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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020211

Dossier: 2001-1963(IT)I

 

ENTRE :

 

DOUG GRIFFETH,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

____________________________________________________________________

 

Avocate de l'appelant : Me Tracey D. Beaudoin

Avocat de l'intimée : Me Mark Heseltine

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement de l'audience le

11 janvier 2002 à Edmonton (Alberta).)

 

Le juge McArthur, C.C.I.

 

[1]     L’appelant interjette appel d’une cotisation établie à son égard pour l’année d’imposition 1999, dans laquelle le ministre du Revenu national a refusé le crédit d’impôt pour personnes handicapées prévu à l’article 118.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu, au motif que la capacité de l’appelant d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne n’était pas limitée de façon marquée. L’activité en cause dans l’appel en l’instance est « le fait d’entendre » ainsi qu’il est défini à l’article 118.4 de la Loi.

 

[2]     En 1999, l’appelant a perdu l’ouïe de façon permanente à l’oreille gauche après avoir subi une intervention chirurgicale pour faire enlever une tumeur. Le DRichard Wiznura, qui a signé le certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, a témoigné en détail pour le compte de l’appelant. Il ne fait aucun doute que l’appelant n’entend absolument plus rien de l’oreille gauche et qu’aucun appareil auditif ou autre ne peut lui être de quelque secours que ce soit. Son ouïe à l’oreille droite est normale et il semble, de façon générale, être en excellente santé physiquement. Le Dr Wiznura a conclu que la déficience est suffisamment grave pour limiter la capacité de l’appelant d’accomplir ses activités courantes de la vie quotidienne au sens de la Loi. Le médecin a admis en contre‑interrogatoire que le fait que l’appelant n’entende plus de l’oreille gauche ne nuisait pas aux échanges entre patient et médecin dans le cadre d’une consultation médicale. La conclusion du médecin selon laquelle la perte auditive limitait la capacité de l’appelant de travailler comme expert‑conseil était fondée sur ce que l’appelant lui avait dit et non pas sur ses observations personnelles.

 

[3]     En remplissant le certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, le Dr Wiznura a coché « non » à la question : « Votre patient peut‑il entendre de manière à comprendre une conversation orale dans un environnement calme, à l’aide d’un appareil si nécessaire? » Durant son témoignage, le médecin a déclaré que sa réponse se rapportait uniquement à l’oreille sourde de l’appelant. Je ne considère pas que le certificat soit concluant.

 

[4]     L’appelant a aussi témoigné. Il était représenté par une avocate compétente. Il a témoigné en toute honnêteté. Je l’ai observé pendant l’interrogatoire principal, le contre‑interrogatoire et le réinterrogatoire et il m’a semblé entendre normalement. Par souci de commodité, il a utilisé la barre des témoins située à ma droite de manière à prêter l’oreille droite aux interrogateurs. C’est un homme de 45 ans qui m’apparaît très intelligent et capable. Je crois qu’il travaille comme expert-conseil en logiciels pour SAP Canada Limited. Il est marié et a des enfants et il semble avoir une vie active normale. Il n’avait aucune difficulté apparente à entendre et à soutenir une conversation normale dans la salle d’audience. Le ton des voix était normal. Durant les 30 ou 40 minutes pendant lesquelles il a témoigné, je ne me rappelle pas une seule fois où il n’a pas immédiatement entendu la question qu’on lui posait.

 

[5]     Le critère défini à l’article 118.4 est « […] le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance […] ». Je conclus que l’appelant satisfait à ce critère. Son problème auditif ne l’empêche pas d’aller au cinéma ou de regarder la télévision avec sa famille, de partager un repas au restaurant avec des amis, de conduire sa voiture ou de se tailler une place sur le marché du travail, en dépit d’un certain nombre de désagréments et de difficultés.

 

[6]     Dans son avis d’appel détaillé, l’appelant affirme notamment ce qui suit :

 

          [TRADUCTION]

 

Je soutiens que le critère « de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance » qui est utilisé dans la définition du fait d’entendre pour désigner l'activité courante de la vie quotidienne au sous-alinéa 118.4(1)c)(iv) susmentionné n’est pas valide et que c’est l’action essentielle et absolue d’entendre qui constitue l’activité courante de la vie quotidienne.

 

Le fondement de la définition est une activité sociale, une conversation entre particuliers. Ainsi qu’il est indiqué à l’alinéa 118.4(1)d) susmentionné, une activité sociale n’est pas considérée comme une activité courante de la vie quotidienne. Il y a une contradiction car une activité qui n’est pas considérée comme une activité courante de la vie quotidienne est utilisée pour définir une activité courante de la vie quotidienne. Je crois que cette contradiction empêche l’utilisation du critère « de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance » dans la définition du fait d’entendre pour désigner une activité courante de la vie quotidienne. En conséquence, c’est l’action essentielle et absolue d’entendre qui constitue une activité courante de la vie quotidienne.

 

[...]

 

Je soutiens qu’il me faut beaucoup plus de temps pour entendre qu’il n’en faudrait à une personne normale qui n’est pas affligée de déficience auditive.

 

Il est un fait établi qu’une déficience auditive limite la capacité d’une personne de reconnaître les mots prononcés. Cette situation a deux incidences importantes. La première est que je dois porter une attention particulière à ce qu’on me dit, ce qui me demande beaucoup de temps et d’énergie et, très souvent, je dois soit répéter ce que j’ai entendu à mon interlocuteur, soit lui demander de répéter ce qu’il m’a dit pour être certain que j’ai bien compris. Il me faut donc beaucoup plus de temps pour entendre qu’il n’en faudrait à une personne normale qui n’est pas affligée de déficience auditive. La seconde incidence est qu’il m’arrive souvent de me méprendre sur ce qu’on me dit parce que j’« entends » des mots différents de ceux qui me sont dits. Par la suite, lorsque je constate ma méprise, ce qui n’est pas toujours le cas, je dois prendre du temps pour corriger le malentendu, ce qui veut dire qu’il me faut beaucoup plus de temps pour entendre qu’il n’en faudrait à une personne normale qui n’est pas affligée de déficience auditive.

 

Un autre facteur associé à une déficience auditive comme la mienne est la « cécité » directionnelle. Parce que je n'entends rien du côté gauche, je ne peux distinguer les sons provenant de cette direction. Ce problème a deux incidences importantes. La première est que je dois constamment être conscient de ce qui m’entoure et vérifier si quelqu’un me parle. Si je me rends compte que quelqu’un essaie de me parler, je dois demander à la personne de répéter ce qu’elle a dit, ce qui veut dire qu’il me faut beaucoup plus de temps pour entendre qu’il n’en faudrait à une personne normale qui n’est pas affligée de déficience auditive. La deuxième incidence est qu’il m’arrive fréquemment de ne pas me rendre compte qu’on essaie de me parler. Lorsque cela se produit, la personne doit attirer mon attention puis répéter ce qu’elle vient de me dire, ce qui signifie qu’il me faut beaucoup plus de temps pour entendre qu’il n’en faudrait à une personne normale qui n’est pas affligée de déficience auditive.

 

Selon le Bulletin d’interprétation IT‑519R2 — Crédits d’impôt pour frais médicaux et pour personnes handicapées, « [l]es états physiologiques doivent généralement être examinés cas par cas, puisque ce sont leurs effets sur la capacité d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne — qui diffèrent d’une personne à l’autre — plutôt que les états eux‑mêmes, qui déterminent si le particulier a droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées ». Je soutiens qu’il n’existe aucun critère objectif pour évaluer l’effet de ma déficience auditive sur ma capacité d’accomplir cette activité courante de la vie quotidienne. Cette prétention est étayée par mon audiologiste clinicien (voir la lettre ci‑jointe). En l’absence de critère objectif pour évaluer l’effet de ma déficience auditive sur ma capacité d’accomplir cette activité courante de la vie quotidienne, je suis d’avis que l’examen de mon admissibilité au crédit d’impôt doit être fondé uniquement sur la question de savoir si je satisfais au critère énoncé à l’alinéa 118.4(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Compte tenu des arguments qui précèdent, je demande à la Cour canadienne de l’impôt d’examiner à nouveau la cotisation établie à mon égard pour l’année d’imposition 1999 et de faire droit à ma demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées.

 

[7]     L’appelant a déclaré qu’il avait surtout des problèmes auditifs au travail parce qu’il passait la plupart de son temps au travail dans un bureau aménagé selon le concept des aires ouvertes. Le bruit ambiant lui cause des difficultés d’audition et il doit se placer de manière à favoriser son côté droit s’il veut prendre part à une conversation sans devoir faire répéter son interlocuteur. Si la conversation ou le bruit est dirigé vers son côté gauche, il doit changer de position ou faire répéter son interlocuteur. Il peut écouter la télévision, mais souvent seulement si le son est si élevé que cela incommode sa famille. Il peut entendre la sonnette de la porte, mais pas aussi bien qu’il l’entendait lorsqu’il n’avait pas de déficience auditive. Quand il est assis à la place du passager dans une automobile, il doit tourner la tête dans la direction de son interlocuteur. À cause de sa déficience, il lui arrive parfois, et même souvent, de manquer ou de mal comprendre des mots.

 

[8]     Son salaire a augmenté de façon régulière au fil des années. Il gagnait 92 000 $ en 1997, 108 000 $ en 1998, 115 000 $ en 1999, l’année de son intervention chirurgicale, et 125 000 $ en 2000. Sa déficience ne lui occasionne aucun frais. Ce fait est probablement le facteur décisif qui m’incite à rejeter l’appel.

 

[9]     Les affaires de ce genre sont toujours difficiles à trancher, et il est nécessaire d’établir la distinction quelque part. Les deux parties m’ont renvoyé à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l'affaire Johnston c. La Reine, C.A.F., no A-347-97, 6 février 1998, 98 D.T.C. 6169. L’avocate de l'appelant a dit de cette affaire que c’était la décision critique ou le tournant décisif dans ces affaires et je souscris à son point de vue. Le juge Letourneau a déclaré aux pages 5 et 8 (D.T.C. : aux pages 6171 et 6172) :

 

L'objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l'aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l'arrêt Radage v. R., à la p. 2528 :

 

L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

 

[…]

 

On n'a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis, l'expression « temps excessif » renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d'avec ce que l'on considère normal.

 

En l’espèce, je ne trouve pas qu’il existe une différence marquée d’avec ce que l’on considère normal, pour reprendre les propos du juge Bowman.

 

[10]    L’avocate de l’appelant m’a aussi renvoyé à d’autres affaires sur lesquelles je me suis penché. Si je conviens que les affaires mettant en cause des personnes handicapées devraient être examinées avec compassion, la preuve ne permet pas d’établir que l’appelant ne comprend pas, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance. Il se peut qu’il ne comprenne pas ce qu’un interlocuteur placé à sa gauche lui dit, mais cela n’est pas le critère que le législateur a établi.

 

[11]    Je trouve que les faits en l’espèce ressemblent quelque peu aux faits sur lesquels le juge Campbell de notre cour s’est penché dans l’affaire Ewen c. La Reine, no 2000‑1973(IT)I, 8 novembre 2000, à laquelle l’avocat de l'intimée m’a renvoyé. Dans l’affaire Ewen, l’appelante était aveugle de l’œil droit au sens de la loi et elle avait une légère déficience à l’œil gauche. Le juge Campbell a déclaré ceci :

 

[…] Cependant, selon les éléments de preuve, cela ne semble pas avoir eu d'incidence sur sa capacité de continuer à travailler.

 

[…]

 

L'appelante semble être en mesure de continuer à accomplir ses activités quotidiennes tout en étant capable d'endurer la fatigue oculaire, les migraines etc., ainsi que de vivre avec l'inconvénient de ne pas être capable de conduire le soir. […]

 

[…] elle n'est pas aveugle dans le sens ordinaire du terme. Il est certain que la qualité de vie de l'appelante peut avoir été touchée, mais je ne peux faire autrement que de rejeter son appel puisqu'elle n'est pas visée par l'objet de la loi.

 

Je souscris au raisonnement du juge Campbell et je l’applique à l’affaire en l’instance.

 

[12]    L'appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de février 2002.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 

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