu’il a gagné ainsi que des frais et pertes qu’il a engagés de 1987 à 1999 :

 

[TRADUCTION]

c)         pour les années d’imposition allant de 1987 à 1999, l’appelant a déclaré les pertes et les revenus, frais et bénéfices (pertes) suivants à l’égard de l’entreprise :

 

Année             Revenus                    Frais                 Pertes

 

1987                            4 496 $                  14 470 $                  (9 974 $)

1988                            3 324 $                  15 317 $                (11 993 $)

1989                            3 832 $                  17 195 $                (13 363 $)

1990                            4 015 $                  18 192 $                (14 897 $)

1991                            1 865 $                  13 974 $                (12 109 $)

1992                            2 730 $                  15 719 $                (12 989 $)

1993                            2 272 $                  15 195 $                (12 923 $)

1994                            2 770 $                  15 279 $                (12 509 $)

1995                            3 395 $                  16 546 $                (13 151 $)

1996                            2 670 $                  13 775 $                (11 105 $)

1997                            1 890 $                  15 503,13 $           (13 163,13 $)

1998                            2 850 $                  15 132,82 $           (12 182,82 $)

1999                            1 755 $                  13 923,59 $(12 168,59 $)

 

[5]     La déduction des pertes a été autorisée jusqu’en 1996, mais elle a été refusée pour les années 1997, 1998 et 1999, au cours desquelles l’appelant n’a eu que cinq contrats par année, d’après les indications de l’intimée.

 

[6]     Il est important de souligner dès le départ que l’exploitation d’une entreprise à titre de musicien, d’interprète, d’arrangeur et de compositeur ne se limite pas seulement aux personnes qui peuvent le faire avec succès. Nombreux sont ceux qui oeuvrent dans le domaine des arts et du spectacle sans connaître le succès ou qui doivent attendre plusieurs années avant que leur travail soit connu et reconnu. Un bon exemple à cet égard est la situation examinée dans Leblanc c. Canada, [2002] A.C.I. n° 70, où un compositeur et musicien s’était vu refuser une série de pertes qu’il avait déduites. Accueillant l’appel, j’ai cité la décision rendue dans Donyina c. R., C.C.I., no 2001-934(IT)I, 9 juillet 2001, ([2001] 3 C.T.C. 2741), où j’ai résumé la règle de droit qui, à mon avis, s’applique au sujet de l’attente raisonnable de profit. Il faut espérer que la Cour suprême du Canada donnera des éclaircissements au sujet de cet aspect nébuleux dans les décisions qu’elle rendra dans les affaires Walls et Stewart.

 

[7]     Dans l’affaire Donyina, j’ai formulé les commentaires suivants :

 

[8]        Le principe de l'attente raisonnable de profit a évolué. Pendant un certain temps après l'affaire Moldowan, les répartiteurs de l'impôt ont, avec ferveur, refusé des pertes qu'ils considéraient rétrospectivement comme résultant d'une activité exercée sans attente raisonnable de profit. Leur ferveur a été beaucoup tempérée par des jugements comme Tonn c. La Reine, [1996] 2. C.F. 73 (96 D.T.C. 6001); P.G. du Canada c. Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (97 D.T.C. 5420); Mohammad c. La Reine, C.A.F., no A-652-96, 28 juillet 1997 (97 D.T.C. 5503); Kuhlmann c. La Reine, C.A.F., nA-981-96, 30 octobre 1998 (98 D.T.C. 6652); Walls c. La Reine, C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 (2000 D.T.C. 6025) (en appel devant la C.S.C.); Milewski c. La Reine, C.C.I., n97-3096(IT)G, 12 août 1999 (99 D.T.C. 968) (confirmé par C.A.F., no A-596-99, 26 septembre 2000 (2000 D.T.C. 6559)) Kaye c. La Reine , C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998 (98 D.T.C. 1659); Costello c. La Reine, C.C.I., no 97-407(IT)I, 8 janvier 1998 (98 D.T.C. 1362); Smith c. La Reine, C.C.I., no 92-604(IT)G, 20 octobre 1995 (96 D.T.C. 1886); Saunders c. R., C.C.I., no 96-1999(IT)I, 5 février 1998 ([1998] 2 C.T.C. 3196), et Roopchan c. La Reine, C.C.I., no 94-2533(IT)I, 12 avril 1995 (96 D.T.C. 1338), ainsi que par des décisions antérieures de notre cour : Bélec c. La Reine, C.C.I., no 93-3443(IT)I, 5 août 1994 (95 D.T.C. 121); Nichol c. La Reine, C.C.I., no 91-2094(IT)G, 9 septembre 1993 (93 D.T.C. 1216), et N. Cipollone c. La Reine, C.C.I., no 94-54(IT)I, 24 août 1994 ([1995] 1 C.T.C. 2598). Le plus récent jugement sur cette question est Keeping c. La Reine, C.A.F., n° A‑372-99, 4 février 2001 (2001 F.C.A. 182).

 

[9]        Je ne vais pas citer ces jugements ni les analyser en long et en large. Je pense qu'il suffit de résumer certains des principes qu'ils semblent établir.

 

1.         En l'absence d'un élément personnel, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec modération (Tonn, Keeping, Bélec et Walls). L'absence d'un élément personnel n'établit pas définitivement que le principe de l'attente raisonnable de profit ne peut être invoqué, mais une telle absence est un facteur qui a beaucoup de poids (Mastri).

 

2.         Le ministre ou le tribunal ne doit pas rétrospectivement porter un jugement sur le sens des affaires d'un contribuable qui s'est lancé de bonne foi dans une entreprise commerciale (Keeping, Tonn, Nichol, Kuhlmann, Bélec et Smith).

 

3.         Le fait qu'une entreprise ou qu'un bien soit financé à 100 p. 100 n'est pas en soi une raison pour appliquer le principe de l'attente raisonnable de profit (Milewski, Mohammad et Saunders).

 

4.         Il faut laisser au contribuable une période de temps raisonnable aux fins de l'établissement de l'entreprise (Keeping). Une telle période variera selon les circonstances et pourra bien être longue (Milewski).

 

5.         Le principe de l'attente raisonnable de profit ne doit pas être invoqué en remplacement d'une analyse. Avant d'invoquer ce principe, le répartiteur de l'impôt doit examiner les dépenses pour déterminer si elles sont raisonnables ou si, pour une autre raison, elles ne sont pas déductibles (Smith, Costello et Cipollone).

 

6.         Une attente de profit irrationnelle, absurde et ridicule n'est pas une attente raisonnable (Kuhlmann).

 

7.         Le fait qu'un investissement ou une entreprise soit en partie motivé par des considérations fiscales n'est pas pertinent quant à savoir s'il existe une entreprise et, en soi, une motivation fiscale n'est pas pertinente dans la détermination de la déductibilité de dépenses si une entreprise existe (Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 D.T.C. 6305), à moins évidemment que le ministre ne choisisse d'invoquer la règle générale anti-évitement prévue à l'article 245, auquel cas la situation est fondamentalement différente.

 

8.         Lorsque des pertes ont été déclarées, puis refusées, la première question est de savoir s'il s'agit de "frais personnels ou de subsistance", dont la définition législative inclut le critère de l'attente raisonnable de profit. Dans la négative, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec un soin extrême et il faut alors déterminer s'il y a une entreprise. L'existence d'une attente raisonnable de profit n'est qu'un facteur dans cette détermination (Kaye).

 

9.         La question du caractère raisonnable de dépenses se pose dans le contexte d'une entreprise existante - l'article 67 interdit la déduction de dépenses qui ne sont pas raisonnables - ainsi qu'à l'étape initiale consistant à déterminer s'il y a une entreprise (Kaye).

 

10.       Si ce qui est manifestement un bien locatif a été acquis et détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et qu'il était raisonnable de s'attendre à en tirer un profit à la revente, les pertes (soit les frais de possession engagés moins les loyers reçus) ne doivent pas être refusées selon le principe de l'attente raisonnable de profit (Roopchan). Le tribunal doit toutefois examiner avec soin une déclaration a posteriori selon laquelle un bien détenu à perte pendant un certain nombre d'années fait partie d'une opération spéculative motivée par une revente à profit. Ce n'est pas quelque chose que l'on s'attendrait qu'une personne admette facilement si le bien a été vendu à profit.

 

11.       Si le contribuable a plusieurs biens locatifs et que certains donnent lieu à un profit, tandis que d'autres donnent lieu à une perte, il ne convient pas d'appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit aux biens donnant lieu à une perte et de faire fi des biens donnant lieu à un profit. L'investissement doit être examiné dans son ensemble (Smith).

 

12.       Les décisions quant à savoir quand lancer une entreprise et quand l'abandonner sont des décisions d'ordre commercial dans lesquelles ni les autorités fiscales ni le tribunal ne doivent intervenir (Nichol). Néanmoins, si des pertes continuent d'être subies année après année pendant une période excessive, il faut tôt ou tard appliquer le principe selon lequel "trop, c'est trop" et considérer que ce qui pourrait avoir été une entreprise viable s'est révélé avec le temps un cas désespéré et que la meilleure chose à faire de cette entreprise est d'y mettre fin convenablement. Il faut toutefois considérer avec beaucoup de respect la décision d'un homme d'affaires de maintenir une entreprise.

 

[8]     Dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998, aux pages 2 et 3 (98 DTC 1659, à la page 1660), les commentaires suivants ont été formulés au sujet de l’utilisation des mots « attente raisonnable de profit » :

 

            [4]        Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : "Y a-t-il une entreprise véritable?" C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

 

            [5]        On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : "Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise?" Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

 

            [6]        Cela mène à une autre considération - , soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

 

            [7]        En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l'ensemble des facteurs, en accordant à chacun l'importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l'imagination de l'entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

 

[9]     Dans l'affaire Tramble c. R., C.C.I., no 2001-639(IT)I, 3 août 2001, ([2001] 4 C.T.C. 2160), j’ai examiné le cas d’une artiste dont les pertes avaient été refusées. Accueillant son appel, j’ai cité le dernier paragraphe reproduit plus haut de la décision Donyina et j’ai ajouté ce qui suit :

 

[6]      Cet énoncé est probablement assez pertinent en soi pour servir de ligne directrice dans la pratique – je n'avais certes pas l'intention d'en faire un principe de droit –, mais il convient de l'appliquer avec précaution et de tenir compte de la nature de l'entreprise dont il est question. La personne qui exerce des activités artistiques doit parfois y consacrer sa vie entière avant de devenir un artiste réputé. Nous avons tous entendu parler d'artistes et de compositeurs qui sont morts sans le sou et dont l'œuvre n’a été reconnue par les générations suivantes que longtemps après qu'ils ont quitté ce monde.

 

 

[10]    Dans cette affaire, j’ai cité aux pages 3 à 5 (CTC, aux pages 2162 à 2164), de longs extraits du Bulletin d’interprétation IT-504R2. Ces observations s’appliquent également aux compositeurs :

 

4.         [...]

 

Étant donné la nature de l'art et de la littérature, il peut s'écouler un temps considérable avant qu'un artiste ou un écrivain s'établisse et réalise des bénéfices. Bien que la question de l'existence d'une attente raisonnable de profit soit pertinente lors de la détermination de la déductibilité des pertes, dans le cas des artistes et des écrivains, on reconnaît qu'une période plus longue puisse être nécessaire pour établir qu'il existe effectivement une attente raisonnable de profit.

 

5.         Les éléments pris en considération par le Ministère pour déterminer s'il y a une attente raisonnable de profit comprennent les suivants :

a)                  le temps consacré aux entreprises artistiques ou littéraires;

b)         la mesure dans laquelle l'artiste ou l'écrivain a présenté ses œuvres lors de lancements publics ou privés, y compris, mais non exclusivement, des expositions, des publications et des séances de lecture, selon la nature du travail;

c)         la mesure dans laquelle l'artiste est représenté par un négociant en œuvres d'art ou un agent et l'écrivain, par un éditeur ou un agent;

d)         le temps consacré à la promotion et à la commercialisation des œuvres de l'artiste ou de l'écrivain, et le genre d'activités qui s'y rapportent normalement;

e)         le montant du revenu reçu se rapportant au travail même de l'artiste ou de l'écrivain, y compris, mais non exclusivement, le revenu provenant des ventes, des commissions, des redevances, des droits, des subventions et des récompenses, qui peut raisonnablement être incluse (sic) dans le revenu d'entreprise;

f)          l'historique du dossier, couvrant un bon nombre d'années, des pertes et des bénéfices annuels reliés à l'exploitation de ses œuvres par l'artiste ou l'écrivain;

g)         la variation, sur une période de temps, de la valeur ou de la popularité des œuvres de l'artiste ou de l'écrivain;

h)         le genre de dépenses déduites et leur rapport avec les entreprises de l'artiste ou de l'écrivain (p. ex., dans le cas d'un écrivain, il y aurait une indication claire de l'existence d'une activité commerciale si une partie importante des dépenses était consacrée à la recherche);

i)          les compétences de l'artiste ou de l'écrivain dans son domaine respectif, démontrées par ses études et reconnues du public et de ses pairs par des distinctions honorifiques, des récompenses, des prix et des critiques;

j)          l'adhésion à une association professionnelle d'artistes ou d'écrivains qui est réservée à certains membres ou à certaines catégories de membres selon des normes établies par cette association;

k)         l'importance du revenu brut que l'artiste ou l'écrivain tire de l'exploitation de ses œuvres et la croissance de ce revenu brut au cours des années; l'examen de ce facteur doit tenir compte des influences externes comme la conjoncture économique, l'évolution des goûts du public, etc., qui peuvent influencer la vente des œuvres artistiques ou littéraires;

l)          la nature des travaux littéraires entrepris par l'écrivain; on considère qu'une œuvre littéraire comme un roman, un poème, une nouvelle ou toute œuvre non fictive rédigée pour la vente générale ou la vente par l'intermédiaire d'un syndicat de distribution offre normalement une meilleure perspective de profit qu'un travail entrepris en vue d'une distribution limitée.

 

6.         Aucun des éléments mentionnés au numéro 5 ci-dessus n'est plus important qu'un autre, ni ne détermine en lui-même si une activité constitue une entreprise qui est exploitée en vue de réaliser des bénéfices ou qui présente une attente raisonnable de profit. Tous les critères pertinents sont considérés au moment de la détermination, et le défaut de satisfaire à un critère particulier n'empêche pas les activités artistiques ou littéraires du contribuable d'être considérées comme une entreprise.

 

7.         Il est possible qu'un artiste ou un écrivain ne réalise pas de bénéfices durant sa vie, mais que son travail présente quand même une attente raisonnable de profit. Toutefois, pour présenter une « attente raisonnable de profit », les entreprises artistiques ou littéraires, selon le cas, doivent être exercées de manière à pouvoir, selon les éléments énumérés au numéro 5 ci-dessus, être considérées, aux fins de l'impôt sur le revenu, comme l'exploitation d'une entreprise plutôt que comme un passe-temps.

 

[8]        La personne qui a rédigé ces commentaires a fait preuve d'une grande sensibilité au sujet de la nature de l'activité artistique, et elle nous rappelle également la pertinence de cet aphorisme : ars longa vita brevis, « l’art est long, la vie est courte ». Les bulletins d'interprétation n'ont pas force de loi et ne lient pas la cour, mais le bulletin en question est pertinent, et l'appelante satisfait pour l'essentiel aux critères qui y sont formulés.

 

[11]    La question se résume à la suivante : l’activité de M. Bodanis est-elle une entreprise ou un passe-temps? Il s’agit certainement d’une activité qu’il exerce avec passion, mais elle n’en demeure pas moins une entreprise. De par sa nature, l’activité artistique est empreinte de passion. (Voir également Jacks c. Canada, [2000] A.C.I. no 830, décision de la juge Campbell, de la C.C.I., et Jandrisits c. Canada, [1998] A.C.I. no 80.)

 

[12]    La Couronne semble fonder sa cause sur la présomption selon laquelle, même si M. Bodanis a peut-être exploité une entreprise au cours des premières années, l’activité en question a cessé d’être une entreprise en 1997. Je ne crois pas que la preuve justifie cette conclusion. M. Bodanis a tenu des livres préparés avec soin et je reconnais que les montants dépensés l’ont été en rapport avec l’entreprise. Il n’est nullement allégué que les montants ne sont pas raisonnables.

 

[13]    L’intimée a présenté des tableaux de frais qui ont été refusés. Je ne suis pas disposé à reconnaître que les frais que M. Bodanis a déclarés devraient être refusés pour la simple raison qu'il ne m’a pas fourni des montagnes de reçus. Ses registres suffisent en soi pour établir les dépenses.

 

[14]    Toutes les affaires que la Cour canadienne de l’impôt a entendues au sujet de l’attente raisonnable de profit doivent être tranchées en fonction des faits qui leur sont propres. Dans la présente affaire, l’attente de profit de M. Bodanis n’était nullement « irrationnelle, absurde ou ridicule ». Il n’appartient pas à la Cour ou au ministre de critiquer le jugement commercial de M. Bodanis ou de lui dire qu’il devrait mettre fin à son entreprise. L’application des principes directeurs énoncés dans l’affaire Donyina indique clairement que la situation de M. Bodanis appartient à la catégorie des cas où une entreprise est exploitée. Les affaires concernant les musiciens sont particulièrement difficiles à trancher pour deux ou trois raisons. D’abord, il est toujours possible qu’un élément personnel soit en jeu en raison de la nature même de l’activité artistique. Tel qu’il est mentionné ci-dessus, ce facteur n’est pas fatal. Le fait qu’une personne tire un certain plaisir de son travail n’empêche pas celui-ci d’être une entreprise. Néanmoins, la possibilité que l’activité soit surtout un loisir personnel est un facteur dont la Cour doit être consciente et qui s’ajoute aux difficultés liées à l’examen de ce genre de situation. En deuxième lieu, comme je l’ai mentionné dans l’affaire Leblanc, l’industrie de la musique traverse une période difficile au Canada. À côté de chaque artiste, musicien ou compositeur qui gagne beaucoup d’argent, nombreux sont ceux qui peuvent à peine subvenir à leurs besoins ou doivent se trouver d’autres formes de travail pour soutenir leurs activités musicales. À mon avis, la Cour devrait examiner très soigneusement les appels interjetés par les musiciens qui ne sont pas chanceux ou qui souffrent des problèmes actuels que connaît l’industrie de la musique.

 

[15]    J’estime que M. Bodanis exploitait une entreprise en 1997, 1998 et 1999 et que les pertes sont déductibles.

 

[16]    Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national afin de permettre la déduction des pertes qui découlent de l'entreprise de musique.

 

[17]    L'appelant a droit à ses frais, s'il en est, conformément au tarif.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour d'avril 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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