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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

96-4665(GST)G

ENTRE :

WILLIAM E. COUTTS COMPANY LTD.,

s/n HALLMARK CARDS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 16 juillet 1998 à Ottawa (Ontario) par

l'honorable juge M. A. Mogan

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :              Me Michael Kaylor

Avocat de l'intimée :                  Me Wayne Lonsdale

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 11 janvier 1995 et qui porte le numéro 05E‑01521, est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l'appelante a droit à un crédit de taxe sur les intrants de 288 699,96 $ pour la période en cause dans l'appel. J'accorde à l'appelante des dépens, selon ce qui est permis par la loi et les règles de la Cour.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 1999.

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2000.

 

 

 

 

Benoît Charron, réviseur

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 19990517

Dossier: 96-4665(GST)G

 

 

ENTRE :

WILLIAM E. COUTTS COMPANY LTD.,

s/n HALLMARK CARDS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Mogan, C.C.I.

 

[1]     La mesure législative imposant la taxe sur les produits et services (« TPS ») est la partie IX (articles 122 à 363) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, telle qu'elle a été modifiée. Toute mention d'une disposition législative dans les présents motifs du jugement est une mention d'une disposition de cette loi, sauf indication contraire. Dans cet appel, le point en litige concerne l'interprétation et l'application des articles 161 et 181.1 de la Loi. Les avocats ont plaidé en se fondant sur un exposé conjoint des faits (« ECF ») signé par eux et déposé à la Cour le jour de l'audience. Il n'y a eu aucune preuve verbale, et la seule preuve documentaire qui ait été présentée tient aux cinq documents faisant partie de l'ECF. Voici ce que disent les 16 paragraphes de l'ECF :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'appelante est un inscrit, en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »), aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS).

 

2.         La section 1 figurant en annexe est un mémoire, avec factures à l'appui, que l'appelante a présenté à l'intimée pour la période pertinente aux fins du présent appel.

 

3.         La section 2 figurant en annexe est la réponse de l'intimée.

 

4.         L'exemple qui suit est représentatif des procédures suivies par l'appelante durant la période pertinente aux fins du présent appel.

 

5.         Le 1er juin 1992, l'appelante a fait à son client, qui était également un inscrit en vertu de la partie IX de la Loi, des fournitures taxables pour une contrepartie de 100 $ plus 7 p. 100 de TPS (7 $), soit un montant total indiqué sur la facture de 107 $; des modalités de paiement figurant sur la facture prévoyaient toutefois une réduction de 2 p. 100 si le paiement était fait au plus tard le 10 juillet (le 10 du mois suivant), net à payer le 31 juillet (le dernier jour du mois suivant).

 

6.         Lorsqu'elle a établi la facture, l'appelante a porté un montant de 100 $ au crédit de son compte de ventes et un montant de 7 $ au crédit de son compte de TPS à payer, le tout en conformité avec l'article 161 de la Loi.

 

7.         Conformément au paragraphe 228(2) de la Loi, l'appelante a versé 7 $ de TPS avec sa déclaration de TPS pour la période allant du 1er au 30 juin 1992. La déclaration de TPS a été produite par l'appelante le 31 juillet 1992.

 

8.         Le client de l'appelante a payé la facture le 8 juillet 1992 (soit avant le 10 juillet) et a versé à l'appelante 104,86 $ (107 $ moins 2 p. 100 de 107 $).

 

9.         Le montant du rabais (« discount » en anglais) en espèces obtenu par le client était de 2,14 $ (107 $ moins 104,86 $).

 

10.       L'appelante n'a pas établi de note de crédit en faveur de son client concernant la facture du 1er juin 1992.

 

11.       L'appelante a demandé un crédit de taxe sur les intrants de 7/107 des 2,14 $ (soit 14 ¢) dans sa déclaration de TPS pour la période allant du 1er au 31 octobre 1994, déclaration qu'elle a produite le 28 novembre 1994.

 

12.       L'intimée a établi à l'égard de l'appelante une cotisation en date du 11 janvier 1995 refusant le crédit de taxe sur les intrants demandé par l'appelante dans sa déclaration de TPS produite le 28 novembre 1994 (voir la section 3 figurant en annexe).

 

13.       L'appelante a déposé un avis d'opposition en date du 10 avril 1995 (voir la section 4 figurant en annexe).

 

14.       L'intimée a délivré à l'appelante un avis de décision en date du 15 octobre 1996 (voir la section 5 figurant en annexe).

 

15.       Par la voie d'un avis en date du 17 décembre 1996, l'appelante a interjeté appel de l'avis de décision auprès de cette honorable cour.

 

POINT EN LITIGE

 

16.       Eu égard aux articles 181.1 et 161 de la Loi, l'appelante a‑t‑elle droit à des crédits de taxe sur les intrants représentant 7/107 des rabais en espèces accordés à ses clients au cours de la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1992, selon les faits énoncés aux paragraphes 1 à 15 ci‑dessus?

 

[2]     Le document figurant à la section 1 de l'ECF est une lettre de l'appelante à Revenu Canada en date du 28 novembre 1994, dont je ne citerai que les extraits que je considère comme particulièrement pertinents :

 

[TRADUCTION]

 

Ci-joint une copie de notre déclaration de TPS pour la période allant du 1er au 31 octobre 1994, déclaration qui a été produite le 28 novembre 1994. Est indiqué à la ligne 106 de la déclaration un crédit de taxe sur les intrants (CTI) de 288 699,96 $, soit 7/107 des rabais en espèces obtenus par nos clients sur des ventes taxables (autres que des fournitures détaxées) au cours de la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1992.

 

L'article 161 de la Loi sur la taxe d'accise (LTA) exige que [...]

 

Admettons que, le 20 février 1991, nous avons établi à l'égard d'un client, au titre de produits courants, une facture de 100 $ plus 7 p. 100 de TPS (7 $), soit un montant total de 107 $; des modalités de paiement (indiquées sur la facture) prévoyaient toutefois un rabais de 2 p. 100 si le paiement était fait au plus tard le 10 du mois suivant, net à payer à la fin du mois suivant. Lorsque la facture a été établie, un montant de 100 $ a été porté au crédit du compte de ventes, et un montant de 7 $ a été porté au crédit du compte de TPS à payer. Les 7 $ de TPS ont été versés avec la déclaration de TPS pour la période allant du 1er au 28 février 1991, déclaration qui a été produite le 31 mars 1991. Il a été satisfait aux dispositions de l'article 161 de la LTA. En portant 7 $ au crédit du compte de TPS à payer, nous avons reconnu que la contrepartie de la vente était de 100 $, et les 7 $ de taxe à payer étaient calculés sur cette contrepartie.

 

Lorsque le client a payé sa facture, le 8 mars 1991 (soit au plus tard le 10 du mois suivant la date de la facture), il a versé 104,86 $ (107 $ moins 2 p. 100 de 107 $ = 2,14 $). Le montant du rabais en espèces était de 2,14 $ (107 $ moins 104,86 $). Il est à noter que, pour avoir droit à nos rabais en espèces « saisonniers », il faut acquitter la facture au plus tard le 10 du mois courant; par exemple, pour avoir droit à des rabais sur des factures au cours de la période de Noël, il faut que la facture soit payée au plus tard le 10 décembre.

 

Le Concise Oxford Dictionary de 1990 définit comme suit le mot anglais « rebate » (remise) : « [TRADUCTION] déduction d'une somme à payer; rabais ». Le rabais en espèces mentionné au paragraphe précédent entre clairement dans le cadre de cette définition du mot « rebate ».

 

L'article 181.1 de la LTA (tel qu'il a pour la première fois été ajouté par L.C. 1993, ch. 27, par. 46(1)) dit que [...]

 

Les rabais en espèces de 2,14 $ obtenus par nos clients en 1991 et en 1992 sont des remises à l'égard desquelles nous avons droit à des crédits de taxe sur les intrants représentant 7/107 du montant de la remise (14 ¢). Cela est conforme aux dispositions des articles 161 et 181 de la LTA. L'article 161 n'empêche pas un contribuable de demander le crédit de taxe sur les intrants prévu à l'article 181.1. Les deux articles sont indépendants. Le fait de demander le crédit de taxe sur les intrants est conforme aux dispositions de chacun des deux.

 

Nous vous demandons de bien vouloir confirmer par écrit que nous avons effectivement droit au crédit de taxe sur les intrants de 288 699,96 $ décrit ci‑devant.

 

[...]

 

[3]     Le document figurant à la section 2 de l'ECF est une lettre de Revenu Canada à l'appelante en date du 14 décembre 1994, soit une réponse à la lettre figurant à la section 1. Encore là, je ne citerai que les passages pertinents de la section 2 :

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

Vous avez mentionné que votre déclaration de TPS pour la période de déclaration allant du 1er au 31 octobre 1994 avait été présentée le 28 novembre 1994. Était indiqué à la ligne 106 de la déclaration un crédit de taxe sur les intrants (CTI) de 288 699,96 $, soit 7/107 des rabais en espèces pour paiements anticipés (modalités de paiement prévoyant un rabais de 2 p. 100 si le paiement est fait au plus tard le 10 du mois suivant) obtenus par vos clients sur des ventes taxables (autres que des fournitures détaxées) au cours de la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1992.

 

Vous soutenez que ces rabais en espèces pour paiements anticipés sont des remises à l'égard desquelles vous avez droit à des crédits de taxe sur les intrants de 7/107 conformément aux articles 161 et 181.1 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »). Ainsi, vous nous demandez de confirmer par écrit que vous avez droit au crédit de taxe sur les intrants de 288 699,96 $.

 

L'article 161 de la Loi exige que [...]

 

Autrement dit, lorsque la contrepartie de la fourniture de produits ou services est indiquée sur une facture et que l'acquéreur peut obtenir un rabais pour paiement rapide, le rabais n'a pas d'incidence sur la valeur aux fins de la taxe. La TPS s'applique au montant de la contrepartie indiqué sur la facture, sans qu'il soit tenu compte du rabais. Ainsi, par exemple, si une facture indiquait 100 $ comme prix de produits (plus 7 $ de TPS) et qu'un rabais pour paiement rapide de 2 $ était offert, la TPS serait de 7 $, même si le rabais a été obtenu.

 

Le ministère considère que vous n'avez pas droit au crédit de taxe sur les intrants de 288 699,96 $ susmentionné.

 

[...]

 

 

[4]     Considérées ensemble, les lettres précitées sont comme deux navires qui se croisent dans la nuit. L'appelante réclame un crédit de taxe sur les intrants de 288 699 $ à la section 1 en se fondant sur son interprétation de l'article 181.1, qui traite d'un « crédit de taxe sur les intrants » à l'alinéa a). Revenu Canada répond en décrivant comment l'article 161 s'applique, alors que l'article 161 ne traite nullement d'un crédit de taxe sur les intrants. L'article 161 se lit comme suit, à l'exclusion de certains termes qui, à mon avis, ne sont pas pertinents aux fins de l'espèce :

 

161      [...] lorsque le montant de la contrepartie indiqué sur la facture pour la fourniture de biens meubles corporels [...] peut être réduit s'il est payé dans le délai qui y est précisé ou [qu'on] [...] exige un montant supplémentaire [...] si le montant n'est pas payé dans le délai raisonnable qui y est précisé, la contrepartie due est réputée égale au montant de la contrepartie indiqué sur la facture.

 

[5]     Dans son argumentation écrite, l'avocat de l'intimée avait reformulé l'article 161. J'ai modifié son texte et reformulerais comme suit l'article 161 :

 

la contrepartie aux fins de la taxe est le montant indiqué sur la facture, qui peut être réduit ou augmenté, comme rabais pour paiement anticipé ou comme pénalité pour paiement tardif, respectivement.

 

À mon avis, voilà une bonne façon de reformuler l'article 161, car celui‑ci a pour objet d'établir un montant fixe quant à la contrepartie de produits ou services, de sorte que le fournisseur connaisse le montant de la contrepartie sur lequel il doit percevoir la TPS, peu importe qu'il offre un rabais pour paiement anticipé ou qu'il impose une pénalité pour paiement tardif.

 

[6]     Il ne faut pas oublier que la TPS est basée sur la valeur de la contrepartie des produits ou services; elle doit être payée par l'acquéreur des produits ou services, et le fournisseur est tenu de la percevoir et de la verser.

 

165(1)  Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l'acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

 

168(1)  La taxe prévue à la présente section est payable par l'acquéreur au premier en date du jour où la contrepartie de la fourniture taxable est payée et du jour où cette contrepartie devient due.

 

221(1)  La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l'acquéreur en vertu de la section II.

 

228(2)  La personne doit verser au receveur général, au plus tard le jour où la déclaration doit être produite, le montant positif de sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

 

Dans le contexte de ces dispositions législatives, qui obligent le fournisseur à déterminer le montant de la TPS et à le percevoir, l'article 161 représente une ligne directrice importante. Dans l'esprit du fournisseur qui offre un rabais pour paiement anticipé ou qui impose une pénalité pour paiement tardif, l'article 161 ne laisse aucun doute quant au montant de la TPS qu'il faut percevoir. Il ressort de l'ECF (paragraphes 5, 6, 7, 8 et 9) que l'appelante a suivi la ligne directrice établie à l'article 161.

 

[7]     Il n'y a aucun différend entre les parties au sujet de l'article 161. L'appelante a suivi les dispositions de l'article 161 lorsqu'elle a établi des factures à l'égard de ses clients et qu'elle a versé la TPS relative à ces factures. Dans l'exemple donné dans l'ECF (paragraphes 5 à 9), l'appelante a établi à l'égard du client une facture de 107 $ le 1er juin et a versé 7 $ de TPS le 31 juillet. Les parties ne s'entendent pas sur l'interprétation et l'application de l'article 181.1 tel qu'il est applicable aux années 1991 et 1992. Comme cet article est au coeur de la présente espèce, j'en traiterai en deux étapes. Tout d'abord, pour donner une idée générale de l'article, j'exclurai la formule qui suit l'alinéa b), car cette formule ne représente qu'un aspect mécanique. J'appliquerai ultérieurement la formule aux faits de la présente espèce.

 

181.1   Lorsqu'un fournisseur effectue au Canada la fourniture taxable, sauf une fourniture détaxée, d'un bien ou d'un service qu'une personne acquiert du fournisseur ou de quelqu'un d'autre et verse à la personne, relativement au bien ou au service, une remise à laquelle le paragraphe 232(3) ne s'applique pas, les présomptions suivantes s'appliquent :

 

a)         s'il est un inscrit au moment de la fourniture, le fournisseur est réputé, aux fins du calcul d'un crédit de taxe sur les intrants, avoir reçu la fourniture taxable d'un service pour utilisation exclusive dans le cadre de son activité commerciale et avoir payé, au moment du versement de la remise et relativement à la fourniture, la taxe égale à la fraction de taxe de la remise;

 

b)         pour l'application de la présente partie, la personne est réputée, si elle est un inscrit qui peut demander un crédit de taxe sur les intrants, ou un remboursement en vertu de la section VI, relativement à l'acquisition, avoir effectué une fourniture taxable et avoir perçu, au moment du versement de la remise, la taxe relative à la fourniture, calculée selon la formule suivante [...]

 

 

[8]     Les avocats des deux parties convenaient que le paragraphe 232(3) ne s'appliquait pas aux opérations de facturation et de perception de l'appelante en raison de l'application de l'article 161. Voir le paragraphe 232(4). Autrement dit, le paragraphe 232(3) ne sera pas un empêchement si l'appelante entre par ailleurs dans le cadre de l'article 181.1. Pour faciliter l'interprétation et la compréhension, je remplacerai les termes « fournisseur » et « personne » par les termes correspondants figurant dans l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF. Ainsi, le « fournisseur » devient l'appelante, et la « personne » devient le client. Utilisant ces nouveaux termes, je reformule comme suit l'alinéa 181.1a), sur lequel l'appelante se fonde.

 

181.1      Lorsque [l'appelante] effectue au Canada la fourniture taxable, sauf une fourniture détaxée, d'un bien ou d'un service [qu'un client] acquiert [de l'appelante] et verse [au client], relativement au bien ou au service, une remise [...], les présomptions suivantes s'appliquent :

 

a)                  si [elle] est un inscrit au moment de la fourniture, [l'appelante] est réputé[e], aux fins du calcul d'un crédit de taxe sur les intrants, avoir reçu la fourniture taxable d'un service [...] et avoir payé, au moment du versement de la remise et relativement à la fourniture, la taxe égale à la fraction de taxe de la remise;

 

b)         [...]

 

 

[9]     Dans cet appel, la véritable question est de savoir si une « remise » a été « versée » au client par l'appelante au sens de l'article 181.1. Avant de me pencher sur l'interprétation de l'article 181.1, je déterminerai l'effet de la règle énoncée à l'alinéa 181.1a) en présumant qu'une telle remise a été versée au client. Durant toute la période pertinente, l'appelante était un inscrit. Donc, en vertu de l'alinéa 181.1a), l'appelante est réputée avoir reçu la fourniture taxable d'un service et avoir payé (au moment du versement de la remise) la taxe égale à « la fraction de taxe de la remise ». La « fraction de taxe » est définie à l'article 123 comme étant de 7/107, et le montant indiqué dans l'ECF comme rabais (soit une remise d'après l'appelante) est de 2,14 $. Donc, « la fraction de taxe de la remise » (si l'argument de l'appelante est accepté) est la suivante :

 

                             7/107      x       2,14 $  =  14 ¢

 

En appliquant la règle de l'alinéa 181.1a) à l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF et en présumant qu'une « remise » a été « versée » au client, aux fins de la détermination d'un crédit de taxe sur les intrants, l'appelante est réputée avoir payé 14 ¢ de taxe. Cela donnerait à l'appelante, en tant qu'inscrit, un crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢.

 

[10]    Je passe maintenant à l'interprétation de l'article 181.1. Une « remise » a‑t‑elle été « versée » au client par l'appelante au sens de cet article? Selon le paragraphe 6 de l'ECF, lorsqu'elle a établi la facture, l'appelante a porté 100 $ au crédit de son compte de ventes et 7 $ au crédit de son compte de TPS à payer. Bien qu'aucune autre observation ne figure dans l'ECF quant aux procédures de tenue de livres ou de comptabilité, je présume que l'appelante a porté 107 $ au débit de ses comptes clients en même temps qu'elle a crédité les deux comptes qui viennent d'être mentionnés. Le principal argument de l'appelante se fondait sur l'interprétation du mot anglais « rebate » (remise), mais j'aurais trouvé utile une description des écritures comptables passées par l'appelante pour enregistrer toute l'opération visée aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF. Par exemple, au paragraphe 7 de l'ECF, lorsque l'appelante a versé les 7 $ de TPS, a‑t‑elle porté 7 $ au débit de son compte de TPS à payer pour compenser l'enregistrement créditeur mentionné au paragraphe 6 de l'ECF?

 

[11]    Au paragraphe 8 de l'ECF, lorsque le client a payé 104,86 $, quelles ont été les écritures comptables? On peut présumer que l'appelante a porté 104,86 $ au débit de son compte bancaire et au crédit de ses comptes clients, mais qu'a‑t‑elle fait du solde débiteur résiduel de 2,14 $ dans ses comptes clients? Lorsque l'appelante a décidé que le paiement de 104,86 $ effectué par le client avant le 10 juillet serait accepté comme règlement intégral de la facture de 107 $, il lui fallait éliminer le solde débiteur de 2,14 $ dans ses comptes clients. On peut présumer que l'appelante a crédité ses comptes clients de 2,14 $, mais qu'a‑t‑elle débité? A‑t‑elle porté 2 $ au débit du compte de ventes pour indiquer que les produits de 100 $ expédiés le 1er juin avaient en fait été vendus 98 $? A‑t‑elle porté 14 ¢ au débit du compte de TPS à payer pour indiquer qu'aucune TPS ne serait perçue sur la réduction de vente de 2 $?

 

[12]    À mon avis, les écritures comptables sont pertinentes, car l'appelante prétend que son cas entre dans le cadre de l'article 181.1 et, d'après la règle énoncée à l'alinéa 181.1a), l'appelante est réputée (au moment du versement de la remise alléguée) avoir reçu une fourniture taxable et avoir payé de la taxe à l'égard de la fourniture. Si l'appelante a porté 14 ¢ au débit de son compte de TPS à payer comme si elle avait payé une taxe de ce montant, alors qu'en fait elle donnait effet à son rabais pour paiement anticipé, la réalité commerciale des écritures comptables correspondrait à la taxe réputée avoir été payée en vertu de l'alinéa 181.1a). De même, si l'appelante a porté 2,14 $ au crédit de son compte client pour enregistrer son acceptation de 104,86 $ comme règlement intégral de la facture de 107 $, on pourrait raisonnablement dire qu'un tel crédit indiqué dans les comptes clients représentait le versement d'une remise, car l'appelante radiait les 2,14 $ et ne s'attendait plus à recevoir cette somme. Dans les circonstances particulières de la présente espèce, je déplore que l'on ne m'ait pas fourni plus de renseignements sur les écritures comptables passées pour enregistrer l'opération visée aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF.

 

[13]    L'avocat de l'appelante soutenait que le mot anglais « rebate » (remise) figurant à l'article 181.1 inclut ce qui est appelé « discount » en anglais (rabais). Le mot « rebate » est un terme ordinaire, non technique, utilisé fréquemment dans des opérations commerciales. Dans l'affaire Chateau Manufacturing Ltd. v. Deputy Minister of National Revenue, (1983) 6 C.E.R. 100, le juge Heald, rendant le jugement pour la Cour d'appel fédérale, disait à la page 102 :

 

            Les termes employés à l'article 21 sont du vocabulaire courant et sont pris dans une acception courante. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait leur donner l'interprétation la plus large qui soit compatible avec le contexte dans lequel il est utilisé.[...] À l'annexe V, rien ne m'indique qu'il faut s'écarter du sens ordinaire des mots décrivant la portée à donner à l'article 21. [...]

 

L'appelante a fourni cinq définitions de dictionnaire du mot « rebate », dont je citerai des définitions figurant dans les trois dictionnaires suivants :

 

The Concise Oxford

Dictionary of Current

English, 9e éd., 1995

1.   [TRADUCTION] Remboursement partiel d'une somme payée.

 

2.   [TRADUCTION] Montant déduit d'une somme devant être payée; rabais.

 

 

ITP Nelson Canadian

Dictionary of the English

Language, 1997

[TRADUCTION] Montant déduit d'un paiement ou restitution d'une partie d'un paiement.

 

 

 

 

Gage Canadian Dictionary, 1997

[TRADUCTION] Restitution d'une partie de la somme payée; remboursement partiel; rabais.

 

[14]    Je suis convaincu sur la foi de ces définitions que le mot anglais « rebate » (remise) peut inclure ce qui est appelé en anglais « discount » (rabais), mais, dans le contexte de l'article 181.1, il s'agit d'une « remise » qui a été « versée » (« paid » dans la version anglaise). Pourrait‑on raisonnablement dire qu'un rabais (« discount ») a été versé (« paid »)? D'après le Concise Oxford Dictionary, « paid » est le participe passé de « pay » et indique normalement un transfert d'argent. Si le client avait réglé le montant intégral de la facture, soit 107 $, et que l'appelante avait ensuite versé la somme de 2,14 $ au client pour donner effet au rabais de 2 p. 100 sur le montant de la facture, on ne contesterait pas le fait que l'appelante a versé une remise au client. Pour ce qui est du paragraphe 5 de l'ECF, ce sont les modalités énoncées dans la facture de l'appelante qui permettent que les deux paiements (montant total de la facture établie par l'appelante à l'égard du client et remise de 2 p. 100 accordée au client par l'appelante) soient fondus en un seul paiement de 98 p. 100 du total de la facture si le client est convaincu que ce paiement unique sera reçu par l'appelante au plus tard le 10e jour du mois suivant.

 

[15]    La mesure législative concernant la TPS est entrée en vigueur le 1er janvier 1991. La TPS, comme son nom l'indique, est une taxe sur le transfert de produits et services. Contrairement à une taxe sur les ventes au détail, il s'agit d'une taxe à la valeur ajoutée qui s'applique à tous les transferts commerciaux de produits et services avant la vente au détail ainsi qu'à l'étape de la vente au détail. La mesure législative prévoit un « crédit de taxe sur les intrants » pour les inscrits afin d'éviter une double taxation. Je considère que les modalités indiquées dans les factures de l'appelante correspondent à la pratique commerciale courante : un rabais de 2 p. 100 est accordé si la facture est réglée au plus tard le 10 du mois suivant, sinon le montant total indiqué sur la facture est dû le dernier jour du mois suivant. Je ne puis imaginer que la mesure législative concernant la TPS, rédigée et promulguée au début des années 90 et applicable à presque toutes les opérations commerciales, était censée faire fi de la pratique commerciale courante ou d'entraver celle‑ci.

 

[16]    Les modalités prévues dans la facture de l'appelante font partie du contrat global entre l'appelante et son client. Si le client payait au moins 98 p. 100 du montant total de la facture au plus tard le 10 du mois suivant, il avait droit aux 2 p. 100 de rabais ou de remise, et l'appelante était obligée de radier les 2 p. 100 restants dans ses livres et registres. Selon l'argument de l'intimée, il faudrait que l'appelante et son client effectuent deux paiements comme ceux qui sont décrits au paragraphe 14 des présents motifs pour que l'appelante puisse dire qu'une « remise » a été « versée » au client au sens de l'article 181.1. Compte tenu des nombreuses factures établies par la seule appelante, la thèse de l'intimée représente une entrave injustifiée à la pratique commerciale courante consistant à fondre deux paiements en un. Si l'on multiplie la politique de facturation de l'appelante par le nombre d'entreprises au Canada ayant une politique de facturation semblable, la thèse de l'intimée est encore plus déraisonnable.

 

[17]    Au paragraphe 7 des présents motifs, j'ai dit que je traiterais de l'article 181.1 en deux étapes et que j'appliquerais ensuite la formule prévue à l'alinéa 181.1b). Voici la règle qui est énoncée à l'alinéa 181.1b), que j'ai modifiée en remplaçant « fournisseur » par « appelante » et « personne » par « client » :

 

b)         [...] le [client] est réput[é], s'il est un inscrit qui peut demander un crédit de taxe sur les intrants [...] relativement à l'acquisition, avoir effectué une fourniture taxable et avoir perçu, au moment du versement de la remise, la taxe relative à la fourniture, calculée selon la formule suivante :

 

                                                A x B/C x D

 

où :

 

A         représente la fraction de taxe,

 

B          le crédit de taxe sur les intrants [...] que [le client] pouvait demander relativement à l'acquisition,

 

C         la taxe payable par [le client] relativement à l'acquisition,

 

D         la remise que [l'appelante] lui a versée.

 

[18]    Bien que l'interprétation de l'alinéa 181.1b) ne m'ait pas été soumise dans l'argumentation, je tenterai d'interpréter la formule telle qu'elle s'applique à l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF, pour en déterminer le résultat.


 

          A       la fraction de taxe est définie à l'article 123 comme étant de 7/107;

          B       le client (en tant qu'inscrit) avait droit à un crédit de taxe sur les intrants de 7 $;

          C       la taxe payable par le client était de 7 $ en vertu de l'article 161;

          D       le montant de la remise était de 2,14 $.

 

D'après mes calculs, la formule prévue à l'alinéa 181.1b) donnerait le résultat suivant :

 

                             7/107   x   7 $/7 $   x   2,14 $ = 14 ¢

 

En vertu de l'alinéa 181.1b), le client est réputé avoir perçu une taxe égale à 14 ¢. Au paragraphe 9 des présents motifs, j'ai appliqué la règle de l'alinéa 181.1a) à l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF et j'ai conclu que l'appelante était réputée avoir payé 14 ¢ de taxe et qu'elle aurait donc un crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢. Si mon interprétation des règles des alinéas 181.1a) et b) est exacte, la taxe réputée avoir été payée par l'appelante (14 ¢) est égale à la taxe réputée avoir été perçue par le client (14 ¢) lorsque l'appelante et le client sont tous les deux des inscrits.

 

[19]    Je suis impatient d'appliquer les règles des alinéas 181.1a) et b) à l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF, car l'intimée soutenait que la demande de l'appelante dans la présente espèce représentait une occasion de réaliser un gain fortuit, aux frais du trésor public. Je ne vois pas en quoi le fait d'accorder le crédit de taxe sur les intrants demandé par l'appelante porterait préjudice à Revenu Canada. Considérons les étapes dans l'ordre :

 

1.       Le 1er juin, l'appelante a expédié des produits et a envoyé une facture d'un montant de 107 $ (100 $ pour les produits plus 7 $ de TPS), offrant un rabais de 2 p. 100 pour paiement anticipé.

2.                 Le 8 juillet, l'appelante a reçu 104,86 $ à l'égard de sa facture de 107 $ et a accepté le montant de 104,86 $ comme règlement intégral donnant effet au rabais de 2 p. 100 pour paiement anticipé.

3.                 Le 31 juillet, l'appelante a versé 7 $ à Revenu Canada à l'égard de sa facture d'un montant de 107 $ envoyée le 1er juin. L'appelante s'est conformée à l'article 161.

4.       En vertu de la règle énoncée à l'alinéa 181.1a), l'appelante est réputée avoir payé 14 ¢ de TPS lorsqu'elle a versé la remise (c.‑à‑d. lorsqu'elle a accordé le rabais de 2,14 $ en acceptant comme règlement intégral le paiement anticipé).

5.       En vertu de la règle énoncée à l'alinéa 181.1b), le client est réputé avoir perçu 14 ¢ de TPS lorsque la remise lui a été versée (c.‑à‑d. lorsque l'appelante lui a accordé le rabais en acceptant le paiement anticipé).

 

Si l'appelante demandait un crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢ par suite du paiement de taxe réputé avoir été fait à l'étape 4 (soit précisément ce que l'appelante demande dans la présente espèce) et si le client versait 14 ¢ de TPS par suite de la perception réputée avoir été faite à l'étape 5, les étapes 4 et 5 représenteraient une opération blanche.

 

[20]    Selon les paragraphes 6, 7 et 8 de l'ECF, l'appelante a porté un montant de 7 $ au crédit de son compte de TPS à payer lorsqu'elle a établi la facture le 1er juin; l'appelante a versé 7 $ de TPS par la suite, soit le 31 juillet. À cette date (31 juillet), l'appelante savait qu'elle avait perçu seulement 6,84 $ de TPS le 8 juillet. L'ECF se fonde sur un exemple hypothétique et non sur une ou plusieurs opérations effectives de l'entreprise de l'appelante, mais je dois accepter les faits dont les parties ont convenu. Si l'appelante a versé 7 $ de TPS sur le montant total indiqué dans la facture comme prix des produits ou services (100 $) conformément à l'article 161 et qu'elle a effectivement reçu du client comme contrepartie des produits ou services un montant (98 $) inférieur au prix total indiqué dans la facture, pourquoi n'aurait-elle pas le crédit de taxe sur les intrants (14 ¢) prévu à l'alinéa 181.1a)? Concernant l'appelante et Revenu Canada, la taxe nette après l'octroi d'un tel crédit de taxe sur les intrants serait de 6,86 $ (7 $ moins 14 ¢), soit exactement 7 p. 100 de la contrepartie (98 $) effectivement payée par le client.

 

[21]    Si l'appelante n'avait pas le crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢ en vertu de l'alinéa 181.1a) après avoir versé 7 $ de taxe sur le prix total d'achat indiqué dans la facture (100 $) conformément à l'article 161 et après avoir reçu du client une somme totale de 104,86 $, le produit de vente net de l'appelante serait de seulement 97,86 $ (104,87 $ moins 7 $), et Revenu Canada conserverait 7 $ de taxe. Loin de réaliser un gain fortuit, l'appelante aurait un produit de vente effectif (97,86 $) représentant un rabais de plus de 2 p. 100 à l'égard du prix des produits ou services indiqué sur la facture, et Revenu Canada aurait comme taxe plus de 7 p. 100 du produit de vente effectif de l'appelante. On aboutirait à ce résultat extraordinaire simplement parce que l'appelante s'est conformée à l'article 161. Si l'appelante avait versé 6,86 $ de taxe le 31 juillet (plutôt que 7 $), elle aurait eu un avantage financier (peut-être un gain fortuit) dans la mesure où elle aurait également obtenu un crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢ en vertu de l'alinéa 181.1a), mais cette supposition n'est pas conforme au paragraphe 7 de l'ECF, qui dit que l'appelante a versé 7 $ de taxe, et je dois accepter les faits dont les parties ont convenu.

 

[22]    Dans l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF, on ne dit pas ce que le client a fait en matière de déclaration de TPS et au sujet des crédits de taxe sur les intrants. Si le client demandait un crédit de taxe sur les intrants de seulement 6,86 $ comme cela semble vraisemblable à l'égard d'un paiement total de 104,86 $ et qu'il était réputé au moment où il a reçu le rabais (la remise) avoir perçu 14 ¢ de taxe en vertu de l'alinéa 181.1b), avec obligation correspondante de versement de TPS, il se retrouverait avec un crédit net de taxe sur les intrants de seulement 6,72 $, ce qui lui serait préjudiciable. Comme aucun fait n'est mentionné dans l'ECF concernant la déclaration de TPS et les crédits de taxe sur les intrants du client, je ne me perdrai pas en conjectures sur la position du client en matière de TPS, alors qu'il me faut appliquer la mesure législative seulement à l'opération de vente de l'appelante. Si l'appelante a perçu et payé de la TPS sur le prix total indiqué sur la facture comme elle était tenue de le faire en vertu de l'article 161 et qu'elle a, à l'égard de la même opération de vente, versé une remise en accordant un rabais au client, je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas droit au crédit de taxe sur les intrants prévu à l'alinéa 181.1a).

 

[23]    L'article 161 fait partie d'une série d'articles (152 à 164.2) qui ont trait à la détermination de la contrepartie. Ces articles sont importants, car les 7 p. 100 de TPS sont basés sur « la valeur de la contrepartie de la fourniture ». Voir le paragraphe 165(1) de la Loi cité au paragraphe 6 des présents motifs. L'article 181.1 fait partie d'une série d'articles (181, 181.1 et 181.2) qui traitent de bons, de remises et de certificats-cadeaux. Les règles énoncées aux alinéas 181.1a) et b) ne s'appliquent qu'au moment où le rabais est accordé (soit au moment de l'acceptation du paiement anticipé donnant lieu au rabais ou à la remise) et, en vertu de ces règles, l'appelante est réputée avoir payé la taxe, et son client est réputé avoir perçu la taxe. Pour l'essentiel, l'article 181.1 permet un redressement de taxe des deux côtés de l'opération de vente.

 

[24]    Le bon sens dit que la taxe doit être redressée si la contrepartie effective est redressée. Ce n'est là que reconnaître la réalité commerciale. Dans l'affaire The Queen v. Bronfman Trust, 87 DTC 5059, le juge en chef Dickson, rendant le jugement pour la majorité, disait à la page 5067 :

 

[...] Si, en appréciant les opérations des contribuables, on a présent à l'esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel, cela aidera peut-être à éviter que l'assujettissement à l'impôt dépende, ce qui serait injuste, de l'habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d'une série d'événements pour créer une illusion de conformité avec les conditions apparentes d'admissibilité à une déduction d'impôt.

 

[25]    Dans l'affaire The Queen v. Sentinel Self-Storage Corporation et al., [1996] 2895 ETC, la principale question était de savoir si la contribuable (Sentinel) aurait dû percevoir et verser de la TPS à l'égard d'un rabais de 10 $ perdu par les locataires qui ne payaient pas à la date d'exigibilité le loyer relatif à des installations d'entreposage libre-service. Rendant le jugement pour la Cour d'appel fédérale, le juge Linden disait :

 

[...] le Parlement a jugé à propos d'exonérer les pénalités pour paiement tardif et les rabais pour paiement rapide à l'égard de la fourniture de «biens meubles corporels ou de services», comme l'indique l'article 161 de la Loi[...].

 

Comme l'article 161 ne s'appliquait pas aux faits de l'affaire Sentinel Self-Storage, l'observation ci‑dessus est une opinion incidente. J'estime que l'article 161 n'est pas une disposition d'exonération. À mon avis, cet article a pour objet d'établir un montant fixe quant à la contrepartie, de manière à ce qu'un fournisseur connaisse la valeur de la contrepartie à l'égard de laquelle il doit percevoir la TPS, qu'il offre un rabais pour paiement anticipé ou qu'il impose une pénalité pour paiement tardif.

 

[26]    Je ne pense pas que l'article 161 exclue la possibilité qu'un redressement de taxe soit effectué en vertu de l'article 181.1 dans des circonstances appropriées. En adaptant les faits relatifs à l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF, considérons la situation suivante :

 

1.       Le 1er juin, un fabricant expédie à son client des produits qu'il lui facture 100 $ plus 7 $ de TPS (7 p. 100), soit un montant total indiqué sur la facture de 107 $, selon les mêmes modalités de paiement que celles qui figurent sur les factures de l'appelante.

 

2.       Le 8 juillet, le client paye le montant total de 107 $ indiqué sur la facture, dans le délai donnant droit à un rabais pour paiement anticipé.

 

3.       Le 31 juillet, le fabricant verse les 7 $ de TPS à Revenu Canada.

 

4.       Le 5 août, le client écrit au fabricant pour lui demander les 2 p. 100 de rabais, le montant total de la facture ayant été payé avant le 10 juillet.

 

5.       Le 20 août, le fabricant envoie au client un chèque de 2,14 $ comme rabais de 2 p. 100 pour paiement anticipé.

 

Dans la situation décrite ci‑dessus, je conclurais qu'une « remise » a été « versée » au client par le fabricant le 20 août, soit la date à laquelle le fabricant a envoyé le chèque de 2,14 $. Je conclurais également que le fabricant avait droit à un crédit de taxe sur les intrants de 14 ¢ en vertu de l'alinéa 181.1a) à l'égard de la taxe qu'il était réputé avoir payé lorsqu'il a versé la remise. Il est indéniable que le fabricant s'est conformé à l'article 161 lorsqu'il a établi la facture d'un montant de 107 $, mais je ne vois pas pourquoi le droit à un crédit de taxe sur les intrants en vertu de l'alinéa 181.1a) devrait lui être refusé du fait qu'il s'est conformé à l'article 161.

 

[27]    Si la situation décrite ci‑dessus est modifiée de sorte que le client paye 98 p. 100 du montant total indiqué sur la facture le 8 juillet, parce qu'il sait qu'il respecte ainsi le délai donnant droit à un rabais pour paiement anticipé, et que le fabricant verse à Revenu Canada le montant intégral de 7 $ de TPS conformément à l'article 161, y a‑t‑il une raison pour que, du simple fait que le fabricant et son client ont fondu deux paiements en un, le fabricant se voie refuser le crédit de taxe sur les intrants prévu à l'alinéa 181.1a)?

 

[28]    J'accueille cet appel et statue que l'appelante a droit aux crédits de taxe sur les intrants de 288 699 $ mentionnés dans les actes de procédure. Décider le contraire ferait que la mesure législative concernant la TPS entraverait indûment la pratique commerciale courante. Cela causerait également à l'appelante des difficultés financières injustes, car (pour reprendre l'exemple donné aux paragraphes 5 à 9 de l'ECF) Revenu Canada recevrait et conserverait 7 $ de taxe à l'égard d'une opération conclue à 98 $, et la taxe excédentaire (14 ¢) proviendrait du produit de vente et ramènerait de 98 $ à 97,86 $ le montant de ce produit. L'appel est accueilli, avec les dépens permis par la loi et les règles de la Cour.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 1999.

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2000.

 

 

 

 

Benoît Charron, réviseur

 

 

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