Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-290(IT)G

 

ENTRE :

 

SHIRLEY PROSSER,

 

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

Appels entendus le 22 mars 2001, à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge M. A. Mogan

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :               Me J. Alden Christian

Avocats de l'intimée :                Me Roger Leclaire et Me Carole Benoit

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que le revenu de
l'appelante pour les années en question provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2002.

 

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'août 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20020910

Dossier : 2000-290(IT)G

 

 

ENTRE :

 

SHIRLEY PROSSER,

 

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Mogan, C.C.I.

 

[1]     L'appelante se décrit comme étant une personne qui exploite une ferme d'élevage de chevaux. Dans ses déclarations de revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, elle a indiqué des pertes agricoles de 192 963 $, de 169 926 $ et de 80 692 $ respectivement. Elle a déduit de son revenu provenant d'autres sources le montant total de ces pertes agricoles et a indiqué un revenu net pour chaque année. En établissant les cotisations d'impôt pour ces trois années, le ministre du Revenu national a refusé la déduction des pertes agricoles susmentionnées et n'a permis la déduction que d'un montant de 8 750 $ pour chaque année en vertu des dispositions de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le montant de 8 750 $ est appelé la « perte agricole restreinte ». L'appelante a interjeté appel à l'encontre de ces trois cotisations en faisant valoir que son revenu pour chaque année provenait principalement de l'élevage de chevaux ou d'une combinaison de l'élevage de chevaux et de quelque autre source. Les seules années pour lesquelles elle a interjeté appel sont 1995, 1996 et 1997.

 

[2]     Dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, la Cour suprême du Canada a examiné l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (c'est‑à‑dire l'article 13 de l'ancienne loi). S'exprimant pour l'ensemble de la Cour, le juge Dickson (titre qu'il portait alors) a décrit trois catégories d'agriculteurs, aux pages 487 et 488. L'agriculteur de la troisième catégorie, pour qui l'agriculture est un passe‑temps, ne peut déduire aucun montant au titre de pertes agricoles. L'agriculteur de la deuxième catégorie, pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire, ne peut déduire qu'une perte agricole restreinte. Le ministre considère l'appelante comme étant une personne pour qui l'exploitation d'une ferme n'est qu'une entreprise secondaire. L'agriculteur de la première catégorie peut déduire la totalité des pertes agricoles; il est exempté des limites imposées par l'article 31. En permettant à l'appelante de déduire la perte agricole restreinte de 8 750 $ pour chaque année, le ministre a reconnu que, pour l'appelante, l'exploitation d'une ferme est une entreprise et non un passe‑temps. Le seul point litigieux en l'espèce tient à ce que l'on appelle souvent la question de la « principale source de revenu ». L'appelante soutient que l'agriculture est sa principale source de revenu.

 

Les faits

 

[3]     L'appelante a toujours été liée au monde des chevaux. Elle a commencé à faire de l'équitation quand elle avait trois ans. En 1951, alors qu'elle n'avait que 15 ans, elle a été la première femme à représenter le Canada à des concours internationaux de saut d'obstacles. De 1951 à 1954, elle s'est classée parmi les trois meilleures cavalières au monde. Par suite de ses réalisations lors de concours internationaux d'équitation et de saut d'obstacles, elle a été nommée athlète féminine canadienne de l'année en 1953, alors qu'elle n'avait que 17 ans. Elle était chanceuse en ce sens que son père était propriétaire exploitant d'une entreprise prospère, qu'il avait des chevaux et qu'il voulait qu'elle ait l'expérience des concours d'équitation et de saut d'obstacles.

 

[4]     La ferme familiale qui appartenait au père de l'appelante occupait plus de 300 acres près de Westport (Ontario), à environ 100 kilomètres (60 milles) à l'ouest d'Ottawa, dans le canton de Rideau Lakes. Après sa carrière dans le domaine de l'équitation, l'appelante a exploité une marina à Alexandria Bay pour son père. Lorsque celui‑ci a vendu la marina, elle est allée travailler pour ses parents à la ferme familiale, s'occupant de faire l'élevage de chevaux, de les faire courir et de les vendre. Son père est mort en 1984. Au décès de son père, la ferme appartenait à Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. (la « société »), qui exploitait l'entreprise du père de l'appelante. Les exécuteurs testamentaires du père de l'appelante ont décidé de dissocier la ferme de la société. Les éléments d'actif de la ferme, sauf la terre et les bâtiments, ont été vendus à la mère de l'appelante le 1er juillet 1985, à leur juste valeur marchande. L'acte de vente — pièce A‑17 — présente ces éléments d'actif dans trois catégories, à savoir :

 

            [TRADUCTION]

 

Annexe A

Véhicules et remorques

55 000 $

Annexe B

Tracteurs, chariots, équipement, etc.

36 000 $

Annexe C

62 chevaux précisés

1 131 000 $

 

[5]     Du vivant du père de l'appelante, la ferme était exploitée sous la raison sociale « Box Arrow Farm ». La mère de l'appelante en a poursuivi l'exploitation, et l'appelante exploite encore la même ferme sous la même raison sociale. Lorsque, le 1er juillet 1985, la mère de l'appelante a acheté les éléments d'actif de la ferme, elle a, le même jour, signé un bail (pièce A‑18) en vertu duquel la société lui louait à vie les terres et les bâtiments de la ferme, pour 2 200 $ par mois. Lorsque la mère de l'appelante n'a plus été capable de gérer la ferme, elle en a fait don à l'appelante en date du 1er janvier 1991. Tous les éléments d'actif énumérés dans l'acte de vente (pièce A‑17) ont, par voie de donation, été transférés par la mère à l'appelante, et la mère a signé une cession officielle de bail (pièce A‑19) en faveur de l'appelante relativement aux terres et bâtiments de la ferme. L'appelante est propriétaire exploitante de « Box Arrow Farm » depuis le 1er janvier 1991.

 

[6]     Durant toute la période pertinente, l'appelante habitait à la ferme à longueur d'année, si ce n'est que, chaque hiver, elle partait pour un mois en Floride avec sa mère, qui allait avoir 100 ans en 2001. L'appelante habite encore à la ferme. Elle occupe un logement autonome situé au‑dessus du manège, un bâtiment qui permet d'entraîner les chevaux à l'intérieur quand il ne fait pas beau. Dans les années pour lesquelles il a été interjeté appel, la principale entreprise agricole consistait à faire l'élevage de chevaux, dont certains pour la vente et d'autres pour les courses. En outre, un revenu important provenait de la prise en pension de chevaux appartenant à d'autres personnes. De 1991 jusqu'à l'an 2000, l'appelante a également élevé quelques vaches à la « Box Arrow Farm ». L'appelante essaie de cultiver tout son propre foin, mais elle ne cultive pas de céréales parce que, d'après son expérience, les céréales cultivées dans l'Ouest canadien sont meilleures pour les chevaux.

 

[7]     Lorsque, en janvier 1991, l'appelante a commencé à exploiter la ferme devenue sa propre entreprise, elle s'est rendu compte que la valeur des chevaux à titre d'éléments d'inventaire était très surévaluée et que les registres financiers de la ferme étaient, a‑t‑elle dit, dans un état épouvantable. Son père (jusqu'en 1984) et sa mère (de janvier 1985 jusqu'en 1990) n'avaient jamais réduit la valeur comptable des chevaux à mesure que ceux‑ci vieillissaient, même dans le cas des juments poulinières. L'appelante voulait que « Box Arrow Farm » soit rentable et elle a donc fait des changements. Elle a vendu de nombreux chevaux à des prix inférieurs à la valeur comptable et elle a absorbé la perte comme si cela s'était produit pendant qu'elle était propriétaire. Elle a réduit le personnel. Elle a essayé de cultiver une plus grande partie de la pâture destinée à l'alimentation des chevaux et des bovins. Elle a engagé un aide‑comptable afin d'avoir de meilleurs registres financiers à la ferme. Malgré ses efforts, « Box Arrow Farm » a continué d'être déficitaire de 1991 à 1999 inclusivement.

 

[8]     On a demandé à l'appelante de décrire comment se déroulait habituellement une journée à sa ferme. Elle se levait à 5 heures pour nourrir les animaux. Elle les nourrissait elle‑même avant que les membres de son personnel (deux hommes) arrivent et entreprennent de conduire les animaux à l'extérieur. Elle s'occupait alors avec eux de sortir les animaux de l'étable. Ils apportaient ensuite un tracteur et un épandeur de fumier dans l'étable. Jusqu'en 1999 (c'est‑à‑dire jusqu'à l'âge de 63 ans), l'appelante s'occupait avec les hommes de nettoyer 20, 30 ou 40 stalles, selon le nombre de chevaux qu'elle avait à un moment donné. Pour nettoyer les stalles, on utilisait des fourches et des seaux à fumier; on remplissait les seaux, que l'on vidait ensuite dans l'épandeur; quand celui‑ci était plein, on le remorquait jusqu'à l'extérieur de l'étable. Une fois les stalles nettoyées, on remettait de la paille fraîche pour le soir.

 

[9]     Nourrir les animaux, nettoyer les stalles, ainsi que l'étable, et épandre le fumier prenaient le plus gros de la matinée. Au cours de l'après‑midi, l'appelante passait un certain temps à s'occuper de ses livres généalogiques, car elle faisait l'élevage de chevaux pur‑sang destinés à la vente, et il fallait qu'elle tienne à jour les différents pedigrees. De plus, elle s'occupait des harnais, ou des jambes des chevaux, ou des registres financiers de la ferme. Les harnais sont l'équipement du cheval : la bride, les rênes, la selle, les couvertures, et ainsi de suite. Les soins relatifs aux jambes des chevaux représentent une tâche particulière. L'appelante et les deux hommes travaillant à sa ferme examinent les chevaux tous les jours pour voir si de la chaleur se dégage des jambes. Si un cheval a de la fièvre, l'appelante et ses employés se servent d'un moulin à café pour moudre des pilules à donner au cheval. Pendant la fenaison, ils s'occupent de couper le foin lorsque le temps s'y prête, ils le laissent sécher, ils le mettent en balles, puis ils le transportent dans la grange.

 

[10]    À la fin de l'après‑midi, il faut rassembler les chevaux et les faire rentrer, ce qui peut prendre jusqu'à une heure, selon le nombre de chevaux dont l'appelante doit s'occuper au cours d'une journée donnée. En été, quand elle a des juments et des poulains, et s'il n'y a pas trop de moustiques, l'appelante se rend à l'étable vers 22 h 30 et fait sortir les juments et les poulains pour qu'ils passent la nuit dehors. En hiver, quand les juments mettent bas, l'appelante se sert d'un système de télévision en circuit fermé pour surveiller les juments; ce système comporte trois caméras, ainsi que trois écrans qui se trouvent dans la chambre à coucher de l'appelante. Chaque jument pleine porte un « avertisseur ». L'appelante elle‑même aide chaque jument à mettre bas.

 

[11]    Pendant la fenaison, l'appelante conduit le tracteur qui tire la faucheuse. Elle fauche jusqu'à huit acres par jour. Elle conduit parfois le tracteur qui tire l'épandeur de fumier. De plus, elle conduit souvent le camion qui tire un fourgon servant au transport de chevaux. Elle a déclaré qu'il n'y avait sur la ferme aucun équipement qu'elle ne sache pas utiliser. Quand un yearling arrive à un certain âge, l'appelante doit commencer à le préparer à la vente : elle l'installe dans l'étable; elle le lave et le soigne; elle le fait aller au pas; elle veille à ce qu'il soit en forme; enfin, environ trois semaines avant la date de la vente, elle le livre à une agente de Toronto. L'agente s'en occupe et le montre aux acheteurs potentiels.

 

[12]    La plupart du temps, l'appelante transporte elle‑même les chevaux, dans un fourgon attaché à sa camionnette. Elle a transporté des chevaux jusqu'au Kentucky et jusqu'en Floride, principalement pour fins de reproduction.

 

[13]    L'appelante est une agricultrice active qui habite à « Box Arrow Farm » à longueur d'année. Elle ne prend pas de vacances régulièrement, sauf lorsqu'elle emmène sa vieille mère en Floride pour un mois en hiver. Elle est à la ferme sept jours sur sept, à moins qu'elle ne soit en train de transporter des chevaux — dans un fourgon attaché à sa camionnette — pour fins de vente ou de reproduction. Dans les années pour lesquelles il est interjeté appel (1995, 1996 et 1997), elle s'est occupée activement de nourrir et de soigner les chevaux, de nettoyer les stalles et d'aider les juments à mettre bas. Elle n'a terminé que sa dixième année, probablement parce qu'elle a tellement participé à des concours d'équitation et de saut d'obstacles quand elle était adolescente. Elle a témoigné que sa principale occupation est l'agriculture, parce que c'est ce qu'elle connaît et qu'elle fait le mieux (transcription, page 119).

 

[14]    La pièce A‑20 est un tableau indiquant les sources de revenu de l'appelante pour la période allant de 1987 à 1999, mais je m'intéresse principalement aux années pour lesquelles il a été interjeté appel. La pièce A‑21 renferme des extraits des états financiers de « Box Arrow Farm » pour les années de 1991 à 2000. Dans le tableau figurant ci‑après, j'ai résumé les montants pertinents à partir des pièces A‑20 et A‑21 pour les années de 1994 à 1999, c'est‑à‑dire pour la période de trois ans considérée en l'espèce (1995, 1996 et 1997), pour l'année précédente (1994) et pour les deux années suivantes (1998 et 1999). Ce tableau montre que, pour chaque année, le revenu total de l'appelante provenant de toutes sources dépasse la perte de l'appelante provenant de l'élevage de chevaux. L'appelante a expliqué au cours de son témoignage qu'elle n'avait pas emprunté pour faire face aux pertes agricoles et qu'elle avait plutôt injecté de l'argent provenant de son revenu de placements dans « Box Arrow Farm ». Elle avait reçu des placements importants de son père (ou de la succession de ce dernier) et a donc un revenu élevé de placements, sous forme de dividendes et d'intérêts. Elle s'y connaît très peu en finances et laisse donc tous ses placements entre les mains de conseillers financiers professionnels.

 

 

1994

1995

1996

1997

1998

1999

 

Gains selon T4

      58 493 $

      57 673 $

      27 580 $

--

--

--

Autre revenu

--

      10 046

      15 156

           360

        1 210

      12 250

REÉR

--

--

        2 000

--

--

--

Dividendes

      37 579

      48 302

      52 472

      53 084

      37 293

      54 975

Intérêts

    118 987

    114 520

    111 717

    116 127

    145 508

    128 459

Gains en capital imposables

 

      13 290

 

        2 129

 

        5 996

 

      17 724

 

      29 453

 

      32 602

Revenu non agricole

 

    228 349

 

    232 670

 

    214 921

 

    187 295

 

    213 464

 

    228 286

 

 

« BOX ARROW FARM »

 

Ventes

    246 270

    310 461

    354 589

    263 311

    250 231

    281 006

Marge brute

      88 422

      94 229

    107 804

    146 659

    178 711

    214 123

Autre revenu

 

 

 

 

 

 

Prise en pension

      22 434

      17 436

      16 746

      25 632

      37 993

      31 277

Frais de saillie

      16 455

        2 298

--

           853

        6 066

      11 535

Gains aux courses

    132 304

    106 477

      18 676

        3 500

        4 716

      23 043

Intérêts, etc.

        5 718

           742

           458

        1 478

        1 018

        1 995

 

Revenu total

 

    265 333

 

    221 182

 

    143 684

 

    178 122

 

    228 504

 

    281 973

 

Frais d'exploitation

 

    338 721

 

    414 263

 

    338 849

 

    268 968

 

 

    282 539

 

    296 783

Profit (perte)

   (73 388)

(193 081)

(195 165)

   (90 846)

   (54 035)

   (14 810)

 

Analyse

 

[15]    Le seul point litigieux en l'espèce est de savoir si l'appelante peut, dans le calcul de son revenu, déduire le montant total des pertes subies par « Box Arrow Farm ». L'intimée ne conteste pas le montant des pertes et ne conteste pas non plus le fait que « Box Arrow Farm » est une entreprise. Le point litigieux tient à l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu :

 

31(1) Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, pour l'application des articles 3 et 111, ses pertes pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants :

 

a) […]

 

Les alinéas a) et b) du paragraphe 31(1) prévoient une formule qui détermine le montant maximal de la perte agricole réputée avoir été subie (la « perte agricole restreinte ») lorsque la condition spécifiée au paragraphe 31(1) est remplie. Il n'est pas nécessaire d'énoncer le libellé des alinéas a) et b), car les parties reconnaissent que, si la condition spécifiée au paragraphe 31(1) est remplie, la perte agricole réputée avoir été subie par l'appelante sera de 8 750 $ pour chaque année. Voici, pour chaque année faisant l'objet d'un appel, la perte agricole qui a été déclarée par l'appelante et la perte agricole qui a été admise par le ministre :

 

 

1995

1996

1997

 

Perte agricole selon l'appelante

   193 081 $

   195 165 $

     90 846 $

Perte agricole selon l'intimée

       8 750 $

       8 750 $

       8 750 $

 

[16]    L'appelante soutient que, dans les années auxquelles se rapportent les présents appels, son revenu provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. Si l'appelante a gain de cause à cet égard, la perte agricole restreinte déterminée selon la formule prévue au paragraphe 31(1) ne s'appliquera pas à l'appelante et celle‑ci sera autorisée à déduire le montant total des pertes agricoles qu'elle a déclarées. La question de la « principale source de revenu » visée à l'article 31 a fait l'objet de nombreux litiges et, au cours des 15 dernières années, la Cour d'appel fédérale a rendu une série de jugements importants sur l'interprétation et l'application de l'article 31.

 

[17]    Dans l'arrêt Morrissey c. Canada, [1989] 2 C.F. 418, 89 D.T.C. 5080, le juge Mahoney, s'exprimant pour la majorité, a déclaré à la page 429 (D.T.C. : à la page 5084) :

 

L'arrêt Moldowan laisse entendre qu'un certain nombre de facteurs peuvent être pris en considération, mais en l'espèce, trois seulement nous intéressent : le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité. En qualifiant le test de relatif et en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une simple question de proportion, l'arrêt Moldowan montre que les trois facteurs doivent être soupesés. Avec déférence, il n'exige pas seulement que l'agriculture soit la préoccupation majeure du contribuable en ce qui concerne le temps et les capitaux disponibles.

 

Dans l'affaire Morrissey, la Cour d'appel fédérale a, par une décision majoritaire, conclu que les trois facteurs — à savoir i) le temps consacré, ii) les capitaux engagés, iii) la rentabilité — doivent être considérés de concert, sans les dissocier. La conclusion énoncée dans l'arrêt Morrissey a été explicitement ou implicitement confirmée par les décisions que la Cour d'appel fédérale a subséquemment rendues dans les affaires La Reine c. Roney, C.A.F., no A‑1086‑88, 11 mars 1991, 91 D.T.C. 5148, La Reine c. Poirier, C.A.F., no A‑132‑86, 25 mars 1992, 92 D.T.C. 6335, La Reine c. Timpson, C.A.F., no A‑405‑87, 17 juin 1993, 93 D.T.C. 5281, et Canada c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513, 97 D.T.C. 5499 (C.A.F.).

 

[18]    Dans l'affaire Donnelly, le juge Robertson, s'exprimant pour la Cour, a parlé de contribuables « qui gagnent leur revenu à la ville et le perdent à la campagne ». Le juge Robertson parlait de contribuables qui habitent dans une ville, où ils exercent une activité commerciale ou professionnelle, et qui ont une ferme hors de la ville. Au cours de la période pertinente, l'appelante en l'espèce n'a jamais habité dans une ville ou une agglomération urbaine. À toutes fins pratiques, elle a toujours habité à la « Box Arrow Farm » et, depuis le 1er janvier 1991, elle est le seul propriétaire de cette exploitation agricole (en excluant la terre et les bâtiments). Dans l'arrêt Donnelly, le juge Robertson a déclaré au paragraphe 8 (D.T.C. : à la page 5500) :

 

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. […]

 

Dans le passage précité, les termes « cette source de revenu » désignent l'agriculture. Dans le cas de la plupart des décisions de la Cour d'appel fédérale concernant la question de la principale source de revenu en vertu de l'article 31, le contribuable exerçait une seconde activité autre que l'agriculture. Dans l'affaire Donnelly, par exemple, le contribuable était un médecin. En l'espèce, toutefois, l'appelante n'a pas de source de revenu autre que l'élevage de chevaux. Je me propose de considérer de concert les trois facteurs que la Cour d'appel fédérale a entérinés de nombreuses fois comme étant les facteurs importants dans les affaires relatives à la « principale source de revenu » : le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité.

 

[19]    L'appelante consacre tout son temps à « Box Arrow Farm ». Elle n'avait pas d'autre occupation au cours de la période allant de 1991 à 2000. Les « gains selon T4 » indiqués dans la pièce A‑20 sont des sommes qui lui ont été versées par la société — après le décès de son père, survenu en 1984 — en partie comme jetons de présence pour sa charge d'administrateur et en partie comme forme d'égalisation du revenu au sein de sa famille. Ces « gains selon T4 » ont pris fin en 1996, lorsque la société a cessé ses activités commerciales. Quoi qu'il en soit, l'appelante n'a pas fourni de services personnels relativement à ces « gains selon T4 ». Elle est un agriculteur à temps plein dans tous les sens du mot. Elle nourrit les chevaux. Elle a aidé au nettoyage des stalles jusqu'en 1998, c'est‑à‑dire jusqu'à l'âge de 62 ans. Elle transporte les chevaux pour fins de reproduction et de vente. Elle administre des médicaments quand les chevaux sont malades. Elle surveille les juments pleines, à l'aide d'un système de télévision en circuit fermé, puis elle les aide à mettre bas en agissant comme sage‑femme.

 

[20]    Pour ce qui est du « temps consacré », l'appelante n'a aucune autre occupation et aucun passe‑temps qui entre en concurrence avec le temps qu'elle consacre à l'entreprise de « Box Arrow Farm ». Du point de vue de ce facteur, on distingue facilement l'appelante du contribuable dans l'affaire Morrissey (qui était employé six à sept mois par année comme ingénieur en chef à bord d'un navire naviguant sur les Grands Lacs), ou du contribuable dans l'affaire Roney (le président et seul actionnaire d'une grande entreprise de surveillance ayant plus de 400 employés à temps plein et à temps partiel), ou du contribuable dans l'affaire Donnelly (un médecin). La conduite de l'appelante prouve qu'elle se consacrait à sa ferme (élevage et entraînement de chevaux, qu'elle vendait ou faisait participer à des courses). Avec un système de télévision en circuit fermé comportant trois caméras dans les stalles et des écrans dans sa chambre à coucher, l'appelante surveille les juments pleines. Elle aide chacune de ces juments à mettre bas. Encore maintenant, elle nourrit les chevaux et les transporte pour fins de reproduction et de vente. Le critère du temps consacré indique que l'agriculture est la principale source de revenu de l'appelante.

 

[21]    En ce qui a trait aux « capitaux investis », il est évident que l'appelante a investi des sommes importantes dans « Box Arrow Farm » pour couvrir, du moins en partie, les pertes subies par la ferme. En outre, l'appelante a des placements importants, qu'elle a hérités de son père. La pièce A‑20 montre que son revenu de placements sous forme de dividendes et d'intérêts pour chacune des trois années auxquelles se rapportent les appels n'a jamais été de moins de 162 000 $. Pour quelque raison que ce soit, il n'y a aucune preuve qui me permette de comparer, pour les années auxquelles se rapportent les appels, la valeur du capital que l'appelante avait sous forme d'actions donnant droit à des dividendes et de titres de créance donnant droit à des intérêts avec la valeur du capital qu'elle avait investi dans « Box Arrow Farm ».

 

[22]    En examinant les états financiers de « Box Arrow Farm » pour les années 1992 à 1997 (pièces A‑6 à A‑11), je peux, à partir de l'« état du capital », déterminer le capital injecté et retiré chaque année et parvenir à un montant net. Ces états financiers indiquent les montants respectifs suivants comme « capitaux injectés » et « capitaux retirés », mais c'est moi‑même qui ai déterminé le « capital net investi » :

 

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

 

Capitaux injectés

178 000 $

284 000 $

294 000 $

240 000 $

169 000 $

63 000 $

Capitaux retirés

18 000 $

68 000 $

23 000 $

133 000 $

46 000 $

58 000 $

Capital net investi

160 000 $

216 000 $

271 000 $

107 000 $

123 000 $

5 000 $

 

Ce tableau montre que le capital net investi par l'appelante dans « Box Arrow Farm » de 1992 à 1997 s'élève à 882 000 $. Ce montant n'est pas étonnant, étant donné que la ferme a subi des pertes totales de 758 000 $ au cours de la même période de six ans, d'après les pièces A‑6 à A‑11. Le critère des capitaux investis indique que l'agriculture pourrait être la principale source de revenu de l'appelante.

 

[23]    La rentabilité est le facteur qui semble le plus faire problème aux tribunaux, car les années d'imposition auxquelles se rapportent les appels sont invariablement des années pendant lesquelles la ferme en cause a subi des pertes. L'accent porte donc sur la rentabilité future. Dans le passage de l'affaire Donnelly cité au paragraphe 18 des présents motifs, le juge Robertson dit notamment que ce « n'est pas une simple question de proportion » et qu'aucun des facteurs « n'est décisif ». L'utilisation de ces termes m'incite à conclure que chaque tribunal soupèse les trois facteurs. Immédiatement après le passage de l'affaire Donnelly cité au paragraphe 18 des présents motifs, le juge Robertson poursuivait en disant au sujet de la rentabilité, au paragraphe 8 (D.T.C. : aux pages 5500 et 5501) :

 

[…] il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu : il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale. [...]

 

Les termes « il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale » indiquent selon moi que la Cour d'appel fédérale pensait à un contribuable ayant une autre occupation. Cette indication est renforcée par les termes suivants utilisés au paragraphe 12 de l'affaire Donnelly (D.T.C. : à la page 5501) :

 

[…] En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. […]

 

[24]    Si le contribuable n'a pas d'autre occupation, le revenu agricole potentiel ne peut être comparé qu'avec un revenu de placements ou un autre revenu ne provenant pas d'une occupation. En l'espèce, l'appelante a la chance d'avoir un important revenu de placements, et sa seule occupation est l'exploitation de la ferme où elle élève des chevaux. Elle a dit que les livres et registres de la ferme étaient dans un état épouvantable lorsque, en janvier 1991, les éléments d'actif de la ferme lui ont été donnés. En particulier, la valeur comptable des chevaux en tant qu'éléments d'inventaire n'avait jamais été réduite (c'est‑à‑dire ramenée au moindre du coût d'acquisition et de la valeur marchande). L'appelante a déclaré que son objectif premier était de tirer un profit de « Box Arrow Farm » et que, à cette fin, elle avait disposé de tous les chevaux qu'elle avait reçus par voie de donation et les avait remplacés par de meilleurs animaux. D'après la pièce A‑6, l'« état des résultats » comparable pour 1991 montre que l'appelante a acheté des chevaux (et peut‑être un certain nombre de bovins) à un coût total de 498 340 $ en 1991.

 

[25]    L'appelante est un témoin très crédible, et je crois que son objectif premier est de tirer un profit de « Box Arrow Farm ». Le tableau figurant au paragraphe 14 des présents motifs montre que, pour la période allant de 1997 (la dernière des années auxquelles se rapportent les appels) à 1999, les pertes agricoles ont diminué, passant respectivement de 90 846 $ à 54 035 $, puis à 14 810 $. D'après la pièce A‑21 (extraits des états financiers de « Box Arrow Farm » pour les années 1991 à 2000), la ferme a en fait réalisé un profit de 64 691 $ en l'an 2000 sur des ventes brutes de 309 176 $. Ces ventes brutes correspondent à celles des cinq années précédentes. En d'autres termes, sans un changement important quant aux ventes brutes pour la période allant de 1995 à 2000, les pertes agricoles ont diminué progressivement de 1996 à 1999, et la ferme a réalisé un profit en l'an 2000.

 

[26]    L'appelante est une agricultrice à temps plein exploitant une ferme où elle élève des chevaux. Elle n'a pas d'autre occupation entrant en concurrence avec l'agriculture. Son revenu de placements est un revenu qu'elle gagne passivement, car elle n'a pas d'expérience en ce qui a trait aux valeurs mobilières et laisse ses placements entre les mains de conseillers financiers professionnels. Nul ne pourrait dire qu'elle utilise son important revenu de placements pour vivre dans l'oisiveté. La rentabilité de « Box Arrow Farm » peut n'avoir été que potentielle en 1995 et en 1996, lorsque les pertes étaient de l'ordre de 194 000 $, mais, de 1997 à l'an 2000, les pertes ont baissé constamment pendant trois ans et se sont transformées en un profit dans la quatrième année, de sorte que le profit potentiel est devenu un profit réel. Le critère de la rentabilité indique que l'agriculture était la principale source de revenu de l'appelante dans les années 1995, 1996 et 1997. Les appels sont admis, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2002.

 

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'août 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

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