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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-489(IT)G

ENTRE :

 

GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu les 21 et 22 mars 2001, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions

 

Avocats de l'appelante :             Me Joseph Steiner et Me Al Meghji

Avocats de l'intimée :                Me Kathryn Philpott et Me Jag Gill

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1989 est rejeté, avec dépens.

 


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 2002.

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020417

Dossier: 1999-489(IT)G

 

ENTRE :

 

GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1989. La question en litige est restreinte en ce qu’elle dépend entièrement du sens à attribuer à une disposition transitoire figurant dans C.P. 1989‑2464 (DORS/90‑22), qui a apporté une modification au paragraphe 1100(2) du Règlement de l’impôt sur le revenu. Cette modification a étendu la « règle de la demi‑année » à des biens de la catégorie 12, pour les années d’imposition se terminant après 1987. Elle incluait toutefois une disposition transitoire par laquelle certains biens faisaient l'objet de droits acquis. L’appelante soutient qu’elle peut se prévaloir de cette disposition relative aux droits acquis. Cette disposition se lit comme suit :

24(2)    Subsection 1(6) is applicable in respect of property acquired by a taxpayer after 1987 other than property acquired by the taxpayer before 1990

 

     (a)            pursuant to an obligation in writing entered into by the taxpayer before June 18, 1987,

 

 

     (b)         that was under construction by or on behalf of the taxpayer on June 18, 1987, or

 

     (c)      that is a fixed and integral part of property under construction by or on behalf of the taxpayer on June 18, 1987.

 

 

24(2)     Le paragraphe 1(6) s'applique aux biens acquis par un contribuable après 1987, à l'exclusion de ceux qu'il a acquis avant 1990 et, selon le cas:

 

a)   qui ont été acquis conformément à une obligation écrite contractée par le contribuable avant le 18 juin 1987;

 

 

b)    dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987;

 

c)    qui sont une partie fixe et intégrante d'un bien dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987.

[2]     Les faits donnant lieu à l’appel ne sont pas contestés. L’appelante (« GMCL ») est une filiale en propriété exclusive de General Motors Corporation (« GMC »), société ouverte constituée aux États‑Unis. GMC est une vaste société, qui comporte diverses divisions, chacune ayant ses propres lignes de produits. Quoique GMCL soit une personne morale distincte, elle est traitée aux fins de la gestion interne comme si elle était une division de GMC. GMC, par l’intermédiaire de diverses divisions, et GMCL œuvrent dans le domaine de la fabrication et de la vente de véhicules automobiles. Depuis des années, le Canada et les États‑Unis forment un marché commun de l’automobile. Les diverses lignes de produits des sociétés sont fabriquées dans un certain nombre d’usines au Canada et aux États‑Unis, la production de chaque usine étant distribuée dans les deux pays. Ainsi, GMC et GMCL réalisent des économies d’échelle et s’assurent d’une uniformité sur le plan de la production.

[3]     La construction d’automobiles exige que de nombreuses pièces soient fabriquées, puis livrées aux usines pour être incorporées aux automobiles qui y sont assemblées. Certaines pièces sont fabriquées dans des usines de GMCL et de GMC situées un peu partout au Canada et aux États‑Unis. Bon nombre de pièces sont fabriquées par des fournisseurs sans lien de dépendance et vendues à GMCL et à GMC. Dans l’un ou l’autre cas, le processus de fabrication comporte l’utilisation de matrices et de moules pour le formage de pièces de métal et de plastique. Ces matrices et ces moules sont collectivement appelés l’« outillage spécial ». L’outillage spécial est acheté ou fabriqué par GMC ou l’une de ses filiales, et la propriété de cet outillage demeure invariablement au sein de l’organisation de General Motors, malgré le fait que, dans bien des cas, cet outillage est placé et utilisé dans l’usine d’un fournisseur de pièces indépendant. Avant 1987, GMCL utilisait dans ses usines d’assemblage certaines pièces fabriquées à l’aide de l’outillage spécial appartenant à GMC et elle payait GMC au prorata de l’utilisation de cet outillage. De même, GMC payait GMCL pour l’utilisation de l’outillage spécial qui appartenait à GMCL et qui servait à produire des pièces pour des usines de GMC. En décembre 1987, GMC et GMCL ont remplacé cet arrangement par une convention en vertu de laquelle chacune vendrait à l’autre un intérêt indivis dans son outillage spécial, à savoir des intérêts indivis proportionnels au nombre de pièces devant être produites pour chacune à l’aide de cet outillage. C’est à l’égard de l’intérêt de GMCL dans de l’outillage spécial d’abord acquis par GMC que l’appelante demande l’exemption prévue par la disposition relative aux droits acquis.

 

[4]     Au début des années 1980, GMC avait décidé de remplacer ses voitures « A » par une nouvelle ligne de voitures de série intermédiaire devant être produite pour les années-modèles 1988 et suivantes. Les premiers véhicules devaient être produits dans la seconde moitié de 1987. La conception et le développement de cette nouvelle ligne constituaient ce qui était appelé le projet GM‑10. En ce qui a trait au processus d’examen et d’approbation des dépenses en capital pour ce projet au sein de l’organisation de GMC et en ce qui a trait aux arrangements conclus entre GMC et GMCL concernant la propriété de l’outillage spécial et l’accès à cet outillage, les éléments de preuve sont bien résumés aux paragraphes 4 à 30 des observations écrites de l’appelante. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contesté, et je reproduis donc ici ces paragraphes dans leur intégralité.

 

[TRADUCTION]

a) Origines du projet GM‑10

 

4.         Le projet GM‑10 a été conçu au début des années 1980. General Motors Corporation (« GMC ») reconnaissait que les automobiles de série intermédiaire qu’elle produisait alors et qui étaient connues sous le nom de voitures « A » arrivaient à la fin de leur cycle de vie. Il fallait donc concevoir et développer une nouvelle génération de véhicules de série intermédiaire pour remplacer les voitures « A ». Telle était la mission du projet GM‑10.

 

5.         Les délais de mise en production d’un nouveau modèle de véhicule sont longs. Dans le cas du projet GM‑10, le processus de conception et de développement a commencé au début des années 1980 pour les nouveaux véhicules qui, comme prévu, ont commencé à sortir des usines d’assemblage dans la seconde moitié de 1987 pour l’année-modèle 1988.

 

6.         Les dépenses en capital requises pour concevoir et développer les nouveaux véhicules, rénover et construire des installations d’assemblage et de fabrication et acquérir l’outillage nécessaire concernant les ensembles et les composantes étaient de l’ordre de 8 milliards de dollars américains.

 

7.         Le projet GM‑10 lui‑même et les dépenses en capital importantes qu’il comportait ont été autorisés aux plus hauts niveaux de l’organisation de General Motors, c’est‑à‑dire par le conseil d’administration de GMC et / ou ses deux principaux comités permanents, soit le comité de direction et le comité des finances.

 

8.         Dès 1984 au moins, il avait été déterminé que deux des quatre modèles devant être produits dans le cadre du projet GM‑10 devaient être assemblés aux usines d’assemblage Oshawa 1 et Oshawa 2 de General Motors du Canada Limitée (« GMCL »).

 

b) Processus d’autorisation de dépenses en capital de General Motors

 

9.        Les dépenses en capital importantes devant être faites par une entité opérationnelle de l’organisation de General Motors doivent être examinées et approuvées aux niveaux supérieurs de la direction de General Motors. L’approbation finale de dépenses en capital importantes vient du comité des finances du conseil d’administration de GMC. Le comité des finances comprend le président de GMC, le premier vice‑président / directeur financier et d’autres administrateurs, c’est‑à‑dire à la fois des administrateurs internes (des membres de la haute direction de GMC) et des administrateurs externes.

 

10.       L’approbation effective d’une dépense en capital, par le comité des finances, signifie que GMC s’engage à assurer la disponibilité des fonds nécessaires et que l’entité opérationnelle ayant demandé et obtenu l’approbation s’engage à exécuter le projet tel qu’il a été approuvé.

 

11.       Le processus d’examen et d’approbation de dépenses en capital est enclenché par l’entité opérationnelle de General Motors qui cherche à obtenir l’approbation. Cette entité opérationnelle établit une demande d’autorisation qui indique d’une manière assez détaillée la nature, l’objet et les éléments de la dépense proposée et qui est étayée par les renseignements et documents appropriés. La demande d’autorisation passe ensuite par une série de niveaux d’examen et d’approbation, dont l’étendue dépend du montant demandé. Les demandes d’autorisation qui ont été consignées en preuve dans la présente instance avaient toutes reçu l’approbation finale du comité des finances du conseil d’administration de GMC.

 

12.       Une demande d’autorisation particulière d’une entité opérationnelle particulière de l’organisation de General Motors n’est pas présentée, examinée ou approuvée isolément. Elle représente une partie de la mise en œuvre d’une stratégie d’entreprise préalablement approuvée par le conseil d’administration ou le comité de direction de GMC. Ainsi, la personne responsable de l’entité opérationnelle s’exposerait à de lourdes conséquences, y compris le congédiement, s’il y avait manquement à l’obligation d’exécuter un projet en conformité avec une demande d’autorisation approuvée. Une annulation ou une modification importante d’un projet faisant l’objet d’une demande d’autorisation approuvée doit elle‑même être approuvée au niveau approprié de l’organisation de General Motors. Une telle annulation ou une telle modification importante ferait l'objet d'une autre demande d’autorisation qui serait assujettie à un examen et à une approbation d’une manière semblable et à des niveaux semblables dans l’organisation, comme dans le cas de la demande initiale.

 

c) Engagements de dépenses en capital pour la participation de GMCL au projet GM‑10

 

13.       Le processus d’approbation de dépenses en capital décrit dans les paragraphes suivants montre que GMCL s’était engagée à participer au projet GM‑10 dès 1984 au moins. En 1985, au plus tard, GMCL s’était engagée à rénover, reconfigurer et rééquiper les usines d’assemblage Oshawa 2 et Oshawa 1 pour que des automobiles GM‑10 puissent y être assemblées pour les années-modèles 1988 et 1989, respectivement, et les années suivantes.

 

14.       Le 17 février 1984, GMCL a fait une demande d’autorisation de 185,7 millions de dollars américains pour construire une nouvelle usine d’estampage devant produire des pièces en tôle (panneaux de portière, capots, etc.) et devant servir les deux usines d’assemblage d’Oshawa. Cette demande d’autorisation a été approuvée par le comité des finances de GMC le 2 juillet 1984.

 

15.       Dans un rapport au comité des finances en date du 17 août 1984, le président de GMC faisait état des dépenses en capital prévues concernant le projet GM‑10, qui étaient alors estimées à environ 6,9 milliards de dollars américains. Sur cette somme, environ 1 milliard de dollars américains devaient être dépensés en 1985, et 2,8 milliards de dollars américains au cours de chacune des années 1986 et 1987.

 

16.       Le 26 novembre 1984, le premier vice‑président / directeur financier de GMC a établi un rapport, à l’intention du comité des finances, demandant l’approbation d’une dépense de 444 millions de dollars américains pour fabriquer des matrices d’estampage, soit un type d’outillage, pour la production de carrosseries de voitures GM‑10 dans toutes les usines d’assemblage participant au projet GM‑10. Cette demande a été approuvée par le comité des finances le 3 décembre 1984.

 

17.       En octobre et décembre 1984 et en janvier 1985, GMCL et la division opérationnelle Chevrolet‑Pontiac‑Canada, dont faisait partie GMCL, ont fait quatre demandes d’autorisation concernant le projet GM‑10 :

 

            a)         une demande d’autorisation de 132,4 millions de dollars américains concernant l’établissement d’installations de fabrication de tôle aux usines d’Oshawa produisant des carrosseries de voitures;

 

            b)         une demande d’autorisation de 437,7 millions de dollars américains pour convertir l’usine d’assemblage Oshawa 2 — qui produisait alors des voitures « A » — aux fins des voitures GM‑10 devant être assemblées à partir de 1987 pour l’année-modèle 1988;

 

            c)         une demande d’autorisation de 351,6 millions de dollars américains pour convertir l’usine d’assemblage Oshawa 1 — qui produisait alors des voitures « A » — aux fins des voitures GM‑10 devant être assemblées à partir de 1988 pour l’année-modèle 1989;

 

            d)         une demande d’autorisation de 455,7 millions de dollars américains pour de l’outillage d’assemblage de carrosseries et de châssis pour la production de voitures GM‑10 dans un certain nombre d’usines d’assemblage, y compris Oshawa 2.

 

18.       Ces quatre demandes d’autorisation, représentant au total presque 1,4 milliard de dollars américains, ont été transmises au comité des finances avec un rapport du premier vice‑président / directeur financier en date du 28 janvier 1985. Elles ont été approuvées par le comité des finances le 4 février 1985.

 

19.       Le 26 avril 1985, le premier vice‑président / directeur financier de GMC a fait rapport au comité des finances sur une demande d’autorisation de 186 millions de dollars américains de la division Chevrolet‑Pontiac‑Canada pour de l’équipement et de l’outillage requis aux fins de la fabrication de panneaux de carrosseries de certains modèles 1988 des véhicules GM‑10 et pour de l’outillage devant être mis à la disposition de fournisseurs externes de composantes de carrosseries et de châssis. La demande d’autorisation a été approuvée par le comité des finances le 6 mai 1985. Dans cette demande, l’outillage représentait 131,2 millions de dollars américains.

 

20.       Le 21 août 1985, la division Chevrolet‑Pontiac‑Canada a fait une demande d’autorisation de 266,2 millions de dollars américains pour des installations et de l’outillage requis pour produire un des modèles GM‑10 de 1989 devant être assemblés à Oshawa. Dans cette demande, l’outillage représentait 191,6 millions de dollars américains. La demande a été présentée au comité des finances par le premier vice‑président / directeur financier de GMC le 30 septembre 1985 et elle a été approuvée par le comité des finances le 7 octobre 1985.

 

21.       Le 24 janvier 1986, le premier vice‑président / directeur financier de GMC a fait rapport au comité des finances sur des demandes d’autorisation de la division Fisher Guide de GMC et de la division Chevrolet‑Pontiac‑Canada, lesquelles demandes concernaient toutes les deux le projet GM‑10. Les demandes s’élevaient à 850,3 millions de dollars américains, dont 671,3 millions pour de l’outillage destiné aussi bien à des installations de General Motors qu’à des installations de fournisseurs externes de composantes. Les deux demandes ont été approuvées par le comité des finances le 3 février 1986.

 

d) Engagement de GMCL à assembler des véhicules GM‑10

 

22.       Au début de février 1985 (après l’approbation des demandes d’autorisation mentionnées aux paragraphes 17 à 21 ci‑devant), GMCL et la division Chevrolet‑Pontiac‑Canada avaient demandé et obtenu l’approbation de GMC — et avaient reçu les engagements de financement correspondants — pour vider complètement les usines d’assemblage Oshawa 1 et Oshawa 2, afin de les rénover, de les reconfigurer et de les rééquiper, et pour construire et équiper des installations connexes à Oshawa, notamment une nouvelle usine d’estampage et des installations de fabrication de tôle, en vue de l’assemblage des modèles particuliers de véhicules GM‑10 dont la production avait été confiée aux usines d’assemblage d’Oshawa.

 

23.       À ce stade, il n’était pas loisible à GMCL de décider qu’elle ne désirait pas procéder à l’assemblage des nouveaux modèles aux usines d’assemblage d’Oshawa. Si GMCL n’avait pas obtenu de GMC le mandat d’assembler les Buick Regal et Chevrolet Lumina à Oshawa et qu’elle n’avait pas exécuté ce mandat, les usines d’assemblage et installations de fabrication connexes d’Oshawa se seraient retrouvées à l’arrêt, après l’introduction des nouveaux véhicules de série intermédiaire résultant du projet GM‑10, et les employés qui y travaillaient auraient été mis à pied.

 

24.       Ainsi, au plus tard en février 1985, par suite de l’approbation, par le comité des finances de GMC, des demandes d’autorisation de GMCL et de la division Chevrolet‑Pontiac‑Canada, GMCL s’était engagée sans équivoque à assembler les modèles Chevrolet Lumina et Buick Regal aux usines d’assemblage Oshawa 2 et Oshawa 1 respectivement, d’abord pour les années-modèles 1988 et 1989 respectivement, la production devant commencer dans la seconde moitié de 1987 et de 1988 respectivement.

 

25.       La construction, la rénovation, la reconfiguration et le rééquipement des installations constituant l’Autoplex de GMCL ont commencé en 1984 et se sont poursuivis jusqu’en 1988, conformément aux calendriers de travail annexés aux demandes d’autorisation correspondantes.

 

e) Conséquences relatives à l’accès de GMCL à de l’outillage pour les composantes

 

26.       Pour que GMCL exécute le mandat qui lui avait été confié et qui consistait à assembler les modèles Chevrolet Lumina et Buick Regal, il lui fallait être assurée de la fourniture des composantes et sous‑ensembles qui entreraient dans les opérations d’assemblage devant être effectuées dans les usines d’assemblage d’Oshawa pour la production au Canada de véhicules finis.

 

27.       Tout comme ses opérations d’assemblage de véhicules, les opérations d’approvisionnement de General Motors en composantes et sous‑ensembles étaient et sont encore des opérations intégrées pour toute l’Amérique du Nord. Ainsi, des composantes particulières utilisées dans certains ou l’ensemble des modèles GM‑10 pouvaient être fabriquées par seulement un ou deux fournisseurs de composantes situés à un endroit quelconque en Amérique du Nord. Ces fournisseurs de composantes pouvaient être des divisions opérationnelles de General Motors, au Canada ou aux États‑Unis, ou il pouvait s’agir de fournisseurs externes non liés à l’organisation de General Motors. Dans l’un ou l’autre cas, l’outillage nécessaire pour la production des composantes appartient toujours à une entité de General Motors.

 

28.             Ainsi, concernant l’accès à de l’outillage pour les composantes, où qu’il se trouve, il fallait que GMCL ait le droit de faire en sorte que de l’outillage soit utilisé aux fins de la production des composantes et sous‑ensembles nécessaires pour l’assemblage dans les usines d’assemblage Oshawa 1 et Oshawa 2. Sans un tel droit, GMCL n’aurait pu respecter l’engagement qu’elle avait pris d’assembler au Canada les modèles Chevrolet Lumina et Buick Regal des nouveaux véhicules GM‑10.

 

29.       À partir du début du projet GM‑10, l’outillage nécessaire a été conçu et fabriqué pour répondre aux besoins de GMCL, ainsi qu’aux besoins des installations américaines d’assemblage et de fabrication participant à la production des modèles de véhicule issus du projet GM‑10.

 

30.       Par une lettre d’entente, signée par GMCL le 11 décembre 1987 et par GMC le 23 décembre 1987, GMCL et GMC ont convenu que chacune acquerrait de l’autre un intérêt indivis dans de l’outillage spécial d’abord acheté par l’autre, un tel intérêt indivis devant être proportionnel au nombre de pièces produites à l’aide de l’outillage particulier devant être acheté par la partie acquérant l’intérêt indivis. GMCL et GMC ont en outre convenu que chacune serait en droit d’utiliser l’intérêt indivis de l’autre dans un tel outillage.

 

[5]     Les hypothèses de fait sous‑jacentes à la cotisation figurent au paragraphe 8 de la réponse à l’avis d’appel. Sur les 27 alinéas de ce paragraphe, certains sont redondants, et bon nombre représentent en totalité ou en grande partie des conclusions de droit. Les hypothèses de fait suivantes n’ont toutefois pas été démolies par la preuve :

 

[TRADUCTION]

 

8.         En établissant cette cotisation à l’égard de l’appelante, le ministre s’est fondé notamment sur les hypothèses suivantes :

 

a)         l’appelante est une filiale canadienne de GMC, société américaine;

 

b)         les deux sociétés avaient entre elles un lien de dépendance;

 

c)         avant le 11 décembre 1987, GMC avait acquis et développé de l’outillage spécial, qui était situé aux États‑Unis et dont elle était propriétaire (l’« outillage de GMC »), et l’appelante avait acquis et développé de l’outillage spécial, qui était situé au Canada et dont elle était propriétaire (l’« outillage de GM Canada »);

 

d)         l’outillage spécial consiste dans les pièces d’une machine servant à des opérations de découpage ou de formage;

 

e)         comme l’appelante n’était pas propriétaire de l’outillage de GMC, situé aux États‑Unis, GMC attribuait à l’appelante une partie du coût basée sur l’usage prévu de l’outillage situé aux États‑Unis et calculée selon le nombre de pièces que l’outillage servirait à produire pour l’appelante par rapport au nombre total de pièces devant être produites à l'aide de cet outillage pendant sa durée utile;

 

f)          en 1987, une partie du coût de l'outillage de 1987 de GMC a été attribuée à l’appelante selon la formule décrite à l’alinéa 8e) ci‑devant;

 

g)         aux fins comptables, l’attribution relative à l’outillage fourni à l’appelante était traitée comme un coût permanent et était amortie sur la durée de vie du modèle selon la production annuelle provenant de cet outillage (environ quatre ans d’habitude);

 

h)         de même, aux fins de l’impôt, l’appelante déduisait lors du calcul de son revenu les sommes ainsi engagées, ce qui résultait en une déduction de sa part de frais sur la durée de vie de l’outillage (généralement quatre ans). Cette méthode a été systématiquement suivie par l’appelante et sa société mère jusqu’au 11 décembre 1987;

 

i)          cette méthode suivie aussi bien pour les fins comptables que pour les fins de l’impôt se reflétait dans le projet GM‑10, qui a commencé au début de 1984 et auquel GMC et l’appelante participaient;

 

j)          dans le projet GM‑10, il était convenu que GMC fabriquerait l’Oldsmobile Cutlass Supreme et la Pontiac Grand Prix et que l’appelante fabriquerait la Buick Regal et la Chevrolet Lumina, chaque société devant être propriétaire de son propre outillage et devant en attribuer une partie du coût à l’autre selon la méthode décrite à l’alinéa 8e) ci‑devant;

 

k)         avant le 11 décembre 1987, GMC a continué à acquérir et développer de l’outillage, dont elle était propriétaire (l’outillage de GMC), et l’appelante a continué à acquérir et développer de l’outillage, dont elle était propriétaire (l’outillage de GM Canada);

 

l)          avant le 11 décembre 1987, GMC n’a pas acquis un intérêt dans l’outillage de GM Canada, et l’appelante n’a pas acquis un intérêt dans l’outillage de GMC;

 

m)        comme participante au projet GM‑10 tel qu’il avait été structuré, l’appelante n’avait pas été obligée d’acquérir — et n’avait pas acquis — un intérêt dans l’outillage ou un bien quelconque de GMC; aucun élément n’était mentionné ou spécifié comme étant assujetti à un achat, il n’y avait aucune convention d’achat‑vente concernant les biens en cause, et l’appelante n’avait aucun intérêt enregistré dans les biens en cause ou aucune responsabilité comme propriétaire;

 

n)         dans le projet GM‑10 tel qu’il avait été structuré, l’appelante n’avait pas été tenue de contracter — et n’avait pas contracté — une obligation, écrite ou non, d'acquérir un intérêt dans l’outillage ou un actif ou bien quelconque de GMC;

[...]

 

p)         par une lettre en date du 11 décembre 1987, l’appelante et sa société mère ont convenu que chaque partie ayant initialement acheté de l’outillage spécial vendrait à l’autre partie « un intérêt indivis dans cet outillage, déterminé par le pourcentage que le nombre de pièces devant être fabriqué à l’aide de cet outillage et vendu à l’autre partie représenterait par rapport au nombre total de pièces devant être fabriqué à l’aide de cet outillage »;

[...]

 

r)          pour les années-modèles 1988 et suivantes, l’appelante a accepté d’acheter un intérêt indivis dans l’outillage de GMC situé aux États‑Unis, et GMC a accepté d’acheter un intérêt indivis dans l’outillage de GM Canada situé au Canada;

 

s)         pour la période postérieure au 11 décembre 1987, la convention d’achat prévoyait, concernant l’outillage spécial acheté, une répartition semblable à ce qu’il en était dans le cas de la méthode de répartition du coût  suivie précédemment par l’appelante et sa société mère : la quantité d’outillage de GMC que l’appelante achèterait à GMC après le 11 décembre 1987 serait basée sur le nombre de pièces que l’outillage de GMC servirait à produire pour l’appelante en pourcentage du nombre total de pièces que l’on s'attendait que cet outillage permettrait de produire sur sa durée de vie prévue (en d'autres termes, si la production totale prévue était de 100 pièces et que la production prévue pour le Canada était de 10 pièces, une proportion de 10 p. 100 de l’outillage de GMC serait achetée par l’appelante à GMC);

 

t)          la convention du 11 décembre 1987 a été établie et conclue après l’édiction des modifications de la Loi concernant la déduction pour amortissement et il ne s'agissait pas d'une convention conforme à une obligation écrite ou à un accord ou arrangement préexistant entre l’appelante et sa société mère concernant l’outillage spécial;

[...]

 

x)         l’outillage que GMC avait acquis avant le 11 décembre 1987 était de l’outillage qu'elle avait acquis pour en avoir la propriété exclusive, et l’outillage de GMC acquis par l’appelante avant 1990 n’était pas un bien dont la construction, par l’appelante ou pour son compte, était commencée le 18 juin 1987;

 

À l’alinéa 8t), il est fait mention de la Loi, alors qu’il devrait être fait mention du Règlement.

 

[6]     La question qui m’est soumise est de savoir si GMCL est en droit de se prévaloir du paragraphe 24(2) de DORS/90‑22 concernant son intérêt indivis dans de l’outillage spécial acquis de GMC selon ce qui est décrit dans la lettre du 11 décembre 1987. Dans l’affirmative, la règle de la demi‑année ne s’applique pas à cet outillage spécial pour 1989, et l’appelante obtient gain de cause; dans la négative, elle perd. Par souci de commodité, je reproduis de nouveau le paragraphe 24(2) :

 

 

24(2)    Subsection 1(6) is applicable in respect of property acquired by a taxpayer after 1987 other than property acquired by the taxpayer before 1990

 

     (a)            pursuant to an obligation in writing entered into by the taxpayer before June 18, 1987,

 

     (b)         that was under construction by or on behalf of the taxpayer on June 18, 1987, or

 

     (c)      that is a fixed and integral part of property under construction by or on behalf of the taxpayer on June 18, 1987.

 

 

24(2)     Le paragraphe 1(6) s'applique aux biens acquis par un contribuable après 1987, à l'exclusion de ceux qu'il a acquis avant 1990 et, selon le cas:

 

a)   qui ont été acquis conformément à une obligation écrite contractée par le contribuable avant le 18 juin 1987;

 

b)    dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987;

 

c)    qui sont une partie fixe et intégrante d'un bien dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987.

[7]     Il ressort très clairement de la preuve que, bien avant le 18 juin 1987 et probablement dès février 1985, GMCL s’était engagée, en pratique, à remplir le rôle qui lui était attribué dans le projet GM‑10. J’ai devant moi une preuve écrite de cet engagement. Ce n’est toutefois qu’en décembre 1987 qu’elle est devenue obligée d’acquérir un intérêt dans l’outillage spécial qui est en cause ici.

 

[8]     L’appelante soutient qu’elle n’est pas tenue de démontrer qu’elle avait une obligation juridique d’acquérir un intérêt dans l’outillage spécial avant le 18 juin 1987. Elle argue qu’elle n’a qu’à démontrer que, avant cette date‑là, elle s’était obligée par écrit à faire ce qui était nécessaire pour pouvoir assembler les modèles Chevrolet Lumina et Buick Regal et que, avant 1990, elle avait acheté son intérêt dans l’outillage pour remplir cette obligation. Autrement dit, les termes « acquis conformément à une obligation écrite » devraient être interprétés comme signifiant « acquis en remplissant une obligation écrite ». Il est à noter à ce stade que rien dans la preuve n’établit que la contribuable n’aurait pu remplir son obligation d’assembler les modèles Lumina et Regal si elle avait choisi de ne pas acquérir un intérêt dans l’outillage. Pendant de nombreuses années, elle a assemblé des véhicules à l’aide d’un outillage appartenant à GMC et elle payait simplement GMC au prorata de l'usage de cet outillage pour la fabrication de pièces devant être utilisées par GMCL dans ses usines d’assemblage. Aucun élément de preuve présenté par l’appelante ne réfute l’hypothèse 8m) du ministre selon laquelle la participation au projet GM‑10 n’obligeait pas l’appelante à acquérir un intérêt dans de l’outillage appartenant à GMC.

 

[9]     À l’appui de sa position, l’appelante invoque une lettre que lui avait écrite un fonctionnaire de Revenu Canada le 17 octobre 1988 concernant une convention entre le gouvernement fédéral et l’appelante, convention par laquelle le gouvernement acceptait de prêter à l’appelante 110 millions de dollars selon un certain nombre de conditions quant à des dépenses devant être engagées par l’appelante. Ces dépenses incluaient de la machinerie et de l’outillage devant être acquis par l’appelante dans le cadre de son usine d’assemblage de Sainte‑Thérèse (Québec). Dans cette lettre, il était dit que cette machinerie et cet outillage seraient considérés par Revenu Canada comme ayant été acquis [TRADUCTION] « conformément à une obligation écrite contractée par le contribuable avant le 18 juin 1987 ». L’appelante argue que cette lettre montre que son interprétation de la disposition transitoire doit être exacte.

 

[10]    En outre, l’appelante argue subsidiairement qu’elle est en droit de se prévaloir de l’alinéa 24(2)c) du règlement modifié, pour le motif que l’outillage spécial est devenu une partie fixe et intégrante de l’Autoplex de GMCL, qui a en fait été reconstruit entre 1984 et 1988. L’avocat de l’appelante concède que l’outillage spécial n’était pas physiquement incorporé à l’Autoplex, mais il argue que tout ce qui est requis pour satisfaire à l’alinéa 24(2)c), c’est un lien opérationnel direct entre l’outillage et l’usine. Cet argument est développé dans les paragraphes suivants du mémoire de l’appelante :

 

[TRADUCTION]

 

67.       L’Autoplex a été construit, rénové, reconfiguré et rééquipé précisément pour produire les Buick Regal et Chevrolet Lumina. La preuve établit que l’outillage, bien que ne faisant pas physiquement partie de l’Autoplex, était un élément permanent et constant de l'exploitation de l’Autoplex et était essentiel à l’exploitation de l’Autoplex. Sans l’outillage, l’Autoplex ne pourrait servir à l’usage même pour lequel il a été construit.

 

68.       Concernant la nature du lien entre l’Autoplex et l’outillage, la question est de savoir si l’outillage est « une partie fixe et intégrante » de l’Autoplex. L’appelante soutient que ces termes peuvent être interprétés de deux façons différentes. Dans le premier cas, il faudrait qu’il y ait un lien physique entre l’outillage et l’Autoplex. Dans le second cas, il suffirait qu’il y ait entre les deux un lien opérationnel direct (plutôt qu'un lien physique). Ainsi, GMCL soutient qu'il faut privilégier l’interprétation qui est conforme à l’objet et à l’esprit de la disposition. Dans l’affaire Glaxo Wellcome Inc. c. La Reine, C.C.I., no 93-1327(IT)G, 4 janvier 1996 (96 DTC 1159), le juge Bowman (titre qu’il portait alors), de la C.C.I.,  a dit à la page 5 (DTC : à la page 1161) :

 

De toute évidence, il faut examiner au départ le libellé clair de la loi.  Si le libellé est clair et non équivoque et s'il n'admet qu'une interprétation, il est inutile d'aller plus loin.  S'il ne l'est pas et s'il est susceptible de donner lieu à plus d'une interprétation, il faut examiner l'esprit de la loi ainsi que son objet et son économie.  Ce n'est que lorsque le recours à tous les autres outils d'interprétation de la loi ne permet pas d'obtenir une réponse claire qu'il est possible d'invoquer le principe selon lequel, dans le cas d'une ambiguïté, il faut accorder au contribuable le bénéfice du doute.

 

69.       GMCL soutient que c’est la seconde interprétation qui est conforme à l’objet et à l’esprit de la disposition transitoire. Elle soutient que la première interprétation (selon laquelle il faudrait qu’il y ait un lien physique) irait à l’encontre de l’intention du législateur en ce qu’un contribuable comme GMCL, qui a commencé la construction de l’Autoplex bien avant la date transitoire en sachant que l’Autoplex ne pourrait fonctionner sans l’outillage, ne bénéficierait d’aucune mesure transitoire concernant un élément essentiel pour l'usine. Quel objectif de la politique fiscale pourrait être réalisé en accordant une mesure transitoire pour de l’équipement apporté à l’Autoplex et vissé au plancher et non pour de l’équipement qui est aussi important pour l'exploitation de l’Autoplex mais qui est situé ailleurs qu’à l’installation physique? Ainsi, GMCL soutient que l’outillage est une partie « fixe », car il comporte le « degré nécessaire de constance et de permanence dans les opérations quotidiennes » de l’Autoplex, et qu'il est une partie « intégrante », car il est essentiel (et non secondaire) pour l’exploitation de l’Autoplex.

 

[11]    La position de l’appelante, si je comprends bien, est que les termes « conformément à » devraient être considérés, dans le contexte de cette disposition législative, comme signifiant seulement « pour remplir ». Donc, il faudrait qu’il y ait non pas une obligation d’acquérir des biens, mais seulement un lien entre l'obligation et l’acquisition. Interpréter cette disposition autrement, est‑il argué, exigerait l’adjonction des termes « d’acquérir les biens » après les mots « obligation écrite ». Cet argument est étayé par le renvoi à un certain nombre d’exemples de libellés semblables dans la Loi et le Règlement où le mot « obligation » est suivi de termes précis quant à la nature de l'obligation.

 

[12]    Fondamentalement, les termes « acquis conformément à une obligation écrite contractée » (soit, en anglais, « acquired [1⁄4] pursuant to an obligation in writing entered into ») se rapportent à une situation dans laquelle le contribuable avait une obligation juridique d’acheter les biens en cause. C’est ce que l’on peut conclure à partir de dictionnaires[1] et à partir de l’usage courant. Sans la décision de notre cour[2], confirmée par la Cour d’appel fédérale[3], dans Bow River Pipe Lines c. La Reine, j’aurais dit qu’il n’y a aucune ambiguïté dans les versions française ou anglaise de l’alinéa 24(2)a) et que celui‑ci s’applique seulement lorsque le contribuable avait, avant le 18 juin 1987, contracté un engagement exécutoire d’acquérir les biens.

 

[13]    Une grande partie de l’argumentation de l’appelante était fondée sur cette décision. La Cour d’appel fédérale a fait observer que le « juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu que l'expression « convention écrite » [« agreement in writing »] ne signifiait pas que la convention doit créer des droits et obligations de nature contractuelle »[4], mais pouvait s’étendre aussi à des instruments de négociation. Toutefois, les quatre lettres considérées dans cette affaire comme équivalant à une convention écrite faisaient état de toutes les modalités essentielles du contrat qui a fini par être signé. En fait, tout ce qu’il restait à faire après le dernier de ces documents, c’était de remplir deux conditions. Dans un cas, il s’agissait d’obtenir l’approbation réglementaire nécessaire de l’organisme gouvernemental compétent; dans l’autre cas, il s’agissait d’obtenir une décision anticipée en matière d'impôt qui serait satisfaisante. En concluant que ces lettres étaient suffisantes pour répondre à l’exigence de la disposition transitoire — dans cette affaire — qu’une convention écrite ait été conclue au 4 décembre 1985, le juge en chef adjoint Christie a dit[5] :

 

Quel est donc l'objet ou le but du paragraphe 26(5) de la loi de 1986?  À mon avis, si un contribuable a consacré du temps ou de l'argent, ou du temps et de l'argent, dans l'intention de se fonder sur l'alinéa 98(5)d) de la Loi dans la conduite de ses affaires, l'abrogation de la disposition ne s'applique pas lorsque cette intention se manifeste par des conventions écrites, qui ne sont pas nécessairement de nature contractuelle, mais qui ont été conclues avant le 4 décembre 1985 [...]. Cependant, ces conventions doivent déclencher la prise de mesures qui mènent directement à la conclusion de conventions du genre décrit aux alinéas 26(5)a), b) et c) après cette date, lesquelles donnent naissance à des obligations contractuelles.  Je ne crois pas que la mention d'une convention dans une loi ou dans un autre contexte signifie que la convention doit créer des droits et obligations de nature contractuelle.

 

[14]    L'affaire dont nous sommes saisis est complètement différente. L’« obligation écrite » invoquée par l’appelant comme ayant été contractée avant le 18 juin 1987 ne se rapportait nullement à l’acquisition, par l’appelante, d’un intérêt dans l’outillage spécial. On ne m’a renvoyé à aucun élément du dossier qui montrerait que l’appelante entendait acheter un intérêt dans l’outillage spécial américain ou que GMC entendait lui vendre un tel intérêt. En fait, aucun lien entre le projet GM‑10 et la lettre du 11 décembre 1987 n’est indiqué dans la lettre elle‑même ou dans un autre document consigné en preuve.

 

[15]    Même face à l’ambiguïté du libellé du Règlement, je conclurais que l’avantage de la disposition relative aux droits acquis n’est offert qu’à un contribuable qui avait contracté un engagement exécutoire d’acquérir des biens amortissables de la catégorie 12 avant le 17 juin 1987. L’approche qu’il convient d’adopter pour résoudre une telle ambiguïté est indiquée dans la décision du juge Noël, titre qu’il portait alors, dans Canada c. Trade Investments Shopping Centre Ltd.[6] :

 

Alors qu'il peut être utile de comparer les diverses mesures transitoires utilisées par le législateur en matière fiscale afin de mieux en déceler le sens, cela doit se faire avec beaucoup de circonspection.  Ceci est d'autant plus vrai lorsque l'on tente de comparer des lois transitoires qui émanent de budgets différents, comme c'est le cas ici.

 

L'on ne saurait, face à des mesures transitoires, imposer les rigueurs d'une interprétation trop stricte.  Il faut se rappeler que les mesures transitoires sont secondaires et incidentes aux dispositions de droit substantif qu'elles accompagnent.  Contrairement aux mesures d'imposition, elles ne sont pas adoptées dans le cadre d'un plan législatif cohérent où les dispositions doivent s'intégrer les unes aux autres.  Ce sont des mesures ad hoc qui ont comme unique vocation celle d'assurer la mise en vigueur équitable de la disposition particulière de droit substantif qu'elles accompagnent.  Elles sont donc, de par leur nature, susceptibles de donner lieu à des antinomies, et une revue du libellé de ces mesures au cours des dernières années démontre que chaque budget donne lieu à des mesures transitoires qui lui sont propres et qui sont conçues sans égard, ou du moins avec peu d'égard, aux mesures in pari materia antécédentes.  Alors que l'analyse comparative de ces mesures demeure utile, je ne crois pas qu'elle puisse être concluante dans l'instance.

 

Selon moi, lorsqu'une question d'interprétation se soulève quant au champ d'application d'une mesure transitoire, elle doit trouver sa réponse à la lumière de la disposition de droit substantif qu'elle accompagne et de la situation précise à laquelle le législateur voulait apporter un palliatif en la mettant en vigueur.

 

[16]    Le texte de droit positif dont il est ici question a pour effet de différer le droit d’un contribuable à une déduction pour amortissement pendant une période d’un an. L’objet du paragraphe 24(2) est d’accorder à cet égard une dispense aux contribuables qui s’étaient engagés à acheter un bien amortissable de la catégorie pertinente avant la date à laquelle le gouvernement a annoncé que le Règlement serait modifié. Les contribuables qui se trouvaient dans cette situation doivent être protégés, car ils avaient pris leur décision d’affaires en se fondant sur la législation telle qu’elle existait avant la modification, sans savoir que la modification serait apportée, et ils n’avaient d’autre choix que de procéder aux achats à l’égard desquels ils avaient passé un contrat. Les contribuables qui n’avaient pas contracté un engagement exécutoire d’acquérir des biens avant l’annonce du projet de modification ne sont pas visés par la disposition relative aux droits acquis, car ils ont pris leurs engagements contractuels après l'annonce de la modification devant être apportée au Règlement. L’appelante s’était engagée à assembler les modèles Lumina et Regal avant le 17 juin 1987, mais elle ne s’était pas engagée à acheter un intérêt dans l’outillage spécial américain. L’appelante a raison de dire qu’il lui fallait pouvoir bénéficier de l’outillage pour s’acquitter de son engagement; il est toutefois inexact de dire qu’il lui fallait avoir un intérêt dans l’outillage. En fait, elle avait dans le passé assemblé des véhicules sans détenir un intérêt dans l’outillage de GMC qui était utilisé pour produire des pièces pour elle. Pour cette utilisation, elle payait simplement GMC, selon la formule convenue. Aucun élément de preuve n’indique que, en vertu d’un arrangement semblable, l’appelante n’aurait pu effectuer l’assemblage des modèles Lumina et Regal. Sur la foi de la preuve dont j’ai été saisi, la convention que l’appelante et GMC ont conclue concernant la propriété d’un outillage spécial a été conclue non pas comme exigence opérationnelle du projet GM‑10, mais pour d’autres raisons, qui n’ont pas été élucidées.

 

[17]    L’argument de l’appelante basé sur la lettre qui lui avait été écrite concernant l’usine de Sainte‑Thérèse est dépourvu de fondement. L’usine de Sainte‑Thérèse représente une situation factuelle différente, et je n’ai pas été saisi de tous les faits y afférents, de sorte qu’il m’est impossible de conclure que les fonctionnaires du ministre ont appliqué le Règlement différemment en ce qui concerne deux situations différentes de l’appelante comme l’allègue l’avocat. Ce qui est plus pertinent, toutefois, c’est que, si le ministre commet une erreur dans l’interprétation de la Loi ou du Règlement, il n’est pas tenu de perpétuer cette erreur. La Cour n’est pas liée non plus par une telle erreur[7]. Il est vrai que, lorsqu’une pratique administrative a été systématiquement suivie par le ministre pendant un certain temps, cela peut aider à résoudre une ambiguïté[8], mais une lettre du genre de celle qui est invoquée par l’appelante en l’espèce n’aurait aucune force persuasive quant à la signification à attribuer au Règlement, même s’il était démontré que le contexte était le même dans les deux cas.

 

[18]    Je ne vois non plus aucun fondement à l’argument basé sur l’alinéa 24(2)c) du Règlement. Pour être admissible en vertu de cette disposition, l’appelante devrait démontrer que l’outillage spécial était devenu une partie fixe et intégrante de l’Autoplex. On s'entend sur le fait que l’outillage n’a jamais physiquement été une partie fixe et intégrante de l’Autoplex. L’appelante argue qu’il est suffisant de démontrer que l’outillage était nécessaire pour utiliser l’Autoplex pour l’assemblage de véhicules et qu’il était utilisé en permanence à cette fin. Il ressort bien clairement du libellé du Règlement qu’un tel lien non physique n’est pas envisagé. Seul de l’équipement qui était physiquement devenu une partie de l’immeuble peut être admissible à une protection de droits acquis en vertu de l’alinéa 24(2)c). De toute façon, cet argument échoue aussi en raison de l’absence d’une preuve que l’exploitation des usines d’assemblage d’Oshawa nécessitait des pièces produites à l’aide d’un outillage américain dans lequel l’appelante détenait un intérêt. Comme je l’ai dit précédemment, les usines d’Oshawa auraient pu fonctionner parfaitement bien en ayant accès à des pièces fabriquées à l’aide d’un outillage appartenant totalement à GMC.

 

[19]    L'appel est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 2002.

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Oxford English Dictionary, 2e éd., vol. X, p. 647; vol. XII, p. 887; Le Robert, 2e éd., tome II, p. 813; tome VI, pp. 855‑857 et 872.

[2]           C.C.I., no 94-619(IT)G, 17 avril 1996 (96 DTC 1770).

[3]           C.A.F., no A-472-96, 16 juillet 1997 (97 DTC 5385).

[4]           À la page 29 (DTC : à la page 5398).

[5]           Aux pages 20 et 21 (DTC : à la page 1782).

[6]           C.F. 1re inst., no T-1398-90, 6 juillet 1993, aux pages 13 et 14 (93 DTC 5486, à la page 5491); C.A.F., no A-557-93, 31 octobre 1996 (96 DTC 6570).

[7]           M.R.N. c. Inland Industries Ltd., [1974] R.C.S. 514, aux pages 523 et 524 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[8]           Harel c. Le sous-ministre du Revenu de la province de Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, à la page 858 (77 DTC 5438, aux pages 5441 et 5442), et Nowejijig c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, aux pages 36 à 38 (83 DTC 5041, à la page 5044).

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