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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-4276(IT)G

ENTRE :

DOUGLAS L. CROWE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

 

intimée.

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Kenneth A. Cush (1999‑4278(IT)G) le 22 novembre 2001 à Calgary (Alberta) par

 

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                Me Michel Bourque

 

Avocat de l'intimée :                  Me William L. Softley

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté avec dépens selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars 2002.

 

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-4278(IT)G

ENTRE :

KENNETH A. CUSH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Douglas L. Crowe (1999‑4276(IT)G) le 22 novembre 2001 à Calgary (Alberta) par

 

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                         Me Michel Bourque

 

Avocat de l'intimée :                           Me William L. Softley

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 est rejeté avec dépens selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars 2002.

 

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020307

Dossiers: 1999-4276(IT)G

 

 

 

ENTRE :

DOUGLAS L. CROWE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée,

ET

1999-4278(IT)G

 

KENNETH A. CUSH,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

 

[1]         L'appelant Kenneth A. Cush a, pour chacune des années d'imposition 1996 et 1997, déduit notamment la somme de 1 500 $ à titre de « cotisations annuelles syndicales, professionnelles et semblables ». L'appelant Douglas Crowe a déduit la même somme, au même titre, pour son année d'imposition 1996. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté la déduction revendiquée par l'un et l'autre, pour le motif que les cotisations qu'ils versaient à l'Alberta Provincial Judges Association (Association des juges provinciaux de l'Alberta, l'« association ») n'étaient pas versées à une association ou à un syndicat du type visé par les dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), du fait que les juges de la Cour provinciale de l'Alberta ne sont pas des fonctionnaires au sens de la Loi et que, par conséquent, les cotisations qu'ils versent à l'association ne sont pas déductibles.

 

[2]     Les avocats ont convenu que les deux appels en instance seraient entendus sur preuve commune.

 

[3]     Un cartable de documents comprenant les onglets A à J inclusivement a été déposé à titre de pièce A-1, et toute référence à un document portant l'un de ces onglets renvoie au document correspondant de la pièce A‑1. Les avocats ont également déposé un exposé conjoint des faits dont copie se trouve dans la pièce A-1, avant l'onglet A. En voici la teneur :

 

          [TRADUCTION]

 

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

Les parties, par leurs avocats respectifs et uniquement aux fins du présent appel, reconnaissent par les présentes les faits suivants, étant entendu que les présents aveux ne valent que dans le cadre du présent appel et ne peuvent être opposés à l'une ou l'autre partie dans quelque autre contexte que ce soit ni par aucune autre partie.

 

1.         L'honorable Kenneth A. Cush, l'appelant dans le dossier 1999‑4278(IT)G, et l'honorable Douglas L. Crowe, l'appelant dans le dossier 1999-4276(IT)G, sont juges à la Cour provinciale de l'Alberta.

 

2.         Durant les années d'imposition en question, savoir 1996 et 1997, les appelants étaient membres de l'Alberta Provincial Judges Association (l'« association »).

 

3.         L'association est une société constituée sous le régime de la loi intitulée Societies Act (Loi sur les sociétés), R.S.A. 1980, ch. S‑18, et, pendant les années d'imposition en question, ainsi qu'à ce moment, elle regroupait plus de 80 p. 100 des juges de la Cour provinciale de l'Alberta. Les objectifs juridiques de l'association, tels que modifiés le 23 septembre 1993 et déposés le 2 mars 1994, sont annexés aux présentes à titre de pièce « A » et les règlements intérieurs de l'association sont annexés à titre de pièce « B ».

 

4.         Durant chacune des années d'imposition en question, chacun des appelants a versé à l'association la somme de 1 500 $ à titre de cotisation annuelle. La question de droit qui se pose en l'espèce est de savoir si cette somme est déductible en application du sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée lors des années d'imposition en question (la « Loi ») ou, subsidiairement, en application de l'alinéa 8(1)b).

 

5.         Au cours des années d'imposition en question, la cotisation annuelle des membres de l'association était de 1 500 $. Avant le 1er avril 1995, la cotisation était de 500 $, mais, à cette date, elle a été portée à 1 500 $ par suite des coûts supplémentaires des activités de l'association liées aux traitements des juges et à l'indépendance judiciaire.

 

6.         En 1996 et 1997, ainsi qu'à ce moment, quelques juges de la Cour provinciale de l'Alberta ont refusé et refusent encore de se joindre à l'association. En 1996 et 1997, ainsi qu'à ce moment, il n'est pas obligatoire pour les juges de la Cour provinciale de l'Alberta d'être membres de l'association et le versement de la cotisation annuelle à l'association n'est pas une condition de nomination à la Cour.

 

7.         L'association a traditionnellement représenté les intérêts de ses membres de la Cour provinciale de l'Alberta et ses activités à cet égard sont décrites en plus de détail aux paragraphes qui suivent.

 

8.         Au cours des douze dernières années, les actions et les activités de l'association liées aux salaires et à l'indépendance des juges découlent de la décision prise en 1988 par Sa Majesté la Reine du chef du lieutenant-gouverneur en Conseil de l'Alberta (désignée ci-après le « gouvernement de l'Alberta » pour plus de commodité) qui se proposait de changer les modalités de fixation des salaires des juges de la Cour provinciale de l'Alberta.

 

9.         Avant le 1er janvier 1989, le traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta représentait un pourcentage déterminé du traitement des juges de la Cour du Banc de la Reine de la province et, avant le 1er avril 1980, un pourcentage déterminé du traitement des juges de la Cour de district de l'Alberta. Pour les juges à plein temps de la Cour provinciale, ce pourcentage était de 80 p. 100. Pour les juges en chef adjoints et pour le juge en chef de la Cour provinciale de l'Alberta, il était de 85 p. 100 et de 90 p. 100 respectivement. Pour leur part, les traitements des juges de la Cour de district et, subséquemment, de la Cour du Banc de la Reine étaient fixés après examen par une commission fédérale indépendante.

 

10.       À compter du 1er janvier 1989, le gouvernement de l'Alberta a décidé, sans l'assentiment des juges de la Cour provinciale, de cesser d'indexer leur traitement à 80 p. 100 de celui des juges de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. Ainsi, après l'exercice 1988-1989, le gouvernement de l'Alberta a fixé le traitement annuel des juges de la Cour provinciale sans égard à la formule des 80 p. 100.

 

11.       En 1989, l'association a retenu les services d'un avocat pour la représenter, ainsi que ses membres, relativement à la rémunération et aux avantages sociaux des juges de la Cour provinciale. Durant la période de 1989 à mars 1994, des démarches ont été faites au nom de l'association en vue du rétablissement d'une formule basée sur un pourcentage, mais la façon de fixer le traitement n'a pas été modifiée.

 

12.       Après 1988, la seule augmentation accordée aux juges de la Cour provinciale de l'Alberta a été une majoration de 9 p. 100 de leur traitement en 1991. La formule des 80 p. 100 eût-elle été appliquée pour les exercices 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993, un juge à plein temps de la Cour provinciale aurait touché quelque 50 000 $ de plus que ce qu'il a effectivement reçu durant ces années. Un tableau comparatif de ces écarts est annexé à titre de pièce « C » au présent exposé conjoint des faits.

 

13.       En mars 1994, l'avocat de l'association a informé le gouvernement de l'Alberta de son intention de le poursuivre en justice à moins que certaines demandes au sujet de la fixation du traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta ne soient satisfaites. Vers la fin de mars 1994, l'association et le gouvernement de l'Alberta ont conclu un accord prévoyant notamment que les deux parties négocieraient de bonne foi en vue d'une résolution dans les meilleurs délais de leur différend et l'association a accepté de ne pas engager d'action en justice en attendant les négociations.

 

14.       Le 31 mars 1994, les traitements des juges de la Cour provinciale de l'Alberta ont été réduits de 5 p. 100 par application du décret A.R. 116/94 portant réduction de 5 p. 100 de tous les salaires et traitements payés par le gouvernement de l'Alberta. Bien que les juges de la Cour provinciale savaient à l'avance qu'ils pourraient être touchés par le plan de réduction du déficit du gouvernement de la province, ils ne savaient pas à l'avance qu'ils y seraient définitivement inclus. Ils en ont été informés pour la première fois le 31 mars 1994 et cette réduction de 5 p. 100 a été imposée sans qu'ils y aient consenti.

 

15.       Le 2 août 1994, l'association et 69 juges de la Cour provinciale de l'Alberta ont fait émettre une déclaration contre le gouvernement de l'Alberta. Une copie de cette déclaration et de la déclaration modifiée sont annexées à titre de pièces « D » et « E » au présent exposé conjoint des faits.

 

16.       La Cour du Banc de la Reine a sursis à cette action en attendant la résolution de contestations à l'indépendance de la Cour provinciale de l'Alberta faites dans un certain nombre d'affaires criminelles devant la Cour d'appel de l'Alberta et la Cour suprême du Canada. La décision est publiée au (1996), 182 A.R. 236 [38 Alta. L.R. (3d) 224, [1996] 6 W.W.R. 738].

 

17.       Ces contestations invoquaient la non-observation de la formule des 80 p. 100, la réduction de 5 p. 100 et les modifications apportées au régime de pension des juges et ont notamment été faites dans les affaires R. v. Campbell, R. v. Ekmecic et R. v. Wickman, (1994), 160 A.R. 81 [25 Alta. L.R. (3d) 158, [1995] 2 W.W.R. 469].

 

18.       En fin de compte, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a notamment statué que le décret du 31 mars 1994 portant réduction de 5 p. 100 du traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta était invalide et que le gouvernement avait une obligation constitutionnelle de préserver la sécurité financière de ces juges de façon à correspondre à l'augmentation du coût de la vie.

 

19.       Le procureur général de l'Alberta a porté la décision de la Cour du Banc de la Reine en appel à la Cour d'appel de l'Alberta; à cette occasion, l'association a demandé et a obtenu la qualité pour intervenir dans l'instance.

 

20.       La Cour d'appel de l'Alberta a conclu qu'elle n'avait pas compétence en la matière et n'a pas examiné le bien-fondé des arguments; sa décision est publiée au (1995), 169 A.R. 178 [31 Alta. L.R. (3d) 190, [1995] 8 W.W.R. 747].

 

21.       Son appel rejeté par la Cour d'appel de l'Alberta, le gouvernement de l'Alberta a versé une somme forfaitaire à chacun des juges de la Cour provinciale de l'Alberta, annulant ainsi la réduction de 5 p. 100 de leur traitement (le total de ces paiements s'élevait à quelque 2 000 000 $).

 

22.       Par la suite, le procureur général de l'Alberta a demandé et a obtenu l'autorisation de se pourvoir en Cour suprême du Canada contre la décision susmentionnée de la Cour d'appel.

 

23.       L'association a demandé et a obtenu de la Cour suprême du Canada la qualité pour intervenir dans l'instance. L'avis de requête de l'association en autorisation d'intervenir, l'affidavit du juge Jerry N. Le Grandeur à l'appui de l'avis de requête en autorisation d'intervenir et le mémoire de l'Alberta Provincial Judges' Association sont joints à titre de pièces « F », « G » et « H » respectivement.

 

24.       La Cour suprême du Canada a entendu l'appel formé contre la décision de la Cour d'appel de l'Alberta ainsi que les appels formés contre des décisions de même nature rendues dans d'autres provinces. Les motifs de ses jugements en ces matières sont publiés aux [1997] 3 R.C.S. 3, [1998] 1 R.C.S. 3 et [1998] 2 R.C.S. 443. De plus, l'association a présenté une requête en directives de la Cour suprême du Canada au sujet du paiement des dépenses engagées relativement aux commissions indépendantes sur le traitement des juges.

 

25.       En Alberta, une première commission indépendante sur le traitement des juges (la « première commission ») a été constituée en 1998 et avait pour mandat de fixer le traitement des juges de la Cour provinciale jusqu'au 30 avril 2000.

 

26.       Le cadre de l'établissement de la première commission a été défini par un accord entre le ministre de la Justice, le juge en chef de la Cour provinciale et l'association. Cet accord-cadre est annexé aux présentes à titre de pièce « I ».

 

27.       Par application de cet accord-cadre, l'association a produit des éléments de preuve et a fait valoir la position des juges devant la première commission. Elle a présenté des mémoires détaillés ainsi que le témoignage d'experts sur le traitement et la pension et a fait témoigner quatre juges devant la commission. Le gouvernement de l'Alberta et l'association ont produit un exposé conjoint des faits et ont conjointement soumis des documents.

 

28.       La première commission a recommandé que le traitement de 113 964 $ (gelé depuis 1991) des juges de la Cour provinciale soit porté à 142 000 $ pour 1998 et à 152 000 $ pour 1999 et que leur pension soit rajustée à compter du 1er avril 1998.

 

29.       Par le décret 346/98, le gouvernement de l'Alberta a rejeté ces recommandations pour y substituer une augmentation plus faible et a modifié les recommandations relatives aux pensions. Ces changements à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Alberta ont été effectués par les décrets 176/98 et 177/98.

 

30.       L'association a demandé à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta de déclarer inconstitutionnels les décrets 346/98, 176/98 et 177/98. Elle a présenté des mémoires et a été entendue le 15 janvier 1999.

 

31.       La Cour du Banc de la Reine a accueilli la demande par un jugement publié au (1999), 236 A.R. 251 [70 Alta. L.R. (3d) 177, [1999] 10 W.W.R. 356].

 

32.       Le gouvernement de l'Alberta a porté la décision de la Cour du Banc de la Reine en appel à la Cour d'appel de l'Alberta. L'association a contesté l'appel, a présenté des observations écrites et a été entendue le 30 avril 1999.

 

33.       La Cour d'appel de l'Alberta a rejeté l'appel du gouvernement de l'Alberta par une décision publiée au (1999), 237 A.R. 276 [71 Alta. L.R. (3d) 269, 177 D.L.R. (4th) 418, [1999] 12 W.W.R. 66, 16 Admin. L.R. (3d) 154].

 

34.       Le gouvernement de l'Alberta a demandé l'autorisation d'en appeler de la décision de la Cour d'appel de l'Alberta à la Cour suprême du Canada. L'association s'y est opposée en déposant sa réponse à la demande d'autorisation d'appel, laquelle demande a été rejetée par la Cour suprême du Canada par décision du 8 juin 2000.

 

35.       Durant l'automne 1999, des discussions ont eu lieu entre l'association et le gouvernement de l'Alberta au sujet du cadre et de la conduite de la prochaine commission indépendante sur les traitements des juges (la « seconde commission »). Les deux parties sont parvenues à un accord dont la teneur était essentiellement reprise dans le décret 2000/100.

 

36.       La seconde commission a été constituée pour déterminer le traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta pour la période allant du 1er avril 2000 au 31 mars 2003. L'association a défendu les intérêts des juges devant cette commission, qui a mené à de nouvelles augmentations et améliorations à la rémunération des juges pour la période susmentionnée. Une copie du rapport et des recommandations de la Commission de 2000 sur les traitements des juges est annexée aux présentes à titre de pièce « J ».

 

37.       En 2000, l'action contre le gouvernement de l'Alberta a été réglée à l'amiable par voie de lettre d'accord, dont des passages sont contenus dans le rapport et les recommandations de la Commission de 2000 sur le traitement des juges.

 

38.       Depuis 1994, à peu près 90 p. 100 du temps du conseil exécutif de l'association a été consacré aux questions évoquées aux présentes au sujet des traitements et de l'indépendance des juges et à l'action en justice contre le gouvernement de l'Alberta. En particulier, ce temps a été consacré aux activités suivantes :

 

a)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour intenter, poursuivre et régler l'action en justice contre le gouvernement de l'Alberta, notamment les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée et les discussions avec les membres de l'association et les comptes rendus à ces derniers;

 

b)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour obtenir la qualité d'intervenante devant la Cour d'appel de l'Alberta et la Cour suprême du Canada dans les affaires Campbell et al., notamment les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée et les discussions avec les membres de l'association et les conseils donnés à ces derniers;

 

c)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour participer à titre d'intervenante devant la Cour d'appel de l'Alberta et la Cour suprême du Canada, notamment les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée et les discussions avec les membres de l'association et les comptes rendus à ces derniers;

 

d)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour parvenir à l'accord-cadre, notamment les négociations avec le gouvernement de l'Alberta, les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée et les discussions avec les membres de l'association et les comptes rendus à ces derniers;

 

e)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association dans l'exécution de l'accord-cadre relatif à la première commission, notamment les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée, l'engagement des experts appelés à témoigner, la préparation et la présentation des arguments devant la commission et les discussions avec les membres de l'association et les comptes rendus à ces derniers;

 

f)          les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour étudier la décision du gouvernement de l'Alberta de rejeter les recommandations de la première commission, notamment les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers, l'examen de la ligne de conduite recommandée, la présentation et la poursuite du recours en Cour du Banc de la Reine en annulation de la décision du gouvernement de l'Alberta portant rejet des recommandations de la première commission, la contestation de l'appel du gouvernement de l'Alberta devant la Cour d'appel de l'Alberta et l'opposition à la demande faite par le gouvernement de l'Alberta en autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada de la décision de la Cour d'appel de l'Alberta;

 

g)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour définir de concert avec le gouvernement de l'Alberta le cadre et la conduite de la seconde commission, notamment la préparation et la négociation d'une proposition conjointe à soumettre à cette commission, les discussions avec ses avocats et les instructions données à ces derniers en la matière, l'examen de la ligne de conduite recommandée et les discussions avec les membres de l'association et les comptes rendus à ces derniers;

 

h)         les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour surveiller l'état de l'indépendance des juges en Alberta, notamment des juges de la Cour provinciale;

 

i)          les activités jugées opportunes et nécessaires par l'association pour examiner le projet de règlement de mise en oeuvre des changements aux pensions des juges recommandés par la première et la seconde commissions et des changements aux pensions des juges par suite du règlement à l'amiable de l'action en justice contre le gouvernement de l'Alberta, notamment l'examen des avis d'actuaires et de conseillers juridiques ainsi que les discussions avec le Trésor, le procureur général et le Conseil législatif de l'Alberta;

 

j)          les activités jugées appropriées et nécessaires pour couvrir le coût des activités mentionnées aux alinéas a) à i) ci‑dessus;

 

k)         les activités jugées opportunes et nécessaires pour examiner et étudier les questions relatives à l'inamovibilité judiciaire, notamment la présentation d'observations au comité appelé Judicial Selection Process Review Committee (Comité d'examen du processus de sélection des juges) qui examinait les processus de sélection des juges, la composition et les procédures de l'organe de présentation des candidatures, les critères de nomination des juges de la Cour provinciale et des juges administratifs ainsi que les modalités des nominations à la magistrature;

 

l)          les activités pour examiner s'il y avait lieu pour l'association de participer au litige entre le juge Reilly de la Cour provinciale et le juge en chef Wachowich, dont l'objet est publié aux (1998), 229 A.R. 218 (Q.B.) [64 Alta. L.R. (3d) 227, [1999] 3 W.W.R. 691], (1999), 234 A.R. 1 (Q.B.) [71 Alta. L.R. (3d) 214, [1999] 11 W.W.R. 378] et (2000), 266 A.R. 296 (C.A.) [84 Alta. L.R. (3d) 201, 192 D.L.R. (4th) 540, [2001] 1 W.W.R. 55] et, le cas échéant, dans quelle mesure ou selon quels paramètres.

 

L'association a subi ou engagé des frais juridiques de l'ordre de quelque 1 500 000 $ relativement aux questions mentionnées aux alinéas a) à i) ci-dessus.

 

39.       Au cours de la même période, l'association a également organisé et dirigé des séminaires de perfectionnement annuels pour les juges et a entrepris la promotion de la collégialité entre les juges de la Cour provinciale de l'Alberta et ceux des cours provinciales d'autres provinces. Le coût des séminaires de perfectionnement annuels est couvert par une subvention du gouvernement de l'Alberta.

 

[4]     Ni l'une ni l'autre des parties n'a produit de témoin ou présenté d'autres documents en preuve.

 

[5]     L'avocat des appelants formule le point en litige en l'espèce en ces termes :

 

Les sommes versées par les appelants à l'Alberta Provincial Judges' Association sont-elles des cotisations d'une association de fonctionnaires dont le principal objet est de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres, en vertu du sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi?

 

[6]     Quoiqu'on ait présenté un argument subsidiaire dans l'avis d'appel de chacun des appelants selon lequel les cotisations en cause sont déductibles par application de l'alinéa 8(1)b) de la Loi parce qu'il y a un lien entre leur paiement à l'association et l'établissement du droit au traitement ou salaire qui revient à chacun des appelants et à tous les autres juges de la Cour provinciale de l'Alberta, l'avocat des appelants a renoncé à cet argument.

 

[7]     Les passages pertinents du sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi se lisent comme suit :

 

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

(i) [...] les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre :

 

[...]

 

(iv) des cotisations annuelles requises pour demeurer membre d'une association de fonctionnaires dont le principal objet est de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres, ou d'un syndicat au sens de :

 

(A) l'article 3 du Code canadien du travail,

 

(B) toute loi provinciale prévoyant des enquêtes sur les conflits du travail, la conciliation ou le règlement de ceux-ci, [...]

 

[Je souligne]

 

[8]     L'avocat des appelants reconnaît que la disposition ci-dessus ne s'applique que si les appelants sont des fonctionnaires et que, une fois cette qualité reconnue, il faut démontrer que le principal objet de l'association de fonctionnaires en question est de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres. Au sujet de cette seconde condition, il cite la modification apportée le 2 mars 1994 par l'association à ses objectifs (onglet A) conformément à un certificat de résolution spéciale en date du 20 septembre 1993. Voici ces nouveaux objectifs déclarés :

 

                   [TRADUCTION]

 

a)         promouvoir et assurer la formation permanente des juges de la Cour provinciale de l'Alberta et y prendre part, notamment :

 

(i)         en leur donnant le savoir, les compétences, les techniques et la sensibilité requis pour exercer leurs fonctions judiciaires avec équité, justesse et efficacité;

 

(ii)        en améliorant, par le perfectionnement professionnel, l'administration de la justice, notamment la gestion équitable et efficace des procès et la réduction des retards dans le processus judiciaire;

 

(iii)       en encourageant l'engagement de chaque juge envers les normes les plus rigoureuses de développement personnel, de conduite officielle et de sensibilité sociale;

 

b)         discuter de l'administration de la justice, et l'examiner et l'améliorer, en particulier au sein de la Cour provinciale de l'Alberta, notamment en faisant la promotion d'une uniformité raisonnable dans la mesure où l'association le juge possible et souhaitable en matière de procédure et d'application de la peine au sein de cette juridiction;

 

c)         discuter des questions d'intérêt commun ou intéressant le bien-être des juges de la Cour provinciale de l'Alberta et les étudier et les examiner, et recommander aux autorités compétentes des mesures et des politiques qui, de l'avis de l'association, renforceront la situation de ses membres en vue d'une Cour provinciale de l'Alberta vigoureuse et indépendante, mieux en mesure d'améliorer continuellement son rôle dans l'administration de la justice en Alberta;

 

d)         discuter des règles de droit et de procédure en vigueur et les étudier en vue de recommander aux autorités compétentes les modifications législatives appropriées et propres à l'amélioration de l'administration de la justice en Alberta.

 

[9]     L'avocat des appelants soutient que « favoriser » l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail revient à prendre certaines mesures à cette fin et que le sens ordinaire de ce terme comprend les activités fondamentales de l'association durant les années en question, ainsi que l'indique l'exposé conjoint des faits. En outre, la condition prescrite au préambule du paragraphe 8(1) est remplie puisque le revenu des appelants consiste en la rémunération de leur charge de juge de la Cour provinciale, et que les cotisations versées à l'association – qui regroupe à l'heure actuelle plus de 80 p. 100 des juges de la Cour provinciale de l'Alberta – sont entièrement imputables à cette source de revenu.

 

[10]    Il fait encore observer que si la Loi ne définit pas le terme « association », le juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint) de la Cour canadienne de l'impôt en a examiné le sens dans l'affaire L.I.U.N.A. Local 527 Member's Training Trust Fund c. La Reine, C.C.I., no 91-1111(IT), 31 juillet 1992, 92 D.T.C. 2365. Voici la conclusion qu'il a tirée à la page 22 (D.T.C. : à la page 2375) :

 

[...] Le mot « association » est quelque peu vague, et son interprétation est relativement large et souple. Il suppose que plusieurs personnes sont liées en vue d'une fin commune. Je ne pense pas pouvoir améliorer la définition contenue dans deux dictionnaires courants :

 

 

Oxford English Dictionary, 2e edition :

 

[TRADUCTION]

 

Ensemble de personnes formé afin de réaliser une fin commune ou de promouvoir une cause commune; l'organisation que ces personnes forment afin de poursuivre leurs fins, p. ex. la British Association for the Advancement of Science, la National Football Association, la Church Association et la Civil Service Supply Association.

 

 

Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française :

 

Groupement de personnes qui s'unissent en vue d'un but déterminé.

 

[11]    Les appelants soutiennent qu'il résulte de l'affirmation qui précède que l'association est une association au sens du sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi du fait qu'elle est une société organisée et formée d'un ensemble de personnes – les juges de la Cour provinciale de l'Alberta – poursuivant un but commun exposé dans les documents pertinents de l'association, déposés auprès du registraire des sociétés de la province de l'Alberta conformément à la loi intitulée Societies Act.

 

[12]    L'avocat des appelants souligne que la Loi ne définit pas le terme « fonctionnaire » et qu'il faut se tourner vers d'autres sources pour donner à ce terme un sens propre. Il cite à ce propos l'observation suivante, faite par le juge Iacobucci dans l'affaire 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 à la page 832, 99 D.T.C. 5799 à la page 5809 :

 

Interprétation des lois et ordre public

 

Notre Cour a approuvé en plusieurs occasions l'énoncé de Driedger sur le principe moderne de l'interprétation des lois : [TRADUCTION] « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur ». Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. La règle est la même pour les lois fiscales : Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578.

 

[13]    En outre, les appelants affirment que le terme « titulaire d'une charge » (en anglais, « public servant ») s'entend de quiconque, y compris un juge, est rémunéré par l'État, savoir quiconque est un employé, un titulaire d'une charge ou toute autre personne exerçant ses fonctions pour le compte des citoyens de l'État, y compris toute personne communément dénommée « fonctionnaire » (en anglais, « civil servant »). Cependant, par contraste avec la façon dont l'intimée emploie les deux termes « fonctionnaire » (« civil servant ») et « titulaire d'une charge » (« public servant ») dans chaque réponse à l'avis d'appel (la « réponse »), les appelants n'y voient pas des termes synonymes ou interchangeables. À l'appui, leur avocat cite la décision Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199 de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, M. Wells avait été nommé « commissaire » au Public Utilities Board (Commission des services publics) à titre inamovible jusqu'à l'âge de 70 ans, en application de la loi intitulée Public Utilities Act (Loi sur les services publics). Par la suite, cependant, la législature a adopté une nouvelle loi intitulée Public Utilities Act portant réorganisation de la Commission et, en réduisant le nombre de commissaires en conséquence, a supprimé le poste de M. Wells. On peut lire ce qui suit dans les motifs du juge Major, à partir du paragraphe 29, page 212 :

 

À mon avis, le temps est venu de mettre fin à l'incertitude et de confirmer que le droit relatif aux hauts fonctionnaires concorde avec la compréhension contemporaine du rôle et des obligations de l'État dans ses rapports avec ses employés. Un emploi au sein de la fonction publique ne constitue pas une servitude féodale. Le poste de l'intimé n'était pas une forme de patronage monarchique. Il a été engagé pour occuper une fonction importante au nom des citoyens de Terre-Neuve. Le gouvernement lui a offert ce poste, les conditions ont été négociées et une entente a été conclue. Il s'agissait d'un contrat.

 

Comme le juge Beetz l'a clairement fait remarquer dans Labrecque, précité, la common law traite les relations du travail découlant d'une entente réciproque comme s'il s'agissait d'un contrat. C'est incontestablement de cette façon que pratiquement toute personne qui traite avec la Couronne les perçoit. Bien que les conditions d'un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s'applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l'entente ne le remplacent expressément.

 

C'est le cas pour la plupart des hauts fonctionnaires. Des exceptions sont nécessaires pour les juges, les ministres de la Couronne et d'autres personnes qui remplissent au sein de l'État des rôles définis constitutionnellement. Les conditions de leur relation avec l'État sont régies par les termes et les conventions de la Constitution. Les postes occupés par ces personnes font partie intégrante du « réseau de liens institutionnels entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire qui continuent de former la base de notre système constitutionnel » : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au par. 3.

 

Ni l'une ni l'autre partie ne peut modifier les modalités fondamentales de ces relations, même par une entente. Par exemple, un juge ne peut pas négocier son traitement ni d'autres conditions d'emploi; voir Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi sur les juges »), au par. 134. Il n'en demeure pas moins que ces personnes exercent leurs fonctions aux termes de conditions particulières. Le mécanisme d'exécution de ces conditions ne figure pas dans un contrat, mais dans une déclaration des garanties constitutionnelles sous-jacentes à leur poste : voir Renvoi sur les juges, précité. Il existe également certains postes qui subsistent parce que leurs racines historiques sont toujours nourries par des considérations pratiques, par exemple, le « poste » indépendant d'agent de police: R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; Ridge c. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.).

 

[Je souligne]

 

[14]    Selon les appelants, le passage ci-dessus appuie le fait qu'ils sont, en leur qualité de juges de la Cour provinciale de l'Alberta, des titulaires d'une charge au même titre que d'autres hauts fonctionnaires qui sont au service de l'État dans des rôles définis, tels les députés fédéraux, provinciaux et territoriaux, les sénateurs, le gouverneur général, les lieutenants-gouverneurs, les premiers ministres provinciaux, les membres du Cabinet fédéral et des conseils exécutifs provinciaux et les fonctionnaires. L'avocat cite divers passages du Hansard pour démontrer que l'emploi du terme « titulaire d'une charge » au Parlement ne se limite pas aux fonctionnaires. À titre d'exemple, il mentionne l'observation faite le 7 octobre 1997 par le très honorable Jean Chrétien au sujet de M. Frank McKenna qui avait démissionné le même jour de ses fonctions de premier ministre du Nouveau-Brunswick, savoir que celui-ci a été longtemps « a very good public servant » (un excellent fonctionnaire de l'État). Le 28 février 2001, le député John Harvard a rendu hommage au feu sénateur Gil Molgat, politicien de carrière, sénateur et président du Sénat, en ces termes : « un grand parlementaire et il avait un très grand sens du devoir public » et « un fonctionnaire extraordinaire ». Tout en reconnaissant qu'ils ne sont pas fonctionnaires, les appelants soutiennent qu'ils sont titulaires d'une charge au service du public dans l'exercice de la fonction de juges. Par conséquent, s'ils reconnaissent que tous les fonctionnaires sont titulaires d'une charge, ils n'acceptent pas que l'inverse soit vrai, en raison des exemples qui montrent clairement que tous les titulaires d'une charge ne sont pas forcément des fonctionnaires. Leur avocat cite à l'appui l'arrêt Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi sur les juges ») où le juge en chef Lamer a affirmé à la page 92, paragraphe 143 :

 

D'autre part, il n'en demeure pas moins que, même s'ils sont en bout de ligne payés sur les fonds publics, les juges ne sont pas des fonctionnaires de l'État. Les fonctionnaires font partie du pouvoir exécutif; les juges, par définition, sont indépendants de l'exécutif. Les trois caractéristiques centrales de l'indépendance de la magistrature – inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrative – reflètent cette distinction fondamentale, car elles accordent aux membres de la magistrature des protections auxquelles les fonctionnaires n'ont pas droit en vertu de la Constitution.

 

[15]    Plus loin, au paragraphe 147, le juge en chef Lamer, examinant l'indépendance du pouvoir judiciaire au regard de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), a fait l'observation suivante :

 

En règle générale, l'al. 11d) permet que les traitements des juges soient réduits, haussés ou bloqués, soit dans le cadre d'une mesure économique générale touchant les salaires de toutes les personnes rémunérées sur les fonds publics, soit dans le cadre d'une mesure visant les juges des cours provinciales en tant que catégorie.

 

[16]    Les appelants soutiennent que les deux passages ci-dessus démontrent que tous ceux qui sont rémunérés sur les fonds publics sont titulaires d'une charge et qu'à l'intérieur de cette large catégorie, il y a des sous-groupes, dont celui des juges, au sein de la magistrature, celui des fonctionnaires, qui font partie de l'exécutif, et aussi, bien que le jugement du juge en chef Lamer n'en ait pas fait état, celui des députés eux-mêmes. À l'appui de cette interprétation, leur avocat invoque l'affaire R. v. M.E.A., Cour provinciale de l'Alberta (Division de la jeunesse), no 11304227‑Y20101, 2 mai 1994, [1994] J.A. no 444, dans laquelle le juge Landerkin de la Cour provinciale, en dépit d'un décret portant modification du traitement des juges et leur imposant de ne pas siéger pendant cinq jours de congé non payé par an, a décidé de continuer à entendre l'affaire dont il était saisi, au lieu de s'en dessaisir, et a affirmé ce qui suit au paragraphe 16 de son jugement :

 

[TRADUCTION]

 

Le décret donne l'impression que les juges sont des employés salariés de l'État. Je ne saurais accepter pareille conception. Je suis un titulaire d'une charge et non un fonctionnaire...

 

[17]    En ce qui concerne cet élément de l'argumentation, l'avocat des appelants soutient que si le législateur, en adoptant le sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi, avait souhaité exclure tous les titulaires d'une charge, tels les députés et les juges qui ne font pas partie de l'exécutif, il aurait pu le faire en employant simplement, en anglais, l'expression « association of civil servants » ou toute autre formule non ambiguë pour marquer que les juges n'ont pas droit à la déduction même s'ils choisissent d'adhérer à une association dont le principal objet est de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres.

 

[18]    L'avocat des appelants a ensuite affirmé que la fin à laquelle tendent les efforts de l'association, ses buts et objectifs, sont de promouvoir et de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des juges de la Cour provinciale de l'Alberta. Tel qu'indiqué dans leurs observations au sujet du sens du terme « association », les appelants soutiennent qu'il suffit que l'association travaille à promouvoir cette amélioration et que ses activités durant la période en question, ainsi qu'en fait état l'exposé conjoint des faits, étaient consacrées presque entièrement à cette fin. En fait, la quasi-totalité du temps et des ressources a été consacrée à combattre les mesures unilatérales prises par le gouvernement de l'Alberta et leurs graves conséquences sur le traitement et les conditions de travail de tous les juges de la Cour provinciale. Leur avocat cite encore à ce sujet le Renvoi sur les juges, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé que pour préserver leur indépendance envers le législatif et l'exécutif, les juges ne peuvent négocier leur traitement et autres conditions d'emploi. La Cour a plutôt exigé que les législatures provinciales conçoivent et créent des mécanismes, telles les commissions sur la rémunération des juges, qui fonctionnent indépendamment de l'exécutif et du législatif et de les investir de la responsabilité de fixer ce à quoi ont droit les juges, y compris tout ce qui touche leur traitement et avantages sociaux. Dans ce contexte, le juge en chef Lamer a reconnu que les organisations, telle l'association, qui représentent les intérêts des juges seraient appelées à faire des observations ou à soumettre leurs préoccupations aux gouvernements, par l'intermédiaire de ces commissions, sur le caractère adéquat des traitements des juges. Dans les motifs du Renvoi sur les juges, précité, aux paragraphes 188 et 189, pages 113 et 114, il a affirmé :

 

Lorsque je parle de négociations, j'utilise ce mot dans le sens qu'il a dans le contexte des relations du travail. La négociation de la rémunération et des avantages implique une certaine mesure de « marchandage » entre les parties. De fait, négocier c'est [TRADUCTION] « marchander avec autrui à l'égard d'une opération » (Black's Law Dictionary (6e éd. 1990), à la p. 1036). Toutefois, il faut distinguer ce type d'activité du fait pour les juges en chef des tribunaux ou pour des organisations représentatives telles que le Conseil canadien de la magistrature, la Conférence canadienne des juges et l'Association canadienne des juges de cours provinciales de faire part de leurs préoccupations sur le caractère adéquat des rémunérations versées ou de présenter des observations à cet égard. Comme de telles observations ne servent qu'à fournir de l'information, il n'est donc pas possible d'affirmer qu'elles créent un danger pour l'indépendance de la magistrature.

 

Je reconnais que l'interdiction que fait la Constitution aux juges de négocier leurs traitements place ces derniers dans une situation intrinsèquement désavantageuse comparativement aux autres personnes rémunérées sur les fonds publics, du fait qu'ils ne peuvent pas faire pression sur l'exécutif et le législatif relativement au niveau de leur rémunération. Douglas A. Schmeiser et W. Howard McConnell ont très bien exprimé cette idée dans L'indépendance des juges des cours provinciales : un gage commun (1996), à la p. 15 :

 

En raison de la convention constitutionnelle selon laquelle les juges ne doivent pas se prononcer sur des questions d'ordre politique, ces derniers sont désavantagés par rapport à d'autres groupes lorsque vient le moment de convaincre les gouvernements de leur accorder des augmentations de traitement.

 

Je ne doute pas que ce soit le cas, quoique, dans une certaine mesure, le fait que les juges ne peuvent pas participer à de telles négociations est contrebalancé par les garanties prévues par l'al. 11d). De façon plus particulière, la participation obligatoire d'une commission indépendante supplée à la tenue de négociations, car elle permet aux membres de la magistrature de faire part de leurs préoccupations concernant le niveau de leur rémunération, préoccupations qui autrement seraient formulées à la table des négociations. Qui plus est, ces commissions servent de crible institutionnel protégeant les tribunaux contre l'ingérence politique exercée par le biais de la manipulation financière, danger intrinsèque aux négociations sur les salaires et les traitements .

 

[19]    Selon les appelants, l'exclusion de négociations salariales directes entre le judiciaire d'une part, et l'exécutif et le législatif de l'autre, n'interdit pas les activités entreprises pour promouvoir l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des juges, y compris le traitement et les avantages ou les questions d'inamovibilité ou d'indépendance administrative. Dans la mesure où les commissions indépendantes sur les traitements des juges représentent un impératif constitutionnel, il est préférable de conclure que c'est justement devant un tel organisme que les préoccupations de ce genre doivent être présentées par une organisation comme l'association. En outre, leur avocat fait observer que même si un juge ne peut négocier son traitement ou d'autres conditions d'emploi avec l'État en raison des modalités fondamentales des rapports spéciaux entre les deux, il est toujours possible de présenter des observations, par le mécanisme des commissions indépendantes, au sujet de questions relatives à la sécurité financière, dont la rémunération, les pensions et les prestations d'invalidité de longue durée. En bref, les appelants soutiennent que pendant toute la période en question, l'association avait pour principal objet la promotion de l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres et qu'il y a lieu d'accepter la déduction des sommes que les appelants lui versaient à titre de cotisations.

 

[20]    De son côté, l'avocat de l'intimée soutient que les juges de la Cour provinciale de l'Alberta ne sont pas des « fonctionnaires » au sens de la Loi et que cette désignation ne correspond pas à leur rôle constitutionnel. En conséquence, l'association dont les appelants sont membres ne saurait être une « association de fonctionnaires ». Il n'est pas obligatoire d'en faire partie du seul fait qu'on a été nommé juge à la Cour provinciale. L'avocat reconnaît que le terme « fonctionnaire » n'est pas défini dans la Loi, mais il affirme qu'il doit être interprété selon son sens grammatical ordinaire dans le contexte du paragraphe applicable, citant à ce propos la définition du terme dans le dictionnaire Canadian Oxford Dictionary – K. Barber, ed. (Don Mills : Oxford University Press) 1998, page 1167 :

 

[TRADUCTION]

 

Fonctionnaire – employé de l'État, notamment d'un État fédéral.

 

[21]    Selon l'avocat de l'intimée, cette définition est conforme au sens fondamental et courant du terme en ce que les fonctionnaires sont des personnes employées dans la fonction publique. À ce titre, il est aussi communément entendu que ces personnes travaillent pour le gouvernement qui les emploie et reçoivent leurs instructions de ce dernier. En outre, avant d'être « fonctionnaire », il est nécessaire d'être au « service » d'une autre personne, et on peut lire ce qui suit dans la définition du terme « emploi » au paragraphe 248(1) de la Loi :

 

« emploi » Poste qu'occupe un particulier, au service d'une autre personne (y compris Sa Majesté ou un État ou souverain étrangers); « préposé » ou « employé » s'entend de la personne occupant un tel poste.

 

[22]    Selon l'intimée, le concept de « service » correspond à l'usage traditionnel de ce terme qui découle du louage de services, qui a évolué pour devenir le concept contemporain de l'emploi, dont les paramètres ont été examinés par la Cour d'appel fédérale dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 D.T.C. 5025. Dans cette affaire, la Cour a analysé le niveau de contrôle et de surveillance exercé sur l'employé et, bien qu'il puisse varier, ce contrôle existe toujours dans une grande mesure à l'égard des personnes dont la prestation de services au payeur est le fait d'employés et non de fournisseurs indépendants, qui assurent les services à leur propre compte.

 

[23]    L'avocat de l'intimée invoque aussi la législation provinciale qui contribue à identifier les personnes à considérer comme des fonctionnaires. En Alberta, la loi intitulée Public Service Act (Loi sur la fonction publique), R.S.A. 1980, ch. P-31, prévoit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Al. 1(e)        « employé » Personne nommée à un poste conformément à la présente loi.

 

Par. 2(5)      Toute personne nommée ou employée :

 

a)  conformément à […]

 

la présente loi est un employé de la Couronne du chef de l'Alberta.

 

Art. 14        La nomination à la fonction publique et la promotion en son sein se fait par sélection du candidat le plus apte; cependant, dans la mesure du possible, la préférence est accordée aux candidats de l'intérieur afin de renforcer un cadre de fonctionnaires de carrière et d'encourager et de récompenser le bon rendement au travail et le perfectionnement personnel.

 

Par. 18(1)   Tout nouveau fonctionnaire est nommé pour une période probatoire fixée par règlement.

 

[24]    L'avocat soutient que ces dispositions montrent clairement qu'un fonctionnaire est un employé de l'État qui fait partie de la fonction publique.

 

[25]    Par contraste, l'avocat fait observer que les juges de la Cour provinciale de l'Alberta sont nommés en application de l'article 21.2 de la loi intitulée Provincial Court Act (Loi sur la Cour provinciale), R.S.A. 1980, ch. P-20. Dans ce contexte, dit-il, il faut saisir le sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi dans son ensemble pour déterminer le sens du terme « fonctionnaire ». En premier lieu, cette disposition autorise à déduire du revenu d'emploi les cotisations annuelles versées à un syndicat, au sens de la Loi. Puisque les syndicats représentent le mécanisme par lequel un nombre considérable de fonctionnaires négocient les conditions de leur travail, le législateur a décidé qu'il convient de permettre à ces derniers de déduire les cotisations syndicales de leur revenu d'emploi. Selon l'intimée, la dernière partie de la disposition en cause vise les fonctionnaires qui sont membres d'associations et non de syndicats au sens du Code canadien du travail ou de lois provinciales; le sens dominant de cette disposition porte toutefois sur les syndicats et leur capacité de négocier les conditions d'emploi avec les employeurs du secteur public. L'association à laquelle appartiennent les appelants n'est pas une organisation syndicale du genre visé par la disposition.

 

[26]    L'avocat de l'intimée soutient que le statut constitutionnel des juges a été clairement défini dans la jurisprudence récente de façon à empêcher de les décrire comme fonctionnaires. Voici des extraits de son mémoire, présenté lors de l'argumentation de vive voix :

 

[TRADUCTION]

 

Ainsi que l'a fait observer le juge McDonald dans l'affaire R. v. Campbell (1994), 160 A.R. 81 [25 Alta. L.R. (3d) 158, [1995] 2 W.W.R. 469] au sujet de l'indépendance des juges :

 

Au Canada, il est faux de dire qu'un juge est un « employé public » puisqu'un employé, ou pour employer le terme juridique, un « préposé », est soumis au contrôle de son employeur ou « commettant » pour ce qui est de la façon dont il remplit ses attributions. Un juge n'est pas soumis au contrôle de la Couronne (c'est-à-dire l'exécutif) ou de la législature pour ce qui est de la façon dont il exerce ses fonctions judiciaires : telle est l'essence de l'indépendance des juges. (par. 69)

 

Et aussi :

 

Cependant, les personnes rémunérées sur les fonds publics ne sont pas toutes dans la même situation au sens constitutionnel. La protection constitutionnelle de l'indépendance des juges leur confère un statut protégé, différent de celui des fonctionnaires, […] Je vais examiner le statut des fonctionnaires. Ils sont, sur le plan juridique, des « préposés » ou « employés ». Cependant, leurs traitements et pensions ne sont pas protégés par la Constitution. La Constitution ne garantit pas leur « sécurité financière ». (par. 94)

 

La Cour suprême du Canada a encore davantage clarifié le rôle des juges dans Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi sur les juges ») et dans Wells c. Terre-Neuve [1999] 3 R.C.S. 199. Dans la première affaire, la Cour a examiné la décision albertaine R. v. Campbell ainsi que d'autres affaires de l'Î.-P.-É. et du Manitoba et a fait observer que l'indépendance des juges concerne le « statut » des tribunaux dans leur relation avec l'exécutif et le législatif (par. 111). Les trois caractéristiques essentielles de cette indépendance sont « l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative » (par. 115). En ce qui concerne la sécurité financière des juges envisagée sous l'angle du contrôle par le gouvernement provincial, le juge en chef Lamer a pris soin de souligner que les juges sont certes payés sur les fonds publics, mais leur statut découle de leur rôle constitutionnel, et non de l'état d'employé ou de préposé de la Couronne. En opposant la situation des juges à celle des membres de syndicats du secteur public, qui peuvent négocier leurs conditions d'emploi, y compris leurs salaires, la Cour a fait l'observation suivante :

 

D'autre part, il n'en demeure pas moins que, même s'ils sont en bout de ligne payés sur les fonds publics, les juges ne sont pas des fonctionnaires de l'État. Les fonctionnaires font partie du pouvoir exécutif; les juges, par définition, sont indépendants de l'exécutif. Les trois caractéristiques centrales de l'indépendance de la magistrature – inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrative – reflètent cette distinction fondamentale, car elles accordent aux membres de la magistrature des protections auxquelles les fonctionnaires n'ont pas droit en vertu de la Constitution. (par. 143)

 

Ce qui est instructif, c'est qu'en parlant des juges, le juge en chef ne les a pas qualifiés de « titulaires de charge » bien qu'ils ne soient pas « fonctionnaires », mais s'est contenté de dire qu'ils sont « rémunérés sur les fonds publics ». Nous prétendons que la Cour ne concevait pas une distinction entre la notion de « fonctionnaire » et celle, différente, de « titulaire de charge » qui pourrait comprendre les juges, puisque la distinction effective qui sépare les juges des fonctionnaires est qu'ils occupent un statut constitutionnel distinct dans le pouvoir judiciaire de l'État et sont définis par celui‑ci. En effet, la Cour a encore marqué la distinction entre les juges et les employés du secteur public par l'observation suivante :

 

Par exemple, comme je l'ai affirmé précédemment, si les traitements des juges étaient fixés par le même mécanisme que les salaires des employés du secteur public, cela pourrait bien donner raison de s'inquiéter de l'indépendance de la magistrature. (par. 157)

 

Nous prétendons que, bien que la Cour emploie le terme « fonctionnaire » et non « titulaire de charge », il est évident qu'elle entendait comprendre dans son analyse tous ceux qui sont employés par le gouvernement exécutif, qu'on les appelle « fonctionnaires » ou « titulaires de charge ».

 

Il y a aussi lieu de noter que la Cour a conclu que : « La nature politique des réductions en litige en l'espèce ressort du fait qu'elles ont été réalisées par voie législative et non par la négociation de contrats d'emploi ou de conventions collectives » (par. 142). Cela souligne encore que les juges ne tombent pas dans la catégorie des « fonctionnaires » parce que les associations de fonctionnaires au sens propre du terme se servent de négociations collectives pour la fixation des barèmes de salaires, alors que les juges n'en ont pas le droit.

 

Dans Wells, la Cour était saisie de l'action en dommages-intérêts d'un ancien membre du Public Utilities Board (Commission des services publics) de Terre-Neuve qui demandait compensation pour la suppression de son poste. La Cour a conclu que son poste était celui d'un haut fonctionnaire, que son statut était celui d'un employé de la Couronne et que ses rapports avec la Couronne étaient au fond ceux établis par un contrat de travail, dont les stipulations étaient dictées en partie par la loi, en partie par les négociations et en partie par la common law. La Cour a conclu :

 

Des exceptions sont nécessaires pour les juges, les ministres de la Couronne et d'autres personnes qui remplissent au sein de l'État des rôles définis constitutionnellement. Les conditions de leur relation avec l'État sont régies par les termes et les conventions de la Constitution. Les postes occupés par ces personnes font partie intégrante du « réseau de liens institutionnels entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire qui continuent de former la base de notre système constitutionnel » : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au par. 3. (par. 31)

 

 

Dans le Renvoi sur les juges, la Cour suprême a rappelé sa décision dans l'affaire Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, où elle avait fait l'observation suivante :

 

La principale objection apportée à la disposition sur la pension [...] était, si j'ai bien compris l'argument, qu'elle traitait les juges de cour provinciale comme des fonctionnaires. D'ailleurs, la même objection a été apportée à la disposition régissant d'autres avantages de nature financière, comme les congés de maladie payés et les indemnités d'assurance-groupe de divers genres [...].

 

À mon avis, cette objection apportée aux dispositions relatives à la pension et aux autres avantages financiers, qui étaient applicables aux juges de cour provinciale […], ne touche pas une condition essentielle de l'indépendance requise par l'al. 11d). Ces dispositions créent un droit à une pension et à d'autres avantages qui ne peut pas faire l'objet d'une atteinte discrétionnaire ou arbitraire de l'exécutif. C'est là, comme je l'ai dit, l'exigence essentielle pour les fins de l'al. 11d). Rendre applicables aux juges de cour provinciale les dispositions régissant les fonctionnaires n'avait pas pour but de qualifier de fonctionnaires les juges de cour provinciale [...]

 

Nous prétendons que l'arrêt Valente confirme que les juges de cour provinciale ne sont pas des fonctionnaires, même s'ils sont soumis aux mêmes dispositions que celles qui s'appliquent aux fonctionnaires en matière de pensions et autres avantages.

 

Toujours dans le Renvoi sur les juges, la Cour suprême a aussi rappelé sa décision dans l'affaire Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, où on peut lire ce qui suit :

 

Les juges des cours supérieures ne sont d'aucune façon les « employés » de qui que ce soit, pas même du gouvernement fédéral. (C'est moi qui souligne.) (par. 52)

 

[27]    L'intimée conclut de la jurisprudence citée ci-dessus que les appelants, en leur qualité de juges de la Cour provinciale de l'Alberta, sont investis d'un rôle défini constitutionnellement, séparé et clairement distinct de celui des autres personnes rémunérées sur les fonds publics et ne sont certainement pas des fonctionnaires au sens des dispositions applicables de la Loi.

 

[28]    L'intimée rejette aussi l'argument des appelants que le rôle de l'association satisfait aux conditions de la disposition de la Loi en ce qui concerne son principal objet, parce que si celle-ci a consacré beaucoup d'efforts et de ressources à affirmer l'indépendance des juges de la Cour provinciale de l'Alberta, cette activité ne revient pas à favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres. À l'appui, l'avocat cite le Renvoi sur les juges, précité, et je reproduis ci-après les passages de son mémoire sur ce point :

 

[TRADUCTION]

 

Ainsi que l'a fait observer la Cour suprême dans le Renvoi sur les juges :

 

Même si les présents pourvois concernent la protection constitutionnelle de la sécurité financière des juges des cours provinciales, l'objet de cette garantie – prévue par l'al. 11d) de la Charte ainsi que par le préambule et l'art. 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 – n'est pas d'avantager les membres des tribunaux visés par ces dispositions. L'avantage qui en découle pour les juges n'est qu'un aspect purement accessoire. La sécurité financière doit être considérée comme un aspect de l'indépendance de la magistrature, qui elle-même n'est pas une fin en soi. En effet, l'indépendance des tribunaux est précieuse parce qu'elle sert des objectifs sociétaux importants – elle est un moyen favorisant leur réalisation. (par. 9)

 

Et plus loin :

 

L'objet de la dimension collective ou institutionnelle de la sécurité financière n'est pas de garantir un mécanisme de fixation des traitements des juges qui soit équitable eu égard aux intérêts économiques des juges. Son objet est plutôt de protéger un organe de la Constitution qui a, à son tour, la responsabilité de protéger ce document et les valeurs fondamentales qui y sont exprimées. Si les juges ne reçoivent pas le niveau de rémunération qu'ils recevraient autrement en vertu d'un régime de négociation des traitements, et bien soit, c'est le prix qui doit être payé. (par. 190)

 

Et encore :

 

Je veux qu'il soit bien clair que le fait de garantir un traitement minimal ne vise pas à avantager les juges. La sécurité financière est plutôt un moyen d'assurer l'indépendance de la magistrature et, de ce fait, elle est à l'avantage du public. Comme l'a dit le professeur Friedland, en tant que citoyen concerné, une telle mesure est « dans notre propre intérêt » (p. 64). (par. 193)

 

Et :

 

Les juges sont des officiers de la Constitution et, par conséquent, leur rémunération doit avoir un certain statut constitutionnel. (par. 196)

 

Nous prétendons donc que l'association n'est tout simplement pas en mesure de négocier les conditions de travail des juges de la Cour provinciale. Comme l'a constaté la Cour suprême dans le Renvoi sur les juges :

 

Deuxièmement, il n'est en aucune circonstance permis à la magistrature – non seulement collectivement par l'entremise d'organisations représentatives, mais également à titre individuel – d'entamer avec l'exécutif ou des représentants de la législature des négociations concernant sa rémunération. De telles négociations seraient fondamentalement incompatibles avec l'indépendance de la magistrature.

 

La Cour suprême a certes précisé que cette interdiction n'empêche pas le « fait pour les juges en chef des tribunaux ou pour des organisations représentatives de faire part au gouvernement de leurs préoccupations sur le caractère adéquat des rémunérations versées », mais nous prétendons que ces observations se font en fin de compte afin d'assurer l'indépendance des juges. (par. 188)

 

[29]    Malgré la constitution de la Commission sur le traitement des juges (la « Commission ») par le gouvernement de l'Alberta, l'intimée soutient que si l'association peut lui présenter des observations, celles-ni ne doivent pas sortir du contexte de la défense de l'indépendance des juges plutôt que tout simplement maximiser les traitements et les avantages de ces derniers. Vu cette limitation, l'intimée soutient que les appelants n'ont jamais appartenu au groupe de personnes rémunérées sur les fonds publics qui doivent périodiquement négocier les conditions de leur emploi avec leur employeur, savoir l'État. D'autre part, l'intimée considère que la fin poursuivie par l'association dans la défense de l'indépendance des juges n'a rien à voir avec la promotion de l'amélioration de leurs conditions d'emploi, parce que l'indépendance de la magistrature est un idéal observé au bénéfice de tous les citoyens.

 

[30]    L'avocat de l'intimée soutient à titre subsidiaire que le principal objet de l'association n'est pas sa principale raison d'être, telle que la traduisent ses objectifs (onglet A) et que même si elle a consacré beaucoup de temps et d'argent à la question de l'indépendance des juges durant les années en question, il ne s'agit là que de l'un de ses objectifs, lequel n'a pas été clairement identifié comme son principal objet.

 

[31]    Il conclut de ce qui précède que les cotisations établies par le ministre à l'égard de chacun des appelants étaient justes.

 

[32]    La question en litige en l'espèce est de savoir si les appelants peuvent déduire, en application du sous-alinéa 8(1)i)(iv) de la Loi, le montant des cotisations versées à l'association. Bien que cette disposition prévoit des conditions nécessaires inhérentes, il s'agit surtout de décider si les appelants, en leur qualité de juges de la Cour provinciale, sont des fonctionnaires. À cet égard, leur statut durant la période en question peut être apprécié à la lumière de la situation de la magistrature en Alberta à une époque antérieure, telle qu'en fait état le juge D. C. McDonald dans l'affaire Campbell, précitée, paragraphe 16, pages 101 et 102, en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

La Cour provinciale de l'Alberta, dont les juges sont nommés par le gouvernement de l'Alberta, est passée, ces trois dernières décennies, d'une équipe de magistrats mal payés, souvent sans formation juridique, à ce que nous connaissons aujourd'hui, avec des juges formés en droit, bien mieux payés que par le passé, et exerçant des fonctions importantes, notamment :

 

(a)        présider les enquêtes préliminaires, qui offrent des protections importantes du droit à un procès équitable;

 

(b)        exercer une compétence juridictionnelle sur toutes les infractions, sauf les plus graves, que prévoit le Code criminel du Canada;

 

(c)        détenir de la Constitution du Canada le mandat d'appliquer (et d'interpréter) les garanties prévues par la Charte canadienne des droits et libertés en déclarant invalide toute loi ou règle de droit incompatible avec l'une quelconque de ces garanties et en excluant les éléments de preuve recueillis de façon qui porte atteinte à ces garanties. (Il ressort de recherches à ce sujet que depuis 1987, les recueils de jurisprudence ont publié 16 décisions de juges de la Cour provinciale de l'Alberta sur la validité de lois au regard de la Charte. Six de ces décisions portaient sur des poursuites d'infractions visées au Code criminel, une sur le règlement fédéral sur les parcs nationaux, six sur des lois provinciales et trois sur des règlements municipaux. Bien que je ne dispose pas de statistiques pour la période antérieure à 1987, il y a lieu de noter qu'en 1983, le juge Jones de la Cour provinciale (dans R. v. Smith (W.H.) Ltd. (1983), 26 Alta. L.R. (2d) 238) et le juge Stevenson de la Cour provinciale (dans R. v. Big M Drug Mart Ltd., [1983] 4 W.W.R. 54) ont tous deux, par des jugements complets, conclu que la Loi sur le dimanche (une loi fédérale) portait atteinte à la « liberté de conscience et de religion » que garantit l'alinéa 2a) de la Charte. Cette conclusion a été partagée par la Cour suprême du Canada dans le pourvoi R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; [1985] 3 W.W.R. 481; 58 N.R. 81; 60 A.R. 161; 18 C.C.C. (3d) 385; 18 D.L.R. (4th) 321; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 85 C.L.L.C. 14,203; 13 C.R.R. 64).

 

(d)        appliquer les règles de preuve prescrites par la loi et la common law lors de procès;

 

(e)        considérer avec soin et impartialité la preuve admissible et appliquer fidèlement dans leurs décisions les arrêts (qui parfois ne sont pas très clairs) des cours d'appel quant au processus décisionnel, y compris la présomption d'innocence;

 

(f)         en cas de verdict de culpabilité, exécuter la responsabilité, souvent difficile, d'appliquer les principes généraux de la peine aux faits de la cause, connaissant les graves conséquences qui en découlent et pour l'accusé et pour la société en général.

 

Il s'agit là de lourdes responsabilités. Il s'agit de responsabilités qui existent sur le plan constitutionnel (ce qui s'entend non seulement de la Charte mais encore des principes non écrits de notre Constitution). L'exercice de ces responsabilités exige de la probité morale, du courage et de la capacité intellectuelle. Dans certains cas (par exemple, dans l'application de la peine), la façon dont ces fonctions sont exercées doit dans une certaine mesure traduire les valeurs éclairées de la société, tout en résistant à la clameur de certains segments du public ou des médias qui réclament une décision qui, eût-elle été rendue, pourrait aller à l'encontre de la Constitution ou des règles de droit définies par le législateur fédéral ou provincial ou par les cours d'appel. C'est parce que les juges de la Cour provinciale exercent ces importantes fonctions qui sont essentielles au maintien de la primauté du droit que l'interprétation de l'indépendance garantie par l'alinéa 11d) peut avoir pour résultat de protéger leurs traitements et pensions alors que les fonctionnaires ne jouissent pas de la même protection.

 

[33]    Le savant juge a poursuivi en relevant l'attitude fréquemment critique, « frisant l'hostilité », que manifestent certains segments du public et des médias dans les domaines suivants :

 

-    interprétation de la Charte;

-    sentences pénales jugées trop indulgentes;

-    conduite des juges à l'égard des jeunes contrevenants.

 

[34]    Au paragraphe 18 des motifs de son jugement, le juge M.C. McDonald a fait l'observation suivante :

 

[TRADUCTION]

 

J'ai mentionné ces chefs de critique publique fréquents contre les actes judiciaires des juges de la Cour provinciale parce que les critiques du public peuvent facilement se traduire par une certaine hostilité de la part de l'exécutif et du législatif pour les juges. Dans la mesure où pareille hostilité se fait jour, le risque s'accroît que les positions prises par l'exécutif ou le législatif puissent donner l'impression d'avoir pour effet de saper l'indépendance de la magistrature.

 

[35]    L'exposé conjoint des faits rappelle, en son paragraphe 9, la formule servant antérieurement à fixer le traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta. Le paragraphe suivant donne le détail de la décision unilatérale du gouvernement de l'Alberta de mettre fin au rajustement du traitement selon cette formule. Après 1988, la seule augmentation touchée par les juges de la Cour provinciale fut un rajustement de 9 p. 100 en 1991 (voir le tableau à l'onglet C). En mars 1994, l'association a informé le gouvernement provincial de son intention de se pourvoir en justice à moins que certaines mesures ne soient prises au sujet de la détermination de la méthode de fixation du traitement des juges de cour provinciale. Un accord a été conclu en application duquel des négociations – qui devaient être conduites de bonne foi – seraient tenues au lieu de la poursuite de l'action en justice. Cependant, comme indiqué au paragraphe 14 de l'exposé conjoint des faits, le traitement des juges de la Cour provinciale de l'Alberta a été, le 31 mars 1994, réduit de 5 p. 100 par voie de décret. La longue bataille qui s'ensuivit est décrite aux paragraphes 14 à 24 inclusivement de l'exposé conjoint des faits et, pendant que le litige se poursuivait, le gouvernement de l'Alberta a payé une somme forfaitaire à chaque juge de la Cour provinciale, annulant ainsi l'effet de la réduction de 5 p. 100 opérée par le décret en question. Par la suite, le gouvernement de l'Alberta s'est conformé au jugement de la Cour suprême du Canada en mettant sur pied une commission indépendante chargée de déterminer la rémunération des juges et un accord en date du 3 mars 1998 (onglet I) a été conclu par Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta, représentée par le ministre de la Justice et Procureur général, d'une part, et le juge en chef et les juges de la Cour provinciale de l'Alberta, représentés par l'association, d'autre part. Conformément à ce document, connu sous le nom d'accord-cadre, la Commission a entendu les témoignages présentés par l'association, y compris les témoignages détaillés d'experts sur les traitements et les pensions, ainsi que le témoignage de quatre juges. Par trois décrets différents, le gouvernement de l'Alberta a rejeté les recommandations de la Commission et y a substitué une augmentation plus faible des traitements, tout en modifiant les recommandations en matière de pensions. Une autre action en justice a été intentée, comme indiqué aux paragraphes 31 à 33 de l'exposé conjoint des faits. Après rejet par la Cour suprême du Canada de sa demande d'autorisation d'appel, le gouvernement de l'Alberta a accepté qu'une autre commission soit mise sur pied pour déterminer les traitements des juges de la Cour provinciale pour la période du 1er avril 2000 au 31 mars 2003. Comme indiqué au paragraphe 38 de l'exposé conjoint des faits, 90 p. 100 du temps du comité exécutif de l'association était consacré à la question des traitements des juges et l'association a subi ou engagé des frais juridiques de quelque 1,5 million de dollars dans la poursuite des activités mentionnées aux alinéas a) à i) de ce paragraphe.

 

[36]    Comme il vient d'être résumé, le gros des efforts de l'association consistait à combattre les actions unilatérales du gouvernement de l'Alberta pour mettre au rancart une formule viable qui avait servi depuis le milieu des années 1970 à fixer les traitements des juges de la Cour provinciale. Il a tout simplement fait abstraction de ce mécanisme pour leur imposer une nouvelle structure de rémunération. Par la suite, il a entrepris de réduire cette rémunération par voie de décret. Il me semble qu'on peut voir dans la jurisprudence résultant de cette action qu'elle est centrée sur l'inviolabilité de l'indépendance de la magistrature, laquelle tient aux rapports spéciaux existant entre tous les juges et le pouvoir exécutif qui non seulement les nomme, mais encore assure leurs traitements, pensions et autres avantages. L'avocat de l'intimée soutient que toutes les activités entreprises par l'association, bien que provoquées par les atteintes aux traitements et pensions des juges, résultaient de l'effort général d'obtenir un jugement déclarant que l'indépendance des juges est primordiale dans le cadre constitutionnel, les aspects banaux du montant du chèque de paie ou des prestations de pension à la retraite n'étant que des éléments accessoires de la poursuite d'une proclamation confirmant l'indépendance des juges, résultat qui bénéficie à tout jamais à tous les citoyens. Voilà un objectif digne d'éloges, mais qui présuppose que les membres de l'association sont des saints et non des juges qui travaillent et qui ont un intérêt légitime et ordinaire dans la protection de leur sécurité financière, présente et future. Il y a une variété de méthodes d'attaquer la magistrature; certaines ne sont qu'agaçantes, mais d'autres vont au cœur même de son indépendance, qui est un concept compris et apprécié depuis longtemps par nombre de citoyens même avant l'avènement de la Charte et de son influence, maintenant connue, sur notre mode de vie. De nos jours, étant donné le pouvoir du juge d'appliquer la Charte pour assurer que les lois adoptées par le législateur et les actions prises par l'exécutif au Canada n'y portent pas atteinte, on se rend davantage compte du rôle joué par les juges dans le cadre constitutionnel du pays. Dans ce contexte, il y a une prise de conscience accrue du rôle de l'indépendance judiciaire. De fait, c'est cette caractéristique même du pouvoir judiciaire qui a suscité tant de critiques ouvertes de la part de certains législateurs, et a entraîné les médias et le public à participer, par divers moyens, à un vif débat. Il est hors de doute que la Charte a eu un effet considérable sur la question. Cependant, si je comprends que tout cela soit difficile à appréhender pour certains jeunes membres du Barreau, je peux les assurer qu'avant même l'avènement de l'assurance-maladie et la mise en œuvre de la Charte, les rivières coulaient toujours d'amont en aval et le soleil se levait toujours à l'est.

 

[37]    Tout au long de la période en question, j'ai du mal à relever une activité de l'association qui s'apparente, même par analogie, aux activités entreprises par une « association de fonctionnaires ». Tous les juristes appelés à se prononcer sur les points en litige dans l'action en justice intentée par l'association contre le gouvernement de l'Alberta reconnaissaient que les juges de la Cour provinciale de l'Alberta, du fait qu'ils étaient des juges, étaient placés dans une catégorie spéciale. Bien qu'ils soient rémunérés sur les fonds publics, et bien qu'ils assument leur service au public par l'exercice de leurs fonctions propres en leur qualité de représentants de l'un des trois pouvoirs, on s'accordait à dire qu'ils devaient être traités de façon différente des autres personnes qui sont des fonctionnaires ou autres employés de l'État. Dans sa déclaration (onglet D) et sa déclaration modifiée (onglet E), l'association avait qualité de demanderesse avec certains juges de la Cour provinciale de l'Alberta. Le redressement recherché était notamment un jugement déclarant que la défenderesse, la province de l'Alberta, avait manqué à son obligation constitutionnelle de maintenir et de rajuster les traitements des juges en fonction des augmentations du coût de la vie et de maintenir et de rajuster les pensions en conséquence. Cette action spécifique a été intentée parce que le gouvernement avait inclus les juges dans la même catégorie générale que d'autres qui recevaient leurs chèques de paie du gouvernement, abstraction faite du service assuré ou des fonctions exercées. Les autres personnes rémunérées sur les fonds publics, qu'elles soient employées ou nommées sous le régime de la loi intitulée Public Service Act, étaient aussi touchées par la réduction de 5 p. 100, mais dans le combat qu'elles livraient pour faire rétablir les niveaux antérieurs de traitement ou gagner davantage à l'avenir, elles n'étaient pas munies de l'arme constitutionnelle qui pouvait être utilisée pour démontrer que la réduction unilatérale des traitements avait pour effet de remettre en question leur indépendance envers le législatif et l'exécutif, parce que ces personnes et le gouvernement employeur n'avaient jamais envisagé qu'elles avaient le droit d'être considérées sous ce jour. Il est indubitable que, pour ces gens, le gouvernement est le patron et peut dicter les conditions d'emploi, y compris les barèmes de salaires et nombre d'autres aspects de leur travail, parfois conformément à une hiérarchie compliquée avec toutes sortes de désignations alphabétiques et numériques, de titres et de descriptions de poste. Si le gouvernement choisissait de mettre au rancart des conventions antérieurement conclues après des négociations avec les syndicats concernés, il pourrait le faire, peut-être simplement par voie de décret. Il est évident qu'un gouvernement doit rémunérer les juges. Cependant, aucune personne sensée ne souhaite que le législatif et l'exécutif soient à même de contrôler le travail réel des juges, que ce soit en réduisant leurs traitements de façon inacceptable, ou en refusant d'améliorer leurs traitements et pensions de façon raisonnable et en temps opportun, ou en les obligeant à faire leur travail dans des immeubles délabrés, sans chauffage, éclairage ou ventilation convenable. Sans protection constitutionnelle, le pouvoir judiciaire ne pourra, au pire, avoir gain de cause dans un différend provoqué par les deux autres pouvoirs. Les juges et leurs familles et amis ne constituent pas un nombre viable au sens démographique capable de faire peur à quelque législateur que ce soit, dans quelque circonscription que ce soit. C'est pour cette raison, comme l'a fait observer le juge D.C. McDonald dans l'affaire Campbell, précitée, qu'il est facile pour divers individus, certains élus aux législatures provinciales et d'autres au Parlement fédéral, agissant seuls ou de concert avec des groupes de pression, de décocher des flèches sur la magistrature pour toutes sortes de griefs réels ou imaginaires. Peut-être la rémunération des juges pourrait-elle se faire au moyen d'une société d'État, prétendument indépendante du gouvernement en place, mais il faudrait être désespérément naïf pour s'attendre à une absence totale d'ingérence dans la poursuite de ce genre de rapports artificiels, en l'absence de garanties solides telles que celles qu'on trouve dans la structure constitutionnelle. La Cour suprême du Canada a conclu qu'il faut qu'il y ait une barrière, sous forme de commission indépendante, grâce à laquelle la détermination des traitements et autres avantages des juges pourrait se faire. La Cour a sans doute considéré que, par le biais d'une commission, le système d'administration de la justice pourrait bénéficier d'un complément d'isolement – un degré de séparation – entre le gouvernement payeur et les juges, pris individuellement ou représentés collectivement par leurs organisations ou associations. L'association a poursuivi ses objectifs en matière de réduction des traitements et des pensions au nom de l'indépendance de la magistrature. Ce concept est destiné à servir de bouclier et est généralement utilisé à cette fin, mais en l'espèce, il a été invoqué à titre d'arme viable pour faire valoir l'argument, lequel l'a emporté en fin de compte, qui touche au cœur de l'indépendance des juges dans notre société. Il est indubitable que les juges sont des employés au sens de l'article 248 de la Loi puisque « employé » signifie celui « qui accomplit les fonctions que comporte une charge ou un emploi » et que la définition de « charge » comprend :

 

[…] une charge judiciaire, la charge de ministre de la Couronne, la charge de membre du Sénat ou de la Chambre des communes du Canada, de membre d'une assemblée législative ou de membre d'un conseil législatif ou exécutif et toute autre charge dont le titulaire est élu au suffrage universel ou bien choisi ou nommé à titre représentatif, et comprend aussi le poste d'administrateur de société; « fonctionnaire » ou « cadre » s'entend de la personne qui détient une charge de ce genre, y compris un conseiller municipal et un commissaire d'école.

 

 

Il est évident que le législateur entendait souligner que ces personnes, qu'elles soient nommées ou élues, ne doivent pas être considérées comme des entrepreneurs dans l'exercice de leurs fonctions. Il est manifeste que chacune de ces catégories a ses propres attributions et ses propres conditions d'emploi. Les juges sont cependant investis d'attributs d'emploi supplémentaires du fait qu'ils jouissent de protection constitutionnelle contre les deux autres pouvoirs. Si on accepte le fait que les juges sont nommés par le gouvernement fédéral ou provincial, qu'ils sont rémunérés sur les fonds publics et qu'ils sont souvent intégrés pour certaines questions administratives dans la fonction publique en général, la seule caractéristique qui serve vraiment à illustrer leur caractère spécial et leur identité spéciale, dans l'exercice de leurs fonctions, est l'indépendance de la magistrature, qui est une condition d'emploi chaleureusement endossée par les citoyens et confirmée par la juridiction la plus haute du pays, dans le cadre constitutionnel propre au Canada. Bien qu'il arrive à l'occasion qu'on suggère un système selon lequel les juges seraient élus pour une durée déterminée ou selon lequel les candidats à la magistrature seraient soumis à l'examen inquisitoire d'une commission de députés, dont certains pourraient exiger une réponse catégorique quant à la nature précise de la décision qu'ils rendraient sur une question en particulier, sans avoir égard aux preuves ou aux plaidoiries, je pense que le sentiment durable et prédominant des citoyens est que leurs droits ne peuvent être protégés que par une magistrature indépendante, même si certains juges peuvent être, à l'occasion, agaçants et contrariants. Je conviens avec l'avocat de l'intimée que le sens ordinaire du sous-alinéa 8(1)i)(iv) dégage une forte connotation d'activités syndicales ou semblables entreprises par une association de fonctionnaires aux fins déclarées et admissibles. En l'espèce, il n'y a aucune preuve que l'association ou ses membres ait lancé une campagne publicitaire, ou retenu les services d'une firme de relations publiques, ou utilisé l'une des méthodes légitimes – y compris le ralentissement ou l'arrêt du travail – ou des manifestations sur les tribunes publiques pour s'assurer le soutien de la population afin de forcer le gouvernement provincial à accéder à ses demandes. L'action en justice de l'association a été intentée en réponse à une attaque brutale contre leur indépendance par une série d'activités mesquines et injustifiées par des membres des pouvoirs législatif et exécutif qui avaient décidé de faire fi du principe de l'indépendance de la magistrature, ce bel idéal qui est la marque d'une société qui choisit d'être gouvernée par un État de droit dans un cadre constitutionnel unique. Je suis conscient que le point litigieux en l'espèce porte sur l'interprétation d'une disposition de la Loi et n'aurait pas nécessairement une incidence plus générale. Cependant, l'inverse n'est pas vrai, puisque la jurisprudence concernant la nature de l'indépendance de la magistrature et le rôle spécial des juges dans notre société – encore que la question se soit posée dans un autre contexte – doit s'appliquer à toute considération de la disposition en jeu. Le législateur fédéral a une compréhension de longue date du rôle des juges dans notre société, laquelle était intégrée dans le système – certainement dans le contexte fédéral – même lorsque, dans le passé, des juges de cour provinciale siégeaient encore dans les postes de police et étaient appelés magistrats de police. D'autres étaient nommés à titre de magistrats stipendiaires à temps partiel et leur rémunération dépendait du verdict de culpabilité prononcé contre l'accusé et de la condamnation aux dépens en sus de la peine. Selon le ressort, les tribunaux où siégeaient les juges de cour provinciale étaient officiellement appelés Cours de police. Selon les normes modernes, cet aperçu rétrospectif est carrément effrayant, mais telle était la situation dans la plupart des ressorts au Canada – en particulier en dehors des grands centres urbains – jusqu'au milieu des années 1970 et même au-delà. Du point de vue historique, je doute que le défaut par le législateur de définir le terme « fonctionnaire » soit un oubli, si on prétend que la disposition en question ait jamais visé à inclure les juges. Une meilleure explication, à mon avis, est que le législateur n'était pas enclin à consacrer du temps à penser à l'impensable ou à concevoir l'inconcevable. En conséquence, il n'a jamais été dans sa volonté de considérer les juges comme des fonctionnaires appartenant à une association au moyen de laquelle ils seraient en mesure de promouvoir l'amélioration de leurs conditions d'emploi ou de travail et, de ce fait, auraient le même droit que les membres d'un syndicat de déduire les cotisations de leur revenu d'emploi. Chose bizarre, ou peut-être pas si bizarre que ça, le meilleur moyen de décrire le rôle et les fonctions d'un juge est de reconnaître que la personne investie de ces fonctions est, purement et simplement, un juge. Le travail est le travail, peu importe comment on l'appelle. Une rose est une rose, quoi qu'on l'appelle. De même un juge. Le public s'attend à ce que les juges exercent leur jugement et, condition nécessaire à l'accomplissement de cette fonction, à ce qu'ils jouissent de la liberté absolue de décider les questions soumises à leur compétence sans crainte de représailles et sans espoir de faveur ou de récompense de la part des deux autres pouvoirs, bien que ceux-ci contrôlent un appareil élaboré pour l'administration générale de la justice, y compris les mécanismes administratifs de rémunération des juges. Bien que les juges servent le public, comme les pilotes, les conducteurs d'autobus, les capitaines de traversiers et les centaines de milliers d'autres personnes employées dans le secteur public, c'est en raison des implications constitutionnelles que les prestataires de ce service particulier, en leur qualité de juges, ne sont pas des fonctionnaires – même au sens le plus large du concept – bien que le même public soit le bénéficiaire de l'exercice de leurs fonctions. Ce n'est pas la personne des juges qui met en jeu la protection constitutionnelle, telle qu'elle a été interprétée par nombre de tribunaux, dont la Cour suprême du Canada; c'est la fonction elle-même qui requiert cette protection pour le bien du pays, que cette protection soit intégrée dans certaines dispositions de la Charte, dans les dispositions de la loi intitulée Provincial Court Act de l'Alberta relatives à la discipline et à l'administration de cette Cour – assurées par le juge en chef, les juges en chef adjoints ou leurs délégués – ou qu'elle soit entendue dans un sens général selon la tradition qui s'est instaurée au fil des ans. Pour la magistrature provinciale, le combat n'a pas été facile et la séparation des deux autres pouvoirs dans l'esprit du public s'est réalisée petit à petit ces 30 ou 40 dernières années, de telle façon que dans un contexte moderne, il est généralement accepté qu'aucun ministère ou même le Cabinet tout entier, agissant au nom du parti politique qui détient la majorité des sièges à l'assemblée législative, n'a le droit de s'immiscer dans aucun élément du rôle assigné par la loi à la Cour provinciale de l'Alberta. Considérer les appelants comme des fonctionnaires, avec les conséquences que cela comporte en termes d'usage moderne et courant, reviendrait, à mon avis, à revenir en arrière et produirait un résultat incongru, ce qu'il faut éviter lorsqu'il s'agit d'interpréter la loi, notamment dans la sphère plus restrictive des lois fiscales.

 

[38]    Je conclus de l'exposé conjoint des faits et des documents versés au dossier ainsi que de la jurisprudence en la matière que les appelants, en leur qualité de juges de cour provinciale, ne sont pas des fonctionnaires au sens du sous-alinéa de la Loi, applicable en l'espèce.

 

[39]    Eussé-je été en mesure de conclure que les appelants étaient des fonctionnaires, je n'aurais eu aucune difficulté à conclure que, pour les années en question, l'association était une association au sens de la disposition applicable et avait pour principal objet de favoriser l'amélioration des conditions d'emploi ou de travail des membres. Bien que cet objet principal eût pu être différent avant 1994 ou, peut-être, ait connu depuis une autre transformation pour ce qui est du temps, des efforts et des ressources consacrés aux objectifs déclarés, je suis convaincu que, durant les années en question, le principal objet – qui prenait 90 p. 100 du temps du comité exécutif de l'association – portait sur l'action en justice intentée uniquement pour combattre les mesures unilatérales prises par le gouvernement provincial pour réduire les traitements et pensions, lesquels – selon l'objet c) de l'association, au document à l'onglet A – constituaient une « question d'intérêt commun ou intéressant le bien-être des juges de la Cour provinciale de l'Alberta ». Les activités entreprises par l'association visaient aussi à garantir qu'il y ait « une Cour provinciale de l'Alberta vigoureuse et indépendante, mieux à même de continuer à améliorer son rôle dans l'administration de la justice en Alberta ». Il est difficile de comprendre la motivation du pouvoir exécutif en Alberta qui, de façon incroyablement cavalière, a adopté une ligne de conduite qui non seulement a réduit de 5 p. 100 les traitements des juges, mais entendait encore imposer aux juges de prendre un congé non payé de 5 jours par an, au cours duquel la Cour ne siégerait pas. Ce n'est qu'à la lecture des quotidiens que certains juges ont appris cette nouvelle étonnante. Il est indubitable que les traitements, la pension et les autres avantages, y compris les pensions d'invalidité, sont des conditions d'emploi ou de travail et, si la promotion de l'amélioration de ces bénéfices s'inscrit dans un concept plus général d'indépendance de la magistrature, ces efforts conserveraient quand même leur caractère au regard de l'objet de la disposition en question. Le gouvernement de l'Alberta, après voir perdu son appel devant la Cour d'appel de la province, a payé un total de quelque 2 millions de dollars aux juges, annulant ainsi la réduction de 5 p. 100 des traitements en litige, précédemment opérée par voie de décret. Il est manifeste que l'action prise par l'association a produit ce résultat particulier parce que celui-ci n'aurait pas été obtenu autrement, en particulier si on considère les mauvais rapports entre le judiciaire et les deux autres pouvoirs en Alberta à l'époque. L'argument proposé à l'appui de la déductibilité des frais juridiques pour la raison que ceux-ci ont été engagés en vue de recouvrer des salaires a été abandonné par les appelants. J'approuve cette décision, parce que ces frais ont été payés par l'association et non par les appelants. Il aurait été extrêmement difficile de considérer la masse totale des cotisations des membres et d'en imputer une partie appropriée directement à chaque membre au prorata des coûts de la procédure tout entière qui a notamment eu pour résultat le remboursement des salaires par rapport aux autres activités de l'association, par exemple les frais des conférences et réunions à d'autres fins.

 

[40]    Les cotisations établies par le ministre à l'égard de chaque appelant sont valides. L'appel de chaque appelant est rejeté avec dépens, en égard au fait que les deux appels ont été entendus sur preuve commune.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars 2002.

 

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

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