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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020321

Dossier: 1999-1542(IT)G

 

ENTRE :

DANE WILSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Demandés par l’appelant le 27 février 2002.)

(Révisés à partir des motifs rendus oralement à l'audience à

Winnipeg (Manitoba), le 5 septembre 2001.)

 

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelant interjette appel d’une nouvelle cotisation établie à son égard pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996 durant lesquelles il exploitait une entreprise de tonte de pelouses et de services d’entretien de terrains sous la raison sociale Lakeside Lawn Care.

 

[2]     L'appel est admis avec frais.

 

[3]     J’entends exposer brièvement mes conclusions de fait et mes motifs et fournir des motifs plus détaillés au besoin, si une demande en ce sens m’est adressée par écrit.

 

[4]     L’entreprise a vu le jour en 1989 quand l’appelant a loué un râteau mécanique avec un voisin et a offert ses services aux autres voisins. Il a constaté que les montants que lui rapportait ce travail étaient suffisants pour payer les coûts de location du râteau mécanique, à tout le moins, et il s’est dit qu’il y avait peut‑être une occasion d’affaires dans le domaine de la tonte de pelouses et de l’entretien de terrains.

 

[5]     À l'époque, il occupait un emploi à temps plein comme policier à Winnipeg. Il travaillait quatre jours et avait ensuite quatre ou cinq jours de congé. Ce cycle se serait poursuivi durant les années en cause. Il avait dès lors beaucoup de temps libre pour exploiter l’entreprise d’entretien de terrains, et j’accepte son témoignage selon lequel il a consacré de 40 à 50 heures par semaine à cette activité.

 

[6]     L’appelant a aussi affirmé qu’il était capable, certaines années du moins, de prendre ses vacances en mai, pendant la période la plus rentable financièrement. C’est à cette période‑là qu’il effectuait le ratissage mécanique des terrains.

 

[7]     En 1994, soit la première des trois années en litige, l’appelant employait quatre personnes et il avait investi considérablement dans l’achat de matériel. À cette époque, il possédait un tracteur de pelouse, quatre tondeuses, trois tondeuses à haies, un réservoir de produits chimiques, trois camions loués, trois râteaux mécaniques, trois aspirateurs‑souffleurs, deux souffleuses à feuilles et un certain nombre d’épandeurs et de coupe‑bordures.

 

[8]     L’appelant avait décroché un certain nombre de contrats d’entretien de pelouses et ses revenus bruts au cours des années 1994 à 1996 en litige ont atteint environ 39 000 $, 40 000 $ et 41 000 $ respectivement.

 

[9]     Ces recettes avaient plus que doublé et doublé à nouveau depuis 1990, année au cours de laquelle son bénéfice brut était de 8 000 $ environ.

 

[10]    En dépit de l’augmentation de son revenu brut, l’appelant a continué de déclarer des pertes durant les trois années en cause. En fait, ces pertes, qui s'établissaient à 11 000 $ à peu près en 1990, ont atteint environ 27 000 $ en 1994, 24 000 $ en 1995 et presque 32 000 $ en 1996.

 

[11]    Des éléments de preuve ont été produits relativement aux années en cause et aussi eu égard aux années subséquentes. En 1997, après avoir consulté un nouveau comptable au sujet de son entreprise, l’appelant avait réduit le nombre de ses employés et il assurait la plupart des services lui‑même. Son revenu brut s’est quand même élevé à près de 30 000 $. Cela n’a pas empêché l’entreprise de subir une perte de quelque 5 000 $, avant la déduction pour amortissement, qu'il a demandée pour les années antérieures, mais pas pour 1997.

 

[12]    En 1998, il ne lui restait plus, essentiellement, que quatre comptes commerciaux, et il a quand même réussi à avoir un revenu brut de plus de 10 000 $. Il a aussi réalisé un profit de 3 300 $, mais, cette année‑là non plus, il n’a pas demandé de déduction pour amortissement. Si on utilise sa déclaration de 1996, dans laquelle il a demandé une déduction pour amortissement de 8 600 $ et qu’on extrapole, il semble qu’il aurait subi une perte minime en 1998 s’il avait continué de demander une déduction pour amortissement en 1997 et en 1998.

 

[13]    Pour en revenir aux années en cause, ses dépenses étaient surtout imputables aux salaires et aux véhicules. C’étaient là les deux principaux postes de dépense. Par exemple, en 1994, les salaires représentaient quelque 23 000 $ et les dépenses relatives aux véhicules s’élevaient à 12 500 $. Il ne semble y avoir aucun autre poste de dépense qui atteignait ne serait‑ce que la moitié du moins élevé de ces montants.

 

[14]    L’intimée n’a pas remis en cause le caractère raisonnable de ces dépenses. Elle n’a pas contesté les dépenses en vertu de l’alinéa 18(1)a) en faisant valoir que l’appelant avait demandé la déduction de dépenses engagées à d’autres fins que pour gagner un revenu, non plus qu’en vertu de l’alinéa 18(1)h). Les dépenses ne comportaient aucun élément personnel.

 

[15]    L’intimée a admis qu’il n’existait aucun élément personnel eu égard à l’entreprise de l’appelant et elle a aussi reconnu qu’une entreprise était exploitée. Il me semble que ce soit là une concession qu’il existait véritablement une entreprise, mais je vais quand même fournir quelques précisions sur les conclusions que j’ai tirées relativement à cette question.

 

[16]    J’en suis venu à la conclusion qu’il existe une véritable entreprise commerciale après avoir conclu que l’appelant s’était incontestablement employé à mener l’activité à la manière d’une entreprise. Il avait décroché de nombreux contrats et ses revenus bruts étaient élevés.

 

[17]    Il faisait la publicité et le marketing de son entreprise de manière raisonnable. Il plaçait des annonces dans les pages jaunes, distribuait des dépliants publicitaires et faisait de la promotion de façon générale.

 

[18]    Il était présent sur le marché, si l'on peut dire, comme fournisseur de services d’entretien de pelouses, dans sa région du moins. Il travaillait dans la région de Transcona, où il était principalement connu, mais il ne s’y limitait pas. J’accepte son témoignage selon lequel il était reconnu comme membre de la vaste collectivité des gens d’affaire, dans sa région du moins. Un fournisseur de systèmes d’arrosage automatique lui a offert de devenir un installateur de ces systèmes dans la région de Transcona, et, en fait, il a été recruté et a suivi des cours à cette fin.

 

[19]    Aucune preuve n’a été produite quant au caractère commercial de cette activité, mais, quoi qu’il en soit, le fait que l’appelant ait été reconnu comme membre de la collectivité des entrepreneurs offrant des services d’entretien de pelouses est juste une autre indication, selon moi, du caractère commercial de ses entreprises.

 

[20]    L’appelant a investi considérablement dans l’achat de matériel. Il est indiqué dans la réponse du ministre que l’appelant a investi quelque 45 000 $.

 

[21]    Il était inscrit aux fins de la taxe sur les produits et services, qu’il percevait et versait au ministre. À ce que j’ai pu constater, il a tenu d’excellents registres relativement à l’exploitation de l’entreprise.

 

[22]    Il était accrédité pour faire la vaporisation de produits chimiques ou pour manipuler les produits chimiques utilisés pour la fertilisation des pelouses et l’élimination des mauvaises herbes, et il exploitait seul ce volet de l’entreprise.

 

[23]    Il a effectivement consacré de 40 à 50 heures par semaine à cette entreprise et, dans les années en litige, il a embauché plusieurs personnes et a participé au programme d’emploi pour étudiants, celui du Manitoba à ce que je peux voir.

 

[24]    Tous ces faits sont révélateurs de l’existence d’une véritable activité commerciale ou d’une véritable entreprise commerciale. Cela m’amène à la question suivante : s’il n’y a aucun élément personnel et que le ministre n’a pas refusé les dépenses au motif qu’elles étaient déraisonnables ou qu’elles n'étaient pas déductibles en vertu des alinéas 18(1)a) ou 18(1)h), pour quelles raisons, alors, voudrait‑il refuser les pertes quand il y a une activité commerciale?

 

[25]    L’avocate de l’intimée a invoqué un certain nombre de raisons, fondées principalement sur la prémisse que la doctrine de l’attente raisonnable de profit continuait de s’appliquer même s’il n’existait pas d'élément personnel, et a renvoyé à la décision Mastri c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420) (ci‑après appelée « Mastri ») surtout, je crois, pour indiquer que le fait de conclure qu’une activité ne comporte aucun élément personnel ne signifie pas que le critère ne peut pas y être appliqué.

 

[26]    Selon la décision dans l'affaire Mastri, lorsqu’il n’y a pas d'élément personnel, le critère de l’attente raisonnable de profit devrait être appliqué avec moins de rigueur. La question de l’application du critère n’en continue pas moins de se poser lorsque l’existence d’une véritable entreprise est établie. Quand il y a exploitation d’une véritable entreprise à proprement dit et qu’il n’y a pas d'élément personnel, la combinaison de ces deux éléments fait qu’il devient difficile, à mon sens, pour le ministre d’appliquer le critère de l’attente raisonnable de profit. Je souscris aux observations formulées par le juge Bowman dans l’affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., n97‑2772(IT)I, 9 avril 1998, à la page 2 (98 DTC 1659, à la page 1660), qui, dans les affaires de ce genre, préfère poser la question suivante : « Y a‑t‑il une entreprise véritable? ».

 

[27]    Lorsqu’il n’y a pas d’élément personnel important ni non plus de véritable entreprise, il va de soi que le critère s’applique. Voilà un exemple de situation où le critère de l’attente raisonnable de profit s’appliquerait même si une activité ne comportait aucun élément personnel. Si, de plus, il y a une entreprise véritable, je crois que le créneau pour appliquer le critère est étroit, c’est le moins que l'on puisse dire, mais l’avocate de l’intimée a soutenu que les faits de l’espèce pouvaient se prêter à une telle application.

 

[28]    L’avocate de l’intimée a soutenu que consacrer de 40 à 50 heures par semaine à l’activité durant la période en litige n'était tout simplement pas suffisant. La conclusion que je crois qu’il faut en tirer c’est que les faits se passent de commentaires. L’appelant consacrait tout ce temps à l’activité et il perdait quand même de l’argent.

 

[29]    L’avocate a soutenu que le temps que l’appelant consacrait à l’activité n’était pas suffisant pour exécuter les contrats qu’il décrochait et que, en conséquence, il a été obligé d’embaucher du personnel et d’engager des frais de main‑d’œuvre qui ne lui ont rapporté rien d’autre qu'une perte. S’il ne pouvait pas consacrer plus de temps à l’entreprise pour répondre à la demande et que l’embauche de personnel n'était pas la solution, il n’y avait dès lors aucune attente de profit. Dans les faits, l’appelant était dans une impasse qui faisait qu’il était totalement irréaliste de tenir pour acquis qu'il allait en venir un jour à réaliser un profit.

 

[30]    Au surplus, on a soutenu qu’il n’avait établi aucun plan de redressement. L’avocate de l’intimée a dit des pertes de l’appelant qu’elles étaient intrinsèques à la structure de l’exploitant, qui consacrait seulement une partie de son temps à l’activité, et qui n’était pas capable de corriger la situation.

 

[31]    C’est peut‑être juste une autre façon de dire que l’entreprise n’a aucun caractère commercial vu la manière dont elle est exploitée. Ce qu’on entend par là, c’est que, selon les faits d’une affaire particulière, il est possible d’avoir une véritable entreprise ne comportant aucun élément personnel, qui n’a malgré tout aucun caractère commercial, et qui se situe dans l’étroit créneau où le critère de l’attente raisonnable de profit s’applique.

 

[32]    Un tel créneau peut très bien exister, mais je ne crois pas que ce soit le cas en l’espèce, compte tenu des faits dont je dispose. Ainsi que je le ferai observer un peu plus loin dans mes motifs, la conclusion à laquelle je suis arrivé, à savoir qu’il existe une véritable entreprise, englobe une conclusion que c’est une entreprise ayant un caractère commercial, en dépit des pertes subies durant les années en litige ou bien même durant une plus longue période.

 

[33]    L’avocate de l’intimée a ensuite soutenu qu’un facteur qui entrait en ligne de compte en l’espèce était que les pertes ne préoccupaient tout simplement pas l’appelant ou ne semblaient pas le préoccuper, ce qui montre bien qu’il n’avait aucun souci de rentabilité et que nous sommes en présence du genre d’affaires où l’absence d’élément personnel, même s’il y a une entreprise, permettrait l’application du critère de l’attente raisonnable de profit. En l’instance, le fait que l’appelant ne se préoccupe nullement de la question de savoir si l’entreprise réalise un profit de manière concrète témoigne de l’absence de souci de rentabilité, selon l’avocate de l’intimée.

 

[34]    Par ailleurs, l’avocate de l’intimée a admis que l’intimée n’invoquait pas l’alinéa 18(1)a). Vu qu’on ne dit pas que les dépenses n’ont pas été engagées dans le but de gagner un revenu, ce point de vue semble douteux même si je convenais qu’il n'y avait pas de souci de rentabilité. En l'état actuel des choses, je ne décèle pas le genre de manque de préoccupation, pour reprendre le point de vue de l’avocate de l’intimée, qui est susceptible de m’inciter à conclure à l’absence de souci de rentabilité.

 

[35]    Certes, l’appelant semblait être incapable de rendre son entreprise rentable, une situation qui, selon toutes apparences, ne provoquait pas la panique chez lui. En fait, après avoir entendu son témoignage, j’ai l’impression qu’il ne se rendait probablement pas compte à quel point il utilisait son salaire de policier pour subventionner l’entreprise, et, fait encore plus important peut‑être, qu’il ne se posait pas de questions sur le temps que cela pourrait prendre dans ce genre d’entreprise pour en venir à réaliser un profit.

 

[36]    Il a été affligé et alarmé, dans une certaine mesure, de découvrir que, selon le point de vue de Revenu Canada à tout le moins, l’entreprise aurait dû être rentable à ce moment‑là (1994) et qu’il exploitait une entreprise de manière totalement déraisonnable, si l'on peut dire, du fait qu’il la subventionnait depuis si longtemps  (sans avoir établi de plan d’affaires pour redresser la situation).

 

[37]    Selon moi, l’appelant pensait sincèrement que la rentabilité de ses activités allait prendre plusieurs années et qu’il allait être récompensé un jour des efforts qu’il faisait pour la maintenir à flot. Il a été alarmé de constater que, selon Revenu Canada, qui a une idée de ce qu’un plan d’affaires bien établi devrait accomplir, son entreprise prenait beaucoup trop de temps à devenir rentable. C’est la première fois qu’on lui indiquait que l’opération aurait peut‑être besoin d’un plan quelconque et de quelques changements, et c’est ce qui l’a incité à trouver un nouveau comptable pour obtenir des conseils en matière de gestion des affaires. Il semble que ces conseils l’aient amené à se limiter à un certain nombre de gros comptes commerciaux qui lui ont permis de réduire les frais généraux au titre des salaires.

 

[38]    On ne peut invoquer le manque de savoir‑faire et d’expérience des affaires dans les années en litige aussi bien que dans les années ultérieures pour justifier l’application du critère de l’attente raisonnable de profit. En l’espèce, Revenu Canada examine la situation en rétrospective, mais l’application d’un tel critère pour évaluer le sens des affaires d’une personne n’a pas reçu la sanction des tribunaux aux fins de déterminer s'il existe ou non une attente raisonnable de profit. Même la décision dans Mastri, sur laquelle s’appuie l'intimée, ne laisse subsister aucun doute à ce sujet. Il se peut que l’appelant ait manqué de sens des affaires, mais on ne peut dès lors en conclure que ses efforts étaient déraisonnables. Il ne faudrait pas le pénaliser pour sa persévérance et sa volonté de subventionner ses efforts s’il existe un tant soit peu une chance de réussite, comme cela pourrait bien être le cas en l’espèce.

 

[39]    L’activité en cause en l’espèce est certainement de nature commerciale. Le fait que l’entreprise était devenue rentable en 1998 en témoigne dans une certaine mesure — même si l'appelant s'est abstenu de demander des déductions pour amortissement, lesquelles sont discrétionnaires et, d'une façon ou d’une autre, ne sont pas nécessairement révélatrices de l’existence d'une entreprise véritablement rentable. Rien n'indique que les taux d’amortissement décroissants prévus dans la Loi doivent servir à indiquer chaque année la valeur exacte de l’amortissement cette année‑là. Il se peut que les déductions pour amortissement demandées les années antérieures aient rendu inutiles la présentation d’autres demandes du genre pour ce qui est d’obtenir une idée exacte de la rentabilité de l’entreprise dans une année ultérieure. Ce n’est évidemment pas la raison pour laquelle les déductions pour amortissement n'ont pas été demandées, mais je veux seulement montrer qu’il ne faut pas toujours accorder d’importance au fait qu'un contribuable ne les demande pas.

 

[40]    Cela m’amène à me pencher sur l’autre point qui, aux dires de l’avocate de l’intimée, constitue un facteur qui devrait permettre l’application du critère de l’attente raisonnable de profit, même lorsque l’existence d’une entreprise a été confirmée et qu’il n'y a aucun élément personnel. Ce point était lié au désir apparent de l’appelant de se lancer en affaires pour s’assurer un revenu de retraite. L’appelant a témoigné qu’il souhaitait que l’entreprise devienne une source de revenu (de liquidités à tout le moins) quand il prendrait sa retraite comme policier. L’intimée soutient, en effet, que l’entreprise est une activité préliminaire de démarrage et que les dépenses sont de nature personnelle (ou des dépenses d’immobilisation). C’est l’un des points de vue qui sont défendus dans les affaires d’attente raisonnable de profit. (Voir l’affaire McClure c. M.R.N., C.C.I., no 86-817(IT), 13 juillet 1988 (88 DTC 1504). Or, il ne s’agit pas en l’espèce d'une affaire où l’appelant faisait des préparatifs en vue d’exploiter ultérieurement une entreprise. Il y a véritablement une entreprise qui était exploitée durant les années en litige. C’est une conclusion du fait, et il n'y a pas lieu de tenir compte du fait que l’appelant envisageait d’en tirer éventuellement un revenu de retraite.

 

[41]    Comme j’ai déjà conclu qu’il y a une véritable activité commerciale, la question à trancher ne devrait pas être de savoir si l’entreprise était exploitable sur le plan commercial durant l’année en cause, plutôt que de savoir si elle  pourrait être exploitable sur le plan commercial dans les années futures (c’est‑à‑dire à la retraite). Dans l'arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (ministre du Revenu) [1988] 2 R.C.S., cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Symes c. Canada [1993] 4 R.C.S. 695, est examiné l'un des principes fondamentaux de notre système fiscal et c’est que, quelle que soit l’année dans laquelle un contribuable peut espérer réaliser un profit, rien ne l’empêche d’avoir droit à la déduction pour l’année courante. Peu importe le nombre d’années nécessaire pour en venir à réaliser le revenu possible, il n’en est pas tenu compte pour déterminer la déductibilité de ce revenu. Ce principe s’applique aussi à l’argument suivant de l’avocate de l’intimée.

 

[42]    Ayant accepté, ainsi que l’avocate de l’appelant l’a affirmée, qu’il n’y a absolument aucune dépense en l’espèce que l’on pourrait un tant soit peu qualifier de dépenses personnelles plutôt que de dépenses d’entreprise — il n’y a pas de frais de divertissement, de frais d’utilisation d’une automobile à des fins personnelles, de dépenses relatives à des congrès et de frais de publicité — et, ayant conclu que toutes les dépenses avaient été directement engagées aux fins d’une activité commerciale, l’avocate de l’intimée soutient simplement que c’est une entreprise vouée à l'échec et que le ministre du Revenu national est d’avis que cette entreprise ne fera jamais autre chose que subir des pertes à perpétuité et que le trésor public ne devrait pas accepter cela. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’appliquer le critère de l’attente raisonnable de profit. Cela nous ramène à la question de savoir s’il est déraisonnable de croire que cette entreprise peut devenir rentable et si le critère ne devrait pas s’appliquer. Voir l’arrêt Kuhlmanm c. La Reine, C.A.F., no A-981-96, 30 octobre 1998 (98 DTC 6652). Ainsi que je l’ai précisé dans l’affaire Spearing c. R., C.C.I., no 2000-2106(IT)I, 19 janvier 2001 ([2001] 1 C.T.C. 2689), qui analyse de façon beaucoup plus détaillée ce critère de common law, en bout de ligne, le critère énoncé dans l’arrêt Kuhlmanm pourrait peut‑être bien être celui qui s’applique, compte tenu des conclusions auxquelles en viendra la Cour suprême du Canada relativement à l’affaire Jack Walls et Robert Buvyer c. La Reine, C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 (2000 DTC 6025) (appel entendu par la Cour suprême du Canada le 12 décembre 2001 et décision prise en délibéré). Si le critère autorise les pertes à perpétuité, il sera peut‑être nécessaire de modifier la loi. Le fait que les pertes puissent ne pas être épongées dans un avenir rapproché n’empêche pas le contribuable d’en demander la déduction. Reportons‑nous à la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Spire Freezers Ltd. c. Canada [2001] 1 R.C.S. 391. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a déclaré que, en vertu de la loi, il n’est pas nécessaire de réaliser un profit net sur une période déterminée. Si le contexte était l’application du droit à une société de personnes, l’affirmation demeure vraie quelle que soit la manière dont une entreprise est exploitée. Cela signifie, selon moi, que, selon les circonstances, des pertes véritables s’échelonnant sur une période indéterminée sont autorisées quand il est impossible, à cause des dispositions législatives, comme celles des alinéas 18(1)a), 18(1)h) ou de l’article 67, de remettre en cause les dépenses qui sont à l’origine de ces pertes.

 

[43]    L’avocate de l'intimée a attiré l’attention sur un certain nombre d’affaires dans son recueil de jurisprudence, lesquelles, a‑t‑elle admise, je crois, peuvent toutes être considérées comme différentes, du moins celles qui ont été examinées.

 

[44]    Dans l’affaire Petrovic c. La Reine, C.C.I., no 97-3401(IT)G, 30 janvier 2001 (2001 DTC 306), la juge Lamarre a autorisé l’application du critère de l’attente raisonnable de profit, mais elle a conclu qu'il existait un élément personnel et que l’examen de la structure de l’entreprise ne permettait pas de déceler l’existence d’un aspect commercial. La juge Lamarre a ensuite déclaré, à la page 20 (DTC : à la page 315) :

 

...Bien qu'il n'appartienne pas à la Cour de l'impôt de mettre en question le sens des affaires d'un contribuable qui se lance de bonne foi dans une activité commerciale qui se révèle moins profitable que prévu, il doit y avoir suffisamment d'indices de commercialité pour justifier la conclusion selon laquelle une véritable entreprise commerciale est exploitée.

 

À mon sens, il y a une véritable entreprise commerciale qui est exploitée en l’espèce.

 

[45]    Dans l’affaire Stewart c. Canada, [2001] A.C.I. no 357 (Q.L.) (C.C.I.), le juge Miller a statué que l’appelant n'exploitait pas une entreprise durant les années en cause. À vrai dire, il est question dans cette affaire d’un contribuable qui a entrepris des démarches préliminaires en vue du démarrage d’un projet ayant extérieurement l’apparence d’une entreprise mais ne pouvant pas encore être qualifié d’activité commerciale à proprement dit. Il faisait juste mettre quelque chose en place en prévision de l’avenir si les circonstances le permettaient. Même si ça ressemble quelque peu au projet de retraite de l’appelant en cause en l’espèce, il y a une distinction à faire car, dans cette affaire, il a été statué qu’il n’existait pas d’activité commerciale véritable ou d’entreprise véritable au moment où l’activité a fait l'objet d’un examen. Dans l’affaire dont je suis saisi, je suis arrivé à la conclusion contraire.

 

[46]    J’entends citer en dernier lieu l’affaire Peary c. Canada, [2001] A.C.I. no 458 (Q.L.). L’avocate de l’intimée a soutenu que le juge Mogan avait appliqué le critère de l’attente raisonnable de profit dans cette affaire, même s’il y avait une véritable entreprise et que n’existait en apparence aucun élément personnel. Or, dans cette affaire, le juge Mogan a bel et bien conclu à l’existence d’un élément personnel. Certes, il a tiré cette conclusion vers la fin de son jugement, mais il l’a tirée quand même. Il a fait observer que, même s’il n’y avait aucune participation ni aucun élément personnel manifeste, il existait, à vrai dire, un élément personnel vu que des loyers étaient payés pour l'utilisation d’un immeuble appartenant aux mêmes associés qui percevaient les loyers. Cette transaction intéressée, qui occasionnait des pertes, aidait au remboursement de l’emprunt hypothécaire contracté relativement à cet immeuble locatif et constituait un élément personnel dans la création des pertes. En outre, le juge Mogan considérait très suspectes les raisons invoquées pour justifier ces pertes, vu la manière dont elles étaient appliquées. En l’espèce, je ne trouve nullement suspectes les raisons pour lesquelles les dépenses ont été engagées ou les pertes qui en sont résultées. Ces pertes sont simplement le résultat de dépenses d’entreprise faites dans l’espoir véritable de réaliser un profit.

 

[47]    En conséquence, pour les motifs exposés précédemment, l’attente raisonnable de profit qui sous‑tend la nouvelle cotisation ne peut s’appliquer et les appels sont admis avec frais.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mars 2002.

 

 

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 

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