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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3048(IT)I

 

ENTRE :

 

MARK A. RAEGELE,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 27 février 2002, à Ottawa, Canada, par

 

l'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Représentant de l'appelant :                 B. Belchamber

 

Avocate de l'intimée :                          Me J. Michelle Farrell

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est admis, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.


          Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'avril 2002.

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020403

Dossier: 2001-3048(IT)I

 

ENTRE :

 

MARK A. RAEGELE,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller, C.C.I.

 

[1]     Mark Raegele interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie par le ministre pour l’année d’imposition 1998 de M. Raegele. Le ministre a refusé la déduction de dépenses que M. Raegele a engagées pour réparer des dommages causés à sa maison par un locataire, qui a déménagé le 15 juillet 1998. M. Raegele a emménagé le 12 août 1998. Il soutient que toutes les dépenses ont été engagées pour la réparation des dommages et sont donc déductibles. L’intimée reconnaît que les dépenses ont un rapport avec la location du bien, mais argue qu’elles ne peuvent être déduites en raison de l’application de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), car elles n’ont pas été engagées en vue de gagner un revenu.

 

[2]     M. Raegele est lieutenant‑colonel dans les Forces armées canadiennes. Il avait été affecté aux États‑Unis en juillet 1994. Il a loué sa maison, située au 1554, promenade Sunview, Orléans, pour sa période de service aux États‑Unis, qui allait du mois d’août 1994 jusqu’au 15 juillet 1998. En mai 1994, M. Raegele et son épouse ont passé un contrat de location avec M. et Mme Krishnarajan, pour une durée initiale de trois ans, qui a par la suite été prolongée d’un peu moins d’un an, c’est‑à‑dire jusqu’au 15 juillet 1998. Certaines modalités du contrat de location sont énoncées comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

14.       Le locataire :

 

[...]

 

            d.         garantit le locateur et tout autre tenant desdits lieux contre les pertes, coûts ou dommages pour cause de négligence, de défaut de diligence ou d’acte préjudiciable de la part du locataire, d'un membre de sa famille ou de son ménage ou d'un invité ou autre personne se trouvant sur lesdits lieux avec le consentement du locataire ou pour cause de non‑occupation et contre tout dommage causé par le chien du locataire (mini‑schnauzer);

 

[...]

 

f.          s’engage à faire en sorte que, à la fin de la location, les lieux soient propres et en bon état et que les tapis aient été nettoyés.

 

Dans les règlements, il était notamment dit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

5.         Le locataire :

 

[...]

 

            c.         tiendra toujours lesdits lieux dans un état de propreté approprié, ce qui inclut le fait de nettoyer et d'entretenir les planchers et de bien entretenir et nettoyer les tapis;

 

[...]

 

            e.         n'utilisera sur les murs ou les boiseries que les clous, crochets ou vis nécessaires pour fixer des décorations murales généralement acceptables.

 

[3]     À leur retour au Canada, en avril 1998, les Raegele ont été frappés de consternation en découvrant l’état de leur maison, qui était inhabitable, au dire de Mme Raegele. Les pires dommages avaient été causés aux planchers, à cause de l’habitude déplorable mais manifestement invétérée que le chien du locataire avait d’uriner un peu partout dans la maison. L’acide urique avait passé à travers la moquette, et il a fallu nettoyer les planchers à fond avec de l’eau de Javel après avoir enlevé la moquette. La cuisine et la salle familiale étaient tachées de graisse, le locataire ayant cuisiné pendant quatre ans sans faire ensuite de nettoyage apparemment. La cour était envahie par la végétation et, de façon générale, l’endroit était crasseux. Les Raegele ont demandé à leur gestionnaire immobilier de commencer à s’enquérir du coût des réparations.

 

[4]     M. Raegele a dit qu’il avait téléphoné aux locataires à plusieurs reprises pour que la maison soit nettoyée. Les locataires se sont bel et bien présentés à cette fin à un moment donné après qu’ils eurent déménagé, mais la visite a été brève, et rien n'a été fait, si ce n'est que les locataires ont accepté de payer des frais de nettoyage de fenêtres. Outre les dommages considérables qu’ils avaient causés, les locataires n’avaient pas payé une facture relative à la consommation d’eau. Ils ne l’ont payée qu’après qu’on le leur eut demandé un certain nombre de fois. M. Raegele a témoigné qu’il estimait qu’il y avait eu une rupture du contrat de location de la part du locataire, mais qu’une poursuite contre le locataire demanderait trop d’argent et d’énergie par rapport à ce que cela rapporterait.

 

[5]     Les dépenses en cause figurent à l’annexe A de la réponse de l’intimée à l’avis d’appel, laquelle annexe est jointe aux présents motifs. Les dates indiquent que les dépenses, sauf la première, ont été faites après le déménagement des locataires. Il est toutefois à noter que l’appelant a reçu de Multi‑Flooring Inc. une facture pour travaux relatifs aux planchers de 7 917 $ qui est datée de mai 1998, mais que le travail n’a été achevé qu’après le départ des locataires, c’est‑à‑dire après le 15 juillet. Cette facture a en fait été payée le 23 août 1998. Je conclus que les contrats relatifs aux travaux ont été passés et exécutés entre la mi‑mai et la mi‑août. Les dépenses se rapportent surtout à des travaux relatifs aux planchers (environ 13 000 $) et à des travaux de peinture (environ 5 000 $). L’appelant n’a pas déduit une partie de la dépense relative aux planchers de bois franc, reconnaissant qu’il s’agissait d’une amélioration représentant un avantage personnel. Il a réduit d’environ 2 000 $ la déduction concernant cette facture particulière.

 

[6]     Le représentant de l’appelant invoque les paragraphes 9(1) et (2) de la Loi, qui se lisent comme suit :

 

9(1)      Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

 

(2)        Sous réserve de l'article 31, la perte subie par un contribuable au cours d'une année d'imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l'année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l'application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

 

[7]     Il soutient que des dépenses qui sont liées aux activités productives de revenu dans un rapport de cause à effet sont prises en compte dans la période comptable dans laquelle le revenu est constaté. Ce principe qu’il avance vient du Manuel de l’I.C.C.A. Le représentant de l’appelant me renvoie en outre à l’extrait suivant de la décision de la Cour de l’Échiquier dans Dominion Natural Gas Co. v. M.N.R., [1940-41] C.T.C. 144, bien que cette décision ait été ultérieurement infirmée :

 

[TRADUCTION]

 

La règle généralement reconnue concernant les dépenses d’entreprise est qu’une déduction est admissible quand elle est justifiable selon les principes commerciaux et comptables, mais cela vaut sous réserve de certaines dispositions législatives particulières en vertu desquelles certaines dépenses ne peuvent être déduites dans le calcul du gain ou profit net devant faire l’objet d’une cotisation. Les principes commerciaux et comptables ordinaires s'appliquent dans la mesure où la loi ne prévoit pas autre chose.

 

[8]     Le représentant de l’appelant a également fait référence aux propos suivants du juge Stone[1] dans l'affaire Canada c. Canderel Ltd. (C.A.), [1995] 2 C.F. 232, à la page 236 (95 DTC 5101, à la page 5102) :

 

À mon avis, le principe comptable du rattachement a été élevé, du moins par la Cour, au statut de principe juridique. Le juge MacGuigan, J.C.A., a très bien formulé le principe dans l'affaire West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732 (C.A.), à la page 745 :

 

... la méthode applicable est celle qui donne l'image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur «rattachement» des charges et des produits.

 

[9]     Enfin, l’appelant m’a renvoyé à l’affaire Gordon Kenneth Daley v. Minister of National Revenue, 50 DTC 877, et, plus précisément, au passage suivant :

 

[TRADUCTION]

 

Il s’ensuit que, dans certains cas, pour déterminer si une dépense particulière est déductible, la première question est de savoir non pas si la dépense ne peut être déduite en vertu des alinéas 6a) ou 6b), mais plutôt si sa déduction est admissible en vertu des principes commerciaux ordinaires ou des pratiques commerciales et comptables reconnues. S’il est répondu par la négative à cette première question, l’affaire s’arrête là et il n’est pas nécessaire de déterminer autre chose, car la dépense entrerait alors automatiquement dans le cadre des exclusions de l’alinéa 6a) et il ne serait pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la dépense entrerait dans le cadre des exclusions de l’alinéa 6b).

 

[10]    En traitant de l’application de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, le représentant de l’appelant a souligné que les dépenses doivent être considérées non pas isolément, mais dans le cadre de l’exploitation annuelle de l’entreprise. Ce qui est implicite dans cet argument, c’est que l’entreprise de l’appelant a continué après le déménagement du locataire, quoique seulement dans la mesure où il s’agissait de s’occuper des dommages liés à l’activité de location.

[11]    L’appelant a reconnu que certaines des dépenses se rapportaient à un avantage personnel et il proposait — arbitrairement — qu’une proportion de 85 p. 100 des frais soit attribuée à l’entreprise et qu’une proportion de 15 p. 100 soit attribuée à un avantage personnel. Enfin, le représentant de l’appelant a présenté un argument qu’il n’a pas fait valoir avec force. Il disait que, si un état financier avait été établi pour M. Raegele pour le mois se terminant le 31 juillet 1998, une provision pour créance douteuse aurait été indiquée au titre du travail nécessaire pour réparer les dommages, soit une créance que l’appelant considérait qu’il avait sur le locataire. Le représentant de l’appelant argue que, à la fin de l’année, la créance que l’appelant considérait qu’il avait sur le locataire était en fait devenue une créance irrécouvrable et devrait donc être radiée conformément à l’alinéa 20(1)p) de la Loi.

[12]    La position de l’intimée est tout simplement que les dépenses en cause n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d’un bien et n’étaient donc pas déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a). Dans les actes de procédure, l’intimée faisait en outre valoir que ces dépenses étaient des frais personnels ou de subsistance de l’appelant en vertu de l’alinéa 18(1)h). L’intimée est allée jusqu’à reconnaître que les dépenses en cause avaient un rapport avec l’activité locative et étaient en fait raisonnables, mais elle soutenait que, l’appelant ayant admis que c’était en vue de pouvoir habiter la maison qu’il avait engagé les dépenses, cela ne répondait pas au critère de l’objet énoncé à l’alinéa 18(1)a). Quand on a fait valoir à l’avocate de l’intimée que cette interprétation stricte de la disposition législative empêcherait la déductibilité de toute dépense engagée par une entreprise en phase de liquidation, s'il n'y avait plus un but consistant à gagner un revenu, l'avocate de l'intimée a reconnu que telle serait en fait la position de l’intimée.

[13]    Avant d’examiner l’application des alinéas 18(1)a) et h) de la Loi, je voudrais traiter de l’argument de l’appelant concernant la déduction d’une créance irrécouvrable. L’alinéa 20(1)p) de la Loi se lit comme suit :

 

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

p)         le total des montants suivants :

 

(i)         les créances du contribuable qu'il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l'année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

 

Pour que cette disposition s’applique, il faut que la créance ait été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année. Même si je devais reconnaître que la garantie d’indemnisation donnée par les locataires dans le contrat de location représentait une créance de l’appelant, cette créance n’a pas été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année. Sincèrement, je considère cet argument en matière de créance irrécouvrable comme étant une espèce de diversion. La question en litige tient à la déductibilité non pas d’une créance devenue irrécouvrable, mais de frais bien réels engagés par l’appelant au cours de l’été 1998. Je dois déterminer si ces dépenses sont déductibles. Dans ce contexte, je considère comme important le fait que M. Raegele estimait qu’il était du devoir des locataires de respecter la garantie d’indemnisation qu'ils avaient donnée dans le contrat de location.

 

[14]    Je conviens avec l’appelant que, sur la foi des principes commerciaux et comptables ordinaires, les dépenses en cause ont donné lieu à une perte. Toutefois, les principes commerciaux ordinaires sont‑ils suffisants pour justifier en l'instance que des frais de réparation soient déductibles des revenus provenant du bien? Le juge Iacobucci a dit ceci dans l’affaire Canderel :

 

[TRADUCTION] Les principes commerciaux ordinaires prescrivent, suivant les décisions, qu'il faut déterminer le profit annuel d'une entreprise en défalquant des revenus de cette dernière pour l'année les dépenses engagées en vue de tirer lesdits revenus.

 

31        Acceptant cette définition fondamentale, dans l'arrêt Symes, précité, aux pp. 722 et 723, la majorité a fait les observations suivantes au sujet du calcul du bénéfice :

 

[. . .] le concept de «bénéfice» au par. 9(1) est en soi un résultat net qui présuppose des déductions de dépenses d'entreprise. Il est maintenant généralement reconnu que c'est le par. 9(1) qui autorise la déduction des dépenses d'entreprise; le par. 18(1) est limitatif seulement. [. . .]

 

En vertu du par. 9(1), la déductibilité est habituellement considérée de la façon dont elle l'avait été par le président Thorson dans Royal Trust, [Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055 (C. de l'É.)] (à la p. 1059):

 

[TRADUCTION] [...] pour savoir si un débours ou une dépense était déductible aux fins d'impôt la première étape était de déterminer si la déduction était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires [...] (Je souligne.)

 

En conséquence, dans l'analyse des déductions, il faut commencer par le par. 9(1), disposition qui englobe, comme l'a précisé le juge de première instance, un «critère des affaires» aux fins du calcul du bénéfice imposable.

 

C'est un critère qui a été formulé de bien des façons. Comme le juge de première instance l'a bien fait ressortir, la détermination du bénéfice en vertu du par. 9(1) est une question de droit: Neonex International Ltd. c. The Queen [...] C'est peut-être pour ce motif (comme le laisse entendre implicitement Neonex) que les tribunaux ont hésité à énoncer, relativement au par. 9(1), un critère fondé «sur les principes comptables généralement reconnus» (P.C.G.R.) [...]. Toute mention des P.C.G.R. comporte l'idée d'un degré de contrôle exercé par des comptables professionnels, ce qui est incompatible avec un critère juridique du «bénéfice» en vertu du par. 9(1). Alors qu'un comptable s'interrogeant sur l'opportunité d'une déduction peut être motivé par le désir de présenter un tableau plutôt conservateur du niveau des profits courants, la Loi vise une fin différente: la perception de revenus publics. Pour ces motifs, dans l'examen du par. 9(1), il convient davantage de parler de «principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable)» ou de «principes bien reconnus des affaires commerciales» [Souligné dans l'original.]

 

32                La grande difficulté qui semble avoir affligé les tribunaux dans la détermination du bénéfice aux fins de l'impôt sur le revenu fait ressortir la nécessité de formuler le plus clairement possible le critère juridique applicable à cet égard. Le postulat de départ est évidemment que la détermination du bénéfice visé au par. 9(1) est une question de droit, non de fait. Les facteurs juridiques déterminants sont au nombre de deux: premièrement, l'existence d'une disposition expresse de la Loi de l'impôt sur le revenu commandant l'application d'un traitement précis à l'égard de certaines dépenses ou recettes, notamment la limite générale formulée à l'al. 18(1)a), et, deuxièmement, l'existence de règles de droit établies découlant de l'interprétation que les tribunaux ont donnée de ces diverses dispositions au fil des ans.

 

(Je souligne.)

 

Le paragraphe 9(2) de la Loi exige expressément que la perte soit calculée par l’application des dispositions de la Loi. Faudrait-il refuser la déduction des dépenses en cause pour le motif qu’elles n’ont pas été engagées en vue de gagner un revenu comme l’exige le libellé exprès de l’alinéa 18(1)a)? En vertu d’une interprétation aussi restrictive de cette disposition, tout contribuable liquidant son entreprise ne pourrait jamais déduire ce qu’une personne raisonnable ayant le sens des affaires considérerait comme des frais d’entreprise légitimes. Le juge en chef adjoint Bowman a dit dans l'affaire Randhawa c. Canada, [2001] A.C.I. no 308, dans laquelle des dépenses semblables aux dépenses considérées en l'espèce avaient été engagées à cause de la négligence d’un locataire :

 

11.       Ces dépenses découlaient de l'activité de location que l'appelant exerçait.  Elles constituaient un attribut direct et nécessaire de cette activité et devaient être payées à partir du fonds de roulement de l'entreprise.

 

Dans cette affaire, l’appelant avait bel et bien loué les lieux à quelqu'un après que les dépenses furent engagées, mais il avait personnellement emménagé peu après.

 

[15]    La position de l’intimée est que, dès que le dernier locataire ferme la porte derrière lui et que s’arrête ainsi le flux de revenu, aucune dépense engagée par la suite ne peut être considérée comme déductible. Je ne reconnais toutefois pas que l'entreprise de location cesse alors immédiatement. La preuve indiquait que l’appelant avait continué de talonner le locataire — pour que ce dernier respecte l’engagement qu’il avait pris en vertu du contrat de location — au point que le locataire s’était en fait bel et bien présenté à un moment donné pour aider au nettoyage. Ainsi, l’entreprise de location n’est complètement liquidée qu'une fois réglées toutes les questions de dommages avec les anciens locataires. Il faut que ce soit fait dans un délai raisonnable, vu la nature de l’entreprise, et il est clair que seuls des frais raisonnables dans les circonstances sont admissibles. M. Raegele s’est bel et bien occupé des réparations en temps opportun et a bel et bien engagé seulement des dépenses raisonnables. Les Raegele n'en ont pas profité pour apporter une série d'améliorations et, dans les cas où ils estimaient qu’il y avait une certaine amélioration, ils ont eux‑mêmes soustrait une somme appropriée concernant la déduction demandée. Quoique Mme Raegele n’ait eu aucun revenu duquel déduire des dépenses, M. Raegele n’a pas essayé de déduire toutes les dépenses lui‑même. En fait, les Raegele ont été extrêmement raisonnables. Je conclus que l’entreprise de location a continué d'exister jusqu’à ce que toutes les réparations soient terminées et jusqu’à ce que toutes les factures soient payées. Ainsi, les dépenses ont été engagées dans le cadre de l’entreprise; comme le disait Vern Krishna dans The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e édition, à la page 278 :

 

[TRADUCTION]

 

La limitation essentielle, à l’alinéa 18(1)a), est que le contribuable doit engager les dépenses « en vue » de tirer un revenu « de l’entreprise ». Ainsi, l’objet doit être de tirer un revenu de l’entreprise dans laquelle le contribuable s’engage. A fortiori, l’entreprise doit exister lorsque le contribuable effectue les dépenses.

 

[16]    Je renvoie à une affaire récente, Mikhail c. Sa Majesté La Reine, dans laquelle le juge Hershfield a dit, au paragraphe [29] :

 

En ce qui a trait à l'alinéa 18(1)a), je suis enclin à dire qu'il ne doit pas être si facilement appliqué simplement parce que le bien productif de revenu est à vendre pendant une longue période de privation de revenu, notamment dans des cas comme celui‑ci où la longue période de privation de revenu est attribuable à des conditions extraordinaires sur lesquelles le contribuable n'avait pas de contrôle et auxquelles il ne pouvait s'attendre. Le bien en cause avait été acquis et était détenu comme bien locatif. Il continuait d'être un bien locatif même lorsque le flux de revenu a cessé. Lorsque le caractère du bien n'a pas changé, on ne doit pas, avant d'examiner la question des dépenses, si facilement rejeter l'existence d'un but qui consiste à gagner un revenu. En d'autres termes, pourvu que le bien n'ait pas été affecté à un autre usage auquel il pourrait être plus approprié de rattacher de telles dépenses, il demeure un bien locatif, et les dépenses courantes engagées, y compris pendant que le bien ne génère pas un revenu, ne doivent pas être si facilement refusées comme n'ayant pas été engagées en vue de gagner un revenu. Quoique ceci aille à l'encontre du courant de pensée actuel, je pourrais aller jusqu'à dire que, même si le flux de revenu d'une entreprise a complètement cessé, il faut prendre en compte une période raisonnable de liquidation, période pour laquelle des dépenses afférentes à la détention du bien doivent être admises. Il s'agit de frais liés au processus consistant à gagner un revenu, lequel processus inclut des frais de démarrage et des frais de liquidation. Le fait que des dépenses engagées vers la fin de la vie d'une entreprise puissent se rapporter à un revenu gagné dans une année précédente ne doit pas nécessairement être fatal pour la déductibilité de ces dépenses lorsqu'il s'agit de dépenses faisant nécessairement partie de l'activité productive de revenu, quoiqu'elles n'aient pas été engagées durant les années productives de revenu. Prendre en compte de telles dépenses donne une image plus fidèle du profit ou de la perte provenant d'une activité particulière. Ainsi, relativement au critère de l'objet énoncé à l'alinéa 18(1)a), il ne faut pas exiger que l'objet soit strictement prospectif, bien que ce soit ainsi que l'alinéa 18(1)a) a toujours été appliqué. Après tout, cet alinéa ne dit pas « en vue de tirer un revenu à l'avenir ».

 

 

[17]    Je désire traiter des observations du juge Hershfield quant à savoir si les dépenses se rapportent à l’usage subséquent du bien, c’est‑à‑dire en l’espèce à la résidence personnelle des Raegele. En fait, s’agit‑il de frais personnels ou de subsistance? L'expression « frais personnels ou de subsistance » est définie comme suit à l’article 248 :

 

248 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

 

[...]

 

« frais personnels ou de subsistance » Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

 

a)         les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise;

 

[…]

 

[18]    Deux conditions doivent être réunies pour que des dépenses entrent dans cette catégorie : premièrement, il doit s’agir de dépenses inhérentes à des biens entretenus pour l’avantage du contribuable; deuxièmement, il doit s’agir de dépenses inhérentes à des biens non entretenus dans le but de tirer un profit de l’exploitation d’une entreprise. Il était facile de conclure que M. Raegele bénéficierait personnellement de ces dépenses, car il a bel et bien emménagé dans la maison. Toutefois, comme j’ai conclu que l’entreprise de M. Raegele a continué jusqu’à ce que les derniers frais de réparation soient engagés, je n’ai aucune difficulté à conclure que les dépenses en cause se rapportent à un bien entretenu dans le but de tirer un profit de l’exploitation d’une entreprise. Je ne suis pas disposé à conclure que, le 15 juillet 1998, il ne s’agissait plus d’un bien entretenu dans le but de tirer un profit de l’exploitation de l’entreprise de M. Raegele. L’entreprise était tout simplement en voie de liquidation. Je conclus que les dépenses se rapportent davantage à l’entreprise qu’à l’usage subséquent du bien en tant que résidence personnelle des Raegele.

 

[19]    J’incline à penser comme le juge Hershfield. Je suis également convaincu que les dépenses ont été engagées pendant que l'entreprise existait encore, quoiqu’elle ait été en phase de liquidation. Est‑ce que l’adoption de cette approche élève l’application de principes commerciaux ordinaires à un statut qui outrepasse en fait une disposition expresse de la Loi (l'alinéa 18(1)a))? Je ne le crois pas. En vertu de l’alinéa 18(1)a), il n’est pas nécessaire, dans une situation de liquidation, que les dépenses aient été engagées pour gagner un revenu futur; il suffit que la cause des dépenses engagées soit directement liée à l’activité productive de revenu de l’entreprise. Il est clair que de telles dépenses doivent être raisonnables et qu’elles doivent avoir été engagées avant la cessation complète de l’entreprise.

 

[20]    Quoique l’analyse effectuée jusqu’ici indique qu’il y a suffisamment de raisons pour admettre l’appel, je conclus en l’espèce qu’il y a une réponse plus directe à la question de l’objet que pose l’alinéa 18(1)a). L’intimée argue que M. Raegele a admis qu'il s'agissait de dépenses engagées pour qu’il puisse emménager dans la maison, ce qui n’a pas l’air de dépenses engagées en vue de gagner un revenu. Toutefois, M. Raegele et son représentant ne sont pas des avocats versés dans les nuances complexes des expressions juridiques. Pourquoi M. Raegele a‑t‑il engagé les dépenses, alors qu’en fait c’était la responsabilité du locataire? Si le locataire s’était acquitté de l’obligation qu’il avait en vertu du contrat de location de payer de telles réparations et qu’il avait remboursé M. Raegele de ses frais relatifs aux dommages, un tel paiement fait à M. Raegele aurait eu le caractère d'un revenu. La déduction de dépenses aurait‑elle quand même été refusée? Assurément pas. L’appelant ne doit pas se voir refuser la déduction parce qu’un locataire n’a pas respecté la garantie d’indemnisation qu'il avait donnée. M. Raegele a engagé les dépenses tout en comprenant bien qu’il avait un droit à un revenu concernant les dépenses, soit un droit à une indemnisation.

 

[21]    M. Raegele a talonné le locataire pour que ce dernier s’acquitte de ses obligations contractuelles et M. Raegele a en fait eu un certain succès en ce que le locataire a payé la facture relative à la consommation d’eau, ainsi que des frais de nettoyage de fenêtres. Ces paiements ont été faits non pas directement à M. Raegele, mais à la société de services publics et à la société de nettoyage de fenêtres. M. Raegele a cependant déterminé qu’une action en justice potentiellement longue et coûteuse ne justifiait pas de talonner les locataires davantage. Je suis toutefois convaincu que, comme il aurait pu faire cela, M. Raegele satisfait au critère de l’objet prévu à l’alinéa 18(1)a). Les dépenses ont été engagées dans un cadre dans lequel M. Raegele pouvait tabler sur la garantie d’indemnisation donnée par les locataires dans le contrat de location (c'est‑à‑dire sur la production d’un revenu). L’effet des dépenses a été de rendre le bien habitable pour M. Raegele et sa famille. Je conclus qu’il est satisfait au critère de l’objet prévu à l’alinéa 18(1)a).

 

[22]    En résumé, le bon sens et les principes commerciaux et comptables ordinaires étayent la position de l’appelant voulant que des dépenses engagées pendant la phase de liquidation d’une entreprise de location immobilière, pour réparer des dommages causés par un ancien locataire, soient de légitimes dépenses d’entreprise déductibles. Il ne s’agit pas de frais personnels ou de subsistance. Pour les motifs que j’ai énoncés, je ne crois pas que cela représente un abus par rapport au libellé exprès de l’alinéa 18(1)a). Toutefois, concernant l’application de l’alinéa 18(1)a) aux circonstances précises de l’espèce, je conclus que l’appelant a engagé les dépenses en vue d’obtenir un revenu du locataire, celui‑ci étant tenu en vertu du contrat de location d’indemniser l’appelant. L’alinéa 18(1)a) ne restreint pas la déductibilité des dépenses de M. Raegele.

 

[23]    Pour ces motifs, j’admets l’appel et défère la question au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant est en droit de déduire 50 p. 100 des frais de réparation de 16 373,68 $ qu’il avait indiqués.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d’avril 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


ANNEXE A

 

Mark Raegele

Année d’imposition 1998

 

ÉTAT DES FRAIS DE RÉPARATION ET D’ENTRETIEN

Date

Description

Montant

 

8 juin

Parent Heating & Cooling Inc.

398,63 $

26 juill.

Ménage

25,12 $

29 juill.

Home Depot

60,24 $

31 juill.

Home Depot

49,80 $

2 août

Home Depot

17,68 $

8 août

Pierre Cantin Flooring

5 003,32 $

10 août

Discount Pro Cleaners

128,40 $

12 août

Assured Renovations Limited

4 815,00 $

21 août

Home Depot

139,54 $

23 août

Multi Flooring

7 917,00 $

9 sept.

Professional Driveway Sealing

200,00 $

11 sept.

Home Depot

58,05 $

18 sept.

Builder's Warehouse

16,62 $

19 sept.

Builder's Warehouse

25,49 $

24 sept.

Builder's Warehouse

4,34 $

24 sept.

Builder's Warehouse

25,57 $

24 sept.

Builder's Warehouse

16,62 $

28 sept.

Builder's Warehouse

6,64 $

 

Total des reçus présentés

18 908,06 $

 

Frais de réparation et d’entretien indiqués par l’appelant

16 373,68 $

Dépense admise, engagée avant le 15 juillet 1998

(398,63 $)

Différence

15 975,05 $

Part de l’appelant (50 %)

7 988,00 $

 

Perte locative indiquée par l’appelant

 

(6 087,00 $)

Dépenses non admises selon ce qui précède

7 988,00 $

Revenu de location net révisé

1 901,00 $

 



[1]           Dans l’appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada, le juge Iacobucci a dit que le juge Stone avait en fait exagéré l'importance du principe du rattachement.

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