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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2002-1480(IT)G

ENTRE :

ELIZABETH SINCLAIR,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Requête entendue le 17 juillet 2002, à Ottawa (Ontario), par

 

l’honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :              Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l’intimée :                Me Richard Gobeil et Me Jade Boucher

 

 

ORDONNANCE

 

          VU la requête par laquelle l’intimée sollicite : une ordonnance radiant le paragraphe 4 de la partie c), le paragraphe 3 de la partie d) et le paragraphe 4 de la partie f) de l’avis d’appel modifié; une prolongation du délai pour déposer une réponse; les frais de cette requête;

 

          VU les actes de procédure, ainsi que la déclaration sous serment de Linda Urgolo, qui ont été déposés;

 

          ET VU les observations des avocats des parties;

 

          IL EST ORDONNÉ :

 

1.       que la requête de l’intimée soit accueillie et que soient radiés le paragraphe 4 de la partie c), le paragraphe 3 de la partie d) et le paragraphe 4 de la partie f) de l’avis d’appel modifié;

 

2.       que l’intimée dépose et signifie une réponse à l’avis d’appel au plus tard le 30 août 2002;

 

3.       que les frais de cette requête suivent l’issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2002.

 

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020726

Dossier: 2002-1480(IT)G

ENTRE :

ELIZABETH SINCLAIR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les appels en cause ont été interjetés par voie d’avis d’appel déposé le 16 avril 2002. L’appelante est une Indienne inscrite; elle soutient que son revenu d’emploi pour les années 1996 et 1997 est exonéré d’impôt du fait qu’il a été gagné dans une réserve indienne. Telle est la seule question que soulève cet avis d’appel, à part une assertion selon laquelle les nouvelles cotisations portées en appel ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation.

 

[2]     Le 5 juin 2002, un avis d’appel modifié a été déposé. Comme la procédure écrite n’était pas close, cela a été fait de plein droit en vertu de l’article 54 des Règles. Cet avis d’appel modifié ajoute à l’avis d’appel précédent trois paragraphes et deux sous‑paragraphes, soit :

 

[TRADUCTION]

c) 4.     L’intimée a, en vertu de ses lignes directrices de juin 1994, appliqué à l’appelante l’article 87 de la Loi sur les Indiens d’une manière discriminatoire en refusant une exonération qu’elle reconnaît dans le cas de contribuables qui sont dans la même position que l’appelante.

 

d) 3.     La façon dont l’intimée a appliqué l’article 87 de la Loi sur les Indiens est‑elle contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982?

 

e) 3.     L’appelante se fonde sur les dispositions suivantes :

            [...]

3.         L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés;

4.         L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

f) 4.      Malgré le fait que l’exonération d’impôt prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens a été accordée à des Indiens qui sont situés comme l’appelante, cette dernière s’est vu refuser l’exonération d’impôt. Ce traitement discriminatoire est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[3]     Par voie d’avis de requête déposé le 24 juin 2002, l’intimée demande maintenant, en vertu des articles 53 et 58 des Règles, une ordonnance radiant les paragraphes c)4, d)3 et f)4 et les sous‑paragraphes e)3.3 et 4, parce qu’ils ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel, qu’ils sont scandaleux, frivoles et vexatoires, qu’ils constituent un recours abusif à la Cour et qu’ils peuvent compromettre et retarder l’instruction équitable des appels. Seuls le premier et le dernier de ces motifs ont vraiment été invoqués dans l’argumentation de l’avocat de l’intimée. L’intimée demande en outre une prolongation du délai pour déposer la réponse.

 

[4]     La mention, au paragraphe c)4 qui a été ajouté, de « contribuables qui sont dans la même position que l’appelante » et la mention, au paragraphe f)4 qui a été ajouté, d’« Indiens qui sont situés comme l’appelante » sont, au mieux, imprécises. Dans son argumentation, l’avocat de l’appelante reconnaissait cela, mais faisait valoir qu’il fournirait des précisions permettant de corriger ce défaut et que celui‑ci ne devrait pas donner lieu à la radiation de ces paragraphes. L’avocat de l’intimée aurait peut‑être dû demander ces précisions avant de présenter sa requête, mais cela est maintenant théorique, car l’avocat de l’appelante a apporté ces précisions au cours de son argumentation. Il a expliqué que l’appelante, relativement à sa plainte et relativement au fait qu’elle invoque l’article 15 de la Charte, se fonde non pas sur un motif énuméré, mais sur l’assertion selon laquelle elle fait l’objet d’une discrimination parce qu’elle n’a pas l’influence ou le pouvoir politique qu’ont d’autres « Indiens qui sont situés comme l’appelante ». Voici comment l’avocat de l’appelante a exposé cette question lors de son argumentation :

 

[TRADUCTION]

            Mon confrère dit qu’il ne sait pas de quoi nous parlons quand nous disons qu’il y a discrimination.

 

            Il nous demande en quoi il y a discrimination. Il nous demande de fournir les détails quant aux faits. Nous allons le faire, pas de problème.

 

            La question tient au mode d’application.

 

            Puis il y a le résultat — si la contribuable se voit refuser l’exonération prévue par la Loi.

 

            Nous avons terminé notre examen depuis que la modification a été apportée. Et nous pouvons maintenant montrer qu’il y a des groupes qui, grâce à une représentation politique ou autre, se voient accorder l’exonération prévue à l’article 87, bien qu’ils entrent dans la même catégorie que l’appelante en l’espèce.

 

            Ainsi, la cotisation n’est‑elle pas invalide?

 

LA COUR :

Je ne sais pas ce que signifie « la même catégorie ».

 

Me BINAVINCE :

À mon avis, cela rendrait la disposition invalide.

 

LA COUR :

Quand vous parlez de « la même catégorie », voulez‑vous dire les mêmes caractéristiques personnelles?

 

Me BINAVINCE :

Sauf une. Le pouvoir ou la représentation politique.

 

LA COUR :

Le pouvoir ou la représentation politique. Y a‑t‑il une distinction?

 

Me BINAVINCE :

C’est exact. Ce n’est pas un privilège fiscal, ce n’est pas un privilège constitutionnel permettant d’être exonéré de certains impôts.

 

LA COUR :

Votre argument est que le pouvoir politique est un motif analogue aux fins de l’article 15, n’est‑ce pas?

 

Me BINAVINCE :

Le motif de discrimination — l’acte discrétionnaire tient au fait d’accorder une exonération à une personne qui est dans la même position que l’appelante en l’espèce.

 

 

Il s’agit donc de savoir quels sont les motifs de discrimination.

 

LA COUR :

Quand vous parlez de « la même position », voulez‑vous dire les mêmes caractéristiques personnelles...

 

Me BINAVINCE :

Ils sont tous des Indiens. Ils résident tous hors de leur réserve, ils font le même genre de travail pour le gouvernement, pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord.

 

LA COUR :

Et la seule différence tient au fait que certains ont un pouvoir politique, et d’autres pas?

 

Me BINAVINCE :

Exactement.

 

 

[Transcription, pages 8, 9 et 10]

 

[...]

 

 

LA COUR :

Et vous venez de me dire qu’il n’y a aucune différence quant aux caractéristiques personnelles de ces personnes et que la différence qui existe entre ces personnes tient à la capacité de certaines d’entre elles de faire du lobbyisme auprès du gouvernement et au succès qu’elles obtiennent à cet égard. N’est‑ce pas?

 

Me BINAVINCE :

Il y a une différence sur le plan de facteurs personnels.

 

 

La caractéristique personnelle est la faiblesse politique versus la force politique; c’est évidemment une caractéristique personnelle.

 

 

La question relative à la constitution est de savoir s’il s’agit d’un motif analogue.

 

 

La Cour suprême a statué que l’article 15 ne représente pas un concept fermé. Elle a notamment précisé ce que peuvent être les motifs analogues.

 

 

[Transcription, pages 14 et 15]

 

 

[5]     L’argument de l’appelante relatif à la Charte est donc que l’appelante fait l’objet d’une discrimination fondée sur la question du pouvoir politique ou de la capacité de faire du lobbyisme avec succès auprès du gouvernement.

 

[6]     La décision de la Cour d’appel fédérale dans Ludmer c. Canada[1] établit clairement que, dans un appel contre une cotisation d’impôt sur le revenu, on ne peut admettre une preuve selon laquelle d’autres contribuables se trouvant dans des circonstances identiques ont fait l’objet de cotisations plus favorables. Dans cette affaire, la Cour a cité et approuvé les passages suivants du jugement rendu par le juge Rothstein, titre qu’il portait alors, dans l’affaire Andrew N. Hokhold c. Canada[2] :

 

Le demandeur semble se préoccuper de ce que d’autres contribuables ont connu un traitement différent de celui que Revenu Canada lui a réservé. Quels que soient les motifs de l’action de Revenu Canada à l’égard d’autres contribuables, ils ne se rapportent pas au cas du demandeur. [¼]

 

[...]

 

[...] Bien qu’on comprenne que le demandeur trouve injuste le fait que Revenu Canada semble avoir traité différemment les contribuables se trouvant dans des circonstances semblables, cela ne peut constituer le fondement de l’appel du demandeur. Le demandeur ou bien a droit, selon une interprétation raisonnable du texte [...] de la Loi [...], à la déduction d’assistance sociale ou bien n’y a pas droit[3].

 

La Cour d’appel a rejeté l’appel contre la décision de la section de première instance, a radié la partie irrégulière de l’avis d’appel et a, ce faisant, dit qu’il ne conviendrait absolument pas de permettre l’instruction d’une question qui deviendrait inévitablement une enquête sur le traitement fiscal de personnes n’étant pas parties aux appels soumis à la Cour.

 

[7]     Le fait que l’appelante invoquerait la Charte à l’appui de sa position lui permet‑il de présenter l’argument basé sur le traitement différent d’autres contribuables? Dans la négative, je suis tenu d’appliquer l’arrêt Ludmer et de radier les paragraphes attaqués par l’intimée.

 

[8]     L’article 15 de la Charte se lit comme suit :

 

15(1)    La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

15(2)    Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

 

[9]     L’appelante ne se fonde pas sur un motif énuméré de discrimination, mais dit qu’elle fait partie d’un groupe de particuliers qui est moins capable que l’autre de persuader le gouvernement de répondre favorablement à ses arguments. Ni l’un ni l’autre de ces soi‑disant groupes n’ont pu être définis avec précision. Même s’ils pouvaient l’être, le premier pourrait difficilement être décrit comme représentant une minorité discrète et isolée, et l’on ne pourrait non plus raisonnablement dire que la distinction entre les deux viole la dignité humaine des membres du premier groupe ou tend à les exclure de l’ensemble de la société. On ne pourrait dire non plus que les membres d’un tel groupe ont en commun une caractéristique personnelle immuable. En fait, l’incapacité d’obtenir des décisions favorables de l’administration gouvernementale ne tient souvent qu’à l’incapacité de conseillers ou défenseurs d’être convaincants. Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’article 15 peut être appliqué au genre de distinction existant en l’espèce d’après l’avocat, la réponse se trouve dans le jugement du juge Mitchell, qui, s’exprimant pour la Cour d’appel de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, a dit dans l’affaire P.E.I. (Registrar of Motor Vehicles) v. Rankin[4] :

 

[TRADUCTION]

La Charte ne prévoit pas une protection pour toutes les activités humaines ni un redressement pour tous les griefs.

 

C’était d’arguments comme celui‑ci dont le juge Zuber parlait quand il disait dans l’affaire R. v. Altseimer[5] :

 

[TRADUCTION]

            Vu le nombre de causes, devant les tribunaux ontariens de première instance, dans lesquelles des dispositions de la Charte sont invoquées et vu notamment certains des arguments bizarres et imagés qui sont formulés, il peut être approprié de faire remarquer que le but de la Charte n’est pas de transformer notre système juridique ou de paralyser l’application de la loi. Des interprétations extravagantes ne peuvent qu’entraîner une banalisation et un moindre respect à l’égard de la Charte, qui fait partie de la loi suprême de notre pays.

 

Il est clair que, si tous les faits allégués dans les paragraphes attaqués étaient établis au procès, ils ne pourraient aider l’appelante dans son appel. Il serait mal avisé, relativement à la Constitution, de permettre l’instruction d’un tel argument.

 

[10]    Le paragraphe 4 de la partie c), le paragraphe 3 de la partie d) et le paragraphe 4 de la partie f) de l’avis d’appel modifié seront radiés. Le ministre du Revenu national aura jusqu’au 30 août 2002 pour délivrer une réponse. Les frais de cette requête suivront l’issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2002.

 

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           [1995] 2 C.F. 3.

[2]           C.F. 1re inst., no T‑1165‑89, 30 juin 1993 ([1993] 2 C.T.C. 99).

[3]           Ibid., à la p. 14 (C.T.C. : à la p. 106).

[4]           (1991) 30 M.V.R. (2nd) 122.

[5]           (1982) 38 O.R. (2nd) 783, à la p. 788 (C.A. de l’Ont.).

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