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Date: 20010309

Dossier: 2000-1088-IT-I

ENTRE :

EVELYNE SERBEY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Mme Evelyne Serbey interjette appel d'une nouvelle cotisation fiscale portant sur l'année d'imposition 1996, par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a inclus dans son revenu un montant de 8 456 $ au titre de paiements de pension alimentaire ou d'entretien. Ce montant représente des paiements effectués par M. Ian Perrie (l' « ex-époux » ) à des tierces parties en conformité avec une ordonnance provisoire rendue par M. le juge Nolin de la Cour supérieure du Québec et datée du 16 décembre 1991. La partie pertinente de l'ordonnance judiciaire est la suivante :

CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse, à titre de pension alimentaire non indexée pour les deux enfants mineurs, la somme de mille cinq cents (sic) cinquante dollars (1 550 $) par mois, payable de la façon suivante :

                i)               en retenant mensuellement les sommes nécessaires pour acquitter lui-même les montants des redevances hypothécaires du domicile conjugal, ceux ou celles des taxes et impositions foncières, des assurances de maison, de même que des paiements périodiques et des assurances pour l'automobile Subaru 1988;

                ii)              en remettant à la défenderesse à l'avance, le premier de chaque mois, tout solde s'il y a lieu non autrement exigible dudit montant de mille cinq cents (sic) cinquante dollars (1 550 $); [...]

[2]            La seule question soulevée par le présent appel est celle de savoir si les montants versés aux tierces parties et décrits au sous-paragraphe i) ci-dessus satisfont aux conditions du paragraphe 56(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), tel qu'il s'appliquait pendant l'année d'imposition pertinente. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

(12)          Sous réserve des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) et pour l'application des alinéas (1)b), c) et c.1) et 60b), c) et c.1), un montant reçu par une personne - appelée « contribuable » aux alinéas (1)b), c) et c.1) et « bénéficiaire » aux alinéas 60b), c) et c.1) - ne constitue une allocation que si cette personne peut l'utiliser à sa discrétion.

[3]            Le 10 juillet 1997, Mme Serbey, estimant que les paiements d'entretien effectués à des tierces parties par son ex-époux devaient être exclus de son revenu, a demandé au ministre de modifier ses déclarations de revenus des années d'imposition 1992 à 1996. Le 8 septembre 1997, le ministre a envoyé un avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1996, par lequel il excluait le montant de 8 456 $.

[4]            Finalement, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'ex-époux de Mme Serbey et a refusé la déduction du montant de 8 456 $ qu'il avait payé à des tierces parties en 1996. L'ex-époux a interjeté appel de cette décision devant cette cour, et ma collègue la juge Lamarre Proulx a admis son appel le 20 septembre 1999. Cette décision est publiée sous l'intitulé Perrie c. La Reine, C.C.I., no 98-2345(IT)I, 20 septembre 1999 (1999 Carswell Nat 1790, [1999] 4 C.T.C. 2642, 1 R.F.L. 5th 75). La juge Lamarre Proulx a conclu que les faits concernant l'ex-époux dans cette affaire étaient semblables à ceux examinés dans les décisions rendues par le juge Bowman dans l'affaire Hak c. La Reine, C.C.I., no 97-2572(IT)I, 16 octobre 1998 (99 DTC 36) et par le juge Sarchuk dans l'affaire Chute c. La Reine, no 97-2870(IT)I, 24 mars 1999 ([1999] 2 C.T.C. 2864). La juge Lamarre Proulx a fondé sa décision sur les motifs suivants :

[14]          Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le libellé de la clause pertinente du jugement du juge Nolin de la Cour supérieure, cité au paragraphe [3] des présents motifs, est visé par les paragraphes 60.1(1) et 56(12) de la Loi. Suivant la clause en question, l'appelant devait verser périodiquement à son ex-épouse le montant de 1 550 $ par mois, et il devait payer ce montant au complet. Il avait reçu instruction de déduire du montant en question certains montants destinés à des tiers, mais son ex-épouse conservait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la destination de ces paiements. Elle aurait pu effectuer elle-même les paiements hypothécaires sur une maison dont elle était propriétaire, dans lequel cas l'appelant aurait dû lui verser la totalité du montant de 1 550 $. Elle avait droit au paiement périodique de 1 550 $ par mois. Je conclus également qu'il faut donner son sens à la disposition déterminative du paragraphe 60.1(1) de la Loi, comme à toute autre disposition législative. Selon la disposition en question, le montant en question est réputé avoir été payé à la personne pour le compte de laquelle le montant est payé à des tiers, et reçu par elle. La personne à qui un montant est payé peut utiliser celui-ci à sa discrétion.

[5]            Après que cette cour eut rendu la décision Perrie, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Mme Serbey, plus précisément le 29 novembre 1999.

Position de l'intimée

[6]            De toute évidence, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Mme Serbey à la suite de la décision rendue dans l'affaire Perrie. L'avocat du ministre soutient que le montant de 8 456 $ versé par l'ex-époux de Mme Serbey à des tiers au profit de Mme Serbey pendant l'année d'imposition 1996 est imposable en application des paragraphes 56(12) et 56.1(1) de la Loi. Il reconnaît que, pour que ce montant soit imposable entre les mains de Mme Serbey, il doit s'agir d'un montant qu'elle peut utiliser à sa discrétion comme l'exige le paragraphe 56(12) de la Loi. La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Armstrong c. La Reine, C.A.F., no A-189-95, 10 mai 1996 (1996 Carswell Nat 1281, [1996] 2 C.T.C. 266) va dans le même sens. En particulier, au paragraphe 23, le juge Stone a déclaré : « À mon avis, il faut lire la définition du mot « allocation » contenue au paragraphe 56(12) de concert avec le paragraphe 60.1(1) de la Loi et interpréter cette dernière disposition en conséquence. » Dans cette affaire, on avait ordonné à l'ex-époux d'effectuer des versements hypothécaires mensuels de la manière suivante :

[TRADUCTION]

4. Le requérant MURRAY ROBERT ARMSTRONG paiera l'obligation hypothécaire mensuelle concernant le foyer conjugal et le prêt de la Banque Royale au fur et à mesure que chacun d'eux viendra à échéance.

[7]            En l'espèce, l'avocat du ministre souscrit à la décision Perrie. Il prétend que Mme Serbey continue d'avoir un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l'utilisation des paiements effectués à des tiers.

Position de Mme Serbey

[8]            L'avocat de Mme Serbey, qui se spécialise dans le droit matrimonial, a adopté une position contraire à l'égard du pouvoir discrétionnaire de Mme Serbey relativement aux paiements effectués à des tierces parties. Il a déclaré que Mme Serbey n'aurait pu demander à son ex-époux de ne rien verser aux tierces parties décrites dans l'ordonnance rendue par le juge Nolin sans avoir d'abord pu faire modifier cette ordonnance par la Cour supérieure. En conséquence, on ne peut conclure que Mme Serbey avait un pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'utilisation du montant décrit au sous-paragraphe i) de l'ordonnance judiciaire.

Analyse

[9]            Sauf le respect que je dois à ceux qui soutiennent le contraire, je crois que Mme Serbey n'avait aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les paiements effectués à des tiers. Je suis d'accord avec l'avocat de Mme Serbey pour dire qu'elle n'aurait pas pu ordonner à son ex-époux de cesser d'effectuer des paiements aux tiers sans faire modifier l'ordonnance judiciaire. Il est vrai que Mme Serbey aurait pu elle-même effectuer les versements hypothécaires sur la maison dont elle était propriétaire, mais il n'est pas certain qu'elle aurait alors pu exiger le montant équivalent de son conjoint.

[10]          Si le juge Nolin avait déclaré dans son ordonnance que Mme Serbey aurait pu à tout moment ordonner à son ex-époux de cesser d'effectuer des paiements aux tiers et de plutôt lui remettre l'argent en question, j'aurais conclu sans hésitation que Mme Serbey avait à cet égard un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, ce n'est pas le cas. C'est pour cette raison que je conclus que Mme Serbey n'avait pas le pouvoir discrétionnaire mentionné au paragraphe 56(12) de la Loi.

[11]          Je dois faire remarquer que la décision rendue dans l'affaire Perrie ainsi que celles rendues dans les affaires Hak et Chute l'ont été conformément à la procédure informelle et, comme l'indique l'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, elles ne constituent pas des précédents jurisprudentiels. En outre, le principe de la chose jugée ne s'applique pas en l'espèce, puisque Mme Serbey n'était pas une partie dans l'affaire Perrie.

[12]          Dans son argumentation, l'avocat de Mme Serbey a fait valoir qu'une distinction devait être établie entre la présente affaire et la décision Hak, puisque, dans cette affaire, il existait une entente écrite entre les parties et non une ordonnance judiciaire comme en l'espèce. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une distinction valable. Je ne vois pas quelle différence il peut y avoir entre le fait que l'absence de contrôle d'un ex-conjoint relativement à certains paiements d'entretien soit acceptée par cet ex-conjoint et le fait qu'elle soit ordonnée par un tribunal. Une distinction doit être établie entre le moment où l'entente relative à l'entretien est conclue et le moment où les paiements d'entretien sont effectués aux termes d'une telle entente. En ce qui concerne le moment pertinent, pour l'application du paragraphe 56(12) de la Loi, il faut, pour déterminer si un contribuable a un pouvoir discrétionnaire relativement à l'utilisation de paiements d'entretien, considérer le moment où ces paiements ont été effectués. Une fois qu'un ex-conjoint a accepté, volontairement ou non, de ne plus avoir le contrôle sur les paiements d'entretien, cet ex-conjoint ne peut plus par la suite exercer un pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'utilisation de ces paiements, à moins que les deux parties à l'entente n'acceptent que ce pouvoir soit donné à l'ex-conjoint, ou qu'une ordonnance judiciaire n'accorde ce pouvoir.

[13]          Avec égards, je ne crois pas que Mme Hak ait eu davantage de pouvoir discrétionnaire que Serbey en l'espèce. Après avoir accepté que son conjoint paye certaines dépenses en son nom, comme les services publics et le loyer, Mme Hak ne pouvait plus ordonner de manière unilatérale à M. Hak de cesser d'effectuer ces paiements à des tiers. Cela me semble être conforme à l'intention des parties. La raison d'être de cette entente est indiquée au paragraphe 8 de la décision Hak. M. Hak avait indiqué dans son témoignage que les paiements à des tiers avaient été convenus « parce que son épouse était totalement irresponsable à l'égard de l'argent, qu'elle aurait simplement pris l'argent et l'aurait dépensé pour autre chose, et qu'elle n'aurait pas payé le loyer ou les services publics et se serait probablement fait soit expulser de l'appartement, soit couper les services publics » . L'objet même de l'entente était apparemment d'enlever tout pouvoir discrétionnaire à Mme Hak pour ce qui est de l'utilisation de l'argent. Bref, elle avait simplement le pouvoir d'accepter ou non cette entente. Toutefois, après l'avoir acceptée, Mme Hak n'avait plus le pouvoir d'ordonner de manière unilatérale à son ex-époux de cesser d'effectuer les paiements et, à mon avis, on ne peut considérer qu'elle a conservé un quelconque pouvoir discrétionnaire relativement à l'utilisation des montants.

[14]          Avant de conclure, je dois souligner que l'inclusion des paiements d'entretien dans le revenu aux termes de l'alinéa 56(1)b) et du paragraphe 56.1(1) de la Loi n'est pas conditionnelle à la déduction de ces paiements d'entretien par le payeur. De même, la conclusion selon laquelle de tels paiements ne sont pas imposables entre les mains du bénéficiaire et qu'ils ne sont pas visés par l'alinéa 56(1)b) et le paragraphe 56.1(1) de la Loi est sans rapport avec le fait qu'il soit permis au payeur de les déduire dans le calcul de son revenu aux termes de l'alinéa 60b) et du paragraphe 60.1(1) de la Loi. En d'autres termes, bien que les dispositions concernant l'inclusion des paiements d'entretien dans le revenu et celles concernant leur déduction du revenu soient semblables, elles ne sont pas interdépendantes.

[15]          Enfin, il est malheureux que les appels de Mme Serbey et de son ex-époux n'aient pas été entendus ensemble par cette cour[1]. Si tel avait été le cas, une seule audience aurait été nécessaire, et seul l'un de ces contribuables aurait obtenu gain de cause en appel. Les choses étant ce qu'elles sont, ils ont tous les deux eu gain de cause, et ce sont les contribuables canadiens qui ont perdu.

[16]          Pour tous ces motifs, l'appel de Mme Serbey portant sur l'année d'imposition 1996 est admis, avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 8 456 $ ne constitue pas des paiements d'entretien imposables et qu'il devrait être exclu du revenu de Mme Serbey.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2001.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1088(IT)I

ENTRE :

EVELYNE SERBEY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 16 janvier 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Asher Neudorfer

Avocat de l'intimée :                            Me Simon Petit

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 8 456 $ ne constitue pas des paiements d'entretien imposables et qu'il devrait être exclu du revenu de Mme Serbey.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2001.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] Si le ministre avait refusé de retrancher le montant en litige du revenu de Mme Serbey et refusé la déduction de son ex-époux, ces deux contribuables auraient pu interjeter appel de cette décision devant cette cour, et des dispositions auraient pu être prises pour que les deux appels soient entendus ensemble.

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