Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020131

Dossier: 2000-2433(IT)I

 

 

ENTRE :

DOUGLAS L. TITUS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                          Me Catherine Letellier De St-Just

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Toronto (Ontario), le 23 novembre 2001.)

 

 

Le juge en chef Garon, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels portent sur de nouvelles cotisations d'impôt relatives aux années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

 

[2]     Dans ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national a refusé la déduction de pertes locatives s’élevant à 9 867,00 $, 10 367,00 $ et 7 984,00 $ pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996 respectivement, relativement à un bien situé à Kirkfield (Ontario).

 

[3]     L’appelant et M. Philip Graham Dunn, un comptable agréé, ont témoigné au cours de l‘audition des présents appels. L’intimée n’a appelé aucun témoin à la barre.    

 

[4]     Les hypothèses de fait produites à l’appui de ces nouvelles cotisations figurent au paragraphe 5 de la réponse à l’avis d’appel, qui se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

a) l’appelant a acheté pour la somme de 87 500 $, en août 1991, une propriété de plaisance saisonnière, comprenant une  maisonnette  et un pavillon des visiteurs, située sur la route rurale 3, à Kirkfield (Ontario) (le « présumé bien locatif »); 

 

b) pour financer l’achat du bien, l’appelant a consenti une hypothèque de 65 500 $. Renégociée en octobre 1992, la nouvelle hypothèque, à laquelle se rattachait un prêt capitalisé à l'échéance, passait à 85 500 $. En août 1994 et en décembre 1995, l’appelant a obtenu des fonds supplémentaires lorsqu’il s’est vu accorder une marge de crédit. Il a déduit la totalité des intérêts payés relativement à la marge de crédit en 1994, sous la rubrique « charges locatives », et il a déduit la moitié de ces intérêts en 1995 et en 1996; 

 

c) dans le calcul de son revenu des années d’imposition 1994, 1995 et 1996, l’appelant a déduit des pertes locatives relativement au présumé bien locatif;

 

d) le revenu locatif, les charges locatives et les pertes locatives déclarés par l’appelant pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996 s’établissent comme suit :

 

                                                            1994                        1995                        1996

 

Loyer brut                             1 100 $                    1 500 $                    1 500 $

 

Dépenses

(arrondies au dollar)

 

Impôt foncier                             896                        841                           833

 

Intérêt hypothécaire              8 537                     8 274                       8 277

 

Assurance                                 528                         528                          504

 

Services publics                       273                         279                          415

 

Entretien et réparations           390                         471                          367

 

Frais d’automobile                   770                         690

 

Frais de bureau                           24                          16

 

Autres frais                                234                     1 085                          142

 

Frais juridiques et

frais comptables                        534                     1 002

 

                                                ______________________________

 

Dépenses totales            12 186 $                       13 186 $             10 538 $

 

Moins :

frais personnels, 10 %         (1 219)                    (1 319)                    (1 054)

 

 

Perte locative déclarée        9 867 $                    10 367 $                  7 984 $

 

e) dans les années antérieures, l’appelant avait en outre déclaré à l’égard du bien les pertes locatives suivantes :

 

                                                            1991                        1992                        1993

 

Loyer brut                             néant                      néant                      1 000 $

 

Perte locative déclarée        3 213 $                    9 391 $                    8 347 $

 

f) l’appelant n’a à aucun moment déployé des efforts raisonnables au titre de la publicité ou de la commercialisation du bien en vue de générer un revenu locatif; 

 

g) dans les années d’imposition 1994, 1995 et 1996, le loyer exigé était insuffisant pour payer l’intérêt hypothécaire; 

 

h) l’appelant n’avait pas d’espoir raisonnable de tirer un profit du présumé bien locatif en 1994, 1995 et 1996; 

 

i) les charges locatives déclarées n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; 

 

j) les dépenses que le ministre a refusées constituaient des frais personnels ou de subsistance de l’appelant.

 

[5]     L’appelant a admis les allégations figurant aux alinéas a), b), c), d) et g) du paragraphe 5 de la réponse à l’avis d’appel. Il a admis l’allégation figurant à l’alinéa e) après que l’intimée eut reconnu qu’il avait reçu des loyers s’élevant à 400 $ et 1 200 $ dans les années d’imposition 1991 et 1992 respectivement. L’appelant a nié les allégations figurant aux autres alinéas du paragraphe 5.       

 

[6]     Au cours de son témoignage, l’appelant, qui avait été admis au barreau en 1977, a indiqué que la propriété de plaisance était située en bordure du lac appelé Canal Lake, à environ 60 ou 70 miles du centre-ville de Toronto, soit à un peu plus d’une heure de route de cette ville. 

 

[7]     La superficie totale de la maisonnette ne dépasse pas 900 pieds carrés. Le bâtiment ou la maisonnette érigé sur le terrain était ancien. Dans le questionnaire de location daté du 4 juin 1999, l’appelant avait indiqué que le bien avait environ 45 ans. Le chalet avait été aménagé pour l’hiver. Il comportait également un pavillon pour les visiteurs. Selon l’appelant, de beaux arbres mettaient en valeur le terrain, d’une superficie se situant entre une demi-acre et trois quarts d’acre. C’est surtout le rivage de 120 pieds qui longe le terrain qui fait le charme du site. Le lac sur lequel donne le terrain fait partie de la voie navigable Trent et est situé à proximité du lac Simcoe.     

 

[8]     La partie riveraine du lac comporte un fond sableux; l’eau y est peu profonde sur une superficie importante. Pour reprendre l’expression employée par l’appelant, le site était « fantastique pour les enfants ».   

 

[9]     L’appelant a précisé que la région lui était familière puisqu’il y avait passé beaucoup de temps depuis sa jeunesse, ses parents ayant pendant plusieurs années été propriétaires d’un chalet qui donnait sur le lac en question. D’après le témoin, un des facteurs qui l’avaient incité à acheter le bien donnant sur ce lac était la proximité du chalet de ses parents.   

 

[10]    L’appelant a témoigné qu’il croyait, au moment de l’achat du bien, qu’il pouvait le louer et en tirer un revenu. Il estimait pouvoir obtenir un loyer de 800 à 1 500 $ « toutes les semaines ou toutes les deux semaines ». Il croyait également pouvoir louer le bien pendant l’hiver, puisqu’il était en tout temps possible d’avoir accès au terrain par automobile.

 

[11]    L’appelant avait déterminé la valeur locative du bien d’après les annonces des journaux où l’on offrait des chalets à louer. Il n’avait toutefois visité aucun des chalets ainsi annoncés. Il avait décidé de ne pas mettre d’annonces dans les journaux, notamment en raison de sa situation financière. Il estimait que, dans les circonstances, il lui suffirait de parler à ses amis pour trouver des clients. Cependant, les efforts qu’il a déployés en vue de louer le bien en cause se sont révélés infructueux. 

 

[12]    Son revenu locatif brut s’était élevé à seulement 400 $ en 1991 (pour une période de quatre mois), à 1 200 $ en 1992, à 1 000 $ en 1993, à 1 100 $ en 1994 et à 1 500 $ en 1995 et en 1996. Il attribuait ces résultats décevants au fait que les commodités d’usage faisaient défaut dans la maisonnette. Il a en outre mentionné l'état chancelant de l’économie à cette époque.

 

[13]    L’appelant a également indiqué, au cours de son témoignage, que d’importantes améliorations et réparations avaient été faites sur le bien en cause. D’après le paragraphe 8 du questionnaire de location daté du 4 juin 1999, une partie des travaux avait été faite en 1994, 1995 et 1996. On avait effectué des travaux sur la toilette extérieure, le puits, la fosse septique, le toit et l’antenne de télévision.   

 

[14]    Au moment de l’audition des présents appels, l’appelant était toujours propriétaire du bien en cause. Il a témoigné qu’il avait à un moment donné songé à le vendre mais qu’il avait décidé de le conserver. 

 

[15]    J’examinerai maintenant les éléments de preuve touchant les aspects financiers de l’affaire qui nous occupe, plus particulièrement au titre de l’achat du bien, des modalités de financement et des améliorations qui y ont été apportées, ainsi que les éléments de preuve relatifs à la situation financière de l’appelant.  

 

[16]    Comme l’indique l’alinéa 5a) de la réponse à l’avis d’appel, l’appelant avait acheté le bien en cause pour la somme de 87 500 $, prix qu’il considérait intéressant à l’époque. Pour financer cet achat, l’appelant avait obtenu d’un courtier en hypothèques un prêt hypothécaire capitalisé à l’échéance de 65 500 $. D’après ce que l’appelant avait indiqué au questionnaire de location susmentionné, le taux d’intérêt était de 12,5 p. 100. Au départ, le prêt hypothécaire, qui était remboursable par anticipation, était d’une durée d’un an. L’appelant a déclaré que les banques n’avaient pas voulu lui consentir un prêt hypothécaire. Le prêt hypothécaire avait été renégocié en octobre 1992, passant à 85 500 $ ainsi que le précise l’alinéa 5b) de la réponse à l’avis d’appel.   

 

[17]    Peu avant l’achat du bien en cause, l’appelant avait accepté un emploi comme avocat, au salaire annuel de 65 000 $. Avant août 1991, l’appelant avait été sans emploi pendant un bon bout de temps. Pour ce qui est de ce nouvel emploi, l’appelant n’a pas eu d’augmentation de salaire entre la date de son embauche et celle de son congédiement, en juillet 1994. 

 

[18]    Les déclarations de revenu des années 1994, 1995 et 1996 ont été déposées auprès de la Cour. Dans celle de 1994, il est indiqué que l’appelant avait touché un revenu d’emploi de 49 769,59 $ et des prestations d’assurance-chômage totalisant 3 861 $, tandis que son revenu de profession libérale net s’élevait à 1 870 $. Pour ce qui est de l’année 1995, il avait d’après sa déclaration touché un revenu d’emploi de 37 804 $ et des prestations d’assurance-chômage totalisant 9 886 $, son revenu de profession libérale net s’élevant à 1 648 $. Enfin, la déclaration visant l’année d’imposition 1996 indiquait que l’appelant n’avait touché aucun revenu d’emploi, avait touché des prestations d’assurance-chômage totalisant 6 720 $ et avait tiré un revenu de profession libérale net de 7 641,66 $.    

 

[19]    On a déposé auprès de la Cour un document intitulé « [TRADUCTION] Prévisions des revenus et des dépenses – Bien locatif – juin / juillet 1991 ». L’appelant a témoigné que cet état financier avait été établi en 1999 à la demande de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Les renseignements qui y figurent sont tirés des notes que l’appelant avait prises un ou deux mois avant d’acheter le bien ainsi que des prévisions des revenus et des dépenses que l’appelant se rappelait avoir faites mentalement à l’époque. La partie de ce document qui nous intéresse est reproduite ci-après.  

 

                   [TRADUCTION]

 

REVENU

 

Revenu locatif

 

52 semaines à 400 $ par semaine                      20 800 $

 

 


DÉPENSES

 

Publicité                                               500

Impôt foncier                                       750

Entretien et réparations             600

Assurance                                            250

Services publics                                    800

Frais d’entretien de la plage                    75

Intérêt hypothécaire                         5 200

                                           8 175

 

Moins :

Usage personnel – 10 %                     818                       7 358

 

                                                               _________

                                                           13 443 $

                                           _________

 

(Note en bas de page omise.)

 

[20]    Dans la partie de son témoignage qui se rapporte à ces prévisions, l’appelant a déclaré qu’il avait planifié d’occuper lui-même la propriété en cause pendant environ cinq semaines chaque année. Cela explique l’inscription figurant au bas du document, où il est écrit « Moins : Usage personnel – 10 % ». 

 

[21]    Le témoignage de M. Dunn portait sur quelques questions particulières et n’ajoute rien d’important à la version des faits que l’appelant a présentée à la Cour.   

 

Analyse

 

[22]    La question en litige est celle de savoir si l’appelant avait un espoir raisonnable de tirer un profit des activités de location relatives au bien en cause dans les années d’imposition 1994, 1995 et 1996.  

 

[23]    Pour trancher cette question, on devrait en tout premier lieu examiner le financement de l’achat du bien. Dès le début, près de 75 p. 100 du prix d’achat du bien ont été financés à un taux d’intérêt élevé, soit 12,5 p. 100. Quatorze mois plus tard, soit en octobre 1992, l’appelant a refinancé sa dette (probablement parce que d’importantes réparations et améliorations devaient être faites sur le bien), et le montant du prêt est ainsi passé à 85 500 $, soit un montant presque équivalent au prix d’achat du bien, qui était de 87 500 $, comme nous l’avons déjà indiqué. D’autres dispositions ont été prises en août 1994 et en décembre 1995 au titre du financement, dont les détails n’ont cependant pas été fournis à la Cour au cours de l’audience.

 

[24]    L’intérêt hypothécaire payé par l’appelant dans chacune des trois années en cause s’élevait à un peu plus de 8 000 $. Cet imposant fardeau financier doit être examiné par rapport au montant des revenus locatifs bruts générés par le bien. Les revenus locatifs s’élevaient à 1 100 $ en 1994 et à 1 500 $ dans chacune des deux années suivantes. Les intérêts hypothécaires de chacune des années en question étaient à eux seuls environ cinq fois plus élevés que les revenus locatifs bruts, après la prise en considération de la réduction de 10 p. 100 des dépenses au titre de l’usage personnel du bien. Si l’on tient compte des autres dépenses engagées dans chacune de ces années, les dépenses excèdent de beaucoup plus encore le revenu brut.

 

[25]    Un autre fait mérite d’être mentionné. Lorsque je soupèse l’ensemble des éléments de preuve, je conclus que les facteurs personnels ont joué un rôle dans la décision de l’appelant d’acquérir le bien. Ce dernier a candidement admis que le fait que ses parents avaient été propriétaires d’un chalet donnant sur le même lac l’avait incité à acheter le bien en cause. En outre, la région lui était familière, puisqu’il s’était rendu au chalet de ses parents pendant plusieurs années. Il était par ailleurs lui-même intéressé à passer ses vacances à son chalet. Le bien était un lieu de vacances.

 

[26]    Dans l’examen de l’ensemble de la preuve produite en l’espèce, je suis en outre influencé par le fait que l’appelant semble avoir fait peu d’efforts pour louer le bien. Il n’a pas mis d’annonces dans les journaux, alors qu’on sait qu’il s’agit là d’une façon efficace d’attirer d’éventuels clients. Il a fourni à cet égard un certain nombre d’explications, qui ne m’ont cependant pas convaincu. Quoi qu’il en soit, l’appelant n’a pas réfuté l’allégation figurant à l’alinéa 5f) de la réponse à l’avis d’appel au sujet de l’absence de publicité.

 

[27]    Entre autres considérations, l’appelant a fait état de conditions externes sur lesquelles il n’avait aucun contrôle. Cette déclaration doit être reportée dans son contexte. Ainsi, le fait qu’il ait perdu son emploi en 1994 n’explique pas pourquoi il n’avait pas fait de publicité dans les années antérieures. En outre, au moment où il avait acheté le bien, l’appelant était au courant de sa propre situation financière et des limites que celle-ci lui imposait.

 

[28]    En ce qui concerne le tableau des prévisions des revenus et des dépenses, je n’ai aucune hésitation à conclure que les prévisions du revenu net et des intérêts hypothécaires étaient tout à fait irréalistes. Ces prévisions ne concordent nullement avec la réalité économique de l’époque. En outre, l’appelant a déclaré que, pour établir les prévisions du revenu locatif total, il s’était fondé sur les renseignements fournis dans les annonces de journaux où l’on offrait des chalets à louer, ainsi que je l’ai déjà indiqué. Toutefois, il n’a visité aucun chalet comparable au sien. J’ai de la difficulté à comprendre qu’il lui aurait été coûteux de visiter quelques chalets semblables dans les secteurs avoisinants pour se faire une idée du prix de location des chalets dans la région.

 

 [29]   Compte tenu de ce qui précède, je suis arrivé à la conclusion que l’appelant n’avait pas d’espoir raisonnable de tirer un profit de ses activités de location relatives au bien en cause dans les années 1994, 1995 et 1996. L’appelant n’a par conséquent pas le droit de déduire les pertes locatives des trois années en cause en l’espèce.  

 

[30]    Pour ces motifs, les appels des nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de janvier 2002.

 

 

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 

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