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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2002-309(IT)APP

ENTRE :

JOHN GORENKO,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Demande entendue le 27 mai 2002, à Montréal (Québec), par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions

 

Avocat du requérant :                                   Me Consolato Gattuso

 

Avocate de l’intimée :                                   Me Marie-Claude Landry

 

ORDONNANCE

 

          Vu la demande faite en vue d’obtenir une ordonnance prolongeant le délai dans lequel les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 peuvent être interjetés;

 

          Et vu les allégations des parties;

 

Le délai dans lequel les appels peuvent être interjetés est prolongé jusqu’à la date de la présente ordonnance, et l’avis d’appel, annexé à la requête, est réputé être un avis d’appel valide à compter de la même date à la condition que les droits de dépôt applicables soient versés au greffe au plus tard le 15 août 2002, le tout en conformité avec les motifs de l’ordonnance ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2002.

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020716

Dossier: 2002-309(IT)APP

 

 

ENTRE :

JOHN GORENKO,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

 

[1]     Il s’agit d’une demande, fondée sur l’article 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), faite en vue d’obtenir une ordonnance prolongeant le délai dans lequel le requérant peut déposer un avis d’appel relativement à des avis de cotisation datés du 5 octobre 1999, pour les années d’imposition 1989 à 1995, lesquels avis de cotisation ont été ratifiés le 17 septembre 2001.

 

 

[2]     Il est admis que le délai prévu au paragraphe 169(1) de la Loi pour déposer un avis d’appel auprès de la Cour a pris fin le 17 décembre 2001. La demande de prolongation du délai a été déposée le 23 janvier 2002.

 

 

[3]     La question en litige est de savoir si, au cours de la période prévue à l’article 169 de la Loi pour interjeter appel, le contribuable avait véritablement l’intention d’interjeter appel et, si, compte tenu des circonstances de l’affaire, il serait juste et équitable d’accéder à la demande.

 

[4]     Le requérant a témoigné. Il a indiqué que, durant les années visées par l’appel, le groupe de sociétés qu’il dirigeait, Gor‑Can Canada Ltd. (« Gor‑Can ») et Alpha‑Leather Canada Ltd. (« Alpha‑Leather »), faisait l’achat et la vente de matériel provenant de plusieurs pays. À partir de 1970, l’entreprise, qui se spécialisait surtout dans la vente de chaussures, s’est diversifiée pour inclure la vente de vêtements, d’articles de cuir et de produits automobiles et industriels. Aux dires du requérant, le groupe de sociétés possédait de vastes entrepôts de marchandises dont la valeur dépassait en tout temps les cinq millions de dollars, et, chaque semaine, il recevait la visite des agents des douanes qui venaient vérifier l’inventaire. En 1993, les sociétés ont fait l’objet de nouvelles cotisations. M. Gorenko a affirmé qu’après être arrivé, selon lui, à une entente avec les vérificateurs, les agents d’enquête spéciaux sont arrivés et ont saisi tous les documents. Une action a été intentée contre lui devant le tribunal criminel. Son fiscaliste lui a conseillé de consulter un criminaliste et une trentaine de boîtes de documents ont été transférées à Me Vincent Rose.

 

 

[5]     En avril ou en mai 2001, M. Gorenko a reçu un avis de ratification des nouvelles cotisations établies à l’égard des sociétés et il les a transmis à Me Rose. En septembre 2001, il a reçu un avis de ratification des nouvelles cotisations établies à son égard, qu’il a également transmis à Me Rose. C’est de ces nouvelles cotisations qu’il est interjeté appel en l’espèce.

 

 

[6]     M. Gorenko a déclaré que Me Rose lui avait dit qu’il allait demander à l’un des avocats de son cabinet, qui s’y connaissait un peu plus en droit fiscal, de se pencher sur son dossier. Il s’agissait de l’avocat qui s’était occupé du dépôt des avis d’appel des cotisations établies à l’égard des sociétés. M. Gorenko a rencontré tous les mois son avocat pour discuter des questions fiscales et il a obtenu l’assurance que le cabinet s’occupait de tout. Or, il a appris de la bouche de son avocat en janvier 2002 que, peut‑être, il y avait eu un oubli.

 

 

[7]     M. Gorenko a affirmé qu’il avait confiance en ses avocats. Il a insisté sur le fait que c’était une affaire très importante dans laquelle la totalité de sa fortune et celle de son épouse étaient en jeu.

 

 

[8]     Me Vincent Rose a témoigné. Il est membre en règle du barreau du Québec depuis 1984. Son domaine de spécialité est comme avocat de la défense dans des affaires criminelles. M. Gorenko s’est adressé à lui sur la recommandation d’un collègue fiscaliste en mai 2001. Son mandat consistait expressément à défendre l’affaire qui se trouvait devant la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec. Il a un mandat écrit de M. Gorenko, qui l’habilite expressément à le représenter dans cette affaire. Peu de temps après, M. Gorenko est venu lui porter les avis de ratification se rapportant à ses sociétés, Alpha‑Leather et Gore‑Can. Il a confié les dossiers se rapportant à ces affaires à l’un des avocats du cabinet, Me Barbacki, et les avis d’appel ont été déposés dans le délai prescrit. M. Gorenko est venu lui apporter d’autres avis de ratification, qui le concernaient cette fois personnellement. On devait alors être à la fin de septembre 2001. Me Rose a déclaré qu’il avait procédé exactement de la même manière que dans le cas des deux sociétés. Il a rencontré Me Barbacki et lui a délégué la tâche, à la fin de septembre, de déposer les avis d’appel. Me Barbacki est un ancien substitut du Procureur général qui est maintenant en pratique privée. Il s’est joint aux autres avocats du cabinet il y a trois ans environ à titre d’associé de complaisance.

 

 

[9]     Me Barbacki est venu le voir à la mi‑octobre et lui a proposé d’organiser une rencontre avec le client car il avait besoin d’un complément d’information pour préparer l’avis d’appel dans l’affaire concernant personnellement M. Gorenko.

 

 

[10]    Me Rose a précisé que, durant ces mois–là, il a eu des rencontres avec M. Gorenko, mais que leurs discussions ont porté principalement sur la poursuite de nature criminelle, pour laquelle il lui fallait dépouiller 30 boîtes de documents, et qui accaparait une bonne partie de son temps. Un certain nombre de rencontres ont été annulées parce qu’il était retenu devant le tribunal. Une chose en a entraîné une autre et c’est ainsi que, par malchance, l’affaire est passée entre les mailles du filet pour une raison ou pour un autre.

 

 

[11]    En janvier, son adjoint, qui s’occupait du dossier principal avec lui et qui est fiscaliste, l’a informé que l’avis d’appel de M. Gorenko n’avait pas été déposé dans le délai prévu. Me Rose a déclaré qu’il avait été stupéfait d’apprendre cela. Deux jours après que le problème eut été mis au jour, on a déposé un avis d’appel et une demande de prolongation du délai.

 

 

[12]    Me Barbacki a témoigné. Il est membre du barreau du Québec depuis 1976. Il loue un bureau dans le cabinet de Elfassy, Rose. Au début de juin 2001, Me Rose lui a demandé de s’occuper de deux avis de ratification de cotisation se rapportant à des appels interjetés par deux sociétés, Alpha‑Leather et Gor‑Can Canada. Le délai pour déposer ces appels était le 2 ou le 3  juillet. Me Barbacki est un criminaliste, pas un fiscaliste. La veille de l’expiration du délai, il a déposé un appel pro forma, pour reprendre ses termes, sans y inclure les arguments de fond, lesquels, à ce qu’il lui semble, ont dès lors été déposés le dernier jour. Vers la fin de septembre, Me Rose lui a confié un troisième appel, qui concernait personnellement M. Gorenko. Il a examiné les avis de ratification et a constaté qu’ils ne lui fournissaient pas suffisamment de renseignements pour permettre la préparation d’un avis d’appel. Il a donc informé Me Rose, au cours du mois d’octobre, qu’il n’était pas en mesure d’accomplir le genre de travail qu’il avait accompli dans le cas des deux premiers appels parce qu’il n’avait tout simplement pas assez de renseignements sur l’objet de l’appel. On a donc convenu de communiquer avec le client pour obtenir les renseignements nécessaires au dépôt de l’appel avant l’expiration du délai, qui prenait fin, croyait‑il, vers la fin de décembre 2001. Or, il n’a jamais rencontré M. Gorenko.

 

 

[13]    L’avocat du requérant a fait valoir que le requérant avait agi avec diligence raisonnable, de même que Me Rose et Me Barbacki, et que, dès l’instant où l’adjoint de Me Rose avait découvert que l’avis d’appel n’avait pas été déposé dans le délai prévu, on avait fait le nécessaire pour corriger la situation. Il a déclaré que la preuve montrait que le requérant avait apporté l’avis de ratification à son avocat, Me Rose, dès sa réception. Me Rose était très pris par ses dossiers criminels, en particulier un dossier volumineux concernant M. Gorenko dont la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec avait été saisie, de sorte qu’il a confié l’affaire à un avocat qui louait un bureau dans les locaux du cabinet. Il se peut qu’un malentendu entre les avocats soit à l’origine du non‑respect du délai établi, mais il n’y a pas eu de négligence de la part de l’un ou de l’autre.

 

 

[14]    L’avocate de l’intimée a fondé sa plaidoirie sur le comportement de Me Barbacki. Il y a eu négligence de sa part en ce qui concerne le traitement du dossier qui lui avait été confié. Elle m’a renvoyée à la décision que j’ai rendue dans l’affaire Di Modica c. Canada, [2001] A.C.I. no 620 (Q.L.), au paragraphe 16 :

 

[16]      Je suis d'avis que l'erreur de l'avocat peut être un motif juste et équitable d'accorder une prolongation du délai si l'avocat a par ailleurs exercé la diligence normale d'un avocat. Je ne crois pas que l'état du droit soit tel que la négligence ou le laxisme de l'avocat puissent être des motifs justes et équitables au sens de l'alinéa 166.2(5)b)(ii) de la Loi pour accorder la prolongation demandée.

 

[15]    L’avocat du requérant a répondu que c’est Me Rose qui était l’avocat de M. Gorenko et non pas Me Barbacki. Me Rose était le client de Me Barbacki.

 

Conclusion

 

[16]    La preuve a établi que le requérant avait donné instruction à son avocat, à temps, de déposer un avis d’appel et que Me Rose avait agi avec raisonnablement de diligence. Il n’avait pas le temps de déposer l’avis d’appel lui‑même et il a dès lors demandé à un collègue de le faire à sa place.

 

 

[17]    Cet avocat s’était vu confier la responsabilité de déposer l’appel dans le délai prévu. Il était au courant de ce délai. Il a déposé les appels des sociétés dans le délai imparti, même s’il l’a fait dans les derniers jours, selon son témoignage. J’accepte qu’il puisse y avoir eu un malentendu entre les avocats, ainsi qu’ils l’ont donné à entendre, et que cela puisse être la cause du retard.

 

 

[18]    J’accorde de l’importance en l’espèce au fait que l’avocat du requérant a confirmé que son client avait agi à temps et que les avocats ont témoigné pour expliquer l’oubli. J’accorde aussi de l’importance au fait que, dès l’instant où Me Rose et son adjoint ont découvert qu’il y avait eu oubli, on a fait le nécessaire pour déposer la demande de prolongation du délai en y joignant un projet d’avis d’appel.

 

 

[19]    Bien que l’affaire en l’instance ne soit pas aussi simple qu’elle devrait l’être, et il est rare que ce genre d’affaire le soit, compte tenu du fait que M. Gorenko et Me Rose ont agi avec raisonnablement de diligence dans l’exercice de leurs droits et obligations, j’accorde une prolongation du délai prévu pour déposer un appel.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2002.

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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