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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

1999-4707(IT)G

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DE MARILYN JOHNSON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu les 15 et 16 janvier 2002 à Toronto (Ontario), par

 

l'honorable juge Gerald J. Rip

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :              Me Richard G. Fitzsimmons

Avocate de l’intimée :                Me Elizabeth Chasson

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1995 est admis, avec dépens, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait qu’aucun montant d’argent reçu de La Mutuelle relativement à la période au cours de laquelle Mme Johnson était à l’emploi du conseil scolaire d’East Parry Sound ne doit être inclus dans son revenu en 1995 et que le montant de 4 584,06 $ versé pour son compte à titre de cotisation à un régime de pension agréé doit être déduit lors du calcul de son revenu pour 1995.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mars 2002.

 

 

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020326

Dossier: 1999-4707(IT)G

 

ENTRE :

 

LA SUCCESSION DE MARILYN JOHNSON,

 

appelante,

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rip

 

[1]     Le fiduciaire de la succession de feue Marilyn Johnson interjette appel à l’encontre d’une nouvelle cotisation de l’impôt perçu auprès de feue Marilyn Johnson pour l’année 1995. Selon l’appelante, aucun montant reçu de La Mutuelle du Canada, Compagnie d’Assurance sur la Vie (« La Mutuelle ») par Mme Johnson en 1995 ne devrait être inclus dans son revenu de l’année à titre de prestation d’invalidité au sens de l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1].

 

[2]     Mme Johnson est décédée le 5 juin 1998.

 

[3]     Depuis 1963, Mme Johnson exerçait les fonctions d’enseignante spécialisée. En 1993, Mme Johnson travaillait comme enseignante à l’emploi du conseil scolaire d’East Parry Sound (le « conseil scolaire »). En 1993, le conseil scolaire maintenait en vigueur une police collective d’assurance-invalidité de La Mutuelle dans le cadre de laquelle le conseil scolaire versait des cotisations (la « police »). La Mutuelle s’engageait à fournir des prestations en remplacement de salaire aux employés du conseil scolaire; en cas d’invalidité totale d’un employé, La Mutuelle était censée verser des prestations à l’employé sur une base périodique. 

 

[4]     Selon son mari, M. Fred Johnson, Mme Johnson souffrait d’une discopathie dégénérative et éprouvait des douleurs intermittentes depuis 1967. Elle avait pris des médicaments de temps à autre pendant plusieurs années et s’était fait examiner par plusieurs médecins spécialistes. Toutefois, en janvier 1993, elle a subi une fracture par tassement à l’une de ses vertèbres de la région mi-thoracique et ses anciens symptômes se sont aggravés considérablement. M. Fred Johnson a qualifié d’« affreuse » la douleur qui en a résulté. En novembre 1993, Mme Johnson était incapable de continuer à travailler comme enseignante et a présenté une demande de prestations en remplacement de salaire aux termes de la police. Le conseil scolaire a cessé de lui verser son salaire une fois que ses jours de congé de maladie accumulés se sont épuisés en janvier 1994. La police prévoyait une période d’attente de 70 jours avant que des prestations ne puissent être versées.

 

[5]     La Mutuelle a rejeté la demande de Mme Johnson en mars 1994.

 

[6]     Selon son mari, Mme Johnson a été obligée, malgré son invalidité, de reprendre l’enseignement en mai 1994, en raison des besoins financiers de sa famille et contrairement à l’avis de son médecin.

 

[7]     Le 22 novembre 1994, Mme Johnson a intenté une poursuite judiciaire devant la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) (tel était le nom de cette cour à cette époque), dans le cadre de laquelle elle demandait, entre autres choses, des dommages-intérêts de 500 000 $ pour rupture de contrat, des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 100 000 $, ainsi qu’une déclaration portant qu’elle avait droit à des prestations d’invalidité pour perte de revenu d’emploi, conformément à la police de La Mutuelle. Dans sa déclaration, Mme Johnson a précisé qu’en mai 1994, elle avait recommencé à travailler au sein du conseil scolaire. En fait, elle a continué à travailler pour le conseil scolaire jusqu’à la fin de l’année scolaire 1995, soit jusqu’au 30 juin de cette année-là. M. Fred Johnson a témoigné qu’il était possible que son épouse ait été rémunérée par le conseil scolaire jusqu’en août 1995, juste avant le début du semestre scolaire suivant. La déclaration a été déposée par le cabinet d’avocat Loopstra, Nixon & McLeish[2]. D’après les avocats de Mme Johnson, lesquels se sont fondés sur l’arrêt Adams v. Confederation Life Insurance Co.[3], la cause de Mme Johnson [TRADUCTION] « constituait une action en justice fondée sur la mauvaise foi » et les agissements de La Mutuelle étaient [TRADUCTION] « outrageants ». Par conséquent, la poursuite en dommages-intérêts punitifs et exemplaires était fondée.

 

[8]     En février 1995, La Mutuelle a signifié sa défense à la demande de Mme Johnson, au moyen de laquelle elle niait que cette dernière était atteinte d'une invalidité totale au sens de la police. La Mutuelle a nié savoir que Mme Johnson était à l’emploi du conseil scolaire en mai 1994.

 

[9]     Par la suite, il y a eu échange de lettres entre Me Catherine Motz, à l’époque avocate au service de La Mutuelle, et les avocats de Mme Marilyn Johnson. Dans une lettre datée du 22 mars 1995, l’avocat de Mme Johnson, Me John A. McLeish, a transmis les résultats de l’imagerie par résonance magnétique (« IRM ») à Me Motz et indiqué qu’il était disposé à recommander le règlement de l’action, pourvu que sa cliente reçoive les arriérés des prestations d’invalidité à long terme accumulés jusqu’alors en plus des intérêts, que la prestation d’invalidité à long terme de Mme Johnson soit immédiatement rétablie et que celle-ci reçoive les dépens et débours convenus. Le 17 avril, Me McLeish a retiré son offre de transaction. Par la suite, le 12 avril 1995, Me Motz a transmis une offre de transaction à Me McLeish. L’offre énonçait le montant du paiement et précisait que le montant calculé comprenait des prestations rétroactives au 22 mars 1995, majorées de l’intérêt versé en un montant unique (« montant forfaitaire »), ainsi que des prestations futures payables par chèque mensuel. Selon Me Motz, La Mutuelle n’a modifié sa position qu’au moment de recevoir les résultats de l’IRM.

 

[10]    Dans la lettre du 12 avril, Me Motz a demandé à Me McLeish de confirmer si Mme Johnson [TRADUCTION] « avait droit à d'autres types de fonds » pouvant entraîner une réduction des prestations accordées aux termes de la police, « en avait fait la demande ou en avait reçues ». Des extraits de la police ont été joints à la lettre sous la rubrique intitulée [TRADUCTION] « Montant de la prestation d’invalidité mensuelle ». Me McLeish n’a pas répondu à la question et Me Motz n’y a pas donné suite à ce moment-là.

 

[11]    En avril et en mai 1995, Me McLeish et Me Motz ont échangé d’autres lettres dans lesquelles les calculs du montant de la transaction ont été révisés. Le montant « forfaitaire » était de 52 846,66 $. Dans une lettre datée du 11 mai 1995, Me McLeish a reconnu que le chèque de 52 846,66 $ représentait les arriérés des prestations, des intérêts et des dépens. La décharge totale et définitive décrit également la façon dont le montant de la transaction a été établi (la « transaction de mai »).

 

[12]    La Mutuelle a calculé le montant de 52 846,66 $, payable à Mme Johnson, de la manière suivante[4] :

 

prestations d’invalidité du 28 mars 1994 au 28 avril 1995

           (4 186 $ par mois x 13 mois)                                                      54 418,00 $

+ intérêt au taux de 2,8 % par année                                            1 512,72

 -  cotisation de retraite (versée directement au régime de pension)  -4 584,06

+ honoraires d’avocat                                                                  1 500,00

                                                                                                             52 846,66 $

 

[13]    Me Motz a maintenu que La Mutuelle n’avait versé aucun montant au titre de dommages-intérêts punitifs ni pour rupture de contrat. Me John Johnson a reconnu que, dans les lettres envoyées à son cabinet, La Mutuelle n’avait mentionné que les prestations d’invalidité versées à sa mère.

 

[14]    Selon M. Fred Johnson, lui et son épouse ne s’intéressaient guère à la façon dont La Mutuelle en arrivait au montant de la transaction; ils s’intéressaient au montant forfaitaire qu’elle allait recevoir, c’est-à-dire les 52 846,66 $. Leur fils a confirmé que la façon dont La Mutuelle caractérisait le paiement était sans importance; sa mère voulait l’argent.

 

[15]    Après la transaction de mai, La Mutuelle a appris que Mme Johnson avait travaillé et a refusé de verser d’autres prestations d’invalidité. La Mutuelle était d’avis que, conformément à la police, elle pouvait mettre fin aux versements de prestations d’assurance-invalidité de Mme Johnson et demander le remboursement complet de la totalité des sommes payées à l’égard de la demande. La Mutuelle a cessé de verser des prestations mensuelles à Mme Johnson à partir du 29 avril 1995. Le 22 juin 1995, plutôt que de faire respecter les droits de La Mutuelle en vertu de la police, Me Motz a informé l’avocat de Mme Johnson que La Mutuelle était [TRADUCTION] « disposée à considérer le travail de Mme Johnson, du 24 mai 1994 au mois de juin 1995, comme un programme de réadaptation approuvé par La Mutuelle [...] ». Un extrait de la police transmis par Me Motz à Me McLeish, dans sa lettre du 12 avril 1995, comportait certaines dispositions relatives au programme de réadaptation devant être approuvé par La Mutuelle. La prestation d’invalidité serait réduite en fonction du revenu de l’assurée. MMotz a témoigné qu’elle avait proposé le programme de réadaptation pour éviter un affrontement où les enjeux seraient tout ou rien. Elle n’a pu se souvenir du moment où le programme de réadaptation visant Mme Johnson avait été mentionné pour la première fois par La Mutuelle, ni de l’identité de la personne ayant transmis à Me McLeish, au mois de juin, les copies des feuilles de calcul se rapportant aux prestations de réadaptation mensuelles et comportant l’énoncé. Mme Johnson était censée rembourser tout versement excédentaire.

 

[16]    Lors de l’audition du présent appel, Me Motz a indiqué très clairement que, bien qu’il soit possible qu’elle eût lu la déclaration au moment de sa signification initiale à La Mutuelle, de même que l’allégation selon laquelle Mme Johnson était retournée au travail comme enseignante en mai 1994, elle ne s’était plus servie de la déclaration une fois celle-ci classée, faute de l’avoir sous les yeux, elle a été oubliée. Elle ne s’est pas servie de la déclaration lorsque La Mutuelle [TRADUCTION] « a calculé » la prestation payable à Mme Johnson. En outre, selon Me Motz, l’énoncé contenu dans la déclaration et portant que Mme Johnson était retournée au travail n’était [TRADUCTION] « qu’une allégation » dénuée de détails concernant, par exemple, la durée de l’emploi.

 

[17]    En août 1995, les avocats de Mme Johnson ont signifié un avis de requête à La Mutuelle pour obtenir, entre autres choses, un jugement suivant les conditions de la transaction de mai. La Mutuelle a présenté une requête incidente visant la rectification de l’entente sur la transaction de mai.

 

[18]    Le 25 octobre 1995, le juge Hawkins de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) a rejeté la requête de Mme Johnson et ordonné que la transaction de mai soit rectifiée afin de réduire de 15 011,30 $ le montant forfaitaire payable à Mme Johnson et de tenir ainsi compte des prestations d’invalidité lui ayant été versées lorsqu’elle était à l’emploi du conseil scolaire en 1994 et 1995. Il a également ordonné à Mme Johnson de verser à La Mutuelle des dépens de 1 500 $.

 

[19]    Dans ses motifs du jugement, le juge Hawkins a déclaré ce qui suit :

 

 

[TRADUCTION]

 

      Il est évident que Me Motz a oublié (si l’on présume qu’elle en a déjà été « consciente ») que Mme Johnson avait travaillé comme enseignante pendant un certain temps à partir de mai 1994 et par la suite (tel qu’indiqué dans la déclaration). Selon l’interprétation la plus généreuse, soit Me McLeish a oublié le fait que sa cliente avait travaillé et été rémunérée pendant une partie de la période à l’égard de laquelle elle avait par la suite reçu des prestations en vertu de la police, soit il s’en est souvenu mais en ignorait la pertinence. Toujours selon une interprétation généreuse, on pourrait conclure que Mme Johnson n’était pas au courant du fait que les arriérés pour perte de salaire qui lui étaient versés visaient notamment les périodes pendant lesquelles elle travaillait et était rémunérée. Il ne fait aucun doute qu’elle n’a pas le droit, en vertu de la police, de recevoir une prestation pour perte de salaire à l’égard des périodes pendant lesquelles elle travaille et reçoit un salaire.

 

[20]    Il a ensuite ajouté ce qui suit :

 


[TRADUCTION]

 

      À mon avis, il serait extrêmement inéquitable de permettre à Mme Johnson de conserver les sommes qui lui ont été versées à titre d’indemnités pour perte de salaire à l’égard d’une période pendant laquelle elle travaillait et était rémunérée.

 

[21]    Mme Johnson a interjeté appel à l’encontre de l’ordonnance du juge Hawkins devant la Cour d’appel de l’Ontario mais s’est désistée de l’appel dans le cadre d’une transaction subséquente intervenue avec La Mutuelle en décembre 1995 (la « transaction de décembre »).

 

[22]    Conformément aux conditions de la transaction de décembre, La Mutuelle a convenu de verser à Mme Johnson des prestations d’invalidité supplémentaires de 10 632,44 $. La Mutuelle en est arrivée au montant de 10 632,44 $ de la manière suivante[5] :

 

prestations d’invalidité du 29 avril 1995 au 28 décembre 1995

           (3 833,38 $ par mois) n’ayant pas été précédemment

            versées                                                                                    30 667,04 $

- Paiement ordonné par le tribunal, à l’ordre de La Mutuelle     -15 011,30

- 1⁄2 de la déduction totale pour revenu de réadaptation

           applicable aux mois de mai et juin 1995                         - 3 523,30

- Dépens ordonnés par le tribunal et payables à La Mutuelle     - 1 500,00

                                                                                                           10 632,44 $

 

 

[23]    Mme Johnson a reçu 10 632,44 $ de La Mutuelle en décembre 1995. En février 1996, La Mutuelle a délivré à Mme Johnson un relevé T4A précisant que La Mutuelle avait versé à Mme Johnson, au cours de l’année d’imposition 1995, des prestations du régime d’assurance-salaire totalisant 69 018,78 $ et calculées comme suit :

 


prestations d’invalidité du 29 avril 1995 au 28 décembre 1995              30 667,04 $

                 (3 833,38 $ x 8 mois)

          prestations d’invalidité du 28 mars 1994 au 28 avril 1995                                  54 418,00

Moins : Paiement ordonné par le tribunal, à l’ordre de

     La Mutuelle                                                                                    (15 011,30)

            Moins : 1⁄2 de la déduction totale pour revenu de réadaptation

     applicable aux mois de mai et juin 1995                                                        (3 523,30)

Paiement net versé à  Mme Johnson                                                                   66 550,44 $

montant versé au régime de pension :                                                       2 468,34 $

                 (29 avril 1995 au 28 décembre 1995)

Montant inscrit sur le T4A pour 1995                                                    69 018,78 $

 

[24]    Le montant de 69 018,78 $ comprenait les montants de 4 584,06 $ et de 2 468,34 $ versés au régime de pension de Mme Johnson. Au moment d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de Mme Johnson en septembre 1999, le ministre a déduit le montant de 2 468,34 $ du revenu de Mme Johnson. L’avocate de l’intimée reconnaît que le montant de 4 584,06 $ aurait également dû être déduit lors du calcul du revenu de l’année de Mme Johnson, conformément à l’alinéa 8(1)m) de la Loi. Je suis d’accord.

 

[25]    La question qu’il me reste à trancher est celle de savoir si les paiements forfaitaires versés par La Mutuelle à Mme Johnson, auxquels est soustrait le montant ordonné par la Cour de l’Ontario à titre de remboursement à l’assureur, doivent être inclus dans le revenu de Mme Johnson aux termes de l’alinéa 6(1)f) de la Loi. L’alinéa 6(1)f) prévoit que les sommes suivantes, entre autres, sont incluses dans le revenu de l’année d’un contribuable à titre de revenu tiré d’un emploi ou d’une charge :

 

f) le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

 

[. . .]

 

(ii) un régime d'assurance invalidité,

 

[. . .]

 

[26]    Il faut déterminer les montants qui ont été versés sur une base périodique à Mme Johnson en 1995 en vertu d’un régime d’assurance-invalidité dans le cadre duquel le conseil scolaire a contribué, ainsi que les montants, s’il en est, qui lui ont été versés par La Mutuelle autrement qu’en vertu d’un régime d’assurance-invalidité.

 

[27]    Je n’accepte pas l’argument de l’appelante selon lequel le montant de 69 018,78 $ a été payé à Mme Johnson pour rupture de contrat ou à titre de dommages-intérêts punitifs. La preuve indique le contraire. Un assureur n’est aucunement obligé de s’en tenir à la demande d’une assurée qui ne possède aucune preuve à l’appui de la demande. Dans le présent appel, l’assureur était disposé à  respecter ses obligations en vertu de la police une fois reçus les résultats de l’IRM. Le fait que l’assurée a poursuivi l’assureur avant de lui fournir les résultats de l’IRM ne devrait pas, dans la plupart des cas, avoir pour effet de transformer le versement d’arriérés de prestations en un autre type de versement une fois que le litige est réglé.

 

[28]    Le paiement effectué par La Mutuelle en mai 1995 a mis un terme au litige initial. Toutefois, le paiement ne constituait pas la décharge totale ou définitive de l’assureur aux termes de la police, comme c’était notamment le cas dans Peel c. M.R.N.[6] ou Tsiaprailis c. La Reine[7]. Le paiement ne constituait que les arriérés totaux des montants qui étaient payables sur une base périodique en vertu de la police, majorés de l’intérêt et des dépens. L’assureur a versé ce qu’il aurait dû payer aux termes de la police s’il avait accepté la demande de Mme Johnson en mars 1995 ou auparavant. Par ailleurs, Mme Johnson a reçu les arriérés auxquels elle avait droit aux termes de la police. Avant la transaction, les avocats de Mme Johnson et de La Mutuelle s’affairaient à faire des calculs pour s’assurer que le montant forfaitaire représente l’ensemble des montants qu’elle aurait dû recevoir si La Mutuelle avait accepté sa demande lorsque celle-ci a été faite, en plus de l’intérêt et des dépens de 1 500 $. En outre, la police demeurait en vigueur et Mme Johnson devait continuer à recevoir des prestations mensuelles. L’assureur s'est conformé à ses obligations en vertu de la police et a versé ce qu’il aurait dû payer sur une base périodique. Mme Johnson n’a renoncé à aucun droit de réclamer des prestations futures en vertu de la police. Ainsi, dans des circonstances normales, les montants reçus aux termes de la transaction de mai devraient être inclus dans le revenu de Mme Johnson pour 1995.

 

[29]    Cependant, les circonstances de l’espèce n’étaient pas normales. Par la suite, La Mutuelle s’est rendu compte – puisqu’elle en avait déjà été informée – que Mme Johnson était à l’emploi du conseil scolaire depuis mai 1994. Ainsi, La Mutuelle était d’avis que son calcul des prestations versées à Mme Johnson conformément à la transaction de mai était trop élevé. La Mutuelle voulait se faire rembourser les montants excédentaires. Mme Johnson a introduit une requête en confirmation de la transaction de mai et La Mutuelle a présenté une requête incidente visant la rectification de la transaction de mai. Une transaction a été obtenue en décembre 1995, en vertu de laquelle La Mutuelle a versé à Mme Johnson des arriérés de 10 632,44 $ et accepté de continuer à verser des prestations.

 

[30]    Il est évident que Mme Johnson a reçu des prestations à l’égard de la période de mai 1994 jusqu’à juin 1995 inclusivement; en vertu de la police, elle n’avait pas droit aux prestations si elle travaillait. Je ne partage pas l’avis de La Mutuelle selon lequel les prestations versées à l’égard de la période pendant laquelle Mme Johnson travaillait constituaient des revenus de réadaptation. Aucune preuve ne démontre que, lorsque Mme Johnson a recommencé à travailler pour le conseil scolaire, La Mutuelle et le conseil scolaire considéraient son emploi comme une activité de réadaptation pour les fins de la police. La clause de réadaptation de la police a été utilisée pour en arriver à un règlement avec Mme Johnson et pour calculer le montant qui lui serait versé. En particulier, il est manifeste qu’une telle qualification a été adoptée pour les besoins internes de La Mutuelle, afin de justifier un paiement auquel s’ajoutaient des prestations mensuelles d’invalidité à long terme. À mon avis, les paiements de réadaptation constituaient une fiction et un moyen utilisé pour mettre fin au litige. L’Agence des douanes et du revenu du Canada n’aurait pas dû [TRADUCTION] « accepter du premier coup » la façon dont La Mutuelle a qualifié le paiement; un meilleur effort de la part de l’Agence aurait révélé qu’une qualification différente était plus réaliste. J’accepte le témoignage de M. Johnson selon lequel Mme Johnson avait effectué un retour au travail au sein du conseil scolaire uniquement en raison des pressions d’ordre financier pesant sur la famille. Il n’existait aucun programme de réadaptation. 

 

[31]    Mme Johnson a été à l’emploi du conseil scolaire de mai 1994 à juin 1995. Par conséquent, on ne peut dire que la partie du paiement forfaitaire se rapportant à la période d’emploi de mai 1994 à juin 1995 ait été versée relativement à la perte de la totalité ou d’une partie de son revenu d’emploi, puisque Mme Johnson n’a perdu aucun revenu d’emploi au cours de la période pendant laquelle elle a travaillé. Ainsi, comment un paiement versé par La Mutuelle à l’égard d’une telle période peut-il se rapporter à la perte d’un revenu d’emploi? Aucune partie d’un paiement quelconque se rapportant à la période de mai 1994 à juin 1995, ou une période subséquente, et versé par La Mutuelle à l’égard de la période pendant laquelle Mme Johnson a été rémunérée par le conseil scolaire, ne doit être incluse dans le revenu de celle-ci en vertu de l’alinéa 6(1)f) de la Loi[8]. Seule la partie du paiement des arriérés se rapportant aux périodes de mars et avril 1994, ainsi qu’aux mois entre juin 1995 et décembre 1995 pendant lesquels le conseil scolaire a cessé de verser un salaire à Mme Johnson, doit être incluse dans le revenu aux termes de l’alinéa 6(1)f). (La cotisation de retraite de 4 584,06 $ sera également soustraite au revenu).

 

[32]    Je souscris à l’opinion de l’avocat selon laquelle l’alinéa 6(1)a) de la Loi ne s’applique aucunement aux faits en l’espèce. Mes collègues le juge en chef adjoint Bowman et le juge Lamarre ont conclu que l’alinéa 6(1)a) était une disposition générale; elle ne vise pas à combler tous les vides laissés par l’alinéa 6(1)f)[9]. Mme Johnson a reçu des montants d’argent de La Mutuelle en tant qu’assurée et non comme employée du conseil scolaire. Pour que l’alinéa 6(1)a) s’applique, il aurait fallu que Mme Johnson reçoive les sommes comme employée du conseil scolaire. L’appel dépend de l’application du seul alinéa 6(1)f).

 


[33]    L'appel sera donc admis, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mars 2002.

 

 

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 



[1] Le ministre du Revenu national avait également établi la cotisation en se fondant sur le fait que les montants avaient été reçus par Mme Johnson dans le cadre de son emploi, au sens de l’alinéa 6(1)a) de la Loi. Lors du procès, l’avocate de l’intimée a précisé qu’elle ne se fondait plus sur l’alinéa 6(1)a).

[2] À l’époque, John Johnson, le fils de Mme Johnson, était avocat en second au sein du cabinet Loopstra, Nixon & McLeish. Il a témoigné qu’il était chargé du dossier de sa mère et qu’il avait rédigé des lettres adressées à La Mutuelle et signées par Me McLeish.

[3]  (1994), 18 Alta. L.R. (3d) 324, [1994] 6 W.W.R. 662.

[4] La police prévoyait que la prestation d’invalidité mensuelle correspondait à 81,9 p. cent du revenu mensuel touché par le prestataire avant de devenir invalide. Le revenu que touchait Mme Johnson avant de devenir invalide était de 5 110,42 $; elle avait droit à des prestations mensuelles de 4 186 $. Sa cotisation de retraite mensuelle correspondait à 6,9 p. cent du revenu qu’elle touchait avant d’être invalide, soit 352,62 $ par mois. La prestation d’invalidité mensuelle nette payable à Mme Johnson, déduction faite de la cotisation de retraite de 352,62 $, était de 3 833,38 $.

[5] La Mutuelle a également fourni, au nom de Mme Johnson, une cotisation de 2 468,34 $ directement au régime de pension du conseil scolaire.

[6] C.C.I., no 85-1739(IT), 1er avril 1987 (87 DTC 268).

[7] [2001] A.C.I. no 856, le juge en chef adjoint Bowman.

[8]  Mise à part une suggestion faite par M. Fred Johnson, aucune preuve n’indique que Mme Johnson a reçu un salaire du conseil scolaire jusqu’en août 1995. Par conséquent, j’hésite à prolonger jusqu’au mois d’août la période pendant laquelle le conseil scolaire a effectué des paiements. La période pourrait sans doute être établie à la satisfaction des deux parties après le prononcé du jugement. Par ailleurs, toute nouvelle cotisation devrait tenir compte de la période réelle au cours de laquelle un salaire a été versé par le conseil scolaire à Mme Johnson, au cas où un paiement aurait été effectué après juin 1995. En conséquence, le jugement formel ne précisera aucune période au cours de laquelle le conseil scolaire a effectué des paiements. En outre, alors qu’elle était à l’emploi du conseil scolaire, Mme Johnson a dû s’absenter du travail à maintes reprises en raison de sa maladie et n’a pas été rémunérée à l’égard de ces absences. Elle avait épuisé ses congés de maladie et autres.

[9] Voir Landry c. La Reine, C.C.I., no 97-1768(IT)I, 30 janvier 1998 (98 DTC 1416) (le juge en chef adjoint Bowman), Whitehouse c. La Reine, C.C.I., no 98-266(IT)I, 10 novembre 1999 (2000 DTC 1616) (le juge Lamarre), Tsiaprarlis c. La Reine, précité, aux par. 18 et 19, et Peel c. M.R.N., C.C.I., no 85-1739(IT), 1er avril 1987 (87 DTC 268) (le juge Taylor). Comparer, par exemple, avec Dumas c. La Reine, C.C.I., no 1999-1633(IT)G, 26 octobre 2000 (2000 DTC 2603)(le juge Mogan).

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