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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2000-1413(IT)G

ENTRE :

 

DATACALC RESEARCH CORPORATION,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

Appel entendu le 4 février 2002, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

 

l’honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

Comparutions

 

Avocats de l’appelante :                      Me Craig C. Sturrock

                                                          Me Tom Bauer

 

Avocate de l’intimée :                         Me Karen Truscott

 


JUGEMENT

 

          La Cour ordonne que l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1986 soit rejeté, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de février 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de février 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020222

Dossier: 2000-1413(IT)G

 

ENTRE :

 

DATACALC RESEARCH CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

 

[1]     Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation, pour l’année d’imposition 1986 de l’appelante, par laquelle le ministre du Revenu national a refusé à l’appelante des crédits d’impôt à l’investissement (« CII ») de 665 607 $ que l’appelante avait demandés dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1986 concernant des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (« RSDE ») qu’elle avait engagées au cours de cette année‑là.

 

[2]     Voici ce que dit l’exposé conjoint des faits que les parties ont produit :

 

[TRADUCTION]

 

Par le présent document, l’appelante et l’intimée conviennent des faits suivants, uniquement aux fins du présent appel :

 

1.         L’appelante est une personne morale dûment constituée en vertu des lois de la province de la Colombie‑Britannique.

 

2.         Durant toute la période pertinente, l’appelante exploitait une entreprise de recherche scientifique axée notamment sur le développement d’un lecteur de disque dur de haute technologie, ce qui comportait de la recherche dans le domaine du matériel informatique et des dispositifs de stockage.

 

3.         L’appelante a fait l’objet d’une nouvelle cotisation d’impôt pour son année d’imposition 1985. Son appel contre cette cotisation a été réglé conformément au procès‑verbal de transaction ci‑joint.

 

4.         Relativement à l’entreprise qu’elle exploitait durant son année d’imposition 1986, l’appelante a indiqué des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (« RSDE ») d’un montant total de 1 901 733 $.

 

5.         Le 26 avril 1999, l’appelante a produit une déclaration de revenu pour son année d’imposition 1986 avec les formulaires prescrits T661 et T2038 contenant les renseignements prescrits. Dans le formulaire T661, l’appelante a déclaré les dépenses de RSDE de 1 901 733 $ qu’elle avait engagées durant son année d’imposition 1986. Dans le formulaire T2038, l’appelante demandait des crédits d’impôt à l’investissement (« CII ») de 665 008 $ à l’égard des dépenses de RSDE qu’elle avait engagées durant son année d’imposition 1986 et un CII remboursable de 665 607 $.

 

6.         Le 18 juin 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a délivré un avis de cotisation refusant les CII demandés par l’appelante pour son année d’imposition 1986, pour le motif que « les dépenses admissibles doivent être indiquées au plus tard à la date d’échéance de production de la déclaration de revenu pour l’année d’imposition subséquente ». Cette cotisation indiquait également que la « perte nette » de l’appelante aux fins de l’impôt sur le revenu avait été portée de 508 461 $ à 2 405 440 $ et que la différence, soit 1 896 979 $, représentait les dépenses totales de RSDE pour l’année qui avaient plutôt été admises comme dépenses d’entreprise pour l’année courante.

 

7.         Le 15 septembre 1999, l’appelante a, conformément au paragraphe 165(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), dûment déposé un avis d’opposition audit avis de cotisation et, le 9 mars 2000, le ministre a ratifié l’avis de cotisation, par voie d’avis de ratification, pour le motif que l’appelante n’avait pas respecté les délais de production prévus au paragraphe 127(9) de la Loi.

 

8.         L’appelante en a dûment appelé devant cette honorable cour, conformément à l’article 169, au paragraphe 152(1), à l’alinéa 152(1)b) et au paragraphe 152(1.2) de la Loi.

 

[3]     En ce qui a trait au règlement de l’appel contre la cotisation pour 1985, qui est mentionné au paragraphe 3 de l’exposé conjoint des faits, je n’ai pas reproduit le procès‑verbal de transaction, car ni l’un ni l’autre des avocats ne pouvait me dire en quoi ce règlement était pertinent.

 

[4]     Il ne semble y avoir aucun différend quant au fait que la somme en cause a été engagée, et le ministre semble avoir implicitement accepté le fait qu’il s’agissait de RSDE, bien qu’aucune vérification n’ait été effectuée. Le seul fondement du rejet de la demande de CII est que la demande a été faite trop tard. L’appelante a produit en avril 1999 sa déclaration de revenu pour 1986, avec les formulaires prescrits (T‑661 et T‑2038).

 

[5]     Voici ce que dit une note jointe à l’avis de cotisation expliquant la mesure de cotisation :

 

[TRADUCTION]

 

Votre demande concernant des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (« RSDE ») et / ou des crédits d’impôt à l’investissement pour le 30 septembre 1986 a été rejetée, car, selon la loi actuelle, les dépenses admissibles doivent être indiquées au plus tard à la date d’échéance de production de la déclaration de revenu pour l’année d’imposition subséquente.

 

La perte nette aux fins de l’impôt sur le revenu a été portée de 508 461 $ à 2 405 440 $. La différence, soit 1 896 979 $, représente les dépenses totales de RSDE pour l’année que nous avons plutôt admises comme dépenses d’entreprise de l’année courante.

 

[6]     Des dépenses de 1 901 733 $ indiquées comme frais de RSDE, presque toutes (1 896 979 $) étaient des dépenses courantes. Une somme de 4 754 $ représentait des dépenses en capital.

 

[7]     Avant que je traite du principal point relatif à l’appel, plusieurs points préliminaires doivent être réglés. Premièrement, les avocats des deux parties reconnaissent que, comme il s’agit d’un appel concernant une détermination du montant des crédits d’impôt à l’investissement remboursables (« CIIR »), l’appelante a le droit d’interjeter appel devant notre cour contre cette détermination. Comme la question n’est pas en litige, je ferai simplement remarquer que ce point est brièvement abordé dans le jugement du juge Rip dans l’affaire Martens c. M.R.N., C.C.I., n86-519(IT), 10 mai 1998, 88 D.T.C. 1382. Je souscris respectueusement au raisonnement du juge Rip.

 

[8]     Deuxièmement, l’intimée invoque pour la première fois devant notre cour le paragraphe 164(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il est dit dans ce paragraphe et aux alinéas a) et b) :

 

Si la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition a été produite dans les 3 ans de la fin de l’année, le Ministre

 

a)         peut [...]; et

 

b)         doit [...]

 

Ces deux alinéas contiennent des dispositions détaillées concernant les devoirs du ministre en matière de remboursement. L’intimée soutient que, comme la déclaration de revenu pour 1986 a été produite environ 12 ans après la fin de l’année d’imposition 1986, le ministre n’est pas obligé de rembourser des CII.

 

[9]     Le paragraphe 164(1) n’a rien à voir avec les fonctions de notre cour dans un appel contre une cotisation ou une détermination dans lequel notre cour doit examiner l’exactitude de la cotisation ou de la détermination et ce paragraphe n’influe nullement sur le droit d’appel que la loi accorde au contribuable. Lorsque la Cour a déféré une cotisation pour nouvel examen et nouvelle cotisation ou qu’elle a modifié ou annulé une cotisation, l’obligation du ministre en matière de remboursement découle du paragraphe 164(4.1). L’exactitude de cette position peut être vérifiée en prenant le cas dans lequel un contribuable a produit une déclaration de revenu avec cinq ans de retard ou n’a pas produit une déclaration de revenu et dans lequel le ministre a établi une cotisation d’impôt. Si le raisonnement de la Couronne au sujet du paragraphe 164(1) était exact, cela signifierait que le contribuable ne pourrait faire opposition ou appel à l’égard de la cotisation parce que le ministre ne serait pas obligé de rembourser un paiement d’impôt en trop par suite d’une opposition ou d’un appel couronné de succès. Une fois énoncée, la proposition se détruit elle‑même.

 

[10]    Troisièmement — et c’est peut‑être trop évident pour être digne de mention — la Loi de l’impôt sur le revenu ne réfère pas à la règle d’equity en matière de retard indu (laches). La Loi prévoit une multitude de délais à respecter : elle prévoit un temps pour produire une déclaration, un temps pour exercer un choix, un temps pour établir une cotisation, un temps pour faire opposition, un temps pour interjeter appel[1], et ainsi de suite. Lorsqu’aucun délai pour faire quelque chose n’est spécifié, le fait qu’il y ait eu ce qui pourrait sembler être un retard indu n’empêche pas que le contribuable ait le droit de faire cette chose. Je ne vois rien qui justifierait que la Cour ajoute à la longue liste des délais prévus dans la Loi en y introduisant les délais quelque peu imprécis inhérents à la doctrine en equity concernant les retards indus.

 

[11]    Quatrièmement, l’appelante dit que le ministre a la charge de prouver que les dépenses n’étaient pas des dépenses de RSDE, car il n’a effectué aucune vérification et n’a donc pas présumé que les dépenses n’étaient pas des dépenses de RSDE. Le ministre n’a effectué aucune vérification parce que la déclaration de revenu et les formulaires prescrits ont été produits de nombreuses années après la date à laquelle le ministre estimait qu’ils auraient dû être produits. Le point de vue du ministre était manifestement que ce qu’étaient les dépenses n’importait pas, puisque le ministre considérait qu’il n’avait pas été satisfait aux exigences techniques à respecter pour déduire les dépenses comme dépenses de RSDE et demander des CIIR au titre de ces dépenses.

 

[12]    Si la nature des dépenses était en cause, je n’imposerais pas le fardeau de la preuve au ministre dans ces circonstances, car cela équivaudrait à accorder une portée beaucoup trop vaste à la raison de la décision rendue dans l’affaire M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C. de l’É. 676, dont il a été question dans l’affaire Kit-Win Holdings (1973) Limited c. La Reine, C.F. 1re inst., no T‑2412‑79, 9 février 1981, 81 D.T.C. 5030. Voir l’affaire The Cadillac Fairview Corporation Limited c. La Reine, C.C.I., no 92-2529(IT)G, 6 mars 1996, à la page 4, note de bas de page no 2, 97 D.T.C. 405, à la page 407.

 

[13]    Je passe maintenant au principal point relatif à l’appel. La position de l’intimée est que la demande de CIIR de l’appelante doit être rejetée parce qu’elle n’a pas été faite à temps. Plus précisément, la position de l’intimée est que cette demande de l’appelante doit être rejetée parce que le formulaire prescrit faisant état de la demande de CIIR n’a pas été produit dans les délais prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelante dit que les délais invoqués par la Couronne ne s’appliquent pas ou ne sont pas valables. Pour évaluer le poids de ces arguments contradictoires, il faut examiner les dispositions légales concernant les CIIR.

 

[14]    Commençons par l’article 37 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet de déduire, dans des circonstances précises, des dépenses en matière de RSDE, au sens de la définition. Je présumerai aux fins des présents motifs que les dépenses considérées en l’espèce ont été engagées en 1986 et entraient dans le cadre de la définition de RSDE.

 

[15]    De telles dépenses sont admissibles à des CII en vertu de l’article 127 et plus particulièrement en vertu de la définition de « CII » figurant au paragraphe 127(9). L’article 127.1 prévoit toutefois un avantage supplémentaire pour une société admissible (soit essentiellement une société privée sous contrôle canadien dont le revenu d’entreprise pour l’année précédente ne dépassait pas 200 000 $). L’appelante était une telle société. L’article 127.1 permettait à une société admissible d’inclure, dans le calcul de ses CIIR, 40 p. 100 du solde non réclamé des CII gagnés dans l’année courante. De plus, une société admissible peut se voir rembourser une partie du solde non réclamé des CII gagnés dans l’année de ses dépenses courantes de RSDE, à un taux de 35 p. 100.

 

[16]    Un CII est défini en partie comme suit au paragraphe 127(9) (je cite la Loi de l’impôt sur le revenu telle qu’elle se lisait en 1987) :

 

« crédit d’impôt à l’investissement » d’un contribuable à la fin d’une année d’imposition s’entend de l’excédent, s’il en est, du total

 

a)         de l’ensemble des montants dont chacun représente le pourcentage déterminé :

 

[...]

 

(ii)        d’une dépense admissible que le contribuable a faite dans l’année,

 

[...]

 

e)         de l’ensemble des montants dont chacun représente un montant à ajouter, en vertu du paragraphe (10.1), dans le calcul de son crédit d’impôt à l’investissement à la fin de l’année ou d’une des 7 années d’imposition précédentes ou des 3 années d’imposition subséquentes,

 

[...]

 

[17]    Voici les passages pertinents, aux fins du présent appel, de l’article 127.1 créant le droit à des CIIR :

 

127.1(1)           Lorsqu’un contribuable (à l’exception d’une personne exemptée d’impôt en vertu de l’article 149) produit

 

a)         avec sa déclaration de revenu (à l’exception d’une déclaration de revenu produite en vertu du paragraphe 70(2) ou 104(23) ou de l’alinéa 128(2)e) ou du paragraphe 150(4)) en vertu de la présente Partie pour une année d’imposition, ou

 

b)         avec une formule prescrite[2] modifiant une déclaration visée à l’alinéa a)

 

une formule prescrite contenant des renseignements prescrits, il est réputé avoir payé, le jour où la déclaration visée à l’alinéa a) ou la formule visée à l’alinéa b), selon le cas, est produite, une somme, au titre de son impôt prévu par la présente Partie pour l’année, égale à son crédit d’impôt à l’investissement remboursable pour l’année.

 

(2)        Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

[...]

 

« crédit d’impôt à l’investissement remboursable » Crédit calculé comme suit pour une année d’imposition :

 

a)         si le contribuable est :

 

(i)         une corporation admissible pour l’année,

 

(ii)        un particulier, à l’exclusion d’une fiducie, ou

 

(iii)       une fiducie dont chaque bénéficiaire est une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii),

 

le montant correspondant à 40 % de l’excédent éventuel

 

(iv)       du total des montants dont chacun représente un montant inclus dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement de ce contribuable à la fin de l’année

 

(A)       au titre d’un bien qu’il acquiert, ou d’une dépense qu’il fait (à l’exclusion de la dépense admissible d’exploration au Canada et d’une dépense à l’égard de laquelle un montant est inclus en vertu du sous-alinéa (vi) ou b)(ii) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement remboursable du contribuable pour l’année), dans l’année, après le 19 avril 1983 et avant 1989,

 

(B)       au titre d’un bien qu’il acquiert, ou d’une dépense qu’il fait (à l’exclusion de la dépense admissible d’exploration au Canada et d’une dépense à l’égard de laquelle un montant est inclus en vertu du sous-alinéa (vi) ou b)(ii) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement remboursable du contribuable pour l’année), dans l’année après le 19 avril 1983 et avant 1989, conformément à l’alinéa b) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe 127(9), ou

 

(C)       lorsque l’année d’imposition commence avant 1989 et à l’exclusion des montants inclus en vertu du sous-alinéa b)(iii)

 

(I)        au titre de la dépense admissible d’exploration au Canada que le contribuable a faite pour l’année, ou

 

(II)       au titre de la dépense admissible d’exploration au Canada faite pour l’année, conformément à l’alinéa b) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe 127(9),

 

sur

 

(v)        le total :

 

(A)       de la partie du total des montants dont chacun représente un montant que le contribuable a déduit en vertu du paragraphe 127(5) pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure (à l’exclusion d’un montant réputé selon le paragraphe (3) déduit ainsi pour l’année), partie qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant au total calculé selon le sous-alinéa (iv), et

 

(B)       de la partie du total des montants dont chacun représente un montant à déduire selon le paragraphe 127(6) ou (7) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement du contribuable à la fin de l’année, partie qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant au total calculé selon le sous-alinéa (iv);

 

s’y ajoute, si le contribuable est une corporation admissible pour l’année, qui n’est pas une corporation exclue pour l’année, l’excédent éventuel

 

(vi)       du total :

 

(A)       de l’ensemble des montants dont chacun représente un montant à ajouter selon le paragraphe 127(10.1) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement de cette corporation à la fin de l’année au titre d’une dépense, à l’exclusion d’une dépense de capital, que celle-ci fait dans l’année, après le 23 mai 1985, et

 

(B)       de l’ensemble des montants dont chacun représente un montant calculé selon l’alinéa a) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe 127(9), au titre d’une dépense pour laquelle un montant est inclus à la division (A),

 

sur

 

(vii)      le total :

 

(A)       de la partie de l’ensemble des montants dont chacun représente un montant que la corporation a déduit selon le paragraphe 127(5) pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure (à l’exclusion d’un montant réputé selon le paragraphe (3) déduit ainsi pour l’année), partie qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant au total calculé selon le sous-alinéa (vi),

 

(B)       de la partie du total des montants à déduire selon le paragraphe 127(6) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement de la corporation à la fin de l’année, partie qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant au total calculé selon le sous-alinéa (vi);

 

b)         s’il s’agit d’un autre contribuable, le total des montants suivants : [...]

(ne s’applique pas)

 

[18]    Les deux parties de cette définition dont l’appelante dit qu’elles sont particulièrement importantes dans le présent appel sont la division a)(iv)(A) et la division a)(vi)(A) :

 

(iv)       du total des montants dont chacun représente un montant inclus dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement de ce contribuable à la fin de l’année

 

(A)       au titre d’un bien qu’il acquiert, ou d’une dépense qu’il fait (à l’exclusion de la dépense admissible d’exploration au Canada et d’une dépense à l’égard de laquelle un montant est inclus en vertu du sous-alinéa (vi) ou b)(ii) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement remboursable du contribuable pour l’année), dans l’année, après le 19 avril 1983 et avant 1989,

 

[…]

 

(vi)       du total :

 

(A)       de l’ensemble des montants dont chacun représente un montant à ajouter selon le paragraphe 127(10.1) dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement de cette corporation à la fin de l’année au titre d’une dépense, à l’exclusion d’une dépense de capital, que celle-ci fait dans l’année, après le 23 mai 1985 […]

 

[19]    Le paragraphe 127(10.1) se lisait comme suit :

 

Pour l’application de l’alinéa e) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe (9), lorsqu’un contribuable a été, tout au long de son année d’imposition, une corporation privée dont le contrôle est canadien, et que son revenu imposable pour l’année d’imposition précédente, ajouté au revenu imposable de toutes les corporations avec lesquelles elle a été associée dans l’année, pour leurs années d’imposition se terminant dans l’année civile précédant celle où l’année de la corporation s’est terminée, ne dépasse pas le total du plafond des affaires (déterminé selon l’article 125) de la corporation et de celui des corporations associées pour ces années précédentes, doit être ajouté dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement du contribuable à la fin de l’année d’imposition l’excédent, s’il en est,

 

a)         de 35 % du moindre

 

(i)         du total des dépenses, visées au sous-alinéa e)(iv) dans la définition de « pourcentage déterminé » au paragraphe (9), que le contribuable a faites dans l’année et indiquées dans sa déclaration de revenu en vertu de la présente partie pour l’année,

 

(ii)        de la limite de dépenses du contribuable pour l’année,

 

sur

 

b)         le total des montants déterminés en vertu de l’alinéa a) dans la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe (9), concernant une dépense visée au sous‑alinéa a)(i).

 

[20]    La définition de « dépense admissible » figurant au paragraphe 127(9) se lisait comme suit en 1987 :

 

« dépense admissible » s’entend d’une dépense pour recherches scientifiques et développement expérimental qu’un contribuable a faite après le 31 mars 1977 et qui est admissible à titre de dépense visée à l’alinéa 37(1)a) ou au sous-alinéa 37(1)b)(i), à l’exclusion

 

a)         d’une dépense prescrite,

b)         d’une dépense précisée par le contribuable pour l’application de la division 194(2)a)(ii)(A), si le contribuable est une corporation;

 

[21]    Cette définition a été modifiée en 1994 par L.C. 1994, ch. 21 (la « loi modificative de 1994 »), paragraphe 61(1), lequel paragraphe se lisait comme suit :

 

La définition de « dépense admissible », au paragraphe 127(9) de la même loi, est modifiée par adjonction, après l’alinéa b), de ce qui suit :

 

c)         sous réserve du paragraphe (11.4), d’une dépense relativement à laquelle le contribuable ne présente pas au ministre le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits au plus tard le jour où il est tenu de produire sa déclaration de revenu en vertu de la présente partie pour son année d’imposition suivant celle au cours de laquelle la dépense a été engagée, ou serait ainsi tenu s’il avait un impôt payable en vertu de la présente partie pour cette année suivante.

 

[22]    La loi modificative de 1994 a reçu la sanction royale le 15 juin 1994. Le « formulaire prescrit » qui était mentionné dans la modification était le formulaire T‑661.

 

[23]    Le paragraphe 61(5) de la loi modificative de 1994 se lisait comme suit :

 

Les paragraphes (1) et (4) s’appliquent après le 21 février 1994 aux dépenses engagées à tout moment. Toutefois, pour ce qui est des dépenses engagées par un contribuable au cours d’une année d’imposition se terminant avant le 22 février 1994, le contribuable peut produire le formulaire prescrit visé à l’alinéa c) de la définition de « dépense admissible » au paragraphe 127(9) de la même loi, édicté par le paragraphe (1), au plus tard au dernier en date du jour prévu à cet alinéa et du quatre-vingt-dixième jour suivant la sanction de la présente loi.

 

[24]    La définition de « dépense admissible » a été remplacée par L.C. 1996, ch. 21 (la « loi modificative de 1996 »), paragraphe 30(10). Le paragraphe 30(10) de la loi modificative de 1996 se lisait comme suit :

 

La définition de « dépense admissible », au paragraphe 127(9) de la même loi, est remplacée par ce qui suit :

 

« dépense admissible » Dépense engagée par un contribuable au cours d’une année d’imposition qui représente :

 

a)         soit une dépense relative à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental qui, selon le cas :

 

(i)         est affectée à du matériel à vocations multiples de première période ou à du matériel à vocations multiples de deuxième période,

 

(ii)        est visée à l’alinéa 37(1)a),

 

(iii)       est visée au sous-alinéa 37(1)b)(i);

 

b)         soit un montant de remplacement visé par règlement applicable au contribuable pour l’année (qui, pour l’application de l’alinéa e), est réputé être un montant engagé au cours de l’année).

 

Ne sont pas des dépenses admissibles :

 

[…]

 

e)         sous réserve du paragraphe (11.4), un montant relativement auquel le contribuable ne présente pas au ministre un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits au plus tard douze mois après la date d’échéance de production qui lui est applicable pour l’année d’imposition, commençant après 1995, au cours de laquelle le montant aurait été engagé, compte non tenu des paragraphes (26) et 78(4);

 

[25]    Le paragraphe 30(26) de la loi modificative de 1996 se lisait comme suit :

 

Les paragraphes (1) à (3) et (5) à (23) ainsi que les paragraphes 127(11.4) et (11.5) de la même loi, édictés par le paragraphe (24), et les paragraphes 127(13) à (25) de la même loi, édictés par le paragraphe (25), s’appliquent aux années d’imposition qui commencent après 1995.

 

[26]    Encore là, le « formulaire prescrit » qui était mentionné à l’alinéa e) de la nouvelle définition de « dépense admissible » était le formulaire T‑661.

 

[27]    Enfin, on a édicté L.C. 1998, ch. 19 (la « loi modificative de 1998 »). Celle‑ci a fait un certain nombre de choses.

 

[28]    Premièrement, au paragraphe 33(2), elle disait que les alinéas e) et f) de la définition de « dépense admissible » figurant au paragraphe 127(9) étaient remplacés par l’alinéa f), qui ne concerne pas le présent examen. En bref, elle a enlevé de la définition de « dépense admissible » l’exigence, introduite par la modification de 1994 et maintenue par la modification de 1996, voulant que le « formulaire prescrit » (T‑661) faisant état des dépenses de RSDE doive être produit dans l’année suivant la date d’échéance de production de la déclaration de revenu du contribuable.

 

[29]    Deuxièmement, en vertu de la loi modificative de 1998, l’exigence relative à la production du formulaire prescrit a été intégrée à la définition de « crédit d’impôt à l’investissement ». L’article 33 de la loi modificative de 1998 se lisait en partie comme suit :

 

(1)        Le passage de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement », au paragraphe 127(9) de la même loi, suivant l’alinéa k) est remplacé par ce qui suit :

 

Toutefois, aucun montant n’est inclus dans le total calculé selon l’un des alinéas a) à e.2) au titre d’une dépense qui, s’il n’était pas tenu compte des paragraphes (26) et 78(4), serait engagée ou effectuée par le contribuable en vue de gagner un revenu au cours d’une année d’imposition, et aucun montant n’est ajouté, aux termes de l’alinéa b), dans le calcul du crédit d’impôt à l’investissement du contribuable à la fin d’une année d’imposition au titre d’une dépense engagée ou effectuée par une fiducie ou une société de personnes en vue de gagner un revenu, si, selon le cas :

 

l)          le revenu est, en tout ou en partie, un revenu exonéré;

 

m)        le contribuable ne présente pas au ministre un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits relativement au montant au plus tard le jour qui suit d’une année la date d’échéance de production qui lui est applicable pour l’année en question.

 

[…]

 

(6)        Le paragraphe (1) s’applique à toutes les années d’imposition. Toutefois, dans le cas où la date d’échéance de production applicable au contribuable pour l’année est antérieure à juin 1996, le contribuable peut produire le formulaire prescrit visé à l’alinéa m) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » au paragraphe 127(9) de la même loi, édicté par le paragraphe (1), avant juin 1997. Pour l’application du présent paragraphe et du paragraphe (1), la définition de « date d’échéance de production » au paragraphe 248(1) de la même loi s’applique à toutes les années d’imposition.

 

(7)        Les paragraphes (2) et (3) s’appliquent aux années d’imposition commençant après 1995.

 

[30]    Le paragraphe 33(2) de la loi modificative de 1998 — mentionné au paragraphe 33(7) de ladite loi — était la disposition qui abrogeait en fait l’alinéa e) de la définition de « dépense admissible ». Cette abrogation était applicable aux années d’imposition commençant après 1995, mais le rétablissement de l’exigence de production d’un formulaire prescrit dans la définition des CII s’appliquait à toutes les années d’imposition, sauf que, si la date d’échéance de production applicable au contribuable était antérieure à juin 1996, le contribuable pouvait produire le formulaire prescrit avant juin 1997.

 

[31]    La définition de « date d’échéance de production » a été ajoutée à l’article 248 en 1996. Elle se lit comme suit :

 

« date d’échéance de production » Le jour où un contribuable est tenu de produire sa déclaration de revenu en vertu de la partie I pour une année d’imposition ou le jour où il serait tenu de la produire s’il avait un impôt à payer pour l’année en vertu de cette partie.

 

[32]    L’avocat de l’appelante a fait remarquer que le délai de juin 1997 applicable à un contribuable dont la date d’échéance de production était antérieure à juin 1996 a été créé par une loi qui n’a été sanctionnée que le 18 juin 1998.

 

[33]    J’essaierai de résumer ces dispositions.

 

[34]    En 1986, l’article 127.1 permettait à un contribuable de demander des CIIR s’il produisait avec sa déclaration de revenu un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits (T‑661). À cette époque, aucun délai n’était imposé au contribuable quant à la production du formulaire prescrit. Tout ce qui était exigé, c’était que le formulaire prescrit soit produit avec la déclaration de revenu pour l’année ou avec une formule prescrite modifiant une déclaration. Lors du calcul des CIIR selon l’article 127.1, le contribuable devait prendre en compte, entre autres choses :

 

a)       division a)(iv)(A) — le montant inclus dans le calcul de ses CII au titre d’un bien qu’il avait acquis ou d’une dépense qu’il avait faite après le 19 avril 1983 et avant 1989 (à l’exclusion des montants inclus en vertu du sous‑alinéa (vi) dans le calcul des CIIR); ce montant devait être une « dépense admissible »;

 

b)      division a)(vi)(A) — les montants inclus selon le paragraphe 127(10.1) (CII majorés); il s’agissait de dépenses courantes de RSDE. L’avocat de l’appelante arguait que cette disposition n’exigeait pas que la dépense soit une dépense admissible.

 

[35]    Le paragraphe 127(10.1) incorpore, par renvoi, les dépenses visées au sous‑alinéa e)(iv) de la définition de « pourcentage déterminé » figurant au paragraphe 127(9).

 

[36]    La définition de « pourcentage déterminé » figurant au paragraphe 127(9) se lisait en partie comme suit en 1987 :

 

« pourcentage déterminé » correspond aux pourcentages suivants :

 

[...]

 

e)         dans le cas d’une dépense admissible

 

[…]

 

(iv)       faite par un contribuable pendant son année d’imposition 1985 ou une année d’imposition suivante, à l’exclusion d’une dépense admissible à laquelle s’applique le sous-alinéa (ii), pour des recherches scientifiques et du développement expérimental à effectuer

 

(A)       dans les provinces de Terre-Neuve, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick ou dans la péninsule de Gaspé, 30 %,

 

(B)       dans les autres régions du Canada, 20 %.

 

[37]    En toute déférence, je ne peux reconnaître que, selon la définition de « pourcentage déterminé » et étant donné, donc, le montant qui peut être inclus en vertu du paragraphe 127(10.1) et le montant à inclure dans les CIIR d’un contribuable en vertu de la définition d’un CIIR figurant à la division a)(vi)(A) de cette définition, il n’est pas nécessaire que la dépense soit une dépense admissible. Le sous‑alinéa e)(iv) de la définition de « pourcentage déterminé » ne traite que d’une dépense admissible. Je ne pense pas que l’on puisse examiner le sous‑alinéa e)(iv) de la définition de « pourcentage déterminé » et faire fi de l’alinéa e).

 

[38]    En supposant que cette conclusion juridique est exacte, je traiterai des autres arguments. Comme je l’ai dit précédemment, aucun délai n’était imposé en 1987 quant à la production du formulaire prescrit. Le délai a été imposé pour la première fois en 1994, par le paragraphe 61(1), qui a ajouté l’alinéa c) à la définition de « dépense admissible ». Toutefois, le délai de production du formulaire prescrit a été reporté au dernier en date du jour représentant un an après la date d’échéance de production de la déclaration et du quatre‑vingt‑dixième jour suivant la sanction de la Loi, c’est‑à‑dire suivant le 15 juin 1994.

 

[39]    Les dépenses considérées en l’espèce ont été engagées dans l’année d’imposition 1986 de l’appelante. L’exercice de l’appelante se terminait le 30 septembre. Donc, le 31 mars 1988 aurait été le dernier jour pour produire la déclaration de revenu pour 1987 et aurait été, selon l’alinéa c) de la définition de « dépense admissible » figurant dans la loi modificative de 1994, le dernier jour pour produire le formulaire prescrit T‑661. C’était évidemment une impossibilité, car la loi modificative de 1994 n’est entrée en vigueur que le 15 juin 1994. Donc, en vertu du paragraphe 61(5) de la loi modificative de 1994, le délai de production du formulaire prescrit pour ce qui est des dépenses engagées dans une année d’imposition se terminant avant le 22 février 1994 a été repoussé au quatre‑vingt‑dixième jour suivant le 15 juin 1994.

 

[40]    Si nous nous arrêtons là, il est évident que le formulaire prescrit n’avait pas été produit à cette date‑là. La disposition semble plutôt claire, bien que l’on puisse invoquer d’autres arguments, par exemple en matière du caractère rétrospectif. J’en traiterai ci‑après.

 

[41]    La nouvelle définition de « dépense admissible » énoncée au paragraphe 30(10) de la loi modificative de 1996 reprend en grande partie, à l’alinéa e), les dispositions de l’alinéa c) introduites par la loi modificative de 1994. Le paragraphe (26) dispose qu’un certain nombre de paragraphes, y compris le paragraphe (10), s’appliquent aux années d’imposition qui commencent après 1995. Donc, le remplacement, en 1996, de l’ancien alinéa c) de la définition ne s’applique qu’aux années qui commencent après 1995, et il semble que l’alinéa c) de la définition modifiée introduite par le paragraphe 61(1) de la loi modificative de 1994 et la disposition d’application (paragraphe (5)) restent intacts et ne sont pas touchés par la loi modificative de 1996.

 

[42]    Les paragraphes 33(1) et (2) de la loi modificative de 1998 ont supprimé de la définition de « dépense admissible » l’exigence de production d’un formulaire prescrit et l’ont incorporée dans la définition de « crédit d’impôt à l’investissement ». Le paragraphe 33(6) dispose que le paragraphe (1), qui exige qu’un formulaire prescrit (T‑2038) soit produit dans l’année suivant la date d’échéance de production, s’applique à toutes les années d’imposition, sauf que, si la date d’échéance de production applicable au contribuable est antérieure à juin 1996, le contribuable avait jusqu’au 31 mai 1997 pour produire le formulaire.

 

[43]    L’avocat de l’appelante fait remarquer que la loi modificative de 1998 a reçu la sanction royale le 18 juin 1998, soit plus d’un an après le délai supplémentaire du 31 mai 1997.

 

[44]    Je commencerai par faire observer qu’il n’y a rien d’incompréhensible dans les dispositions légales résumées ci‑devant. Jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi modificative de 1994, un contribuable pouvait demander des CIIR en produisant un formulaire prescrit approprié (T‑661) avec sa déclaration de revenu. En 1994, pour la première fois, l’omission de produire un formulaire prescrit (T‑2038)[3] dans le délai prévu empêchait que des dépenses soient considérées comme étant des « dépenses admissibles », ce qui est un préalable pour demander des CIIR. Le délai de production du formulaire a toutefois été reporté à 90 jours suivant la sanction de la loi modificative de 1994 dans le cas de contribuables, comme l’appelante, qui avaient engagé des frais de RSDE durant des années d’imposition se terminant avant le 22 février 1994.

 

[45]    En ce qui a trait aux années antérieures à 1996, la situation n’a pas été changée par la loi modificative de 1996. La nouvelle définition de « dépense admissible » introduite par cette loi s’appliquait seulement aux années d’imposition commençant après 1995.

 

[46]    La loi modificative de 1998 a toutefois apporté un changement touchant l’appelante. Elle a mis l’exigence de production d’un formulaire prescrit dans la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » et a reporté au 31 mai 1997 le délai de production du formulaire prescrit.

 

[47]    Nous avons donc un libellé légal qui est raisonnablement compréhensible, compte tenu qu’il s’agit d’une loi en matière d’impôt sur le revenu, et qui semble imposer une obligation — si un contribuable veut demander un CIIR au titre de dépenses faites en 1986 — de produire un formulaire prescrit au plus tard le 31 mai 1997. J’ai du mal à voir le bien‑fondé de l’argument selon lequel il était impossible de respecter le délai du 31 mai 1997, la loi modificative de 1998 n’ayant reçu la sanction royale que le 18 juin 1998, ou que l’on pouvait faire fi de ce délai.

 

[48]    Le fait que la loi modificative de 1998 est entrée en vigueur le 18 juin 1998, soit un peu plus d’un an après le délai du 31 mai 1997, amène à poser trois hypothèses, à savoir :

 

1.       La loi prend effet conformément à son libellé.

 

2.       Le délai du 31 mai 1997 peut pour quelque raison être reporté à la date d’entrée en vigueur de la loi modificative de 1998. Je ne connais aucun principe qui pourrait justifier un tel remaniement judiciaire par rapport à l’intention du législateur qu’expriment les termes utilisés. Même si je pouvais repousser le délai à la date de la sanction royale, le formulaire prescrit n’a été produit que le 26 avril 1999.

 

3.       On peut simplement faire fi du délai du 31 mai 1997 comme d’une disposition qui est sans effet. C’est essentiellement ce que l’appelante argue. Dans son argumentation écrite, l’avocat de l’appelante soutient que la disposition d’entrée en vigueur de la modification de 1998 est impossible à respecter. Il dit dans son argumentation écrite :

 

[TRADUCTION]

 

La disposition d’entrée en vigueur de la modification de 1998 apportée à la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » porte que la modification s’applique à toutes les années d’imposition, sauf que, si la date d’échéance de production est antérieure à juin 1996, le contribuable a jusqu’en juin 1997 pour produire le formulaire prescrit.

 

Cette disposition crée une anomalie en ce que, malgré le fait que le législateur a voulu atténuer l’application rétroactive de la modification en prévoyant un délai de production allant jusqu’en juin 1997, ce n’est que le 18 juin 1998, soit presque un an après la fin du délai, que les dispositions légales ont reçu la sanction royale et que l’exigence en matière de production a eu force de loi. Il était donc impossible de respecter le délai. Par conséquent, nous soutenons respectueusement que la disposition d’entrée en vigueur, du moins dans la mesure où elle s’applique aux années d’imposition se terminant avant la date de la sanction royale, est nulle pour cause d’imprécision, car aucune application sensée et réaliste ne se dégage de son libellé. Ainsi, l’exigence de production prévue à l’alinéa m) de la définition de « crédit d’impôt à l’investissement » ne s’applique pas et ne peut s’appliquer aux années d’imposition se terminant avant le 18 juin 1998, date de la sanction royale. (Il est à noter que le paragraphe 127.1(1) de la Loi a toujours prévu qu’il fallait produire le formulaire T2038 avec la déclaration de revenu du contribuable pour l’année — ce qui a été fait par l’appelante.)

 

En common law, on a systématiquement considéré que, lorsque les termes d’une loi conduisent à un résultat absurde ou indéfendable, il convient de faire fi de la formulation expresse et d’adopter une approche fondée sur le bon sens. Ce principe a été énoncé il y a longtemps dans un arrêt clé rendu en Angleterre, à savoir la décision rendue dans l’affaire BonHam’s Case (1610), 77 E.R. 638 (C.P.), dans laquelle sir Edward Coke a dit, à la page 652 :

 

[TRADUCTION]

 

Quand une loi du Parlement va à l’encontre du droit commun ou de la raison ou qu’elle est infâme ou qu’il est impossible de l’obéir, la common law la restreindra et la considérera comme nulle.

 

Il ressort clairement de l’extrait précité qu’un des facteurs à prendre en compte est la question de savoir s’il est impossible d’obéir à une disposition. Une disposition légale — comme la présente disposition — qui à première vue n’est pas formulée de façon ambiguë et qu’il est cependant impossible d’obéir entre dans le cadre de la doctrine de nullité pour cause d’imprécision.

 

[49]    Si la disposition d’entrée en vigueur de la modification de 1998 est nulle, comme le soutient l’appelante, cela amène à l’un des deux résultats suivants :

 

(i)      il n’y aucun délai de production du formulaire prescrit;

 

(ii)      la disposition d’entrée en vigueur de la loi modificative de 1998 disparaît, et la modification de 1994 demeure intacte. En vertu du paragraphe 61(5) de cette loi, le délai de production du formulaire prescrit était reporté au dernier en date du jour représentant un an après la date d’échéance de production de la déclaration pour l’année durant laquelle la dépense avait été faite et du quatre‑vingt‑dixième jour suivant le 15 juin 1994. L’appelante n’a pas respecté ce délai, de sorte que faire disparaître le délai imposé par la modification de 1998 n’aide l’appelante que si elle peut également faire disparaître le délai créé en 1994.

 

[50]    Au soutien d’une interprétation de la loi modificative de 1994 excluant l’exigence qu’un formulaire prescrit soit produit au plus tard un an après la date d’échéance de production de la déclaration pour l’année durant laquelle les dépenses ont été engagées ou 90 jours après le 15 juin 1994, l’argument est que cette exigence impose rétroactivement d’autres obligations aux contribuables ayant produit le formulaire requis (T‑661) et pourrait donner lieu rétroactivement à l’inobservation de la Loi et à l’obligation de rendre le montant du CIIR qui avait été versé.

 

[51]    L’appelante exprime ce point de vue très clairement :

 

[TRADUCTION]

 

« Dépense admissible » — modification de 1994

 

L’intimée affirme que, l’appelante n’ayant pas produit le formulaire prescrit T661 dans l’année suivant la date d’échéance de production applicable à l’appelante pour l’année d’imposition 1986, les dépenses de RSDE faites par l’appelante ne peuvent être considérées comme des « dépenses admissibles », par suite de la modification de 1994 apportée à la définition de cette expression. L’appelante n’est pas d’accord avec l’intimée.

 

L’appelante soutient que, si l’on accepte la position de l’intimée, l’effet prétendu de la modification de 1994 apportée à la définition de « dépense admissible » serait de priver rétroactivement certains contribuables ayant engagé des dépenses de RSDE du droit de demander un CII ou un CIIR au titre de ces dépenses. L’appelante soutient qu’une telle interprétation est incompatible avec l’esprit de la Loi, et notamment avec l’esprit des dispositions de la Loi en matière de RSDE et de CII. Le but de ces dispositions était d’encourager les entreprises canadiennes, et notamment les jeunes entreprises, à faire de la recherche scientifique, pour veiller à ce que le Canada demeure concurrentiel au niveau mondial dans le domaine des nouvelles technologies. Une incitation a ainsi été offerte à de telles entreprises sous la forme d’un CIIR. L’appelante soutient qu’interpréter les modifications de 1994 de telle manière qu’elles s’appliqueraient aux années d’imposition antérieures à la sanction royale serait incompatible avec l’intention du législateur inhérente au programme de RSDE. Plus particulièrement, une telle interprétation ferait que toutes les dépenses admissibles en matière de RSDE engagées avant 1994 ne seraient plus admissibles, sauf si les contribuables se conforment d’une manière ou d’une autre à la nouvelle exigence en matière de production.

 

L’appelante soutient en outre qu’une interprétation atténuée des dispositions d’entrée en vigueur de la modification de 1994 est appropriée dans des circonstances où l’interprétation proposée par l’intimée retirerait des droits acquis aux contribuables : voir l’affaire Gustavson Drilling [onglet 12]. Avant la modification de 1994, un contribuable qui engageait des frais de RSDE et qui produisait un formulaire prescrit avec sa déclaration de revenu pour l’année avait droit à un CIIR. L’appelante soutient que l’on ne peut présumer que le législateur entendait que tous les contribuables ayant exercé des activités de RSDE et produit le formulaire prescrit concernant leurs déclarations de revenu pour 1983, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992 ou 1993, selon le cas, soient automatiquement et rétroactivement privés du droit à un CIIR et soient donc tenus de rembourser le montant de tout CIIR reçu par eux, s’ils avaient omis de produire un formulaire prescrit dans l’année suivant la date d’échéance de production applicable ou dans les 90 jours suivant la sanction de la modification de 1994.

 

[52]    Cet argument me fait penser à ce que mon ancien professeur de droit, devenu par la suite juge en chef du Canada, le regretté et éminent Bora Laskin, appelait le défilé des horreurs — c’est‑à‑dire la description du pire des scénarios auxquels une interprétation particulière pouvait conduire. L’argument suppose qu’un contribuable a produit sa déclaration de revenu avec le formulaire requis conformément à la loi qui existait, qu’il a obtenu des CIIR pour 1986, disons, et que le ministre a ensuite entrepris de se faire rendre le montant du remboursement parce que le contribuable n’a pas produit un formulaire supplémentaire subséquemment requis par la loi modificative de 1994. Il est allégué que le législateur ne saurait avoir envisagé que le ministre puisse se faire rendre les CIIR versés au contribuable conformément à la loi qui existait. Cela ne fait pas de doute, mais ce n’est pas la situation dont nous traitons ici. L’appelante n’est pas un contribuable qui a produit sa déclaration de revenu et demandé et reçu un CIIR avant l’entrée en vigueur de la loi modificative de 1994.

 

[53]    Si la situation quelque peu extrême exposée par l’appelante dans l’argumentation précitée se présentait, il faudrait l’examiner très soigneusement, car elle donne lieu à des considérations bien différentes de celles qui s’appliquent en l’espèce, dans laquelle la demande est basée sur un document qui a été produit après toute date d’échéance de production prévue par la loi.

 

[54]    Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que le fait qu’une disposition légale puisse dans certaines circonstances donner lieu à un résultat injuste ou malencontreux ou même absurde puisse justifier de faire fi de cette disposition ou de ne pas l’appliquer à une série différente de circonstances. Le principe bien connu est que, si une loi est susceptible de deux interprétations dont une conduit à un résultat absurde et l’autre pas, l’interprétation permettant d’éviter une absurdité doit être privilégiée. Toutefois, lorsque les termes de la loi sont clairs, le tribunal doit y donner effet même s’ils conduisent à un résultat absurde, injuste ou malencontreux. Modifier un libellé légal clair pour qu’il cadre avec l’idée du juge quant à ce qui serait plus raisonnable ou plus juste ou moins absurde, ce serait usurper le rôle du législateur. Je n’entends pas que les présents motifs soient une dissertation sur la règle d’interprétation des lois qui permet à un tribunal de chercher à éviter une absurdité ou qui limite le tribunal quant à la possibilité de modifier ou de remanier un libellé légal clair de manière à obtenir ce que le juge croit être un résultat plus souhaitable. Il existe à ce sujet une abondante jurisprudence, dont il est fait état dans Craies on Statute Law, 7e édition, aux pages 86 à 92.

 

[55]    J’ai conclu que les dispositions des modifications de 1994, de 1996 et de 1998 ne sont pas nulles pour cause d’imprécision et que l’on ne peut faire fi des délais parce qu’ils pourraient conduire dans certaines circonstances à un résultat injuste.

 

[56]    Il reste donc les arguments concernant l’enrichissement sans cause et le caractère rétrospectif.

 

[57]    L’argument relatif à l’enrichissement sans cause est basé sur le jugement de la section de première instance de la Cour fédérale dans Forest Oil Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 624.

 

[58]    Le concept d’enrichissement sans cause n’est pas un principe autonome en droit canadien. C’est un facteur qui entre en ligne de compte quand il s’agit de déterminer s’il convient d’accorder un moyen de redressement, reconnu en equity, qui consiste à déclarer une fiducie induite des faits. Évidemment, notre cour ne peut faire une telle déclaration dans le cadre de la compétence conférée par la Loi de l’impôt sur le revenu. Néanmoins, si la doctrine de la fiducie induite des faits fait partie du droit canadien, notre cour doit en tenir compte comme de tout autre principe de droit pertinent dans la détermination d’une question relevant de sa compétence, que le principe de droit soit basé sur une loi, sur l’equity ou sur la common law.

 

[59]    Je ne vois toutefois pas en quoi la doctrine de la fiducie induite des faits, sous laquelle peut être subsumé le concept d’enrichissement sans cause, a quelque chose à voir avec la présente espèce. L’appelante en l’espèce demande un CIIR, qui n’a été créé que par voie de mesure légale. Soit le contribuable répond aux exigences de la loi, soit il n’y répond pas. La fonction de notre cour consiste à trancher cette question. S’il est satisfait aux exigences, l’appel sera admis. S’il n’y est pas satisfait, je ne peux parachuter dans l’équation une doctrine d’enrichissement sans cause et dire en fait : « Eh bien, vous ne répondez pas aux conditions légales, mais il serait injuste que le gouvernement ne vous accorde pas le remboursement, car il s’en trouverait enrichi sans cause à vos dépens, de sorte que j’admettrai l’appel pour que vous puissiez obtenir le remboursement. »

 

[60]    Il ne peut en être ainsi dans un appel en matière d’impôt sur le revenu. Si, dans ses décisions, notre cour pouvait se baser sur la question de savoir si l’omission de répondre à certaines conditions légales donne lieu à un enrichissement injustifié pour l’État ou un contribuable, cela produirait une jurisprudence bien intéressante. Supposons que le ministre ait omis d’établir une cotisation en‑deçà de la période normale de cotisation et qu’il n’y ait eu aucune présentation erronée des faits permettant de revenir à une année frappée de prescription. Si la doctrine d’enrichissement sans cause s’appliquait, elle devrait s’appliquer aux contribuables aussi bien qu’à l’État, pour le motif que ce qui est bon pour l’un l’est pour l’autre, et le ministre pourrait sans doute établir une nouvelle cotisation selon la théorie que, sinon, le contribuable s’enrichirait d’une manière injustifiée du fait que le ministre n’était pas dans les délais.

 

[61]    Je ne pense pas que le principe de l’enrichissement sans cause s’applique en l’espèce.

 

[62]    Enfin, je passe à la question de savoir si les modifications apportées en 1994, en 1996 et en 1998 sont rétroactives ou rétrospectives et, dans l’affirmative, si cela influe sur le droit de l’appelante de demander des CIIR.

 

[63]    La question de l’application rétrospective de lois a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.R.N., [1977] 1 R.C.S. 271, 75 D.T.C. 5451. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si une modification apportée en 1962 au paragraphe 83A(8a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et par laquelle avaient été abrogés les alinéas c) et d) de ce paragraphe empêchait le contribuable de déduire des frais d’exploration et de forage pour les années 1965 à 1968. Il était entendu que, sans l’abrogation des alinéas c) et d), les dépenses auraient été déductibles.

 

[64]    S’exprimant pour la majorité, le juge Dickson (titre qu’il portait alors) a fait état des arguments respectifs des parties aux pages 278 et 279 (D.T.C. : à la page 5454) :

 

Il convient maintenant d’examiner de plus près les allégations de l’appelante et du Ministre. Les allégations de ce dernier se résument en quelques mots et reposent sur le texte de la Loi qui, selon lui, est clair et précis lorsque son lecteur tient compte de l’ensemble et de l’esprit général de la Loi. On allègue qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux présomptions portant sur l’intention du législateur puisque ces règles d’interprétation ne sont utiles dans la détermination du sens véritable que lorsque le texte est obscur et ambigu : voir les propos du juge Lamont dans Acme Village School District c. Steele-Smith, à la p. 51. Cette allégation est fort pertinente. Je ne crois pas que l’appelante puisse obtenir gain de cause en s’en tenant au sens littéral du par. (8a) puisque sa rédaction attribue nettement à l’appelante la qualité de compagnie remplacée. Toutefois, elle cherche à éviter une interprétation littérale de ce paragraphe et soumet à cet effet une triple argumentation qu’il convient d’examiner équitablement et qui se fonde sur a) la présomption à l’encontre de la rétroactivité des lois; b) la présomption voulant qu’on ne puisse porter atteinte aux droits acquis; c) la signification à donner au mot « ensemble » du par. (8a). Concernant les points a) et b), l’appelante doit faire plus que démontrer la portée rétroactive de la loi; elle doit également établir qu’elle possédait un droit acquis auquel la loi a porté atteinte.

 

[65]    L’argumentation du ministre et celle de l’appelante dans cette affaire correspondent pour l’essentiel à ce qui est invoqué dans la présente espèce. Comme je l’ai dit précédemment, j’estime que le libellé des modifications n’est pas ambigu.

 

[66]    Le juge Dickson a ensuite traité de la question de la rétroactivité :

 

Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif. À première vue, la présente affaire peut s’apparenter au deuxième cas, mais je suis d’avis que l’analyse de la disposition abrogative démontre qu’elle n’a aucune portée rétroactive dans le sens qu’elle modifie des droits acquis, bien qu’elle porte incontestablement atteinte aux transactions passées. L’article, tel que modifié par la disposition abrogative, ne vise pas les années d’imposition antérieures à la date de la modification; il ne cherche pas à s’immiscer dans le passé et ne prétend pas signifier qu’à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu’ils n’étaient pas alors. Pour autant que l’appelante soit concernée, cet article ne vise qu’à retirer pour l’avenir le droit de faire certaines déductions dont il était auparavant possible de tirer avantage; l’article n’a aucune incidence sur ce droit dans la mesure où il a été exercé à une date antérieure à l’adoption de la loi modificatrice.

 

[67]    Aux pages 281 à 284 (DTC : aux pages 5455‑5456), il a dit :

 

La Loi de l’impôt sur le revenu contient une série de règles très complexes modifiées fréquemment qui servent au calcul annuel du revenu global. Pour déterminer le revenu imposable d’un contribuable pour une année particulière, il faut appliquer la loi qui était alors en vigueur. La disposition abrogative de 1962 a simplement pour effet d’introduire pour les années subséquentes de nouvelles règles touchant la déductibilité des dépenses d’exploration et de mise en valeur. Bien que la disposition abrogative puisse paraître avoir pour effet de dépouiller l’appelante du droit dont elle jouissait auparavant de faire certaines déductions et d’une certaine façon causé la transmutation d’une transaction antérieure, je suis d’avis qu’un examen attentif de la question démontre qu’il n’en est pas ainsi. De 1949 à 1960, la Loi en vigueur au cours de chacune de ces années autorisait l’appelante à se prévaloir de la déduction. En 1960, l’appelante a transféré son actif. Le contrat de vente, s’il en existe un, n’apparaît pas au dossier et dans la mesure des révélations qui y sont contenues, il n’a pas été question à l’époque des dépenses de forage et d’exploration. Après avoir disposé de ses biens, l’appelante n’était plus une corporation s’occupant principalement de faire de l’exploration ou forage pour la découverte de pétrole ou de gaz naturel, et elle n’avait plus de revenu. Elle ne pouvait donc plus se prévaloir de la déduction en question. Au cours des années d’imposition 1961, 1962, 1963 et 1964, elle n’a fait aucune réclamation. À l’époque où l’appelante a repris ses activités, elle n’avait plus le droit, en vertu de la loi alors en vigueur, de réclamer les dépenses de forage et d’exploration engagées antérieurement. Il lui était possible de réclamer uniquement les dépenses de forage et d’exploration engagées après qu’elle eut repris ses activités. Il est peut-être malheureux qu’une modification dont le but est de libéraliser la loi en facilitant la transmission des dépenses de forage et d’exploration, ait pour effet de priver une compagnie remplacée comme l’appelante d’un droit dont elle aurait pu se prévaloir en l’absence de l’abrogation, mais il n’en demeure pas moins que la loi dans sa forme modifiée est claire et précise. Après l’abrogation des al. c) et d) du par. (8a) en 1962 et aux fins du calcul de l’impôt à payer pour les années postérieures à 1962, la compagnie appelante est une compagnie remplacée au sens du par. (8a) et de ce fait, il lui est impossible de déduire les dépenses de forage et d’exploration engagées par elle avant le 10 novembre 1960.

 

Deuxièmement, l’interférence avec des droits acquis. Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation : Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board, à la p. 638. La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l’intention contraire, s’applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu’elle produise son effet dans l’avenir. Ce dernier type de loi peut être mauvais s’il porte atteinte à des droits acquis sans l’exprimer clairement. Toutefois, cette présomption s’applique seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations. Il est évident que la plupart des lois modifient des droits existants ou y portent atteinte d’une façon ou d’une autre, et les lois fiscales ne font pas exception. Les seuls droits dont un contribuable peut se prévaloir au cours d’une année d’imposition au regard de réclamations d’exemptions sont ceux que lui accordent [sic] la Loi de l’impôt sur le revenu alors en vigueur. L’appelante fonde son argumentation sur le fait qu’elle possède un droit acquis et continu de déduire dans le calcul de son revenu les dépenses de forage et d’exploration engagées par elle, alors qu’il est clair que la Loi de l’impôt sur le revenu de 1960 et des années antérieures n’accorde aucun droit à l’égard des années d’imposition 1965 et suivantes. C’est une erreur que de considérer les dépenses de forage et d’exploration comme un compte en banque duquel il est possible d’effectuer des retraits indéfiniment ou, du moins, jusqu’à l’épuisement du solde. Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l’évolution des besoins sociaux et de l’attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l’espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d’une modification à la législation.

 

Le simple droit de se prévaloir d’un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d’entre eux à la date de l’abrogation d’une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis : Abbott v. Minister of Lands, à la p. 431; Western Leaseholds Ltd. v. Minister of National Revenue, Director of Public Works v. Ho Po Sang.

 

L’article 35 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I‑23 est cité en appui de la thèse de l’appelante. En voici le texte :

 

35. Lorsqu’un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l’abrogation

 

[…]

 

b)         n’atteint ni l’application antérieure du texte législatif ainsi abrogé ni une chose dûment faite ou subie sous son régime;

 

c)         n’a pas d’effet sur quelque droit, privilège, obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé.

 

Je partage l’avis du juge Thurlow de la Cour d’appel fédérale selon lequel il ne peut être dit que l’abrogation des al. c) et d) atteint leur application antérieure ni une chose dûment faite ou subie sous leur régime par l’appelante, puisque les al. c) et d) ne se sont jamais appliqués à l’appelante ni à une chose dûment faite ou subie par elle. Je souscris encore une fois à l’avis du juge Thurlow lorsqu’il affirme que l’on ne peut pas dire que l’abrogation des al. c) et d) a eu un effet sur quelque droit acquis par l’appelante sous leur régime, puisque cette dernière n’a jamais acquis de droits sous le régime de l’un quelconque d’entre eux. Cet article représente simplement la consécration législative de la présomption de droit commun relative aux droits acquis telle qu’elle existe à l’égard de l’abrogation des dispositions législatives et, selon moi, cet article n’ajoute rien à l’argumentation de l’appelante. Cette dernière doit toujours démontrer qu’elle possède un droit ou un privilège né ou acquis sous le régime du texte législatif avant son abrogation, ce qu’elle ne peut faire.

 

[68]    J’ai cité abondamment la décision de la Cour suprême du Canada parce qu’elle fait état des contraintes imposées au tribunal quant à la possibilité de limiter l’effet d’une mesure légale rétrospective.

 

[69]    À la lumière de ces principes, peut‑on dire que les modifications sont rétrospectives et, dans l’affirmative, quel est l’effet de cette rétrospection?

 

[70]    Il est vrai que les modifications apportées en 1994, en 1996 et en 1998 imposent une limite, sinon quant au droit de demander des CIIR pour les années antérieures aux modifications, du moins quant à la manière dont les CIIR peuvent être demandés. Dans cette mesure, ces modifications diffèrent de celles dont il s’agissait dans l’affaire Gustavson et qui influaient sur la déductibilité de dépenses engagées après l’édiction des modifications en cause dans cette affaire. Je ne vois toutefois pas en quoi les modifications ont supprimé quelque droit acquis et accumulé de l’appelante. Le droit de l’appelante de demander des CIIR pour des années antérieures était préservé, mais de nouvelles exigences de production de documents pour l’exercice de ce droit étaient imposées prospectivement. Avant l’édiction de la première série de modifications, en 1994, l’appelante s’attendait à pouvoir produire sa déclaration de revenu pour 1986 et à pouvoir demander les CIIR pour cette année‑là après le délai établi par la Loi pour la production de la déclaration de revenu. Je ne considère pas cela comme un droit acquis dont l’appelante a été privée en raison des modifications. Même si c’était le cas, les modifications ne sont pas ambiguës quant à leur objet. Comme l’a dit le juge Dickson dans le passage cité ci‑devant : « La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l’intention contraire, s’applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu’elle produise son effet dans l’avenir. »

 

[71]    De plus, même si, de quelque manière, l’on pouvait dire que le droit de produire des déclarations de revenu et de demander des CIIR est un droit qui pouvait être exercé pendant une période indéfinie, la limitation imposée par le législateur à l’égard de ce droit est prospective, même si elle influe sur une demande basée sur des dépenses engagées dans une année d’imposition antérieure.

 

[72]    Je conclus que les modifications ne sont pas rétrospectives et que, même si elles le sont, l’intention quant à l’effet de la loi est claire et non ambiguë.

 

[73]    L’appel est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de février 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de février 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 



[1]           Cf. Ecclésiaste III, i‑viii.

[2]           Formulaire T‑661.

[3]           Les renvois dans les présents motifs aux formulaires prescrits T‑661 et T‑2038 peuvent parfois différer des renvois faits par les avocats de l’appelante dans leur argumentation écrite. En fin d’analyse, toutefois, cela ne fait guère de différence, car ni l’un ni l’autre des formulaires n’a été produit dans les divers délais prévus par les lois modificatives; les deux formulaires ont été produits en avril 1999.

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