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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-2698(IT)I

ENTRE :

ROBERT GROSSMAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel fixé le 25 juin et entendu le 27 juin 2002, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions

 

Représentant de l'appelant :                 Me T. Lacara et l'appelant lui-même

 

Avocats de l'intimée :                          Me Joel Oliphant et Me James Gorham

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté.

 

          De consentement avec l’intimée, l’appel de la cotisation d’impôt établie en vertu de la Loi pour l’année d’imposition 1999 est admis et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation puisqu’en calculant son revenu, l’appelant a le droit de réclamer une déduction d’un montant de 13 499,64 $ à titre de contribution à un régime enregistré d’épargne retraite.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juillet 2002.

 

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date: 20020718

Dossier: 2001-2698(IT)I

 

 

 

ENTRE :

 

ROBERT GROSSMAN,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge McArthur, C.C.I.

 

 

[1]     La question en litige consiste à déterminer si l’appelant a le droit de déduire une dépense d’intérêts de 21 225 $ pour son année d’imposition 1998. Le ministre du Revenu national (le «ministre») a refusé la déduction parce qu’il est d’avis que l’argent emprunté n’a pas été utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Voir l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu ( la «Loi»).

 

[2]     L’appelant a eu plusieurs occasions de comparaître accompagné de son avocat ou de son comptable. La Cour lui a consenti une remise à des conditions précises le 27 février 2002. La Cour lui a consenti une remise additionnelle le 25 juin 2002[1]. Étonnamment, il était prêt à procéder seul le 27 juin 2002.

 

[3]     Le ministre est revenu sur sa décision de refuser la déduction d’une contribution de 9 699 $ à un régime enregistré d’épargne retraite pour l’année d’imposition 1999 de l’appelant. Ce dernier a tenté d’établir qu’il a emprunté 275 000 $[2] du Central Guaranty Trust en octobre ou novembre 1992 pour acheter des actions d’une société, la Sterling Recycling Ltd. (la «Sterling») et qu’il a continué à payer des intérêts sur la somme de 275 000 $ jusqu’en 1998. Il a été le seul témoin et s’est représenté seul. Contrairement à la preuve produite par l’appelant, son avis d’appel relate ce qui suit sous l’entête [TRADUCTION] « les faits à la base de nos prétentions » :

 

          [TRADUCTION]

 

5.         Plus particulièrement, l’appelant a emprunté de l’argent de sa marge de crédit à la Banque de Nouvelle-Écosse (A/c No. 4538 xxx xxx 660) en vue de faire un investissement dans les actions ordinaires d’une société privée sous contrôle canadien contrôlée par l’appelant et dont le nom est Sterling Recycling Limited[3].

 

...

 

[4]     Le moment auquel l’appelant a avancé des fonds à la Sterling pour acheter des actions est incertain. Il a affirmé qu’il a procédé à des avances de fonds pour l’achat des actions au compte-gouttes au fil des ans, et ce, depuis l’incorporation de la Sterling en février 1991; toutefois, le certificat d’actions pour la totalité des actions qu’il détient, soit 425 actions, est daté du 18 novembre 1992[4]. La valeur de chaque action a été fixée à 1 000 $US. À titre de preuve de l’achat de ses actions, l’appelant a déposé des pièces en liasse sous la cote A-1, soit une grande quantité de bordereaux de transactions bancaires datées de 1992. Ces bordereaux de transactions semblent indiquer que l’appelant a fait des versements dans le compte bancaire de la Sterling de temps à autre durant l’année 1992, et ce, à compter de janvier. Il est difficile d’interpréter les bordereaux, mais il semble que plus de 60 000 $ ont été déposés par l’appelant dans le compte bancaire de la Sterling durant une période de douze mois; les montants les plus importants semblent être des versements de 9 700 $ et 9 000 $ les 10 et 21 février 1992. Aucune preuve n’a été déposée quant à la provenance de cet argent mis à part les déclarations de l’appelant selon lesquelles il devait s’agir de sommes provenant de la marge de crédit bancaire. L’appelant a affirmé qu’il a emprunté 275 000 $ du Central Guaranty Trust en octobre 1992 et qu’il a utilisé cet argent de même que plus de 300 000 $ de sa propre épargne pour acheter 425 actions ordinaires de Sterling au prix de 1 000 $US par action. Je crois bien qu’en dollars canadiens, le prix excéderait 540 000 $. Il a admis qu’une partie de l’argent investi dans la Sterling provenait de sa famille.

 

[5]     Il n’y a pas de preuve que 275 000 $US et 150 000 $US ont été avancés à la Sterling en octobre ou novembre 1992, ou à aucun autre moment, pour l’achat par l’appelant des 425 actions qui lui ont été émises.

 

[6]     Le 27 avril 2000, l’appelant a fourni par écrit l’explication suivante à l’Agence des douanes et du revenu du Canada («ADRC»)[5] :

 

          [TRADUCTION]

 

Relativement à votre lettre du 27 mars 2000, veuillez noter que j’ai réclamé cette déduction pour intérêts depuis 1992 lorsque j’ai contracté un prêt auprès du Central Guaranty Trust pour acheter des actions de la Sterling Recycling Ltd.. Le montant du prêt à l’origine était de 430 000 $, mais depuis, il a été réduit à environ 300 000 $. Chaque année depuis 1992, j’ai réclamé cette déduction et j’ai produit une déclaration appropriée de l’institution prêteuse pour justifier ma demande.

 

[7]     L’appelant soumet que les transactions qui l’ont emmené à emprunter 275 000 $ pour acheter des actions de la Sterling sont notamment les suivantes :

 

(i)                Le 30 octobre 1992, Audrey Grossman a acheté une maison, leur résidence principale, pour 455 000 $. J’y ferai référence en la nommant la [TRADUCTION] «rue Mountbatten»;                   

(ii)              Le 30 octobre 1992, immédiatement après l’achat, Audrey Grossman a consenti une hypothèque au Central Guaranty Trust pour 420 000 $, cautionnée par l’appelant[6];

(iii)            Le 18 novembre 1992, l’appelant a vendu leur ancienne résidence principale, un condominium, pour 175 000 $;

(iv)            Le 13 septembre 1996, Audrey Grossman a consenti une hypothèque de 280 000 $ sur la rue Mountbatten à la Banque de Nouvelle-Écosse;        

(v)              Le 16 mars 1999, l’hypothèque qui a été consentie au Central Guaranty Trust a fait l’objet d’une quittance[7];

(vi)            Le 26 mai 1999, Audrey Grossman a consenti une hypothèque de 500 000 $ sur la rue Mountbatten à la Banque de Hong Kong du Canada;

(vii)          Le 25 octobre 1999, l’hypothèque qui a été consentie à la Banque de Nouvelle-Écosse a fait l’objet d’une quittance.

 

[8]     Durant les années 1990, la Sterling a vendu des actions à des investisseurs extérieurs afin de se constituer un fond de roulement. L’appelant a affirmé qu’il a acheté la majorité des actions ordinaires de la Sterling au même prix que les autres acquéreurs d’actions. La Sterling a mis fin à ses opérations.

 

[9]     L’intimée soutient que l’appelant n’a pas fait la preuve qu’il a emprunté de l’argent et payé des intérêts en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien conformément à l’alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

Loi

 

[10]    Des extraits de l’alinéa 20(1)c) se lisent comme suit :

 

20(1)    ...sont déductibles [...] celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

...

 

(c)        ...une somme payée au cours de l'année ou payable pour l'année[...] en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur :

 

(i)         de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien [...]

 

Analyse

 

[11]    L’appelant avait le fardeau de prouver qu’il a payé 21 275 $ en intérêts sur un prêt contracté en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Il répond au dernier critère puisque la Sterling est une entreprise ou un bien.

 

[12]    L’appelant fait face à un problème. En effet, il doit prouver qu’il a effectivement payé, avec de l’argent emprunté, 275 000 $ à la Sterling pour des actions ordinaires. Dans l'affaire Singleton c.Canada, [2001] 2 R.C.S. 1046 (2001 D.T.C. 5533) le juge Major a affirmé :

 

Il est maintenant manifeste, à la lumière du raisonnement suivi dans l’arrêt Shell, que la question à trancher est celle de l’utilisation directe de l’argent emprunté. …

 

[13]    Je dois déterminer quel est l’usage direct que l’appelant a fait des fonds qu’il a emprunté avec Audrey au Central Guaranty Trust et pour lesquels la rue Mountbatten a été grevée d’une hypothèque. L’avis d’appel postule que l’appelant a emprunté [TRADUCTION] «de l’argent de sa marge de crédit à la Banque de Nouvelle-Écosse en vue de faire un investissement en actions ordinaires» de la Sterling. Les faits n’étayent pas cette affirmation. Lors de la présentation de sa preuve, l’appelant a affirmé que le produit du prêt hypothécaire de 280 000 $ (de 1996) contracté auprès de la Banque de Nouvelle-Écosse a été utilisé pour payer la marge de crédit du Central Guaranty Trust[8]. La quittance n’a pas été enregistrée avant mars 1999. Durant le procès, l’appelant a soutenu que 275 000 $ des 440 000 $ - 30 Oct/92 du prêt hypothécaire du Central Guaranty Trust ont servi à acquérir des actions de la Sterling. Ces 425 actions avaient un coût d’acquisition de 425 000 $US ou approximativement 540 000 $CAD.

 

[14]    L’usage direct qui a été fait du 275 000 $ doit être déterminé. Rien dans la preuve qui a été présentée ne me permet de conclure que l’appelant a utilisé cet argent pour acheter des actions. Logiquement, il faut conclure qu’Audrey Grossman s’en est servi pour acheter sa nouvelle maison. L’hypothèque de 440 000 $ a été enregistrée immédiatement après l’acte d’achat qu’elle a contracté. Ce dernier a été enregistré sous le numéro 875189 à 16h12, le 30 octobre 1992 et l’hypothèque a été enregistrée sous le numéro 875190 également à 16h12, le 30 octobre 1992.

 

[15]    Il n’y a eu aucune preuve que l’appelant a avancé quelque montant considérable d’argent à la Sterling à cette date ou ultérieurement. L’appelant n’a pas pu expliquer d’où sont provenus les 455 000 $ qui ont permis à Audrey d’acquérir la maison de la rue Mountbatten. Il n’y a aucun lien direct entre l’argent emprunté et un achat d’actions de Sterling. Les documents incitent à conclure que tout l’argent emprunté par Audrey Grossman le 30 octobre 1992 a été utilisé pour acheter la maison.

 

[16]    Les paragraphes, souvent cités, du jugement dans l'affaire La Reine c. Friedberg, C.A.F., no A-65-89, 5 décembre 1991, à la page 3 (92 D.T.C. 6031, à la page 6032) sont tout aussi pertinents pour le présent appel :

 

« En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 D.T.C. 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés.  S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer.  Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise. »

 

[17]    Les documents dictent clairement qu’il faille conclure que le produit de l’argent emprunté au Central Guaranty Trust a été utilisé pour acquérir la maison de la rue Mountbatten, et non pour acheter des actions de la Sterling.

 

[18]    L’appel pour l’année d’imposition 1998 est rejeté, et de consentement avec l’intimée, l’appel pour l’année d’imposition 1999 est admis puisqu’en calculant son revenu, l’appelant a le droit de réclamer une déduction d’un montant de 13 499,64 $ à titre de contribution à un régime enregistré d’épargne retraite.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juillet 2002.

 

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

NUMÉRO DU GREFFE :                            2001-2698(IT)I

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Robert Grossman et

                                                                   Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto, Ontario

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           les 25 et 27 juin  2002

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT RENDU PART : le juge C.H.McArthur

 

 

DATE DU JUGEMENT :                                       le 18 juillet 2002

 

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :                T. Lacara et l’appelant lui-même

 

Représentant de l’intimée :                  Joel Oliphant et James Gorham

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :   

 

Nom :     

              

Cabinet :                    

 

Pour l’intimée :                                   Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                                                   Ottawa, Canada

 

 



[1]           À cette date, j’ai écrit la note suivante sur la couverture du dossier : « le représentant de l’appelant a comparu en retard d’une demi-heure pour demander une remise supplémentaire. Il ne connaissait rien du dossier. Il a déposé une lettre de médecin. J’ai remis sa demande (sa requête) au jeudi 27 juin 2002 – 13 heures, pour qu’il puisse démontrer que l’appelant avait contacté son ancien procureur et reçu la documentation nécessaire pour poursuivre le procès. Si ce n’est pas le cas, je vais accueillir la requête de l’intimée visant le rejet de l’appel. CHMc 25-6-02. »

[2]            Tous les montants sont en dollars canadiens à moins qu’il ne soit spécifié qu’il s’agisse de dollars américains.

[3]           La marge de crédit à la Banque de Nouvelle-Écosse a été créée en septembre 1996 et l’épouse de l’appelant, Audrey Grossman, a consenti une hypothèque à la Banque de Nouvelle-Écosse le 13 septembre 1996. Pièce R-1, onglet 6.

[4]           L’onglet 12 de la pièce R-1 contient le certificat d’actions au nom de l’appelant.

[5]           Pièce R-1, onglet 7.

[6]           Cette hypothèque a été liée, en date du 29 octobre 1992, à une marge de crédit consentie à l’appelant et son épouse par le Central Guaranty Trust.        

[7]           Le Central Guaranty Trust faisait désormais partie de la Banque Toronto-Dominion.

[8]           Il s’agit maintenant de la Banque Toronto-Dominion.

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