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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-3173(IT)G

 

ENTRE :

 

ALEX POLYCHRONOPOULOS,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 13 septembre 2002, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Terrence O'Connor

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimée :                          Me Catherine Letellier de St-Just

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont rejetés avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2002.

 

 

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2003.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020924

Dossier: 2000-3173(IT)G

 

ENTRE :

 

ALEX POLYCHRONOPOULOS,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge O'Connor, C.C.I.

 

[1]     Les faits essentiels à l’origine de ces appels sont énoncés comme suit dans la Réponse à l’avis d’appel: 

 

                   [traduction]

 

4.         Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1993, l’appelant a déclaré le revenu suivant :

 

Revenu d’entreprise net

 13 852 $

 

 

5.         Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1994, l’appelant a déclaré le revenu suivant :

 

Revenu d’entreprise net

10 649 $

 

 

6.         Le ministre a établi des nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 1993 et 1994, les avis de nouvelle cotisation étant datés du 8 juillet 1997. Les nouvelles cotisations incluaient dans le revenu de l'appelant les sommes de 62 493,86 $ et de 162 560,05 $ respectivement relativement à l’usage illégal de cartes de crédit. Le ministre a également imposé des pénalités fédérales de 8 505,12 $ et de 23 376,84 $ respectivement en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.  

 

7.         L’appelant a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1995 en retard. Le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 1995, l’avis de cotisation étant daté du 7 août 1997. La cotisation incluait dans le revenu de l'appelant la somme de 42 719,55 $, et le ministre a imposé une pénalité pour production tardive de 2 280,78 $ en vertu du paragraphe 162(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

8.         Pour établir les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant, le ministre s'est fondé notamment sur les hypothèses ou les conclusions de fait suivantes: 

 

a)         les faits admis ou énoncés précédemment dans les présentes;

 

b)         l’appelant a tiré de son usage illégal de cartes de crédit un revenu de 62 493,86 $, de 162 560,05 $ et de 42 719,55 $ dans ses années d’imposition 1993, 1994 et 1995 respectivement;

 

c)         en janvier 1996, l’appelant a été arrêté et accusé de tentative d’obtention de cartes de crédit par fraude et par usurpation d’identité; 

 

d)         en octobre 1996, par suite d’un plaidoyer de culpabilité, l’appelant a été reconnu coupable par la Cour de l’Ontario, d’avoir fraudé le public et de possession et d’usage illégal de cartes de crédit volées (le « stratagème des cartes de crédit »); 

 

e)         en conséquence du stratagème des cartes de crédit, l’appelant a touché des revenus qu’il n’a pas déclarés, soit les sommes de 62 493,86 $, 162 560,05 $ et 42 719,55 $ pour les années d’imposition 1993, 1994 et 1995 respectivement; 

 

f)          l’appelant n’a remboursé conformément à l’ordonnance d’indemnisation rendue par la Cour de l’Ontario aucune des sommes indiquées à l’alinéa 8e) des présentes;  

 

g)         l’appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, omis de déclarer les revenus indiqués à l’alinéa 8b) des présentes dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1993 et 1994, et a ainsi fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations pour ces années, ou y a participé, consenti ou acquiescé; par conséquent, l’appelant est passible d’une pénalité fédérale pour chacune de ces années, tel qu’il est indiqué ci-dessous:  

 

Année d’imposition

Pénalité

 

1993

 

8 505,12 $

1994

23 376,84 $

 

h)         les montants d’impôt fédéral payable, d’après les faits fournis par l’appelant dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1993 et 1994, sont de 1 202,05 $ et de 668,81 $ respectivement, et les montants d’impôt payables par lui selon les vrais faits sont de 17 010,23 $ et de 46 753,68 $ respectivement; 

 

i)          la déclaration de revenus de l’appelant pour l’année d’imposition 1995 devait être produit auprès du ministre au plus tard le 30 avril 1996;

 

j)          la déclaration de revenus de l’appelant pour l’année d’imposition 1995 a été produite le 17 juin 1997;  

 

k)         l’appelant a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1995 en retard; par conséquent, il est passible d’une pénalité pour production tardive de 2 280,78 $.

 

B.        QUESTIONS À TRANCHER

 

9.         Les questions en litige sont de savoir:

 

a)         si l’appelant a touché des revenus de 62 493,86 $, de 162 560,05 $ et de 42 719,55 $ durant les années d’imposition 1993, 1994 et 1995;

 

b)         si l’appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission, ou y a participé, consenti ou acquiescé, en ne déclarant pas les sommes susmentionnées dans ses déclarations de revenus de 1993 et 1994, et si le ministre a imposé à juste titre des pénalités pour ces années en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu;  

 

c)         si le ministre a imposé à juste titre la pénalité en vertu du paragraphe 162(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1995 du fait de l'omission de l’appelant de produire sa déclaration de revenus pour cette année-là, comme l'exige le paragraphe 150(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]     D'autres faits à signaler sont les suivants. À l’audition, l’avocate de l’intimée a déposé, aux onglets 7 à 12 de la pièce R-1, des ordonnances d’indemnisation pour la perte de biens, toutes datées du 4 octobre 1996 et se rapportant à des pertes subies par six banques différentes.  

 

[3]     Les sommes obtenues par fraude mentionnées à l’alinéa 8e) de la réponse ne sont pas contestées par l’appelant.  

 

POSITION DE L’APPELANT

 

[4]     L’appelant fait valoir essentiellement qu’il ne devrait pas avoir à payer de l’impôt sur les sommes obtenues par fraude étant donné que la Cour de l’Ontario lui a ordonné de les restituer en entier. 

 

[5]     L’appelant prétend en outre qu’il ne devrait pas se voir imposer des pénalités et, en particulier, qu’il ne devrait pas être passible d’une pénalité pour avoir produit en retard sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1995 car, au moment où la déclaration devait être produite, il était en prison et n’était pas vraiment en mesure de la produire dans les délais. 

 

POSITION DE L’AVOCATE DE L’INTIMÉE

 

[6]     L’avocate de l’intimée soutient qu'une jurisprudence abondante établit que le produit de la fraude constitue un revenu d’entreprise, est à inclure dans le revenu du fraudeur et est imposable. 

 

[7]     Quant aux pénalités, l’intimée fait valoir que celles imposées pour 1993 et 1994 sont clairement prévues au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). En ce qui concerne la production tardive de la déclaration pour 1995, l’avocate de l’intimée a cité l'extrait suivant tiré de l’interrogatoire préalable de l'appelant qui a eu lieu le 25 juin 2002 : 

 

                   [traduction]

 

63.       Q.        À la page 2 de votre avis d’appel, vous dites que vous n'avez pas produit votre T1 pour 1995 parce que du 9 janvier 1996 au 23 décembre 1996 vous étiez incarcéré à la Don Jail et, par la suite, vous l'étiez à Millhaven, et que durant cette période les gardiens à la Don Jail faisaient la grève et des émeutes avaient lieu à Millhaven. Est-ce exact? 

 

            R.         C’est exact.

 

64.       Q.        Au cours de la période passée à la Don Jail, est-ce que des parents ou des amis vous ont rendu visite?

 

            R.         Oui.

 

65.       Q.        Qui vous a rendu visite?

 

            R.         Mon frère, ma copine, c’est tout, et l’avocat.

 

66.       Q.        Vous étiez à la Don Jail du 9 janvier 1996 au 23 décembre 1996?

 

            R.         Oui, durant tout ce temps.

 

67.       Q.        Et quelle était la fréquence des visites ?

 

            R.         Une fois par mois peut-être. Souvent les visites n’étaient pas permises à cause de la grève.

 

68.       Q.        Donc, entre le 9 janvier 1996 et le 30 avril 1996, vous avez reçu des visites à la prison? 

 

            R.         Oui.

 

69.       Q.        Et il vous était permis de communiquer avec qui vous vouliez par téléphone?

 

            R.         Oui.

 

70.       Q.        Et vous auriez pu faire des appels tous les jours si vous aviez voulu?

 

            R.         Je dirais presque tous les jours. Les téléphones étaient là, c’est sûr.

 

71.       Q.        Autant que vous vous en souvenez, à quel moment a commencé la grève des gardiens de la Don Jail?

 

            R.         Je dirais en février de cette année-là.

 

72.       Q.        Et quelles étaient les répercussions de cette grève sur les détenus?

 

            R.         Oh, on ne pouvait pas prendre de douches; on était enfermé dans notre cellule toute la journée, 24 heures sur 24, et pas dans la rangée mais dans la prison même, dans la petite cellule avec les barreaux où on dort. Il y a aussi des barreaux dans d’autres aires, mais je parle des petites cellules, et il y avait trois personnes là-dedans alors qu’elles sont conçues pour une seule.

 

73.       Q.        Et autant que vous vous en souvenez, à quel moment la grève des gardiens de la Don Jail a-t-elle pris fin?

 

            R.         Je dirais durant le mois de mai.

 

[…]

 

85.       Q.        Donc, puisque vous aviez des visiteurs et que vous pouviez faire des appels téléphoniques pendant que vous étiez à la Don Jail, n’est-il pas exact que vous auriez pu produire votre déclaration de revenus si vous aviez voulu?

 

            R.         Bonne question. Est-ce que j’en ai eu la possibilité? Pas vraiment.

 

86.       Q.        Vous étiez en contact avec quelqu’un.

 

            R.         J’étais en contact avec mon frère, mais je ne pense pas qu’il aurait, vous savez [...]

 

87.       Q.        Mais vous n’avez pas essayé.

 

            R.         Pour être honnête avec vous, je ne me rappelle même pas si j’ai essayé ou pas. À ce moment-là, ce n’était pas important pour moi de produire ma déclaration de revenus, en toute honnêteté, et probablement que même si ça m’était venu à l’esprit, je ne l’aurais pas fait. Alors j’imagine que les deux réponses sont correctes. Non, je ne l’ai pas fait. Il est possible que ça me soit passé par la tête et que je ne l’aie pas fait à cause de la situation difficile que je vivais.

 

[8]     L’avocate de l’intimée s'est également référée à certaines décisions à l’appui de son affirmation selon laquelle les pénalités ont été imposées à juste titre.

 

[9]     Relativement à la question qui reste à examiner, soit celle de savoir si le produit d’une fraude ou d’un crime doit être inclus dans le revenu et imposé, l’avocate de l’intimée a invoqué la décision Buckman c. Canada (ministre du Revenu national), [1991] A.C.I. no 805 (QL) (91 DTC 1249), rendue le 17 septembre 1991 par feu le juge Sobier, C.C.I. Dans la décision Svidal c. Canada, [1994] A.C.I. no 1190 (QL), le juge Bowman, C.C.I. (maintenant juge en chef adjoint) dit au paragraphe 24 : 

 

Il est établi en droit que les produits de la criminalité constituent des revenus imposables.  Je ne peux imaginer les circonstances dans lesquelles ce type de revenu ne pourrait être qualifié de revenu d'entreprise.  

 

Le juge Bowman ajoute, à l’alinéa e) du même paragraphe :  

 

[...]

 

Un des arguments les plus astucieux et intéressants avait trait aux conséquences, sur les années d'imposition 1984 et 1985 de l'appelant, de l'ordonnance d'indemnisation rendue par la Cour de l'Alberta en 1991, qui exigeait de l'appelant et de ses coaccusés qu'ils versent 10 075 735,55 $ à Coopers and Lybrand Limited.  Selon cette thèse, cette somme devrait être admise en déduction dans le calcul du revenu tiré par l'appelant de l'entreprise qualifiée de frauduleuse par la Couronne.  Si je comprends bien, l'argument est que l'obligation de rembourser les sommes a été fixée par l'ordonnance d'indemnisation rendue en 1991, mais que, comme elle se rapporte à l'entreprise exploitée en 1984 et 1985, elle devrait être admise en déduction pour ces années.

 

La thèse soulève plus de problèmes que je ne suis prêt à en aborder en l'espèce.  Elle suppose que les revenus provenant de la criminalité doivent être calculés selon la méthode de la comptabilité d'exercice -- une prétention au sujet de laquelle aucune jurisprudence n'a été citée, ni n'a été entendu d'expert-comptable.  Elle suppose en outre que, dès qu'un crime est commis, il existe une responsabilité latente qui ne se concrétise que si l'accusé est condamné, après sa déclaration de culpabilité, à payer une indemnité ou à faire restitution.  Elle pose aussi, sous l'angle de l'intérêt public, la question de savoir si ces types de paiements devraient être admis en déduction. Comme il en a déjà été fait mention, l'appelant n'a fait aucun paiement en application de l'ordonnance d'indemnisation, et rien ne laisse présager qu'il en fera jamais.  L'argument n'est pas étranger à celui présenté sans succès dans l'arrêt The Queen v. Poynton, 72 D.T.C. 6329 (C.A. Ontario).

 

Aussi intéressante que puisse être une étude plus poussée de ces questions d'ordre théorique, il suffit de dire, pour trancher sur ce point, que l'ordonnance d'indemnisation a été rendue en 1991 et qu'elle ne peut avoir d'effet sur les revenus de 1984 et 1985 de l'appelant.  Notre régime fiscal ne permet pas la réouverture d'années antérieures de façon à tenir compte d'événements survenus au cours d'années postérieures, sauf dans les circonstances particulières mentionnées dans la Loi de l'impôt sur le revenu : voir l'affaire M.N.R. v. Benaby Realties Limited, 67 D.T.C. 5275.

 

 

[10]    Vers la fin de l’audition de la présente cause, le bulletin d’interprétation IT-256R, daté du 27 août 1979, a été mentionné à l’appelant. Ce bulletin est ainsi rédigé : 

 

1.         Le IT-185 traite des pertes découlant d'un vol, d'un détournement de fonds ou de malversation. Le présent bulletin porte sur le traitement de ces sommes détenues par le bénéficiaire ainsi que des espèces ou des biens reçus à la suite d'extorsion, de chantage, de corruption ou d'autres actions semblables.

 

2.         Ces fonds ou ces biens constituent un revenu provenant d'une source et sont, à ce titre, imposables pour le bénéficiaire. Les espèces ou la juste valeur marchande des biens reçus sont ajoutés au revenu du bénéficiaire dans l'année où il les a touchées.

 

3.         Les contribuables qui reçoivent des fonds ou des biens de ce genre peuvent encourir une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) pour chaque année où ce revenu a été touché et non déclaré.

 

4.         Lorsqu'il y a remboursement des sommes comptées dans le revenu d'un contribuable conformément au numéro 2 ci-dessus, le Ministère accorde normalement une déduction à cet égard pour l'année d'imposition au cours de laquelle le remboursement est effectué, à moins que le contribuable ne fût [...] (inapplicable)

 

[11]    Il ressort clairement de ce qui précède que le produit d’une fraude constitue un revenu imposable. Il est également clair que les pénalités ont été imposées à juste titre. Par conséquent, les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2002.

 

 

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2003.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur

 

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