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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2002-791(IT)I

 

ENTRE :

 

KATHERINE LYNN WEAR,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appels entendus le 30 septembre 2002, à Winnipeg (Manitoba), par

 

l'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

 

Avocat de l'intimée :                           Me Michael Van Dam

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre d'une cotisation de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont rejetés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'octobre 2002

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021009

Dossier: 2002-791(IT)I

 

ENTRE :

 

KATHERINE LYNN WEAR,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     L’appelante, Katherine Lynn Wear, a fait partie de la population active au travail jusqu’en 1995. Au cours de cette année-là, l’appelante a subi la première d’une série de cinq chirurgies pour enlever des tumeurs derrière son œil. Elle est aveugle d’un œil au sens de la loi et, dans plusieurs aspects de sa vie, est à peine apte à fonctionner. Elle a réclamé un crédit d’impôt pour personne handicapée pour les années 1999 et 2000, sans pour autant fournir d’attestation médicale à l’appui de sa demande. Pour sa part, l’intimée a présenté quatre attestations médicales négatives. La question à trancher dans les présents appels sous le régime de la procédure informelle est si Mme Wear a droit au crédit d’impôt pour personne handicapée pour les années 1999 et 2000.

 

[2]     C’est en 1995, alors qu’elle était au travail, que Mme Wear a perdu la vue pour la première fois. Elle a dû subir une opération afin de retirer un méningiome logé dans sa tête. Son état a nécessité quatre autres opérations : une en 1998, deux en 1999 et une en 2000, à cause de récurrences de la tumeur. Pour venir à bout du problème, elle a dû subir plus de 30 traitements de radiothérapie. Elle est aveugle d’un oeil au sens de la loi et doit porter des verres fumés. Elle doit utiliser une loupe pour lire. Elle dépend d’un médicament, le Dilantin, qu’elle doit prendre afin de prévenir des crises d’épilepsie, même si les résultats ne sont pas entièrement satisfaisants puisqu’elle a encore subi des crises en juin et en juillet de cette année. À cause de ses médicaments, elle est constamment fatiguée. Selon ses dires, chaque jour est pour elle un défi, puisqu’elle souffre quotidiennement de maux de tête et de douleurs. Elle doit prendre le temps de penser à ce qu’elle veut dire, et souffre de pertes de mémoire. Elle se plaint également d’une perte de l’audition. La radiothérapie lui a occasionné des caries. Elle doit subir un cat scan à tous les six mois.

 

[3]     Dans un témoignage très émouvant, l’ami de Mme Wear, Tom Hartle, l’a décrite comme une personne incapable de fonctionner seule. Selon M. Hartle, l’appelante a besoin de plusieurs heures pour préparer un repas, de trois jours pour faire sa lessive, et elle ne peut se rappeler de ce qu’elle a mangé au déjeuner ni du film qu’elle a vu la veille. Il était présent lorsque Mme Wear a fait quatre crises consécutives et a été averti qu’une cinquième crise pourrait lui être fatale. Elle est incapable de travailler et peut à peine voir à ses propres besoins, devant passer une bonne partie des ses journées à dormir. Selon M. Hartle l’appelante est incapable de se concentrer plus de cinq minutes.

 

[4]     Mme Wear est apparue devant la Cour comme une personne fragile et confuse, dont la vie a été bouleversée par les attaques de tumeurs récidivantes.

 

[5]     L’intimée a présenté quatre attestations médicales :

 

i)        Une attestation du Dr R. Nigam (ophtalmologiste) datée du 24 mai 2001[1], dans laquelle elle a répondu oui à toutes les questions suivantes:

 

La patiente voit-elle?

La patiente peut-elle marcher?

La patiente peut-elle parler?

La patiente peut-elle percevoir, réfléchir et se souvenir?

La patiente entend-elle?

La patiente peut-elle s’alimenter et s’habiller seule?

La patiente peut-elle s’occuper seule de ses fonctions d’élimination intestinale et vésicale?

 

Le Dr Nigam a également répondu oui à la question suivante: [traduction] « Est-ce que la cécité de votre patiente, ses limitations marquées dans ses activités courantes, ou ses soins thérapeutiques vitaux ont duré, ou dureront probablement au moins 12 mois d’affilée? »

 

ii)       Une attestation du Dr C. Bourque (neurologue) datée du 13 décembre 2001[2], dans laquelle il répond affirmativement aux sept questions posées. Il n’a pas fourni de réponse quant à la durée de la déficience.

 

iii)      Une attestation du Dr Williams (neurochirurgien) datée du 18 novembre 1999[3], dans laquelle il indique que l’incapacité de la patiente est devenue nettement plus marquée en juin 1999, et dans laquelle il a tout de même répondu non lorsqu’on lui a demandé en quoi les limitations de la patiente étaient marquées. Le médecin a répondu affirmativement aux sept questions sur la vision, la marche, la parole, les capacités mentales, l’audition, l’alimentation et la capacité de s’habiller, et l’élimination. Il a répondu négativement aux deux questions suivantes :

 

La déficience a-t-elle duré, ou devrait-elle durer au moins 12 mois d’affilée?

 

La déficience est-elle assez grave pour limiter les activités courantes quotidiennes ci-haut mentionnées tout le temps ou presque tout le temps, même avec des soins thérapeutiques, l’aide nécessaire et les médicaments indiqués?

 

iv)      Une attestation du Dr Nigam datée du 2 décembre 1999[4] indiquant que l’incapacité de la patiente est devenue marquée en décembre 1999, que cette incapacité est permanente et qu’elle affecte la vision. Le Dr Nigam a ensuite répondu à une seule question sur les sept, en répondant oui à la question de savoir si sa patiente était capable de voir.

 

[6]     Avant de procéder à l’analyse, il me faut faire une remarque concernant les attestations médicales. Les incohérences de ces attestations portent à croire que leur forme n’est pas adéquate pour mener à un résultat juste. La forme de l’attestation entraîne une confusion entre la nature de la déficience (maladie, déficience physique) et l’effet de la déficience (impossibilité de voir, de marcher, d’entendre, etc.). La question de la durée de la déficience (afin de déterminer si elle est prolongée) devrait toucher la nature de la déficience et non son effet. Il serait logique qu’une telle question soit posée conjointement à la description de la déficience (par exemple la schizophrénie, la sclérose en plaques, etc.). Cela refléterait mieux l’économie de l’article 118.3. Les sept questions sur les effets de la déficience pourraient ensuite être posées afin de déterminer si ces effets limitent de façon marquée les activités courantes de la vie quotidienne. Le formulaire pose ces questions à l’envers et pose même la question de la durée des limitations marquées plutôt que de la durée de la déficience. Dans ce contexte, il ne faut pas se surprendre de la confusion des médecins ni du fait que, dans le cas sous étude, un des médecins dit qu’il n’y a pas de limitations marquées à un endroit et indique plus loin que les limitations marquées ont durées plus de 12 mois consécutifs.

 

[7]     Les dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu se trouvent aux paragraphes 118.3(1) et 118.4(1):

 

118.3(1)           Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)         le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

 

a.1)      les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

 

a.2)      l'une des personne suivantes atteste, sur formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

(i)         un médecin en titre,

(ii)        s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste,

(iii)       s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en titre ou un audiologiste;

(iv)       s'il s'agit d'une déficience quant à la capacité à marcher ou à s'alimenter et à s'habiller, un médecin en titre ou un ergothérapeute,

(v)        s'il s'agit d'une déficience sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire, un médecin en titre ou un psychologue;

 

b)         Le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pur une année d'imposition;

 

c)         […]

 

118.4(1)           Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

 

a)         une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affiliée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

 

b)         la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

 

c)         sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:

(i)         la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii)        le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii)       le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne des sa connaissance,

(iv)       le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v)        les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi)       le fait de marcher;

 

d)         il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

 

[8]     L’article 118.3 de la Loi prévoit trois conditions pour pouvoir réclamer un crédit d’impôt pour personne handicapée : a) le particulier doit avoir une déficience mentale ou physique grave et prolongée; b) les effets de la déficience sont tels que la capacité de l’appelante d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée; et c) elle doit fournir une attestation médicale attestant des points a) et b). Comme je l’ai mentionné dans une décision récente concernant un crédit d’impôt pour personne handicapée[5], même si le contribuable a une déficience grave et prolongée, laquelle cause sa cécité ou lui fait prendre un temps excessif pour accomplir une activité courante de la vie quotidienne, il faut toutefois qu’apparaisse au dossier une attestation médicale à cet effet. Comme le juge Stone le disait dans une décision récente de la Cour d’appel fédérale, Buchanan c. La Reine[6]:

 

Toutefois, la Cour doit respecter le libellé de la Loi, qui exige qu'un médecin délivre une attestation favorable. Cela veut dire que la tâche du juge de la Cour de l'impôt ne consiste pas à substituer son avis à celui du médecin, mais à déterminer, en se fondant sur la preuve médicale, si une attestation défavorable doit être considérée comme une attestation favorable.

 

[9]     Même s’il est difficile de ne pas ressentir de sympathie pour Mme Wear, je ne puis substituer mon avis, fondé sur le témoignage de l’appelante à l’audience, à quatre attestations médicales. Le seul témoignage de Mme Wear à l’effet que les médecins se sont trompés n’est pas suffisant pour renverser quatre attestations médicales. Je puis être convaincu, à la suite du témoignage de l’appelante et de celui de M. Hartle, qu’elle souffre d’une déficience prolongée qui l’empêche d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. Cela remplit les deux premières conditions de la législation. Par contre, le dossier ne contient aucune attestation médicale remplissant la troisième condition; au contraire, j’ai quatre attestations médicales allant dans le sens opposé des explications données par Mme Wear quant à l’effet de sa déficience. Certaines de ces attestations semblent suggérer qu’il y a une déficience prolongée, mais aucune ne précise que l’effet est tel que la capacité de l’appelante d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée.

 

[10]    Je ne suis pas médecin : je n’ai pu observer Mme Wear sur une longue période. Pour décider que les quatre attestations médicales qui ont répondu aux questions sur la limitation marquée de la capacité de l’appelante d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne répondues par la négative pourraient être interprétées positivement, il me faudrait à tout le moins le témoignage d’un des médecins expliquant pourquoi l’attestation a été remplie de cette façon. Si, comme c’était le cas dans l’affaire Buchanan, on avait pu prouver un malentendu fondamental, ou si on pouvait démontrer qu’il y avait parti pris, ou s’il était admis que le médecin avait erré, je pourrais alors interpréter une attestation négative comme étant positive. Je n’ai aucune preuve de la sorte devant moi.

 

[11]    Il y a bien quelques ambiguïtés mineures dans les attestations causées, comme je l’ai mentionné plus haut, par leur forme, mais on ne peut pour autant dire qu’il y a contradiction entre les réponses aux sept questions sur l’effet de la déficience. Aucune attestation n’indique que l’appelante est aveugle ou qu’elle ne peut marcher, parler, réfléchir, percevoir, se souvenir, entendre, s’alimenter et s’habiller seule, ou s’occuper seule de ses fonctions d’élimination intestinale et vésicale. Il est clair qu’elle est atteinte d’une affection grave, débilitante et qui affecte toutes les capacités ci-haut mentionnées. Étant donné que ces capacités sont considérées une par une dans la législation et dans l’attestation requise, il est impossible à un médecin de conclure à un effet cumulatif. La législation ne permet tout simplement pas cela.

 

[12]    Je suis convaincu que Mme Wear est invalide à cause de récurrences de la tumeur dans sa tête. Malgré cela, elle a été incapable d’obtenir une attestation médicale attestant que l’effet de cette déficience est à ce point grave qu’il la rend admissible au crédit d’impôt pour personne handicapée. Comme je n’ai devant moi aucune preuve pouvant me permettre d’interpréter les attestations négatives comme étant positives, je dois rejeter les appels de Mme Wear. Je tiens, comme je l’ai déjà fait par le passé, à souligner que la forme de l’attestation devant être remplie par le médecin pourrait être améliorée.

 

[13]    Les appels sont rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'octobre 2002

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.



[1]           Pièce R-1.

[2]           Pièce R-2.

[3]           Pièce R-3.

[4]           Pièce R-4.

[5]           Phillip J. Steele c. La Reine, C.C.I., n° 2001-3700(IT)I, 24 juin 2002 ([2002] 3 C.T.C. 2523).

[6]           [2002] A.C.F. n° 838.

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