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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-4538(IT)G

ENTRE :

BRUCE E. MORLEY LAW CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 16 octobre 2001, à Vancouver (Colombie‑Britannique), par

l'honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :              Me Douglas C. Morley

 

Avocate de l'intimée :                Me Lynn Burch

 


JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est admis, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mars 2002.

 

 

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20020321

Dossier : 1999-4538(IT)G

 

 

ENTRE :

BRUCE E. MORLEY LAW CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield, C.C.I.

 

[1]     Le présent appel est interjeté en vertu des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) à l'encontre d'une cotisation d'impôt, pour l'année d'imposition 1994, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à l'appelante la déduction accordée aux petites entreprises — à l'égard d'un revenu de 68 468 $ — et, en vertu de l'alinéa 18(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), la déduction de dépenses de 44 745 $. Dans les deux cas, il s'agit de savoir si l'entreprise de l'appelante est une « entreprise de prestation de services personnels » au sens de l'article 125 de la Loi.

 

[2]     Voici ce qui est indiqué comme étant les faits pertinents dans l'avis d'appel :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'appelante (« BEM Corp. ») est une société juridique autorisée à exercer le droit en Colombie‑Britannique en vertu de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Legal Professions Act (Loi sur les professions juridiques) et exerce en fait le droit depuis le 15 juin 1994.

 

2.         La personne fournissant l'essentiel de ces services dans l'année d'imposition 1994 était Bruce Morley, un membre du barreau de la Colombie-Britannique. Bruce Morley fournit ces services comme employé de BEM Corp. conformément aux modalités d'un contrat d'emploi entre lui et BEM Corp. en date du 15 juin 1994.

 

3.         Dans le cadre de son entreprise, BEM Corp. a fourni des services juridiques à Clearly Canadian Beverage Corporation (« Clearly Canadian ») et elle a, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1994 selon la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), déduit les dépenses qu'elle avait engagées en fournissant ces services. Dans le calcul de l'impôt sur le revenu à payer, BEM Corp. a demandé la déduction accordée aux petites entreprises en vertu du paragraphe 125(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada).

 

4.         La déclaration de revenu de BEM Corp. pour son année d'imposition 1994 a été produite le 30 juin 1995 ou vers cette date, et un avis de cotisation acceptant la déclaration produite a été délivré le 18 septembre 1995.

 

5.         Par voie d'avis de nouvelle cotisation en date du 14 mai 1998, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de BEM Corp. pour le motif que les services juridiques fournis par BEM Corp. à Clearly Canadian constituaient une « entreprise de prestation de services personnels » au sens du paragraphe 125(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Se fondant là‑dessus, le ministre a refusé :

 

a)         les dépenses déduites par BEM Corp. dans le calcul de son revenu, sauf les dépenses permises par l'alinéa 18(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

b)         la déduction accordée aux petites entreprises en vertu du paragraphe 125(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

6.         Par voie d'avis d'opposition en date du 31 juillet 1998, BEM Corp. a fait opposition à l'avis de nouvelle cotisation.

 

7.         Par voie d'avis de ratification en date du 6 août 1999, le ministre a ratifié l'avis de nouvelle cotisation.

 

[3]     Les hypothèses suivantes énoncées au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel ne sont pas contestées :

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

b)         durant toute la période pertinente, Bruce Morley (« M. Morley ») était un « actionnaire déterminé » de l'appelante au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

c)         durant les années considérées en l'espèce, l'appelante n'employait pas plus de cinq employés à temps plein;

 

d)         M. Morley a fourni des services juridiques (les « services ») à Clearly Canadian Beverage Corporation (« CCBC ») pour le compte de l'appelante;

 

e)         l'appelante et CCBC n'étaient pas associées durant les années considérées en l'espèce;

 

f)          durant les années considérées en l'espèce, M. Morley était employé par CCBC comme administrateur et comme vice‑président, Services juridiques;

 

[...]

 

h)         l'appelante a conclu avec CCBC une convention intitulée « convention de services juridiques » prévoyant le versement de sommes mensuelles fixes à l'appelante au titre des services;

 

i)          la convention de services juridiques stipulait que CCBC rembourserait à l'appelante les dépenses engagées par celle‑ci dans le cadre de la prestation des services et que CCBC indemniserait l'appelante et ses employés de toute réclamation présentée contre eux par des tiers;

 

j)          la convention de services juridiques portait que l'appelante serait incluse comme assurée nommément désignée dans toutes les polices d'assurance de CCBC, de manière que l'appelante bénéficie de cette protection au cas où des réclamations seraient présentées contre elle par des tiers relativement à la prestation des services;

 

[4]     Les hypothèses supplémentaires suivantes figurant au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel sont en litige :

 

[TRADUCTION]

 

g)         si ce n'était de l'existence de l'appelante, il aurait été raisonnable de considérer M. Morley comme étant un dirigeant ou un employé de CCBC relativement aux services;

 

[...]

 

k)         les services étaient des services qu'il aurait été raisonnable de s'attendre que M. Morley fournisse à CCBC en sa qualité d'administrateur, de vice‑président, Services juridiques, et de membre de l'équipe de gestion de CCBC;

 

l)          le degré de contrôle et de supervision que CCBC exerçait à l'égard de M. Morley concernant les fonctions qu'il remplissait en vertu de la convention de services juridiques était le même que dans le cas des fonctions que M. Morley remplissait en vertu de son contrat d'emploi comme vice‑président, Services juridiques;

 

m)        les services avaient le caractère de services normalement fournis par un avocat interne;

 

n)         l'appelante n'avait aucun risque de perte et aucune chance de bénéfice relativement à la prestation des services;

 

o)         si la convention de services juridiques avait été conclue entre M. Morley et CCBC, il se serait agi d'un contrat de louage de services;

 

p)         les services faisaient partie intégrante de l'entreprise de CCBC;

 

QUESTION À TRANCHER

 

[5]     Comme je l'ai dit, il s'agit de savoir si les services fournis par BEM Corp. à Clearly Canadian constituent une « entreprise de prestation de services personnels » au sens du paragraphe 125(7) de la Loi. Ce paragraphe donne la définition suivante :

 

« entreprise de prestation de services personnels » S'agissant d'une entreprise de prestation de services personnels exploitée par une société au cours d'une année d'imposition, entreprise de fourniture de services dans les cas où :

 

a)  soit un particulier qui fournit des services pour le compte de la société — appelé « employé constitué en société » à la présente définition et à l'alinéa 18(1)p);

 

b)  soit une personne liée à l'employé constitué en société,

 

est un actionnaire déterminé de la société, et où il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société comme étant un cadre ou un employé de la personne ou de la société de personnes à laquelle les services sont fournis, si ce n'était de l'existence de la société, à moins :

 

c)   soit que la société n'emploie dans l'entreprise tout au long de l'année plus de cinq employés à temps plein;

 

d)  soit que le montant payé ou payable à la société au cours de l'année pour les services ne soit reçu ou à recevoir par celle-ci d'une société à laquelle elle était associée au cours de l'année.

 

[6]     Vu les faits dont les parties ont convenu, la seule question en l'espèce est de savoir s'il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société (M. Morley) comme étant un dirigeant ou un employé du bénéficiaire des services (Clearly Canadian) si ce n'était de l'existence de la société (BEM Corp.) qui fournissait les services. Cette question peut être divisée en trois questions préliminaires :

 

1)        Est-ce que la définition d'« entreprise de prestation de services personnels » s'applique aux rapports entre BEM Corp. et Clearly Canadian simplement parce que le dirigeant de cette dernière, M. Morley (l'employé constitué en société), était en fait un dirigeant et un administrateur de BEM Corp. pendant la durée de l'entreprise? Si un tel emploi est fatal pour la thèse selon laquelle l'entreprise de la société n'est pas une entreprise de prestation de services personnels, aucun dirigeant ou administrateur d'une société ne pourrait, en utilisant une société pour fournir des services d'entrepreneur indépendant non liés aux services de l'emploi, avoir droit à la déduction accordée aux petites entreprises, à moins d'avoir renoncé à la charge. Une telle conclusion en l'espèce donnerait lieu au rejet de l'appel. Si une telle conclusion n'est pas justifiée, l'analyse continue.

 

2)        Quelle est la pertinence, le cas échéant, des responsabilités en matière d'emploi de l'employé constitué en société envers Clearly Canadian résultant de son emploi pour Clearly Canadian? Dire en réponse à la question 1) ci‑devant qu'un tel emploi n'est pas lui‑même décisif ne revient pas à dire qu'il n'est pas pertinent. Il peut être pertinent dans la détermination de la question de savoir s'il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société, M. Morley, comme étant un employé du bénéficiaire des services de la société, si ce n'était de l'existence de la société. Le fait qu'il n'y a pas une claire séparation des rôles de chaque fournisseur de services (c'est-à-dire M. Morley comme dirigeant et M. Morley comme employé constitué en société) en vertu de chaque engagement est, peut‑on soutenir, d'une importance primordiale dans la détermination de cette question. Si les rôles de chaque fournisseur de services sont distincts ou qu'une imprécision à cet égard ne donne pas lieu sur la foi des faits de l'espèce à une conclusion selon laquelle l'entreprise de BEM Corp. est une entreprise de prestation de services personnels, l'analyse continue, et l'on passe à l'examen d'une dernière question.

 

3)        Est‑ce que le contrat entre BEM Corp. et Clearly Canadian est lui‑même essentiellement un contrat d'emploi ou un contrat en vertu duquel sont retenus les services d'un entrepreneur indépendant? Aux fins de l'analyse, il faudrait ici déterminer si le contrat entre les sociétés est un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Le critère composé de quatre parties intégrantes qui est décrit dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 D.T.C. 5025, pourrait alors être invoqué pour déterminer la véritable nature de cette relation particulière[1].

 

FAITS

 

[7]     Deux personnes ont témoigné au procès, à savoir Douglas Mason, qui était président de Clearly Canadian durant toute la période pertinente, et Bruce Morley. Les deux témoins ont été appelés par l'appelante. Leur témoignage permet de conclure, entre autres choses, que les services devant être fournis par l'appelante et effectivement fournis par elle étaient en grande partie des services devant être fournis par M. Morley à titre de dirigeant de Clearly Canadian. En d'autres termes, les services de la société incluaient des services pour la prestation desquels M. Morley avait personnellement été engagé comme dirigeant de Clearly Canadian. À tout le moins y avait‑il un chevauchement considérable que ni les conventions juridiques écrites ni l'exécution de celles‑ci ne rectifiaient aux fins de déterminer si l'entreprise de BEM Corp. était une entreprise de prestation de services personnels. L'exposé suivant est centré sur des faits qui étayent cette conclusion.

 

[8]     Douglas Mason a témoigné le premier. Il n'avait pas personnellement négocié les modalités des contrats d'engagement qui ont été produits au procès, dans un recueil conjoint de documents, mais j'ai cru comprendre que M. Mason était responsable de l'embauche de M. Morley pour un poste de direction, à savoir un poste de vice‑président de Clearly Canadian.

 

[9]     M. Morley avait été associé dans un cabinet d'avocats de Vancouver (Boughton & Company) auquel Clearly Canadian faisait appel et il était la principale personne‑ressource au sein du cabinet; il accomplissait personnellement une partie du travail de documentation juridique dont Clearly Canadian demandait l'exécution. Avant son départ de Boughton & Company, une proportion de plus de 80 p. 100 de sa facturation était attribuable au travail exécuté pour Clearly Canadian, dont une grande partie n'était pas en soi du travail de documentation juridique. Outre qu'il accomplissait de tels travaux, M. Morley coordonnait le travail juridique de ce client du cabinet parmi d'autres employés du cabinet et il aidait fréquemment ce client en matière d'aiguillage vers d'autres cabinets d'avocats, principalement dans d'autres ressorts lorsqu'il y avait un lien entre le travail requis dans ces ressorts et le travail accompli par Boughton & Company. Ces derniers services, parfois appelés services de stratège, étaient néanmoins des services juridiques qui faisaient partie des services que M. Morley fournissait et facturait à Clearly Canadian.

 

[10]    L'entreprise de Clearly Canadian avait pris de l'expansion à la fin des années 1980 et au début des années 1990, atteignant un point culminant en 1992, avec des ventes mondiales de 187 millions de dollars. Clearly Canadian avait grandement besoin de divers services juridiques dans un certain nombre de ressorts au Canada et à l'étranger. Cette société ouverte avait été inscrite d'abord à la bourse de Vancouver, ensuite à la NASDAQ, puis à la bourse de Toronto. Vendre des produits à divers endroits, obtenir du financement du public, protéger des droits commerciaux, négocier des contrats commerciaux et contester des réclamations en matière de responsabilité du fait des produits, ainsi que des offres publiques d'achat hostiles, occasionnaient des millions de dollars de frais juridiques chaque année.

 

[11]    M. Mason a témoigné qu'il était apparu clairement à Clearly Canadian qu'elle était incapable d'administrer efficacement les services juridiques dont elle avait besoin. La coordination faisait défaut. En fait, M. Mason a témoigné que la société n'arrivait pas à maîtriser la situation et que personne au sein de la société n'était capable d'administrer efficacement les services juridiques dont elle avait besoin. M. Mason a témoigné que Clearly Canadian avait estimé que, aux fins de l'administration de tous les services juridiques dont elle avait besoin, elle avait intérêt à trouver quelqu'un pour remplacer M. Mason, ainsi que le directeur financier de la société et son adjoint, qui essayaient d'administrer les services juridiques, mais ne faisaient pas ce qu'il y avait de mieux comme travail.

 

[12]    Clearly Canadian avait contacté M. Morley pour que ce dernier l'aide à gérer les services juridiques dont la société avait besoin.

 

[13]    Personnellement, M. Morley était intéressant pour Clearly Canadian parce qu'il semblait être un bon administrateur et un bon stratège relativement aux services juridiques fournis par Boughton & Company. Il était en outre considéré comme quelqu'un qui était très compétent en affaires et dont le bagage juridique ferait de lui un élément précieux au conseil d'administration de la société et comme vice‑président des services juridiques.

 

[14]    M. Mason a souligné les compétences en affaires que M. Morley avait apportées au conseil d'administration et il a reconnu que l'on s'attendait que M. Morley continue de s'occuper d'une partie du travail juridique dont il s'était occupé à Boughton & Company, mais c'était surtout comme cadre interne que M. Morley intéressait M. Mason. Il était essentiel pour Clearly Canadian que M. Morley coordonne, à titre de vice‑président des services juridiques, le travail de tous les avocats avec qui traitait Clearly Canadian, quelle que soit la nature de la question en cause et quel que soit le ressort dans lequel celle‑ci se posait. Les responsabilités qu'avait M. Morley envers la société, comme vice‑président, consistaient à aider la société à choisir des avocats, à négocier avec eux, à coordonner leur travail et à réaliser des économies.

 

[15]    M. Mason considérait qu'il serait possible de réaliser des économies considérables s'il pouvait embaucher M. Morley pour que ce dernier travaille directement pour Clearly Canadian. La qualification juridique de l'engagement n'avait pas d'importance pour M. Mason. Il lui importait peu que M. Morley ait insisté pour pouvoir utiliser une société juridique pour fournir certains de ses services à Clearly Canadian. M. Mason voyait l'engagement comme une façon de faire en sorte que M. Morley sorte de son cabinet juridique privé et consacre ses journées, aux bureaux de Clearly Canadian, à administrer le travail juridique de celle‑ci. Bien que M. Mason ait fait savoir clairement qu'il s'attendait que M. Morley soit aux bureaux de Clearly Canadian à temps plein pour s'occuper de ses fonctions administratives, il a admis que M. Morley était libre d'exploiter une entreprise juridique, par l'intermédiaire de BEM Corp. ou autrement, hors du cadre de son engagement. M. Morley était libre d'exercer de telles autres activités à l'extérieur des heures de travail, y compris lorsqu'il était aux bureaux de Clearly Canadian et qu'il n'avait pas de fonctions de cadre à remplir. M. Mason avait confiance que M. Morley remplirait ses fonctions administratives à temps plein comme vice‑président des services juridiques et que l'exercice d'autres activités au nom de BEM Corp. ne serait pas préjudiciable à l'accomplissement approprié de ses fonctions de cadre.

 

[16]    Ce témoignage pourrait avoir été quelque peu suspect — dans la mesure où il indiquait que l'engagement n'était pas tout à fait un engagement exclusif à temps plein — n'eût été le fait que M. Mason aussi exerçait d'autres activités commerciales par l'intermédiaire d'une société lui appartenant. M. Mason était arrivé à Clearly Canadian en tant qu'homme d'affaires prospère et travaillait auprès de Clearly Canadian pour en promouvoir l'entreprise tout en continuant à faire de la promotion et de la consultation pour une société qui lui appartenait et qui employait également d'autres personnes pour la prestation de tels services. Certains des services fournis à Clearly Canadian par M. Mason étaient fournis par l'intermédiaire de la société lui appartenant. Bien que le fait que M. Mason ait été dans la même situation que M. Morley du point de vue de l'impôt sur le revenu — dans la mesure où il voulait lui aussi faire en sorte que la société lui appartenant ait droit à la déduction accordée aux petites entreprises — puisse encore là rendre son témoignage suspect, il y avait ici une tendance à accepter que des cadres supérieurs puissent poursuivre leurs activités professionnelles ou commerciales, même au point de fournir de tels services à Clearly Canadian indépendamment des services qu'ils lui fournissaient comme cadres. Toutefois, le fait de reconnaître que cette tendance existait et de reconnaître que M. Morley était libre de séparer son travail de dirigeant de son travail relatif à son entreprise constituée en société n'est pas déterminant quant à savoir s'il existait en fait une telle séparation ou si M. Morley était personnellement engagé comme dirigeant à temps plein de la société. En fait, pour ce qui est de cette dernière question, je conclus que M. Mason entendait que M. Morley soit engagé comme cadre à temps plein de Clearly Canadian. C'était le principal objet de l'engagement. C'était l'essence de la relation. C'en était la raison d'être. Cela n'est pas incompatible avec le fait d'admettre que M. Morley était libre d'exercer d'autres activités par l'intermédiaire de BEM Corp. et même d'exercer d'autres activités pour Clearly Canadian pour une contrepartie distincte selon une entente distincte en matière de prestation de services.

 

[17]    Le fait de reconnaître que M. Morley était libre de fournir des services à Clearly Canadian par l'intermédiaire de BEM Corp. mène à une autre question. Quels services Clearly Canadian croyait comprendre que BEM Corp. lui fournirait? Nul doute que l'administration et la coordination du travail juridique de Clearly Canadian pourraient avoir été incluses dans les services juridiques confiés à contrat à une société devant être créée par M. Morley, mais ce n'était pas ce que M. Mason avait compris. Jamais M. Mason n'a cru comprendre que M. Morley entendait que BEM Corp. remplisse les fonctions de cadre que M. Morley avait la responsabilité de remplir personnellement comme vice‑président des services juridiques. M. Mason estimait que cette société s'occuperait du genre de travail juridique de documentation — l'établissement de contrats d'emploi et de contrats de distribution, par exemple — dont M. Morley s'occupait lorsqu'il était à Boughton & Company. M. Mason a reconnu que de tels services pouvaient être fournis par n'importe quel avocat, ce qui explique qu'il a témoigné qu'il n'était pas préoccupé quant à savoir qui serait engagé par BEM Corp. pour fournir ses services à Clearly Canadian. Les services personnels de M. Morley faisaient partie de ses fonctions comme dirigeant de la société. Cependant, lorsque M. Mason a été contre‑interrogé sur les modalités de la convention de services juridiques conclue entre BEM Corp. et Clearly Canadian, il n'avait aucune explication quant à savoir pourquoi, sur la foi des modalités de cette convention d'engagement, BEM Corp. semblait être la partie ayant la responsabilité de remplir les fonctions au sujet desquelles il avait témoigné que c'était M. Morley qui en était personnellement responsable à titre de vice‑président de Clearly Canadian.

 

[18]    Les services juridiques devant être fournis à Clearly Canadian par BEM Corp. sont énoncés dans une convention de services juridiques en date du 15 juin 1994. Cette convention prévoit que les services suivants devaient être fournis par BEM Corp. (appelée « Lawcorp » dans cette convention) :

 

[TRADUCTION]

 

3.1       Par l'intermédiaire de ses dirigeants et employés qui seront désignés de temps à autre, Lawcorp :

 

a)         conseillera la société de façon générale sur des questions juridiques;

 

b)         donnera des instructions à des avocats au nom de la société sur des questions qui, selon Lawcorp ou la société, devraient être renvoyées à d'autres cabinets d'avocats pour obtenir des avis ou d'autres services;

 

c)         maintiendra une liaison avec des cabinets d'avocats fournissant des services pour la société et fera rapport là‑dessus à la société;

 

d)         assurera une coordination au sujet de questions faisant l'objet des services juridiques de plus d'un cabinet d'avocats;

 

e)         de temps à autre, selon les besoins, donnera des instructions aux employés, aux mandataires et aux autres représentants de la société sur des questions juridiques découlant des activités qu'ils exercent au nom de la société;

 

f)          fera en sorte que soient tenus pour la société les registres appropriés ou ceux demandés par la société;

 

g)         sauf autorisation ou directive du conseil d'administration de la société, ne permettra pas que soit fait quoi que ce soit qui pourrait faire en sorte que l'entreprise, un élément d'actif de celle‑ci ou tout autre bien lui appartenant soit susceptible d'être saisi, grevé ou atteint.

 

[19]    Interrogé sur ces dispositions de la convention de services juridiques, M. Mason a reconnu que, sauf concernant les alinéas a) et g), il pensait que les services énoncés étaient en fait des services que M. Morley devait personnellement fournir comme vice‑président. Il a reconnu que les services décrits aux alinéas e) et f) représentaient aussi bien des services que l'on s'attendait que M. Morley fournisse comme dirigeant de la société que des services qui pourraient avoir été fournis, dans certains contextes, par BEM Corp. Pour ce qui est de l'alinéa g), il a admis qu'il n'avait aucune idée quant à savoir ce que cet alinéa signifiait. En fait, il a lui‑même témoigné ultérieurement que cet alinéa g) n'avait pas lieu d'être dans la convention et avait été supprimé de versions subséquentes de la convention.

 

[20]    Je traiterai du témoignage de M. Morley séparément quant à savoir pourquoi il voulait introduire BEM Corp. comme partie aux arrangements contractuels avec Clearly Canadian, mais je dirais à ce stade que ses tentatives pour expliquer la façon dont l'article 3.1 de la convention de services juridiques décrivait les services devant être fournis par BEM Corp. frisaient le ridicule. Il ne voulait pas admettre que BEM Corp. avait passé un contrat pour coordonner ou administrer le travail de Clearly Canadian. BEM Corp. avait conclu un contrat pour coordonner les travaux qui étaient délégués à BEM Corp., disait-il, de sorte que ces travaux n'entraient pas dans le cadre des fonctions qu'il remplissait comme vice‑président de Clearly Canadian. Il a expliqué qu'il déterminait d'abord s'il y avait ou non un service juridique devant être fourni par BEM Corp. À titre de vice‑président des services juridiques, il déterminait si une question entrait dans le cadre de la convention avec BEM Corp. Il a été reconnu que personne d'autre à Clearly Canadian ne pouvait faire cette détermination. On n'a tenu ou produit aucun registre indiquant quelles questions faisaient l'objet d'un tel aiguillage. Il n'y avait aucune obligation de rendre compte, même quant à la rémunération, en raison d'un arrangement conclu avec BEM Corp. et prévoyant le versement d'une provision fixe. Une fois l'aiguillage effectué — sans aucune obligation de rendre compte — concernant une question particulière, la convention de services juridiques s'appliquait à cette question, ce qui englobait les services énoncés aux alinéas b) à g) inclusivement. Même en acceptant cette approche, je vois difficilement en quoi BEM Corp. n'a pas passé un contrat pour accomplir le travail même que, si ce n'était de l'existence de la société, il serait raisonnable de considérer comme du travail devant être accompli par M. Morley en tant que dirigeant (voir le paragraphe 14 des présents motifs). Examinons l'alinéa b), par exemple; il porte que BEM Corp. doit donner des instructions à des avocats au nom de Clearly Canadian sur des questions qui, selon Clearly Canadian, devraient être renvoyées à d'autres cabinets pour obtenir des avis et des services. Même dans son propre témoignage, M. Morley décrivait ces services comme entrant dans le cadre de ses fonctions de vice‑président des services juridiques. Soit la convention est factice ou sans effet parce qu'elle ne reflète pas la véritable nature de la relation et les intentions des parties, soit elle définit la nature juridique de la relation à titre de convention ayant force obligatoire. Comme je le préciserai ultérieurement dans les présents motifs, je conclus que la deuxième proposition est vraie, mais la première conduirait à mon avis au même résultat.

 

[21]    Les services fournis à Clearly Canadian par Bruce Morley personnellement, comme dirigeant et administrateur de Clearly Canadian, sont énoncés dans une convention écrite également datée du 15 juin 1994 (la « convention d'administrateur et de dirigeant »). Cette convention prévoit les nominations et services suivants :

 

[TRADUCTION]

 

1.1       CCBC nomme Bruce au poste de vice‑président, Services juridiques, et Bruce accepte le poste.

 

1.2       CCBC accepte de nommer Bruce comme administrateur supplémentaire à la prochaine réunion du conseil d'administration suivant la signature de la présente convention, laquelle nomination restera en vigueur, conformément aux statuts constitutifs de CCBC, jusqu'à l'assemblée générale annuelle de CCBC à laquelle Bruce est tenu de se présenter en vue d'être réélu. CCBC accepte en outre d'inclure Bruce parmi les candidats aux postes d'administrateur qu'elle recommandera d'élire à cette assemblée générale annuelle et à chaque assemblée générale subséquente à laquelle Bruce sera tenu de se présenter en vue d'être réélu.

 

[...]

 

2.1       Bruce accepte de remplir les fonctions d'administrateur loyalement et d'agir dans l'intérêt de CCBC.

 

2.2       Il est entendu que la responsabilité de Bruce de remplir les fonctions de dirigeant en vertu de la présente convention se limite aux fonctions qui n'ont pas à être remplies en vertu de la convention d'engagement. Si une activité particulière peut être exercée en vertu soit de la présente convention soit de la convention d'engagement, elle sera considérée comme exercée en vertu de la convention d'engagement.

 

[22]    Cette dernière disposition (appelée la disposition « à défaut ») est encore une autre disposition curieuse. Je la considère comme confirmant également que la convention de services juridiques (appelée « convention d'engagement » dans la convention ci-dessus) couvre les services administratifs liés au poste de vice‑président non seulement expressément, mais par défaut en vertu de la convention d'administrateur et de dirigeant.

 

[23]    En ce qui a trait à la rémunération des services, examinons les dispositions contractuelles suivantes de la convention de services juridiques et de la convention d'administrateur et de dirigeant :

 

[TRADUCTION]

 

Convention de services juridiques

 

2.1       En contrepartie des services fournis par Lawcorp à la société en vertu de la présente convention, la société versera à Lawcorp des honoraires (la « provision ») d'un montant de 197 400 $ par année payable par versements mensuels égaux de 16 450 $ le dernier jour de chaque mois. La provision exclut toute taxe devant être perçue par Lawcorp conformément à la Loi sur la taxe d'accise ou à une autre loi imposant une taxe sur les services devant être fournis. Le paiement pour juin 1994 (qui doit être fait le 30 juin 1994) sera calculé au prorata.

 

Convention d'administrateur et de dirigeant

 

3.1       La rétribution devant être versée à Bruce sera la suivante :

 

[...]

 

b)           CCBC accepte de conclure avec Bruce une convention de financement de retraite selon les modalités dont ont précédemment convenu CCBC et Bruce (laquelle convention, qui peut être modifiée de temps à autre, est appelée ci‑après la « convention de retraite »). Il est entendu que la convention de retraite n'impose à CCBC aucune obligation juridique de faire des paiements à Bruce.

 

Une « convention de retraite » n'a pas été consignée en preuve. Une preuve verbale a été présentée quant aux détails de la rétribution d'administrateur et de dirigeant.

 

[24]    La rétribution des administrateurs consistait en options d'achat d'actions et celle des dirigeants consistait en une cotisation, d'un montant annuel total d'environ 85 000 $, à la caisse de retraite, les retenues à la source nécessaires étant également remises. L'arrangement en matière de cotisation de retraite donnait lieu à l'établissement d'un formulaire T4 annuel faisant état d'une somme d'environ 170 000 $. Aucune partie de la rétribution des dirigeants et des administrateurs n'était payable sous une forme assurant des rentrées d'argent régulières aux cadres qui avaient des sociétés fournissant des services distincts pour Clearly Canadian — il y en avait au moins trois, dont M. Morley et M. Mason. Le régime de retraite était toutefois assez souple pour que des prélèvements puissent être effectués avant la retraite. Aucun élément de preuve n'indique que M. Morley a effectué de tels prélèvements ou exercé des options d'achat d'actions. En fait, il a témoigné que, à l'exception d'une brève période dont il n'a pas profité, les prix d'exercice de ses options avaient été supérieurs à la valeur marchande des actions. Il semble donc qu'il ait été satisfait aux besoins en retraits de M. Morley grâce au contrat de ce dernier avec BEM Corp. Le salaire reçu par M. Morley de BEM Corp. a été de 3 000 $ par mois au moins jusqu'à la mi‑décembre 1994.

 

[25]    Pour ce qui est de la rémunération, M. Mason a témoigné qu'il ne savait pas comment les chiffres précis avaient été déterminés. Il avait cru comprendre qu'il y avait eu une certaine négociation, mais il m'apparaissait clairement que la répartition entre la rétribution de dirigeant et d'administrateur et la provision pour services juridiques importait peu à Clearly Canadian. La répartition de l'engagement de M. Morley entre deux contrats avec deux entités juridiques n'importait pas. Une fois que M. Mason avait M. Morley comme administrateur à temps plein, la question de savoir qui recevait le montant que Clearly Canadian était disposée à verser à M. Morley pour ces services n'importait pas à Clearly Canadian. La somme affectée aux services juridiques, que M. Mason croyait être les services fournis par BEM Corp. (par opposition aux services administratifs), n'avait pas d'importance, car ces services ne justifiaient pas une attention distincte. Ils étaient accessoires. Ils s'inscrivaient dans les possibilités d'économies globales, mais n'étaient pas assez importants pour être surveillés. On s'attendait que M. Morley fasse réaliser des économies, ce qui a été le cas : M. Mason considérait que le fait que M. Morley s'était joint à l'équipe de Clearly Canadian avait permis de réaliser plus d'un million de dollars d'économies la première année. Personne n'a témoigné quant à savoir si une partie importante de ces économies était attribuable à autre chose qu'aux compétences administratives de M. Morley. On n'a présenté aucun élément de preuve faisant état d'un travail quelconque accompli effectivement par BEM Corp. Les factures de celle‑ci ne faisaient pas état de travaux accomplis. Le témoignage des deux témoins était que certains travaux avaient été exécutés, mais aucun exemple n'en a été consigné en preuve.

 

[26]    Un arrangement quant au versement d'une provision pourrait bien rendre inutile une obligation de rendre compte, et le témoignage selon lequel certains travaux ont été accomplis par BEM Corp. peut être suffisant. En fait, je ne doute pas que M. Morley a exécuté certains travaux purement juridiques et que ceux‑ci étaient destinés à être exécutés par lui en tant qu'avocat travaillant pour BEM Corp., avec laquelle il avait conclu une convention d'engagement[2]. J'accepte le fait que BEM Corp. exploitait activement une certaine entreprise et recevait la provision pour accomplir le travail relatif à cette entreprise, mais l'absence d'une obligation de rendre compte pourrait également indiquer que la provision était versée en partie pour l'ensemble de services incluant des services de cadre. En d'autres termes, l'absence d'une obligation de rendre compte tend également à étayer la conclusion selon laquelle BEM Corp. s'acquittait de certaines des fonctions et responsabilités liées au poste de vice‑président des services juridiques. Ainsi, la comptabilisation du travail de documentation juridique n'était pas importante. Ce point de vue est du moins compatible avec le fait que Clearly Canadian n'avait pas besoin de surveiller le travail de BEM Corp. En fait, ce point de vue pourrait être le seul qui convienne étant donné que les parties n'ont entre elles aucun lien de dépendance[3]. Ce point de vue quant à la raison pour laquelle il n'était pas nécessaire de comptabiliser le travail juridique accompli par BEM Corp. ne se fonde pas sur la « réalité économique ». Il étaye simplement une interprétation particulière de la convention de services juridiques une interprétation que le libellé exprès de cette convention semble dicter de toute façon.

 

[27]    Il est également à noter que l'absence d'une obligation de rendre compte dans l'arrangement relatif à la provision rend un autre aspect du témoignage de M. Morley suspect. M. Morley disait que BEM Corp. pouvait engager d'autres personnes — des avocats — pour l'exécution du contrat conclu avec Clearly Canadian. Exception faite des primes pouvant être obtenues en vertu du contrat conclu avec Clearly Canadian, opter pour un tel mode d'exécution ne pouvait que donner lieu à des profits inférieurs pour BEM Corp. En pratique du moins, l'idée que l'appelante engage des tiers pour accomplir des travaux juridiques pour Clearly Canadian en vertu de la convention de services juridiques n'est pas réaliste à mon avis. Que les services soient fournis ou non, la provision est versée.

 

[28]    Pour ce qui est de l'utilisation d'une société juridique, M. Morley a témoigné qu'il ne voulait pas renoncer à l'exercice du droit proprement dit et qu'il avait réussi à persuader Clearly Canadian d'accepter l'exigence que la société juridique reçoive un revenu garanti pour qu'il quitte Boughton & Company. Il s'attendait que la société juridique mérite la provision, et le degré de confiance que reflète l'arrangement conclu ne semblait pas lui faire problème. La convention de services juridiques prévoyait des primes, ainsi que des augmentations annuelles, et l'on s'attendait que les services de la société puissent valoir davantage[4].

 

[29]    À ce que j'ai compris, M. Morley avait exigé que la provision soit garantie pour une certaine période pour quitter son cabinet. En fait, BEM Corp. a obtenu une clause de résiliation prévoyant que, si son contrat était résilié sans motif valable, une somme représentant cinq fois le montant annuel de la provision lui serait versée. Bien qu'une telle clause de résiliation puisse ne pas être dissemblable de ce qu'il en est dans le cas d'arrangements en matière d'emplois de cadres, elle est quelque peu inusitée dans un contrat portant sur des services juridiques indépendants. Encore là, cela étaye le point de vue selon lequel la convention de services juridiques incluait les services administratifs devant être fournis par M. Morley. Cette convention prévoyait des avantages du genre que l'on accorde à un cadre pour ses services, ce qui était une façon de faire en sorte qu'il ne puisse y avoir de résiliation « pour motif valable » même si BEM Corp. ne justifiait d'aucun autre travail juridique qu'elle était censée accomplir.

 

[30]    Étonnamment, M. Mason et M. Morley ont tous deux témoigné que la clause de résiliation prévoyant le versement d'une somme représentant le quintuple du montant annuel de la rétribution se voulait simplement un moyen — une « pilule empoisonnée » — de décourager les offres publiques d'achat hostiles. Tous les cadres (et leurs sociétés de services) avaient une telle clause, et cette « pilule » était indiquée comme élément de passif dans les états financiers vérifiés. L'initiateur d'une offre publique d'achat aurait à dépenser des millions de dollars pour remplacer la direction. Non seulement cela souligne le point de vue selon lequel BEM Corp. était assimilée à la direction dans tout cet arrangement, mais cela indique une connivence incroyable. Les deux témoins ont dit que la clause de résiliation n'était pas destinée à avoir force exécutoire. Les contrats étayant les états vérifiés étaient une façade. Il semble qu'aucun élément de ces arrangements n'est ce qu'il est censé être.

 

[31]    Un autre aspect du témoignage de M. Mason est troublant. Cela concerne le transfert de son cabinet juridique à BEM Corp. M. Morley a transféré son cabinet juridique à BEM Corp. le 15 juin 1994. La convention de transfert n'était pas précise quant à savoir ce qui était transféré; elle disait simplement que ce qui était transféré était le « cabinet » que M. Morley avait établi et développé depuis 1981. Me fondant sur la preuve présentée par M. Morley, je crois comprendre que ce qui était transféré était l'achalandage relatif au cabinet juridique de M. Morley, ce qui est évidemment son achalandage personnel en tant qu'avocat. La valeur du « cabinet » était estimée à 100 000 $, mais la contrepartie versée par BEM Corp. et consistant en actions privilégiées et un billet était assujettie à une clause de révision de prix.

 

[32]    Il semble y avoir un certain nombre de questions concernant ce transfert. Y a‑t‑il une clause de non‑concurrence implicite (il n'y en avait pas d'explicite) et comment cela se rattacherait‑il aux services administratifs faisant l'objet du contrat conclu avec Clearly Canadian, services que M. Morley avait fournis (à Clearly Canadian jusqu'en juin 1994) comme avocat chez Boughton & Company et qui faisaient historiquement partie du « cabinet » que M. Morley avait établi et développé depuis 1981? En d'autres termes, l'achalandage personnel relatif aux services d'administration juridique — que Clearly Canadian était si intéressé à acquérir — était‑il inclus dans le transfert de l'achalandage ou était-il destiné à être exclu de la convention de transfert? Il faudrait qu'il soit exclu du transfert pour être fourni à Clearly Canadian relativement aux services administratifs personnels que cette dernière retenait à contrat en engageant M. Morley comme vice‑président des services juridiques. Il me semble que ce sont des questions importantes qui sont pertinentes dans le contexte de la seule question litigieuse en l'espèce, qui est de savoir si l'entreprise de la société est une entreprise de prestation de services personnels. Il semble que l'appelante voudrait qu'il soit reconnu en l'espèce que la partie du cabinet juridique de M. Morley consistant à fournir des services administratifs à des clients comme Clearly Canadian n'était pas visée par le transfert. Si elle l'était, seule la société pourrait fournir les services administratifs qu'étaient les services de vice-président et d'administrateur, et il s'agirait donc d'une entreprise de prestation de services personnels. En fait, ayant lu les diverses conventions, je suis d'avis que la société a bel et bien acquis cette partie du cabinet juridique de M. Morley. Il n'y a assurément rien dans la convention qui indique le contraire. Autrement dit, la convention de transfert crée à première vue un droit de propriété, en faveur de BEM Corp., dans les travaux administratifs relatifs à Clearly Canadian que M. Morley accomplissait personnellement quand il exerçait le droit à Boughton & Company. Cela est conforme avec le fait que la convention de services juridiques inclut le travail afférent aux services administratifs, qu'elle prévoit une rétribution sous forme de provision, qu'elle contient une clause de résiliation en matière de gestion et qu'elle indique que BEM Corp. est le fournisseur des services à défaut de décision contraire. Tout concorde, sauf que cela ne reflète pas la nature de la relation que Clearly Canadian voulait nouer avec M. Morley. Elle voulait que les services administratifs faisant l'objet du contrat soient fournis par M. Morley à titre personnel. Pour cela, l'achalandage personnel de M. Morley relativement à Clearly Canadian à titre d'administrateur de services juridiques n'aurait pas dû être transféré à BEM Corp. Une fois cet achalandage transféré, l'appelante devient le fournisseur des services administratifs que, si ce n'était de l'existence de la société, M. Morley aurait fournis comme dirigeant, même s'il ne l'était pas déjà.

 

[33]    Dans des transferts avec lien de dépendance, comme dans le cas du transfert en franchise d'impôt d'un cabinet juridique, l'objet du transfert doit être clairement indiqué dans la documentation. De façon plus pertinente, des transferts avec lien de dépendance qui se fondent sur des dispositions en matière de report et sur des dispositions en matière d'exonération de gains en capital et qui incluent des transferts de droits à un revenu et de droits à un taux réduit d'imposition du revenu transféré — tout cela dans la même série d'opérations — doivent être structurés, pour donner les résultats visés, de manière à s'assurer l'effet juridique souhaité par des dispositions contractuelles indiquées de façon précise dans les documents en cause. En l'espèce, il semble que les documents étaient centrés sur le transfert de l'ensemble de l'achalandage de l'entreprise de M. Morley, peut‑être pour l'exonération de gains en capital et le fractionnement du revenu, sans tenir compte de la façon dont cela influait sur la demande de l'appelante concernant la déduction accordée aux petites entreprises[5].

 

[34]    Les conclusions ci‑devant sont déterminantes par rapport à la question en litige dans la présente espèce, mais, par souci d'exhaustivité, j'énoncerai des conclusions de fait que les parties ont invoquées particulièrement au sujet de l'application des principes établis dans l'arrêt Wiebe Door.

 

-         Des dirigeants de Clearly Canadian qui avaient des sociétés personnelles de services ayant passé des contrats pour fournir des services à Clearly Canadian pouvaient utiliser et utilisaient en fait les ressources de Clearly Canadian (bureaux, personnel, équipement et fournitures) dans le cadre de la prestation des services au nom de ces sociétés personnelles de services, et un loyer était ainsi demandé à BEM Corp., tout comme il était demandé à la société appartenant à M. Mason. Il s'agissait d'un montant négocié qui ne variait pas d'une société de services à l'autre. On n'a pas prétendu que le loyer dépendait de l'utilisation effective de ressources de Clearly Canadian, qui variait entre les utilisateurs.

 

-         BEM Corp. avait d'autres clients et tenait un bureau au domicile de M. Morley. Les honoraires obtenus de clients autres que Clearly Canadian représentaient une somme peu importante, et la plupart des personnes faisant partie de la liste de clients de BEM Corp. avaient des rapports avec Clearly Canadian. L'équipement et les autres ressources du bureau à domicile étaient minimes.

 

-         BEM Corp. était agréée comme société juridique, était assurée comme elle y était tenue et avait accompli tout ce qui était nécessaire pour exploiter son entreprise. Toutefois, elle ne faisait pas de publicité, comptant sur le bouche à oreille à cet égard. Elle n'avait aucun employé à part M. Morley.

 

-         BEM Corp. dépendait presque uniquement de Clearly Canadian pour son travail, et on n'a présenté aucune preuve satisfaisante indiquant que de véritables efforts étaient faits pour changer la situation.

 

ANALYSE

 

[35]    Je traiterai maintenant des trois questions posées au début des présents motifs, dans l'ordre dans lequel je les ai énoncées.

 

Est-ce que la définition d'« entreprise de prestation de services personnels » s'applique aux rapports entre BEM Corp. et Clearly Canadian simplement parce que le dirigeant de cette dernière, M. Morley (l'employé constitué en société), était en fait un dirigeant et un administrateur de BEM Corp. pendant la durée de l'entreprise?

 

[36]    Notre cour a déjà répondu à cette question. L'appelante a cité plusieurs causes à cet égard : Healy Financial Corporation c. La Reine, C.C.I., no 92‑374(IT)G, 18 mai 1994, 94 D.T.C. 1705; David T. McDonald Company Limited c. M.R.N., C.C.I., no 89‑2960(IT), 30 juillet 1992, 92 D.T.C. 1917; Criterion Capital Corporation c. La Reine, C.C.I., no 1999‑4603(IT)G, 12 octobre 2001, 2001 D.T.C. 921. Dans chacune de ces causes, l'employé constitué en société était un dirigeant du bénéficiaire des services de la société, et il a été conclu dans chaque cas que l'entreprise de l'employé constitué en société n'était pas une entreprise de prestation de services personnels. Il est donc clair que le fait d'être un dirigeant du bénéficiaire des services de l'employé constitué en société n'est pas en soi déterminant par rapport à cette question. Toutefois, lorsqu'il y a un chevauchement de fonctions, on nous invite dans ces causes à déterminer si la nature de ce chevauchement est pertinente relativement à l'application du critère « si ce n'était de » énoncé dans la définition d'« entreprise de prestation de services personnels ».

 

[37]    Dans l'affaire McDonald, le juge Mogan a commenté les fonctions de la charge par rapport à l'application du critère « si ce n'était de ». Il a fait remarquer que, dans les années en cause, contrairement à ce qu'il en avait été dans les années antérieures, l'employé constitué en société n'avait guère de fonctions comme dirigeant du bénéficiaire des services de la société et ne recevait aucune rémunération comme dirigeant. Il ne s'agissait pas d'un cas de chevauchement de fonctions. Le juge Mogan a également fait remarquer qu'il avait de véritables doutes quant à savoir s'il aurait pu dire qu'il n'aurait pas été raisonnable de considérer l'employé constitué en société comme étant un dirigeant du bénéficiaire des services de la société dans les années précédentes où il travaillait vraisemblablement à temps plein pour le même bénéficiaire. Le cas n'est pas dissemblable du cas considéré en l'espèce.

 

[38]    Dans l'affaire Healy, il a été conclu que l'employé constitué en société était un dirigeant et un administrateur pour protéger son intérêt financier dans le bénéficiaire des services, mais qu'il ne jouait aucun rôle dans la gestion de la société. Il semble que ses activités quotidiennes se rapportaient en grande partie à des intérêts externes. Cela est très différent du cas où l'employé constitué en société est un employé à temps plein du bénéficiaire du service.

 

[39]    Dans l'affaire Criterion, les faits étaient très semblables à ceux en l'espèce. En fait, Criterion était la société relativement à laquelle M. Mason était l'employé constitué en société. La société personnelle de services de M. Mason s'était vu refuser la déduction accordée aux petites entreprises, mais son appel a été admis. Le juge O'Connor n'a pas insisté sur la question de savoir s'il y avait un chevauchement des fonctions de président de M. Mason par rapport aux services que M. Mason fournissait au nom de Criterion pour Clearly Canadian; ses conclusions de fait rendaient cela inutile. Le juge O'Connor a conclu que les fonctions de M. Mason comme employé de Clearly Canadian et de Criterion consistaient en ce qui suit :

 

Les fonctions de M. Mason comme président et administrateur de CCBC consistaient essentiellement à s'occuper de la gestion quotidienne de CCBC, à savoir, notamment : commercialiser les produits de CCBC, traiter avec les fournisseurs, s'occuper de la distribution et de la commercialisation, superviser le personnel, y compris le personnel de direction, établir l'ordre du jour des assemblées des administrateurs et prendre part à ces assemblées. Ses fonctions comme employé de Criterion consistaient surtout à trouver de nouvelles possibilités de financement et d'affaires en utilisant le réseau de relations qu'il avait établi avant de se joindre à CCBC.

 

[40]    Cela montre clairement que le juge O'Connor ne voyait aucun chevauchement dans les fonctions de chaque poste. Il s'agit d'une différence cruciale entre l'affaire Criterion et la présente espèce. Pour ce qui est de la deuxième question que j'ai jugé nécessaire d'aborder dans mon analyse de la présente espèce, il n'était pas nécessaire de l'aborder dans l'affaire Criterion ou dans les autres affaires citées.

 

[41]    Cela m'amène à la deuxième question posée précédemment.

 

Quelle est la pertinence, le cas échéant, des responsabilités en matière d'emploi de l'employé constitué en société envers Clearly Canadian résultant de son emploi pour Clearly Canadian?

 

[42]    L'avocat de l'appelante a abordé cette question en insistant sur une interprétation de la Loi qui exigerait que les services de la société soient considérés de façon isolée des services que l'employé constitué en société fournit directement en tant qu'employé du bénéficiaire des services. Les termes « si ce n'était de l'existence de la société » devraient être considérés comme signifiant « si le particulier fournissait les services directement plutôt que par l'intermédiaire d'une société ». Ainsi, les fonctions à remplir comme dirigeant — lorsque l'employé constitué en société est effectivement un dirigeant — ne devraient pas être prises en compte, de sorte que, si les services faisant l'objet du contrat conclu par la société de services peuvent être des services d'entrepreneur indépendant, ils devraient être reconnus comme tels. Je conviens que c'est une approche que peut indiquer le libellé de la disposition, mais cela présume que l'employé constitué en société a un rôle distinct du rôle qui devait effectivement être rempli par un dirigeant nommé à cette fin. L'interprétation proposée par l'appelante quant à la disposition en cause ne peut toutefois l'emporter lorsqu'il se révèle que cette présomption ne correspond pas à la réalité ou lorsqu'il y a un chevauchement imprécis de fonctions. De plus, cette interprétation ne tient pas compte du fait que j'ai conclu que d'après le régime contractuel qui a été établi, les fonctions d'administration ont été confiées à BEM Corp. et doivent être considérées comme ayant été remplies par M. Morley au nom de BEM Corp. Il doit en être ainsi, sinon les contrats examinés sont absolument sans effet, y compris la convention de services juridiques, et l'imprécision relative aux rôles devient si grande que la véritable relation juridique entre Clearly Canadian et M. Morley et BEM Corp. devrait être réexaminée. En vertu de cette approche, la personnalité juridique semble se dissoudre complètement dans le critère « si ce n'était de » énoncé dans la Loi. Cependant, il n'est pas nécessaire que je poursuive ce raisonnement vu ma conclusion selon laquelle le régime contractuel considéré en l'espèce est valide. L'achalandage personnel de M. Morley concernant son cabinet juridique, y compris son achalandage relatif à la coordination de services juridiques, a été transféré à BEM Corp., et ces services étaient inclus dans la convention de services juridiques. Si ce n'était de l'existence de BEM Corp., ils auraient été fournis par M. Morley en tant que cadre de Clearly Canadian. L'appelante avait raison de tenter de prouver que BEM Corp. ne devait pas fournir de services administratifs, mais, comme l'appelante a échoué dans cette tentative, on ne peut nier que BEM Corp. remplissait des fonctions qui, si ce n'était de l'existence de BEM Corp., auraient été remplies par M. Morley en tant que dirigeant de Clearly Canadian. Telles étaient les fonctions de la charge de M. Morley. Le fait qu'il détenait la charge afin d'accomplir personnellement le travail même qui avait été confié à contrat à BEM Corp. ne fait que souligner qu'il serait tout à fait déraisonnable d'arriver à une autre conclusion en vertu du critère « si ce n'était de ».

 

[43]    Ayant conclu que la convention de services juridiques obligeait BEM Corp. à fournir des services dont M. Mason a témoigné qu'ils devaient être fournis par M. Morley en tant qu'employé à temps plein de Clearly Canadian, je me dois de répéter que, en vertu d'une telle conclusion, l'entreprise de BEM Corp. serait considérée comme étant une entreprise de prestation de services personnels même si M. Morley n'était pas un dirigeant de Clearly Canadian. Le fait qu'il est un dirigeant ne saurait améliorer la position de BEM Corp. J'ajouterais également que, si M. Morley n'avait pas été un dirigeant et que les services administratifs avaient été fournis uniquement par BEM Corp., alors, sur la foi des faits de l'espèce, l'entreprise de BEM Corp. serait encore considérée comme étant une entreprise de prestation de services personnels, à mon avis. Le fait que des services administratifs puissent être des services d'entrepreneur indépendant dans le cadre de la troisième question posée précédemment n'est pas suffisant lorsque le bénéficiaire des services a à l'esprit un poste de dirigeant à temps plein. Pour que l'entreprise ne soit pas considérée comme une entreprise de prestation de services personnels, il aurait fallu une certaine séparation par rapport aux activités quotidiennes de Clearly Canadian, une certaine indépendance dans le contexte des services devant être fournis, de sorte que le fournisseur des services soit dégagé d'un cadre contractuel qui fait en sorte que l'on s'attend à ce qu'une personne particulière soit personnellement présente — essentiellement à temps plein — aux bureaux du bénéficiaire des services, pour s'occuper de l'entreprise de ce dernier. Ainsi, il pourra y avoir d'autres cas où il ne conviendra pas de limiter l'analyse du critère « si ce n'était de » à l'analyse proposée par l'appelante, malgré le fait que considérer cet exemple dans le cadre de la troisième question pourrait être suffisant.

 

Est‑ce que le contrat entre BEM Corp. et Clearly Canadian est lui‑même essentiellement un contrat d'emploi ou un contrat en vertu duquel sont retenus les services d'un entrepreneur indépendant?

 

[44]    En appliquant les principes énoncés dans l'arrêt Wiebe Door et les autres jugements faisant jurisprudence qui sont invoqués par l'appelante, je pourrais bien convenir avec l'appelante que les services dont il est argué qu'ils faisaient l'objet d'un contrat conclu par BEM Corp. pourraient avoir été des services d'entrepreneur indépendant. BEM Corp. pourrait avoir fourni les services juridiques non administratifs, tandis que M. Morley, comme dirigeant de Clearly Canadian, pourrait avoir fourni les services administratifs. Les services de BEM Corp. pourraient avoir été fournis comme l'aurait fait un cabinet juridique quelconque. Le fait que les frais généraux avaient été minimisés vu l'espace et le soutien fournis dans les bureaux d'un client n'est pas fatal. Le fait qu'il n'y avait qu'un client important n'est pas fatal. Même un arrangement en matière de provision conclu avec le bénéficiaire des services ne serait pas fatal. Si BEM Corp. avait été engagée pour faire ce que M. Mason pensait qu'elle avait été engagée pour faire, la situation correspondrait probablement tout à fait à ce qu'il en était dans l'affaire Criterion. Tel n'est toutefois pas le cas qui m'est soumis. Le contrat considéré en l'espèce visait la prestation de services administratifs que M. Morley devait fournir à titre de vice‑président des services juridiques. Ce mélange est fatal en vertu de l'analyse que j'ai effectuée au sujet de la deuxième question posée précédemment. Pour peu qu'il soit nécessaire d'aborder la troisième question, et je ne crois pas que ce soit nécessaire, je dirais que la convention de services juridiques était un contrat de louage de services, vu la manière dont les services (administratifs) étaient fournis, comme M. Mason et M. Morley l'ont tous deux attesté. Il n'y a rien d'autre à dire à mon avis.

 

[45]    Je conclus donc que l'entreprise de l'appelante est une entreprise de prestation de services personnels, et l'appelante se voit de ce fait refuser la réduction de taux d'imposition qu'elle avait demandée en vertu de l'article 125 de la Loi.

 

[46]    Cela m'amène au rejet de la demande de déduction de dépenses en vertu de l'alinéa 18(1)p) de la Loi. Comme je l'ai dit au début des présents motifs, les sommes refusées comme dépenses déductibles pour les années en cause ont été refusées conformément à cet alinéa, qui se lit comme suit :

 

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

[...]

 

p) une dépense, dans la mesure où elle est engagée ou effectuée par une société au cours d'une année d'imposition en vue de tirer un revenu d'une entreprise de prestation de services personnels, à l'exception :

 

(i)         du salaire, du traitement ou d'une autre rémunération versé au cours de l'année à un actionnaire constitué en société de la société,

 

(ii)        du coût, pour la société, de tout autre avantage ou allocation accordé à un actionnaire constitué en société au cours de l'année,

 

(iii)       d'un montant dépensé par la société et lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats par la société, lorsque le montant aurait été déductible dans le calcul du revenu d'un actionnaire constitué en société pour une année d'imposition tiré d'une charge ou d'un emploi s'il l'avait dépensé en vertu d'un contrat d'emploi qui l'obligeait à verser le montant,

 

(iv)       d'un montant versé par la société au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par elle en recouvrement des sommes qui lui étaient dues pour services rendus,

 

qui serait, si le revenu de la société était tiré d'une entreprise autre qu'une entreprise de prestation de services personnels, déductible dans le calcul de son revenu;

 

[47]    La restriction relative à la déduction des dépenses en cause dépend tout d'abord de la question de savoir si ces dépenses ont été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise de prestation de services personnels. Comme BEM Corp. a une entreprise de prestation de services personnels, les dépenses attribuables à cette entreprise ne sont pas admises, à l'exception de ce qui est expressément prévu dans cet alinéa de la Loi. Dans la nouvelle cotisation, on n'a pas admis le salaire versé à M. Morley et l'on a refusé des dépenses de 750 $ qui n'avaient jamais été indiquées comme déduction. Indépendamment de la question de savoir si BEM Corp. a une entreprise de prestation de services personnels, la déduction demandée au titre du salaire doit être admise, et le refus relatif aux dépenses de 750 $ doit être infirmé. L'avocate de l'intimée a concédé cela lors du procès[6].

 

[48]    Il semblait y avoir un certain consensus selon lequel le montant à admettre au titre du salaire était de 20 988 $, dont 487 $ de cotisations au RPC, mais ce montant incluait une augmentation de salaire de 2 500 $ à payer pour décembre 1994. À strictement parler, cette somme à payer n'est pas déductible, car le sous‑alinéa p)(i) du paragraphe 18(1) ne permet de déduire qu'un montant versé. La fin d'exercice de l'appelante correspond à la fin de l'année civile, et il a été reconnu que la somme de 2 500 $ à payer pour décembre n'a pas été versée dans l'année d'imposition considérée en l'espèce. Le montant déductible au titre du salaire et de l'avantage pour l'année est donc de 18 488 $. Comme je l'ai mentionné précédemment, des dépenses de 750 $ sont également admises. L'appel est admis dans cette mesure, sans dépens.

 

[49]    Avant de signer les présents motifs, je dois ajouter que, après avoir entendu les arguments, j'ai demandé, puis reçu, des observations sur la question des opérations factices ou non valides. J'ai été quelque peu interloqué du fait que la preuve testimoniale ne cadrait pas avec la documentation. On avait en l'espèce une impression générale de facticité permettant de croire que Clearly Canadian avait vraiment accepté que M. Morley puisse écrire ce qu'il voulait, mais que le marché conclu était différent de ce qui avait été écrit. L'autre possibilité était d'accepter les documents tels quels, sans examiner la question de savoir s'ils pouvaient être considérés comme non valables ou factices. Cette possibilité était étayée dans la documentation elle‑même. Il y a ici une tendance qui permet de conclure que les documents étaient destinés à accomplir exactement ce qu'ils accomplissent. Des avocats se sont occupés de ces questions et se sont, semble‑t‑il, concentrés sur une approche particulière bien coordonnée de leur documentation. Les documents s'imbriquent bien et ont été acceptés comme donnant effet aux relations juridiques que leur libellé dicte. Ils ne donnent tout simplement pas le résultat fiscal que l'appelante espérait obtenir. Par conséquent, je remercie les avocats de leurs observations sur la question des opérations factices, mais je conclus qu'il n'est pas nécessaire de faire référence à ces observations.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mars 2002.

 

 

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 



[1] Le critère de l'arrêt Wiebe Door est généralement centré sur les services particuliers fournis par une partie particulière. En règle générale, il ne serait pas appliqué pour déterminer la nature juridique d'une série de services sur la base d'une série différente de services fournis par une entité juridique différente. On peut soutenir que le voile de la personnalité juridique empêcherait d'examiner la véritable nature de l'arrangement global. S'il doit être fait abstraction de la personnalité juridique, cela ne doit être fait qu'à l'invitation expresse de la Loi. Cette invitation est inhérente au critère « si ce n'était de » énoncé dans la définition d'« entreprise de prestation de services personnels ». J'estime toutefois qu'il convient mieux de traiter de cette invitation dans le contexte de la deuxième question posée ci‑devant. En d'autres termes, si l'on se rend jusqu'à la troisième question posée ci‑devant, on ne devrait probablement pas faire abstraction de la personnalité juridique. Les services de la société doivent alors être analysés séparément des services fournis par un particulier en vertu d'un contrat distinct. C'est pour cette raison que j'ai posé les questions dans cet ordre. S'il a été déterminé, dans l'examen des première et deuxième questions posées ci‑devant, que les services d'emploi d'un dirigeant et administrateur en l'espèce ne permettent pas de conclure que, « si ce n'était de l'existence de la société », il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société comme étant l'employé de Clearly Canadian, le critère de l'arrêt Wiebe Door doit être appliqué de manière à tenir compte de la doctrine des entités distinctes.

[2] Il est à noter que — comme point litigieux distinct — l'intimée a soulevé la question de savoir si BEM Corp. avait eu un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement. Cette question semble être pleinement résolue en faveur de BEM Corp. Dans le cas de services professionnels rémunérés par voie de provision, le volume des services fournis n'est pas à mon avis pertinent quant à savoir s'il s'agit d'un type de service fourni « activement ». Ainsi, je n'ai pas traité de ce point séparément. L'appelante aura gain de cause s'il est répondu en sa faveur aux trois questions posées au début des présents motifs.

 

[3] Revenu Canada n'a jamais allégué qu'il s'agissait d'une opération avec lien de dépendance, mais il semble possible d'arguer qu'en fait, bien que les parties n'aient pas été liées entre elles et que la totalité des engagements contractuels ait été dépourvue de lien de dépendance, les parties n'étaient pas sans lien de dépendance à l'égard de chaque contrat séparément.

[4] Il semble en fait que, dans les années suivantes, la provision a fait l'objet de réductions plutôt que d'augmentations. Ces réductions allaient de pair avec d'autres réductions touchant les « dirigeants supérieurs », mais visaient les provisions versées aux sociétés de services.

[5] Il y a ici de possibles questions d'évaluation relatives au transfert, selon ce qui était destiné à être inclus ou exclu relativement à la partie du cabinet juridique de M. Morley correspondant au travail pour Clearly Canadian. En fait, on m'a informé lors de l'audition du présent appel que Revenu Canada a contesté le transfert dans une nouvelle cotisation distincte, qui a également été portée en appel; je n'ai toutefois aucun détail quant à la nature de cette nouvelle cotisation. Le transfert a été effectué conformément à un choix exercé en vertu de l'article 85, et la nouvelle cotisation traite sans doute de cet aspect du transfert relativement à un contribuable différent, mais je ne suis pas saisi de cette nouvelle cotisation. Dans la mesure où les deux nouvelles cotisations seraient liées, une des parties aurait pu demander que les deux appels soient entendus ensemble.

[6] Il est à noter qu'une autre question litigieuse distincte s'est posée au cours de l'audition de cette affaire. Avant la ratification de la nouvelle cotisation, on avait demandé à l'appelante d'étayer les dépenses déclarées. Elle ne l'a jamais fait. L'appelante a argué que, puisque le fondement du rejet des dépenses est l'alinéa 18(1)p), la nouvelle cotisation ne met pas en cause la question de savoir si les dépenses déclarées ont été engagées. De plus, dans la formulation des hypothèses du ministre à l'appui de la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante, la réponse à l'avis d'appel dit expressément que les sommes déduites par l'appelante étaient des sommes dépensées pour tirer un revenu d'une entreprise de prestation de services personnels. L'appelante argue que, en raison de cet aveu sur une question de fait, il n'était pas nécessaire qu'elle étaye les dépenses déclarées. Comme j'ai conclu que l'alinéa 18(1)p) s'applique, cette question est théorique, car les dépenses pouvant être déduites en vertu de cet alinéa ont suffisamment été étayées, ce que l'avocate de l'intimée a reconnu pendant le procès. S'il était nécessaire de statuer sur cette question, toutefois, il semble que l'effet de l'aveu fait dans la réponse à l'avis d'appel serait à tout le moins d'inverser le fardeau de la preuve quant à l'allégation selon laquelle les dépenses déclarées n'avaient pas été effectivement engagées. Aucune preuve à ce sujet n'a été présentée.

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