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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2002-710(IT)I

 

ENTRE :

 

RHONDA RAY,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 14 août 2002 à Toronto (Ontario) par

l’honorable juge Terrence O’Connor

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelante :               Sandor Feld

 

Avocat de l’intimée :                           Me Joel Oliphant

 

 

JUGEMENT

         

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est admis et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.


Il n'y a pas d'adjudication des dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de septembre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juillet 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20020823

Dossier : 2002-710(IT)I

 

ENTRE :

 

RHONDA RAY,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge O’Connor, C.C.I.

 

[1]     Dans le présent appel, la question est de savoir si, pour l’année d’imposition 1999, l’appelante est en droit de déduire certaines dépenses à titre de frais médicaux en vertu du paragraphe 118.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et de l’article 5700 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») lors du calcul de ses crédits d’impôt pour frais médicaux dans le cadre du calcul de ses crédits d’impôt non remboursables pour cette année‑là.

 

[2]     Les faits pertinents sont adéquatement décrits dans la réponse à l’avis d’appel, comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

6.        En calculant l’impôt à payer pour l’année d’imposition 1999, dans une déclaration de revenu qu’elle a produite par voie électronique, l’appelante a demandé un crédit non remboursable pour frais médicaux d’un montant total de 7 087 $.

 

7.        En établissant à l’égard de l’appelante une cotisation pour l’année d’imposition 1999, dont l’avis est daté du 17 avril 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a admis le crédit non remboursable pour frais médicaux d’un montant total de 7 087 $ que l’appelante avait demandé.

 

8.        En établissant à l’égard de l’appelante une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1999, dont l’avis est daté du 6 avril 2001, le ministre n’a pas admis des frais médicaux de 6 555 $ (les « dépenses non admises »).

 

9.        En établissant cette nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante de manière à ne pas admettre des frais médicaux, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         les faits admis ci‑devant;

 

b)         les dépenses non admises sont des frais que l’appelante a payés pour acheter des vitamines, des herbes, des aliments naturels et organiques et de l’eau en bouteilles;

 

c)         les dépenses non admises ne sont pas des frais payés par l’appelante pour des médicaments ou produits pharmaceutiques achetés afin d’être utilisés par l’appelante sur ordonnance d’un médecin et enregistrés par un pharmacien;

 

d)         les dépenses non admises ne sont pas des frais médicaux en vertu du paragraphe 118.2(2) de la Loi;

 

e)         les dépenses non admises sont des frais personnels de l’appelante;

 

f)          relativement aux dépenses non admises pour l’année d’imposition 1999, l’appelante n’est pas en droit de déduire un crédit non remboursable pour frais médicaux.

 

[3]     L’appelante a présenté comme pièce A‑1 des lettres et des certificats médicaux du Dr Bryn Waern, du Dr M. Zazula, M.D., et de Mary O’Reilly, N.D.

 

Le Dr Bryn Waern disait dans sa lettre du 13 février 2002 :

 

[TRADUCTION]

 

Je confirme par la présente que Mme Ray a été ma patiente de mai 1996 à septembre 1997. Elle était traitée pour des sensibilités à des facteurs environnementaux relevant du syndrome de fatigue chronique et de la fibromyalgie.

 

Tous ces troubles sont des affections à long terme qui ne se résolvent pas, mais exigent un régime spécial, des suppléments, de la physiothérapie et d’autres types d’approches corporelles, ainsi que des techniques de réduction du stress.

 

Le Dr M. Zazula, M.D., disait dans sa lettre du 7 février 2002 :

 

[TRADUCTION]

 

Rhonda Ray est une patiente que je soigne pour des troubles médicaux incluant des problèmes d’allergies multiples. Mme Ray doit suivre un régime prescrit, qui consiste à consommer des aliments naturels et à utiliser des produits ne comportant pas d’additifs chimiques, d'agents de conservation ou d'autres substances qui contribueraient à aggraver son état. Si elle ne suivait pas ce régime, son niveau de maladie et d'incapacité physique augmenterait, compromettant ainsi son bien‑être.

 

Mary O’Reilly, N.D., disait dans sa lettre du 14 février 2002 :

 

[TRADUCTION]

 

Rhonda Ray est une patiente atteinte d’encéphalomyélite myalgique / syndrome de fatigue chronique et de dysfonctionnement immunitaire, de sensibilité aux agresseurs chimiques et de fibromyalgie. Il s’agit de maladies chroniques qui exigent un protocole de traitement continu à facettes multiples comprenant des additifs nutritionnels, un régime comprenant de l’eau purifiée et des aliments organiques sans produits chimiques, des remèdes et des produits d’hygiène naturels, une thérapie physique pour soulager la douleur et accroître la mobilité, ainsi que des modifications du mode de vie.

 

Ces modalités sont prescrites comme éléments essentiels d’un programme de traitement fructueux, sans quoi le pronostic portant sur la santé de Mme Ray et sa capacité de fonctionner comme membre productif de la société seraient gravement compromis.

 

[4]     L’appelante a en outre cité un extrait d’une allocution de George Grant, M.Sc., C. chem., M. Ed., Ed. D., qui avait été rédigée en vue d’être présentée à la Chambre des communes. Les principales parties de cette allocution se lisent comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Monsieur le Président, la sensibilité aux agresseurs chimiques, le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie touchent de 6 à 15 p. 100 de tous les Canadiens. De 1 à 2 p. 100 d’entre eux sont si gravement atteints qu’ils doivent être hospitalisés. C’est là un grand nombre de Canadiens, monsieur le Président, et il est impératif que nous nous penchions sur ce problème.

 

Je voudrais fournir un peu plus d’explications aux députés au sujet de ces maladies et de leur effet sur les Canadiens.

 

La polysensibilité chimique ou maladie environnementale est une maladie chronique dont les symptômes se manifestent à la suite d’une faible exposition à de nombreux produits chimiques non reliés et s’améliorent ou disparaissent lorsque la personne n’est plus en contact avec les produits chimiques en cause. Il s’agit d’un trouble qui touche plusieurs organes. La polysensibilité chimique est liée de près au syndrome de fatigue chronique et à la fibromyalgie, et il y a un certain chevauchement des symptômes dans ces trois cas.

 

En 1994, le U.S. Center for Disease Control (Centre américain de contrôle des maladies) est arrivé à la conclusion que le syndrome de fatigue chronique est « une maladie reconnue qui est caractérisée par une fatigue constante et une variété de symptômes qui touchent plusieurs systèmes ». Les principaux symptômes sont une fatigue excessive, des douleurs musculaires et articulaires généralisées, l’impossibilité de se concentrer et, souvent, des problèmes gastro‑intestinaux. Au nombre des autres symptômes, citons la fatigue déclenchée par des activités stressantes, des maux de tête, un mal de gorge, des troubles du sommeil, un peu de fièvre et un état dépressif. Les symptômes varient en intensité et peuvent durer très longtemps. Les causes exactes du syndrome de fatigue chronique ne sont pas encore connues. Selon les théories étiologiques actuelles, il pourrait être attribuable à des troubles neuroendocriniens, à un virus, à des toxines environnementales, à une prédisposition génétique, à un traumatisme crânien ou au stress. Cette maladie est plus commune chez les femmes que chez les hommes.

 

La fibromyalgie est une douloureuse maladie musculaire qui se traduit par l’épaississement ou le rétrécissement de l’enveloppe musculaire. Elle est également connue sous le nom de fibrosite. Cette maladie présente un grand nombre de symptômes similaires à ceux du syndrome de fatigue chronique. Elle est beaucoup plus courante chez les femmes que chez les hommes.

 

Monsieur le Président, la triste réalité est que ces maladies détruisent non seulement la santé des personnes qui en souffrent, mais également la vie d’autres Canadiens. Imaginez ce que ça serait si votre enfant était rendu grabataire par des réactions allergiques déclenchées par la moquette nouvellement posée dans son école, ou si votre conjoint devenait invalide après que son bureau ait été rénové. Pour les personnes atteintes de polysensibilité chimique, c’est la réalité.

 

Et maintenant, imaginez que votre nièce ou votre neveu attrape la grippe et ne s’en remette jamais. Songez à cette nièce ou à ce neveu qui serait incapable de préparer des repas, de faire le ménage ou de s’occuper de ses propres enfants — et encore moins de travailler pour faire vivre sa famille. Imaginez que cet état dure cinq ans ou plus. Pour les personnes atteintes du syndrome de fatigue chronique, c’est la réalité.

 

[5]     George Grant a également témoigné à l’appui des avis médicaux précités, lesquels n’ont pas été contestés par l’intimée. En outre, il ressort clairement de son témoignage et de celui de l’appelante que cette dernière, qui, à l’audience, semblait être en très bonne santé physiquement et mentalement, serait clouée au lit si elle ne prenant pas régulièrement, comme cela a été décrit, les produits qu’elle prenait, soit les aliments organiques, l’eau spéciale, etc. Autrement dit, les produits qu’elle prend la gardent en santé. Sans ces produits, elle serait en très mauvaise santé.

 

ANALYSE

 

[6]

 

118.2(2) Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés :

 

[...]

 

n)         pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances — sauf s’ils sont déjà visés à l’alinéa k) — qui sont, d’une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affection, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d’autre part, achetés afin d’être utilisés par le particulier, par son époux ou conjoint de fait ou par une personne à charge visée à l’alinéa a), sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste, et enregistrés par un pharmacien;

 

[7]     Le représentant de l’appelante a également fait référence à l’alinéa 118.2(2)k), qui se lit comme suit :

 

pour une tente à oxygène ou tout autre équipement nécessaire à l’administration d’oxygène, pour de l’insuline, de l’oxygène, de l’extrait hépatique injectable pour le traitement de l’anémie pernicieuse ou des vitamines B12 pour le traitement de l’anémie pernicieuse, destinés au particulier, à son époux ou conjoint de fait ou à une personne à charge visée à l’alinéa a), sur ordonnance d’un médecin;

 

[8]     Le représentant de l’appelante a affirmé que ces produits sont semblables à ceux que prend l’appelante.

 

[9]     Il convient en outre de faire référence au bulletin d’interprétation IT‑519R2, dont le paragraphe 62 prévoit ceci :

 

 

62.       Dans le calcul du crédit d’impôt pour frais médicaux, il existe deux catégories de médicaments, de produits pharmaceutiques et d’autres préparations ou substances dont les coûts peuvent être admissibles, sauf s’ils figurent dans le compte d’un médecin (voir le numéro 4 ci-dessus) ou d’un l’hôpital :

 

a)         les substances mentionnées à l’alinéa 118.2(2)k) (soit l’insuline, l’oxygène et les substances qui sont requises pour le traitement de l’anémie pernicieuse, à savoir l’extrait hépatique injectable et les vitamines B12) qui, aux fins de cet alinéa, doivent avoir été ordonnées par un médecin mais qui peuvent être achetées d’un pharmacien ou ailleurs sans ordonnance;

 

b)         les médicaments et autres produits mentionnés à l’alinéa 118.2(2)n) qu’un médecin ou un dentiste doit avoir prescrits et qui doivent être achetés d’un pharmacien qui a enregistré l’ordonnance dans un registre d’ordonnances.

 

[10]    Faire référence à toutes les dispositions ayant trait à cette question a pour but de souligner toute la latitude que laissent la Loi, le Règlement et les bulletins. De plus, ces dispositions semblent encourager une interprétation favorable à la personne prenant les médicaments.

 

[11]    Il y a plusieurs affaires semblables dans lesquelles certains produits n’ont pas été admis parce que, bien qu’ayant été prescrits par un médecin, ils n’avaient pas été enregistrés par un pharmacien. Il y a également un certain nombre d’affaires dans lesquelles notre cour a utilisé la latitude donnée par l’alinéa 118.2(2)n) pour interpréter celui‑ci de manière à admettre la déduction, malgré l’absence de la situation classique dans laquelle un pharmacien exécute une ordonnance.

 

[12]    À cet égard, je renvoie à l’affaire Frank c. La Reine, C.C.I., no 2000‑3586(IT)I, 22 mai 2001, [2001] 3 C.T.C. 2596. Dans cette cause, le juge Teskey de notre cour traitait d’un problème semblable. Il a déclaré aux paragraphes 7 et suivants :

 

Le témoignage de l’appelante n’a pas été contesté. L’appelante est atteinte du VIH. Elle dépense annuellement à peu près 700 $ pour des vitamines et des suppléments dont elle soutient avoir besoin en raison de ses problèmes de santé, étant donné qu’une personne atteinte de cette maladie, plus précisément son organisme, perd la capacité de fabriquer ces vitamines essentielles. Pour rester en vie, une personne a besoin de différents suppléments et vitamines.

 

La disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pertinente est l’alinéa 118.2(2)n). Les quatre derniers mots de cet alinéa — « enregistrés par un pharmacien » — sont ceux qu’il faut examiner en l’espèce.

 

Par souci de clarté, je reproduis ici cet alinéa :

 

pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances — sauf s’ils sont déjà visés à l’alinéa k) — qui sont, d’une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affection, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d’autre part, achetés afin d’être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l’alinéa a), sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste, et enregistrés par un pharmacien; 

 

On a cité à mon intention une décision rendue par mon collègue le juge Rip, qui s’est penché sur la question des suppléments vitaminiques et minéraux. Si je comprends bien les motifs dans cette affaire, les vitamines et les suppléments dont il était question n’avaient pas été utilisés sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste. Le juge est arrivé à la conclusion que les vitamines et les suppléments n’étaient pas visés par la loi. Je ne suis pas sans savoir que la décision d’un collègue doit recevoir le plus grand respect et qu’elle doit être suivie. Cependant, dans la présente affaire, il est question de vitamines et de suppléments utilisés sur ordonnance d’un médecin, et je sais, compte tenu de la preuve qui a été produite, que l’appelante en a besoin pour vivre.

 

L’intimée soutient que les termes « enregistrés par un pharmacien » signifient qu’il doit s’agir d’un médicament sur ordonnance qui, donc, ne peut être vendu en l’absence d’une ordonnance. L’appelante fait valoir que, si telle était l’intention du législateur, l’alinéa serait libellé simplement ainsi : « pour les médicaments utilisés sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste, faisant partie de la liste des médicaments délivrés sur ordonnance ». Or, ce n’est pas ce que dit la disposition. Elle a un sens beaucoup plus large, et sa portée est beaucoup plus vaste.

 

Il s’agit à mon avis de déterminer si je peux faire abstraction des termes « enregistrés par un pharmacien ».

 

[13]    L’affaire Frank a été un aiguillon pour d’autres décisions, qui cherchent à expliquer pourquoi et dans quelle mesure les tribunaux peuvent interpréter la disposition législative de manière à admettre la déduction des éléments en cause. En particulier, dans l’affaire Pagnotta c. La Reine, C.C.I., no 2000-4291(IT)I, 27 août 2001, [2001] 4 C.T.C. 2613, le juge Miller dit, au paragraphe 30 des motifs de son jugement :

 

Je ne suis toutefois pas disposé à faire fi de l’exigence relative à un pharmacien. L’appelante se fondait beaucoup sur la récente décision que le juge Teskey a rendue dans l’affaire Frank, dans laquelle il a posé la même question. Lui non plus n’a pas fait fi des termes; ayant conclu que des substances avaient été prescrites par un médecin, il est parvenu à la conclusion que des produits étaient possiblement « enregistrés » sous la forme du bordereau d’achat ou de la facture de vente du pharmacien.

 

[14]    Dans l’affaire Dunn c. La Reine, C.C.I., no 2001-1628(IT)I, 18 janvier 2002, [2002] 2 C.T.C. 2007, le juge suppléant Rowe a suivi la décision rendue par le juge Miller dans l’affaire Pagnotta, en disant que l’exigence relative aux termes « enregistrés par un pharmacien » ne peut être interprétée de manière disjonctive.

 

[15]    Les jugements concernant le paragraphe 118.2(2) sont tous d'accord avec la décision rendue par le juge Teskey dans l’affaire Frank selon laquelle l’exigence relative aux termes « enregistrés par un pharmacien » englobe bien plus que la situation classique dans laquelle un pharmacien fournit un médicament délivré sur ordonnance. Je ne suis toutefois au courant d’aucune affaire qui indique clairement ce que signifient les termes « enregistrés par un pharmacien ».

 

[16]    En l’espèce, les faits et la preuve établissent suffisamment que les produits en cause, soit les aliments organiques et l’eau en bouteilles, sont des « médicaments » entrant dans le cadre du paragraphe 118.2(2), car, sans ces produits, l’appelante ne pourrait être un membre apte et productif de la société. Pour citer le juge Teskey, je dirais au sujet des éléments en cause que l’appelante « en a besoin pour vivre ».

 

[17]    Quoi qu’il en soit, il est impossible que les médicaments en cause en l'espèce, prescrits par un médecin et achetés ailleurs que dans une pharmacie, soient enregistrés par un pharmacien. Cette impossibilité m’amène à conclure que l’exigence concernant un pharmacien n’est pas nécessaire dans le cas de produits prescrits par des médecins et qui guérissent réellement le patient et le rendent apte à vivre une vie normale de nouveau.

 

[18]    Pour revenir à la question posée par le juge Teskey dans l’affaire Frank quant à savoir « si je peux faire abstraction des termes "enregistrés par un pharmacien" », je répondrais « oui » à cette question. Je nuance cette réponse en disant qu’il ne peut en être ainsi que dans des circonstances très spéciales. Au sujet des décisions du juge Miller et du juge suppléant Rowe selon lesquelles on ne peut faire fi de l’exigence relative à un pharmacien, je cite de nouveau le juge Teskey :

 

Je ne suis pas sans savoir que la décision d’un collègue doit recevoir le plus grand respect et qu’elle doit être suivie. Cependant, dans la présente affaire, il est question de vitamines et de suppléments utilisés sur ordonnance d’un médecin, et je sais, compte tenu de la preuve qui a été produite, que l’appelante en a besoin pour vivre.

 

[19]    Statuer autrement donnerait lieu, selon moi, à une interprétation extrêmement étroite et absurde de la disposition législative. Comme les termes ambigus « enregistrés par un pharmacien » n’ont pas été passés sous silence, le juge Teskey a, dans l’affaire Frank, au paragraphe 11, interprété ces termes comme incluant une facture de vente. Le juge Miller a, dans l’affaire Pagnotta, au paragraphe 30, statué que des produits acquis d’une pharmacie peuvent être considérés comme entrant dans le cadre de l’alinéa 118.2(2)n) et que, toutefois, les mêmes produits achetés ailleurs ne peuvent être considérés comme entrant dans ce cadre. Le juge suppléant Rowe a, dans l’affaire Dunn, au paragraphe 13, déclaré qu’un document créé par un pharmacien muni d'une licence sur les médicaments délivrés au patient sur ordonnance d'un médecin semblerait satisfaire aux exigences de la disposition législative, même si les médicaments ne sont pas préparés, délivrés ou fournis par cette pharmacie.

 

[20]    En toute déférence, je dirais que, à cause de l’ambiguïté de la disposition législative, on a fait des acrobaties judiciaires pour que la situation d’un contribuable soit considérée comme entrant dans le cadre de la disposition législative. Je suis d’avis que le bon sens devrait prévaloir. Si les médicaments sont prescrits par un médecin et que la vie ou l’autonomie d’une personne dépend de ces médicaments, ceux-ci devraient être considérés comme entrant dans le cadre de l’alinéa 118.2(2)n).

 

[21]    Le juge Miller — dans l’affaire Pagnotta, au paragraphe 30 — et le juge suppléant Rowe — dans l’affaire Dunn, au paragraphe 13 — ne pouvaient faire fi de l’exigence relative aux termes « enregistrés par un pharmacien » parce qu’en faire fi dénuerait de portée cette partie de la disposition législative. J’estime que ce libellé est si vaste qu’on peut en faire abstraction lorsque le bon sens commande que le coût des médicaments soit déductible.

 

[22]    À la question de savoir si je peux faire abstraction des termes « enregistrés par un pharmacien », j’ai répondu par l’affirmative, mais j’ai nuancé cette réponse. Plus précisément, la réserve que j’ai émise fait écho à ce que disait le juge Miller dans l’affaire Pagnotta, au paragraphe 30, à savoir :

 

Je tiens à établir clairement que je ne veux pas ainsi inviter ouvertement les contribuables dont le mode de vie inclut un régime vitaminique à invoquer l’alinéa 118.2(2)n) pour obtenir un crédit en alléguant que les dépenses y afférentes constituent des frais médicaux. Cela se limite au rare cas d’un contribuable qui a de graves problèmes médicaux et qui cherche à obtenir un soulagement par divers traitements recommandés par un certain nombre de médecins.

 

[23]    Comme je l’ai mentionné précédemment, je crois que ces dispositions doivent être interprétées libéralement et de façon favorable au contribuable. Pour les motifs énoncés ci‑devant, l’appel est admis.

 

[24]    Il n’y aura pas de dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de septembre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juillet 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

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