Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2000-3649(IT)G

ENTRE :

BARRY ENRIGHT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appels entendus sur preuve commune avec l'appel de Barry Enright 2000‑3653(GST)I, les 14 et 15 janvier 2002, à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                         Me G. Boyd Aitken

 

Avocat de l'intimée :                           Me Charles M. Camirand

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant peut déduire des pertes
agricoles
de 48 725 $, 65 123 $, 85 968 $ et 77 214 $ pour les années d'imposition 1994 à 1997 respectivement.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2002.

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2004.

 

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2000-3653(GST)I

ENTRE :

BARRY ENRIGHT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Barry Enright 2000‑3649(IT)G, les 14 et 15 janvier 2002, à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                         Me G. Boyd Aitken

 

Avocat de l'intimée :                           Me Charles M. Camirand

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997, dont l'avis est daté du 6 avril 1999 et porte le numéro 00000001551, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit à un crédit de taxe
sur les intrants d'un total de 15 741 $ pour les périodes de déclaration trimestrielles allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2002.

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2004.

 

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Date: 20020725

Dossier: 2000-3649(IT)G

2000-3653(GST)I

 

 

ENTRE :

BARRY ENRIGHT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit d'appels de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu LIR ») pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 et de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise  LTA »), dont l'avis est daté du 6 avril 1999 et porte le numéro 00000001551, pour les périodes de déclaration trimestrielles allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997.

 

[2]     Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994 à 1997, l'appelant a déduit des pertes agricoles de 50 981 $, 68 206 $, 97 218 $ et 80 865 $ respectivement. L'appelant a également produit des déclarations pour la taxe sur les produits et services (« TPS ») pour les périodes de déclaration trimestrielles allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 et a demandé un crédit de taxe sur les intrants (« CTI ») de 17 826,20 $.

 

[3]     Dans les cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre a refusé des dépenses de 2 256 $ pour 1994, de 3 083 $ pour 1995, de 11 250 $ pour 1996 et de 3 651 $ pour 1997 qu'il a jugées de nature personnelle et le CTI de 2 084,68 $ lié à ces frais personnels. L'appelant ne conteste pas cette partie des cotisations.

 

[4]     Cependant, le ministre a également refusé le solde des pertes agricoles de l'appelant (soit 48 725 $ pour 1994, 65 123 $ pour 1995, 85 968 $ pour 1996 et 77 214 $ pour 1997) et les CTI qui y étaient liés (d'un total de 15 741,52 $, soit le solde des CTI réclamés), en se fondant sur l'hypothèse que l'appelant n'avait pas d'expectative raisonnable de profit (« ERP ») à l'égard des activités agricoles et donc qu'il n'avait aucune source de revenu lui donnant le droit de réclamer des déductions de l'impôt sur le revenu en vertu de la LIR et qu'il n'exerçait pas d'activité commerciale lui permettant de demander des CTI en vertu de la LTA[1].

 

[5]     Dans un argument subsidiaire, l'intimée a affirmé que si l'existence de l'ERP était prouvée devant cette cour, les pertes de l'appelant devraient être limitées en vertu de l'article 31 de la LIR, puisqu'il n'aurait pas démontré que son revenu, pour les années d'imposition de 1994 à 1997, provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source de revenu. L'intimée a cependant admis que dans un tel cas, les CTI réclamés en vertu de la LTA devraient être accordés, étant donné qu'il n'y a pas d'équivalent à l'article 31 dans la LTA.

 

Faits

 

[6]     L'appelant est né et a grandi à la ferme, et son père et son grand-père étaient des agriculteurs à temps complet. Il a habité la ferme de son père jusqu'à l'âge de 35 ans et pendant toutes ces années, il a activement participé aux activités agricoles, tout comme ses frères et sœurs. Pendant sa jeunesse, l'appelant et ses frères et sœurs faisaient partie d'un club 4‑H (un organisme jeunesse pour la communauté agricole) qui renseignait ses membres sur divers aspects de l'industrie agricole. L'appelant était particulièrement actif au sein des « clubs bovins » du club 4‑H, par l'intermédiaire desquels il a appris les pratiques d'élevage et d'exposition de bovins.

 

[7]     L'appelant a reçu le titre de propriété de sa première ferme en 1975 de son père en échange des années de travail qu'il avait consacrées à l'exploitation de la ferme familiale. En 1978, l'appelant a acheté une deuxième ferme pour la somme de 55 860 $. Il a déménagé dans la résidence située sur ce terrain à Renfrew (Ontario) en 1982, lors de son mariage avec Jane, qui elle aussi était née et avait grandi à la ferme. La maison a été rénovée et on a installé des drains avant l'emménagement. L'appelant a en outre acheté en 1986 une troisième ferme située à distance de marche des deux autres. Les trois fermes représentent ensemble une superficie totale d'environ 500 acres, ce qui fait des fermes Enright l'une des plus importantes exploitations agricoles de cette région de l'Est de l'Ontario. La ferme acquise en 1978 est située à environ un kilomètre de la ferme familiale et non loin des demeures et des fermes des autres membres de la famille. Cela a joué un rôle important dans la décision de l'appelant d'acquérir la ferme en question, puisque la proximité de membres de sa famille lui permettait de partager l'équipement et les coûts de la main-d'œuvre et d'obtenir de l'aide lorsqu'il devait s'absenter.

 

[8]     Durant les années de 1982 à 1998, on a installé des drains sur tous les terrains, les bâtiments existants ont été complètement rénovés et d'autres structures ont été construites afin d'entreposer le foin et d'abriter les bovins. Un édifice a été construit en 1996 pour servir de lieu d'exposition et de bureau. Il est maintenant utilisé pour la tenue d'événements particuliers ayant pour but de faire voir les bêtes aux acheteurs potentiels. L'édifice a par la suite été agrandi. Un autre édifice construit par l'appelant était un silo pour le stockage du grain.

 

[9]     Si je comprends bien, jusqu'en 1998, l'appelant a dépensé environ 200 000 $ pour la construction de ces nouveaux édifices et la rénovation des bâtiments existants. Les fermes Enright peuvent ensemble accueillir de 400 à 500 têtes de bétail à longueur d'année. De plus, elles produisent du grain, du maïs et du foin pour leur propre usage et pour celui d'autres fermes. Selon l'appelant, il n'est plus nécessaire d'apporter des améliorations supplémentaires aux immeubles.

 

[10]    La ferme acquise par l'appelant en 1978 était grevée d'une hypothèque initiale de 55 000 $. La dette actuelle de l'appelant pour ses fermes est de 220 000 $. L'évaluation de ses biens immobiliers en novembre 2001 établissait la valeur de son exploitation à 800 000 $, sans compter l'équipement (c'est-à-dire uniquement le terrain et les bâtiments). À l'exception d'un tracteur, l'appelant ne possédait pas d'équipement lorsqu'il a acquis sa première ferme en 1978. En 1993, la valeur totale de l'équipement (y compris les ramasseuses-presse, qui lui permettaient d'éviter de devoir faire faire ce travail par un entrepreneur) était de 137 600 $; cette valeur a augmenté à 190 200 $ en 1997 après l'achat d'un nouveau camion, d'une bétaillère de plus grande taille et d'un nouveau tracteur. L'appelant a calculé que l'achat d'équipement approprié serait avantageux à long terme. Par exemple, il était plus économique d'acheter les machines nécessaires à la mise en balles du foin (un achat de 10 000 $) plutôt que de faire effectuer le travail par un entrepreneur, ce qui aurait coûté 5 000 $ par année.

 

[11]    L'appelant a déclaré qu'il n'avait pas préparé de plan d'affaires lors de l'achat de sa ferme en 1978. Il a fait ses débuts dans l'exploitation commerciale vache-veau (en vendant les veaux uniquement pour la boucherie) parce qu'il avait grandi à une ferme où s'exerçait ce type d'activité. Il a par la suite décidé de se lancer dans l'élevage d'animaux reproducteurs (la production d'animaux en vue d'améliorer différentes races utilisées dans l'industrie bovine) car il a évalué que, pour que son exploitation vache-veau soit rentable, il aurait besoin d'au moins 1 000 acres, alors qu'il n'en possédait que 500. L'appelant a expliqué que, dans une exploitation vache-veau, la taille du cheptel est un élément primordial alors que, dans une exploitation d'élevage d'animaux reproducteurs, la qualité du cheptel importe plus que la taille. L'appelant a envisagé d'entreprendre des activités d'élevage lorsqu'il a acheté un premier bovin de race limousine (l'une des principales races de bovins) en 1988. En fait, il existait une demande pour ce type d'activité dans la région où la ferme de l'appelant était située. L'appelant a officiellement effectué le passage d'une exploitation vache-veau à une exploitation d'élevage d'animaux reproducteurs en 1992. Ainsi, il a construit en 1996 une étable destinée à l'exposition de ses bovins. Il a également fallu aménager un bâtiment pour les ventes de production éventuelles (au cours desquelles est vendue une partie du troupeau de qualité).

 

[12]    L'appelant et sa femme ont mené des recherches sur les lignées génétiques des bovins limousins, ont visité des fermes aux États-Unis et au Canada afin de trouver des bêtes ayant les gènes appropriés pour leur programme d'élevage, et ont acquis un stock de reproducteurs de qualité. Ils ont principalement acheté des femelles en vue d'améliorer la qualité du troupeau. D'après l'appelant, le prix de vente d'un animal reproducteur peut aller de 2 000 $ à 100 000 $ selon les gènes de l'animal, alors qu'une vache de boucherie ne serait vendue que 800 $ à 1 200 $ dans une étable de vente locale. L'appelant a présenté comme éléments de preuve des articles de périodiques (Limousin World, novembre 1999) montrant qu'une génisse non saillie s'était vendue à 20 000 $ américains et qu'un taureau de race limousine avait atteint 80 000 $ américains. Après avoir consulté différents éleveurs menant des activités de reproduction d'animaux de race limousine, l'appelant a estimé lors de ses débuts qu'il lui faudrait environ dix ans pour obtenir un troupeau de haute qualité. Suite à leurs recherches, l'appelant et sa femme ont conclu qu'ils auraient besoin d'un troupeau de 200 têtes de bovins de race limousine afin que leurs activités de reproduction soient rentables. En fait, leur troupeau est passé de 172 bêtes en 1992 (comprenant 65 vaches de race croisée destinées à être vendues pour la boucherie et 25 vaches de race pure) à 250 bêtes en 1996 (comprenant 60 vaches de race croisée et 65 vaches de race pure). En 1997, plus de bêtes étaient de race pure et la valeur du troupeau était passée de 180 500 $ en 1992 à 327 510 $ en 1997. Aujourd'hui, les fermes Enright ne possèdent plus de bovins de race croisée; elles comptent 230 bêtes de race pure, dont 20 à 30 pourront être vendues à un prix élevé lors de ventes de production. Madame Enright a indiqué que la croissance du troupeau devrait leur permettre d'atteindre le seuil de rentabilité en 2002, comme ils l'avaient prévu en 1992. L'appelant estime que son troupeau est actuellement concurrentiel par rapport à ceux du Canada et des États-Unis, et il a publicisé les résultats fructueux obtenus lors d'expositions. Par exemple, l'une de ses vaches a remporté plusieurs prix en raison de sa très haute qualité. La bête suit un programme de sélection particulier suivant lequel elle est fécondée et les embryons sont recueillis et vendus. Au cours des deux dernières années, la vache en question a produit 19 embryons. Lors d'une récente foire agricole à Regina, une génisse d'un an du troupeau de l'appelant a atteint le prix le plus élevé, soit 12 000 $, et une autre bête du troupeau est arrivée troisième, à 8 500 $. L'appelant vise à vendre du bétail de très haute qualité qu'il commercialise par l'entremise de Limousin World, un périodique distribué à travers le monde, et lors de diverses expositions au cours desquelles son troupeau a remporté plusieurs prix.

 

[13]    L'appelant envisage également l'organisation d'une vente de production. L'année dernière, il s'est rendu à la vente de production de l'entreprise agricole Top Meadow Farms, qui a généré 650 000 $ lors de la vente de 100 têtes de bétail. Top Meadow Farms compte de 200 à 300 têtes et, selon l'appelant, elle est la seule ferme ayant des activités de reproduction en Ontario de même importance que la sienne. Cela fait de huit à dix ans que Top Meadow Farms exploite une entreprise d'élevage d'animaux reproducteurs. L'appelant estime que sa ferme sera prête à organiser sa première vente de production d'ici approximativement un an. Il a expliqué qu'il faut avoir de 30 à 50 bêtes dans une vente de production (il a actuellement de 20 à 30 bêtes disponibles à cette fin) pour qu'il soit avantageux pour les acheteurs de se rendre à la ferme du vendeur. Il a déjà reçu des demandes en vue d'accueillir une vente de production dans laquelle la moitié des bovins en vente lui appartiendrait et l'autre moitié serait fournie par d'autres agriculteurs.

 

[14]    En ce qui a trait aux déclarations relatives aux activités agricoles, l'appelant savait que ses dépenses d'exploitation seraient importantes lorsqu'il a effectué le passage d'une exploitation vache-veau à une exploitation de reproduction. Le tableau de l'annexe A présente l'évolution du revenu et des pertes à cet égard.

 

[15]    L'appelant a déclaré que les ventes de bovins étaient inférieures en 1996 et en 1997 comme le montre le tableau de l'annexe A car, au cours de ces années, il construisait des installations et les bovins n'ont donc pas été mis en vente afin d'augmenter la taille du troupeau. L'appelant a expliqué que l'augmentation de la taille de son troupeau lui permettrait d'augmenter ses ventes au cours des années ultérieures. Il vend maintenant de 75 à 80 têtes de bétail par année, dont 25 à 30 sont de qualité suffisante pour faire partie d'une vente de production où elles pourraient être vendues pour au moins 5 000 $ chacune.

 

[16]    L'appelant travaillait également pour une entreprise de construction routière, Armbro Construction (« Armbro »), qui exerçait ses activités à travers l'Ontario. Il a commencé à y travailler en 1967. Durant la période de 1994 à 1997, il était directeur des travaux pour plusieurs des chantiers d'Armbro. Il a notamment participé à la construction de l'autoroute 416 reliant Ottawa à l'autoroute 401. L'appelant faisait la navette entre sa résidence et son bureau mobile du chantier de l'autoroute 416. La distance entre les deux endroits était de 65 à 70 kilomètres, soit environ 45 minutes en voiture. L'appelant a déclaré qu'il revenait chez lui presque tous les soirs, les fins de semaine et plusieurs jours de la semaine. Son emploi l'obligeait également à se déplacer à travers l'Ontario pour d'autres projets. Durant ces déplacements, l'appelant communiquait fréquemment avec sa femme par téléphone portable afin de s'informer des activités de son exploitation agricole. L'appelant a en outre expliqué qu'il profitait des déplacements effectués pour Armbro pour visiter d'autres éleveurs de bovins de race limousine de l'Ontario.

 

[17]    Voici la répartition qui a été donnée du temps consacré par l'appelant à son emploi chez Armbro et à son exploitation agricole. De novembre à février, Armbro fermait ses portes et l'appelant pouvait consacrer tout son temps à la ferme. En novembre, les bovins étaient ramenés des champs pour l'hiver, des contrôles de gravidité étaient effectués et des vaccins étaient administrés. En décembre, le bétail commençait un régime alimentaire et les préparatifs étaient effectués pour la saison de vêlage.

 

[18]    En mars et en avril, l'appelant travaillait de deux à trois jours par semaine pour Armbro à la préparation de soumissions et consacrait le reste de son temps à la ferme. En mai et en juin, les travaux routiers recommençaient et l'appelant travaillait cinq jours par semaine pour Armbro. Le reste de son temps était consacré à la ferme, où on semait les récoltes. En juillet et en août, les projets d'Armbro avaient été mis en chantier et l'appelant pouvait alors consacrer plus de temps à sa ferme en comprimant sa période de travail chez Armbro, ce qui lui permettait de participer à des activités telles que la fenaison. En septembre et en octobre, l'appelant travaillait cinq jours par semaine chez Armbro pour achever les travaux en cours avant que l'entreprise ne ferme ses portes pour l'hiver. Les activités agricoles de l'appelant durant ces mois se concentraient principalement sur la saison des expositions.

 

[19]    En tout, l'appelant a calculé qu'il passait 140 jours par année à travailler pour Armbro et 225 jours par année à la ferme.

 

[20]    L'appelant a déclaré qu'il avait choisi de travailler pour Armbro parce qu'il s'agissait d'un emploi saisonnier et que, à titre d'agriculteur à temps complet, il avait besoin d'un revenu supplémentaire afin de faire rouler son entreprise.

 

[21]    L'appelant a tiré le revenu suivant de son emploi chez Armbro de 1994 à 1997 :

 

                                      1994              63 413 $

                                      1995              87 900 $

                                      1996            138 220 $

                                      1997            123 352 $

 

[22]    L'appelant a trois fils, une fille et des frères et sœurs qui peuvent aider son épouse à la ferme durant son absence. Selon lui, l'élevage d'animaux reproducteurs était plus compatible avec son travail chez Armbro que l'exploitation vache-veau, car un nombre moins élevé de bêtes était nécessaire et qu'il pouvait donc passer moins de temps à la ferme. De plus, il était en mesure de faire de la publicité pour sa ferme lorsqu'il était sur la route pour Armbro.

 

[23]    L'appelant a également déclaré que tout le salaire qu'il gagnait chez Armbro était investi dans son exploitation agricole, sauf la portion investie dans un régime enregistré d'épargne-retraite (« REÉR »). L'appelant ne travaille plus chez Armbro. Il a pris sa retraite en 1999 parce qu'il a été promu à un poste de gestionnaire en 1997 et que les responsabilités de ce poste étaient trop exigeantes pour être compatibles avec ses activités agricoles. Il consacre maintenant presque tout son temps à la ferme.

 

Argumentation de l'appelant

 

[24]    L'avocat de l'appelant a d'abord soutenu que l'appelant exploitait les fermes Enright de telle sorte qu'il avait une expectative raisonnable de profit. Il a ensuite allégué que la source principale de revenu de l'appelant était l'agriculture ou une combinaison de l'agriculture et d'une autre source de revenu.

 

[25]    À l'égard du premier point (l'ERP), l'avocat a passé en revue les critères pour déterminer l'existence de l'ERP mentionnés dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Il a soutenu que l'appelant avait la formation nécessaire puisqu'il était un agriculteur de troisième génération et qu'il avait travaillé à la ferme de son père pendant 35 ans avant d'acheter sa propre ferme. En ce qui a trait à la voie sur laquelle il entendait s'engager, l'avocat a affirmé que l'appelant avait toujours voulu être agriculteur. Il a acheté sa ferme près de celles d'autres membres de sa famille afin de pouvoir obtenir de l'aide au besoin. L'appelant a compris que, pour faire rouler son entreprise, il devrait occuper un emploi saisonnier. Son emploi chez Armbro convenait parfaitement. Au début, l'appelant avait une exploitation vache-veau; il s'est par la suite réorienté vers l'élevage d'animaux reproducteurs après avoir déterminé que cette activité serait plus rentable. Cette décision a été mûrement réfléchie à la suite de recherches menées avec son épouse. Tous deux connaissaient suffisamment bien l'industrie bovine pour avoir une idée de la valeur de bêtes de race limousine et des avantages de se lancer dans des activités de reproduction. Top Meadow Farms leur a fourni un modèle d'affaires fructueux à suivre. Pour atteindre leur objectif, ils ont d'abord dû investir dans l'achat de bovins afin d'améliorer la qualité de leur troupeau. Ils ont présenté leurs animaux lors de nombreuses foires et expositions afin de faire de la publicité pour leur stock et, à cette fin, ont dû acheter un nouveau camion et une plus grande remorque. De plus, il était nécessaire d'apporter des améliorations aux installations de la ferme afin d'exposer convenablement les bovins et de rendre leur entreprise crédible. Ils ont donc investi tout leur avoir dans la ferme. En 1992, les améliorations apportées au terrain, aux bâtiments et à l'équipement ont permis à la ferme de fonctionner comme exploitation de reproduction.

 

[26]    En ce qui a trait à l'état des profits et pertes pour les années antérieures, l'avocat de l'appelant n'a pas contesté que l'appelant avait subi des pertes durant de nombreuses années, mais il était d'avis qu'il existe une explication valable à ce sujet et que ce fait ne devrait pas empêcher la Cour de conclure à l'existence d'une ERP. L'avocat a fait valoir que, bien que l'appelant ait commencé à exploiter sa propre entreprise agricole en 1982, il a réorienté ses activités en 1992 : les fermes Enright ont alors commencé à investir dans la qualité de leur troupeau et à ne pas vendre leur bétail en vue d'en augmenter la qualité. Par conséquent, on peut constater une chute dans le revenu des années en cause. Des bénéfices ont été réalisés pour les années 1999 et 2000 ainsi que pour la première moitié de 2001.

 

[27]    L'avocat estime qu'il ne s'agit pas d'un cas où un citadin déménage à la campagne pour y perdre le revenu gagné à la ville, ni d'un cas où le revenu est insignifiant par rapport aux pertes. En 1998, 1999 et 2000, le revenu s'élevait à plus de 100 000 $ par année. Selon l'avocat, il a été démontré que les fermes Enright avaient la possibilité de faire des bénéfices durant les années en cause. L'entreprise possédait les bovins et l'équipement nécessaires pour mener à bien l'exploitation. La valeur totale des bovins, des étables et de la machinerie est passée de 498 350 $ en 1993 à 824 834 $ en 1997 (comme l'illustre l'onglet 31 de la pièce A‑1, qui n'a pas été contredit). Le plan de croissance du troupeau préparé par l'appelant montre que les objectifs initiaux sont en bonne voie d'être atteints et que l'inventaire se situe maintenant à un niveau où il peut générer des bénéfices.

 

[28]    Bien que le troupeau n'ait pas augmenté de taille, sa valeur s'est toutefois accrue. Compte tenu qu'une bête a été vendue l'année dernière à 12 000 $, il est raisonnable de penser que d'autres bêtes du troupeau, aux caractères génétiques semblables, pourraient également être vendues sur le marché à des prix élevés. En outre, il existe maintenant deux autres sources de revenu, soit la vente d'embryons et de semence.

 

[29]    En se fondant sur les faits susmentionnés, l'appelant a soutenu que les fermes Enright avaient une ERP.

 

[30]    En ce qui concerne la deuxième question, celle relative à la principale source de revenu, l'avocat de l'appelant a examiné les trois critères établis par la jurisprudence pour déterminer quelle est la principale source de revenu d'un contribuable, à savoir les capitaux investis, le temps consacré à l'activité et la rentabilité présente et future : voir l'affaire Canada c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513 (C.A.F.).

 

[31]    L'avocat a cité la décision R. c. Poirier, C.A.F., no A‑132‑86, 25 mars 1992, 92 D.T.C. 6335, dans laquelle il fut énoncé que le tribunal doit apprécier les trois facteurs susmentionnés dans leur ensemble, sans les dissocier. Il a également invoqué l'arrêt Hover c. M.R.N., C.C.I., no 90‑2976, 16 décembre 1992, 93 D.T.C. 98, qui a reconnu le concept de revenu complémentaire pour les agriculteurs. En d'autres mots, sans le revenu complémentaire, l'exploitation agricole n'aurait pu être lancée et les dépenses en immobilisations et les frais de démarrage considérables n'auraient pu être engagés. En ce sens, le revenu complémentaire fait partie intégrante de la combinaison d'un revenu provenant de l'agriculture et d'une autre source de revenu. Le revenu tiré de l'emploi chez Armbro constitue ici un élément essentiel du plan d'affaires de la ferme.

 

[32]    L'avocat a également soutenu que le fait d'avoir des antécédents agricoles était important dans la détermination de la principale source de revenu d'un contribuable. Il faut établir une distinction entre le fermier qui va à la ville et le citadin qui va à la campagne (voir l'affaire Donnelly, précitée).

 

[33]    L'avocat a également mentionné des arrêts dans lesquels les tribunaux n'avaient pas appliqué la limitation prévue à l'article 31 à des contribuables qui avaient été élevés à la ferme et qui avaient subi des pertes durant des périodes allant de 12 à 19 ans. (Voir Miller c. La Reine, C.C.I., no 98‑80(IT)G, 4 novembre 1999, 2000 D.T.C. 1502, Rich c. Canada, [1995] A.C.I. no 1623 (Q.L.), Paquette c. Canada, [2000] A.C.I. no 412 (Q.L.)).

 

[34]    Selon l'avocat, l'emploi saisonnier de l'appelant ailleurs qu'à la ferme ne l'empêchait pas de passer un temps appréciable à la ferme. Pour ce qui est des capitaux investis, l'appelant investissait presque tout son revenu dans sa ferme et il possédait les bâtiments et l'équipement nécessaires afin de réaliser son plan d'affaires. En ce qui a trait à la rentabilité, durant la période allant de 1994 à 1997, l'appelant s'attendait à ce que la majeure partie de son revenu provienne de ses activités agricoles à compter de 2002, c'est-à-dire lorsqu'il atteindrait l'étape des ventes de production. Cela est illustré par les projections financières qui ont été faites à l'époque, lesquelles, selon le témoignage de l'épouse de l'appelant, sont sur le point d'être confirmées (si l'on en juge d'après les états financiers non rapprochés présentés pour les six premiers mois de 2002). L'avocat estime que des éléments de preuve étayent la rentabilité future durant les années pertinentes et que l'entreprise s'est effectivement révélée rentable au cours des années subséquentes.

 

[35]    En dernier lieu, l'avocat a fait valoir que, même si la Cour n'est pas convaincue que pour les années en cause, les bénéfices prévus des fermes Enright dépassaient le salaire obtenu chez Armbro, elle devrait tenir compte du fait qu'aucun facteur, tel que la rentabilité, n'est déterminant dans l'analyse de la principale source de revenu. On ne peut passer outre à l'absence de rentabilité durant les années pertinentes, mais elle ne devrait pas occulter les autres faits pertinents en l'espèce.

 

Argumentation de l'intimée

 

[36]    L'avocat de l'intimée n'a pas contesté que l'appelant possédait les connaissances et le savoir-faire nécessaires pour exploiter une ferme. Il a principalement fait remarquer l'ampleur des pertes subies sur une période de vingt ans et a soutenu que l'appelant n'avait pas d'ERP durant les années d'imposition en cause. Selon l'avocat, ces pertes s'étendent sur un trop grand nombre d'années pour qu'elles puissent êtres considérées comme des frais de démarrage. Toujours selon lui, les pertes subies au cours de ces vingt ans devraient être considérées sur une base continue, et le passage d'une exploitation vache-veau à une exploitation de reproduction n'est pas un changement suffisamment important pour que la Cour ne tienne pas compte des pertes subies au cours des années précédant le changement en question. Fondamentalement, l'avocat n'a pas accepté l'argumentation de l'appelant qu'une nouvelle période de démarrage avait débuté en 1992 et il est d'avis que l'appelant n'a pas réussi à prouver l'existence d'une ERP durant les années en cause.

 

[37]    Pour ce qui est de la question de la principale source de revenu, l'avocat de l'intimée n'a pas contesté que l'appelant avait investi tout son avoir dans son exploitation agricole. Il a néanmoins soutenu que les éléments de preuve révèlent que l'appelant avait consacré la moitié de son temps à la ferme et l'autre moitié à son emploi chez Armbro, et qu'il n'avait pas consacré plus de temps à la ferme qu'à Armbro. L'avocat a invoqué l'affaire Sartori c. La Reine, C.C.I., no 1999‑4676(IT)G, 20 décembre 2001, 2002 D.T.C. 1252, dans laquelle le juge Bowman a affirmé que la détermination de la principale source de revenu n'est pas une simple question de proportion; toutefois, on ne peut faire abstraction du fait qu'une source de revenu non agricole est le gagne-pain d'un contribuable alors que les activités agricoles entraînent continuellement des pertes. L'avocat a déclaré que, d'après les documents présentés en preuve, le ministre estimait que le montant approximatif pouvant être obtenu de la vente des bovins de race limousine de l'appelant était d'environ 3 000 $ par tête, plutôt que de 5 000 $ à 10 000 $ comme le soutenaient l'appelant et son épouse dans leur témoignage. Si l'on utilise la valeur de 3 000 $ par tête, l'avocat affirme que la rentabilité future de la ferme est de beaucoup inférieure à celle déclarée par l'appelant. Par conséquent, le revenu qui pourrait être tiré de l'exploitation agricole n'est pas comparable au revenu obtenu chez Armbro. Pour ces motifs, l'avocat était d'avis que l'agriculture n'était pas, seule ou en combinaison avec l'emploi chez Armbro, la principale source de revenu de l'appelant, et il a donc demandé que les pertes agricoles soient limitées en vertu de l'article 31 de la LIR.

 

Analyse

 

[38]    Comme il a été mentionné au début des présents motifs, les parties ont débattu cette cause avant que les décisions de la Cour suprême du Canada n'aient été rendues dans les affaires Stewart, précitée, et Walls, précitée.

 

[39]    Dans ces affaires, la Cour suprême du Canada se penche sur l'utilisation appropriée du critère de l'ERP en vertu de la LIR et, dans l'affaire Stewart, elle résume, au paragraphe 47, la manière dont ce critère a été appliqué de façon générale au fil des ans :

 

47.       En résumé, au cours des dernières années, le critère de l'ERP établi dans l'arrêt Moldowan est devenu un outil d'application générale dont se servent le ministre et les tribunaux dans toutes sortes de situations où l'on considère que le contribuable n'a pas un espoir raisonnable de tirer profit de l'activité en cause. L'on en déduit que le contribuable n'a aucune source de revenu et, partant, aucune assiette dont il peut déduire des pertes et des dépenses relatives à l'activité. Le critère de l'ERP a été appliqué indépendamment des dispositions de la Loi pour évaluer après coup des décisions commerciales prises de bonne foi par le contribuable, ce qui constitue une dérogation au principe selon lequel les tribunaux devraient éviter d'établir des règles en matière de droit fiscal : voir Ludco, précité; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Canderel, précité; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Le critère de l'ERP pose également un problème en raison de son imprécision et de l'incertitude qui règne au sujet de son application; il en résulte un traitement inéquitable et arbitraire des contribuables. En conséquence, l'« expectative raisonnable de profit » ne devrait pas être acceptée comme le critère applicable pour déterminer si les activités d'un contribuable constituent une source de revenu.

 

[40]    La Cour suprême du Canada conclut au paragraphe 60 :

 

60.       En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l'activité en cause. Lorsque l'activité ne comporte aucun aspect personnel et qu'elle est manifestement commerciale, il n'est pas nécessaire de pousser l'examen plus loin. Lorsque l'activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d'une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu. Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l'inexistence d'une entreprise (ou d'un bien) comme source de revenu va à l'encontre du texte et de l'économie de la Loi. La question de savoir s'il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses. Comme l'a laissé entendre l'appelant, refuser des déductions en fonction d'une analyse de l'expectative raisonnable de profit équivaudrait à une règle jurisprudentielle sur la minimisation des pertes, qui serait contraire aux principes d'interprétation établis susmentionnés qui s'appliquent à la Loi. De même, à la différence de nombreuses règles législatives sur la minimisation des pertes, dès que des déductions sont refusées à la suite de l'application du critère de l'ERP, le contribuable ne peut reporter ces pertes sur un revenu futur si jamais l'activité devient rentable.

 

[41]     En l'espèce, il est évident que l'intimée s'est fondée sur une analyse de l'ERP lorsqu'elle a initialement refusé la déduction des pertes en vertu de la LIR.

 

[42]     Il est maintenant clair qu'il n'est plus possible de se fonder uniquement sur une analyse aussi restreinte. Néanmoins, lorsqu'un aspect personnel est en jeu, le critère de l'ERP est un facteur objectif, quoique non concluant, dont on doit tenir compte pour déterminer si une activité est exercée par un contribuable de manière commerciale.

 

[43]     Pour ce qui est du droit de réclamer des CTI en vertu de la LTA, ces crédits peuvent uniquement être demandés pour la taxe payée sur des biens ou des services acquis au sein d'une activité commerciale. L'expression « activité commerciale » est définie comme suit au paragraphe 123(1) de la LTA :

 

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

 

a) l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

 

b)  les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l'exception de quelque projet ou affaire qu'entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l'affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

 

c) la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d'immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu'elle accomplit dans le cadre ou à l'occasion des fournitures.

 

 

[44]     Ainsi, le critère de l'ERP est spécifiquement inclus dans la disposition légale définissant une activité commerciale; un contribuable doit démontrer qu'il exploite une entreprise autre qu'une entreprise sans ERP s'il veut faire valoir qu'il mène des activités commerciales.

 

[45]     Dans la présente cause, l'appelant réclame des CTI en vertu de la LTA. Ajoutons qu'il habite à la ferme avec sa famille et que, même si l'étendue de ses activités agricoles est assez importante, on ne peut nier l'existence d'un élément de nature personnelle. Par conséquent, l'analyse du critère de l'ERP aux faits de l'espèce n'est pas superflue dans les circonstances, et je traiterai d'abord de cet aspect.

 

ERP

 

[46]     La Cour suprême du Canada a déclaré dans l'affaire Stewart, précitée, que pour qu'une activité soit jugée de nature commerciale, divers facteurs objectifs doivent être pris en considération. La Cour a écrit, aux paragraphes 54, 55 et 58 :

 

54.       Il y a également lieu de souligner que la détermination de l'existence d'une source de revenu n'est pas un processus purement subjectif. Outre le fait que, pour qu'une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l'intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l'arrêt Moldowan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs. Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a-t-il l'intention d'exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l'activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux.

 

55.       Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l'état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s'engager, et (4) la capacité de l'entreprise de réaliser un profit. Comme nous le concluons plus loin, il n'est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d'ajouter d'autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire. Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l'importance de l'entreprise. Nous tenons également à souligner que, même si l'expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n'est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l'activité d'une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C'est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

 

[...]

 

58.       Outre le fait que la déductibilité ou la non-déductibilité d'une dépense est une question distincte de celle de l'existence de la source de revenu sous-jacente, il est également vrai que la rentabilité de l'activité à laquelle se rapporte la dépense n'influe pas sur la déductibilité de la dépense. Plus particulièrement, dans un certain nombre d'affaires, les frais d'intérêts élevés du contribuable ont entraîné des pertes nettes, ce qui a amené le ministre à conclure qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit et, partant, pas de source de revenu dont les frais d'intérêts pouvaient être déduits. Toutefois, comme nous l'avons vu, l'attente ou l'expectative raisonnable de profit n'est qu'un des facteurs à considérer pour déterminer si une activité est suffisamment commerciale pour être considérée comme une source de revenu. [...]

 

[47]     Les critères établis dans l'affaire Moldowan, précitée, sont la formation du contribuable, la voie sur laquelle il entend s'engager, l'état des profits et pertes pour les années antérieures et la capacité de l'entreprise de réaliser un profit. Ces critères objectifs ne sont pas remis en cause par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stewart, précitée, pour les cas où le critère de l'ERP peut aider à évaluer le caractère commercial d'une entreprise. Les avocats, dans leur argumentation, ont analysé l'application de ces critères aux faits de l'espèce.

 

[48]     L'intimée n'a pas remis en question le fait que l'appelant et son épouse avaient la formation nécessaire pour exploiter une entreprise agricole.

 

[49]     Pour ce qui est de la voie sur laquelle l'appelant entend s'engager, il est vrai qu'il n'avait pas un plan d'affaires bien défini. Néanmoins, lorsqu'il a évalué que l'exploitation vache-veau était instable et que 500 acres supplémentaires seraient nécessaires afin d'en assurer la rentabilité, il a décidé d'évaluer d'autres possibilités. Lui et sa femme ont fait des recherches dans des revues et se sont informés auprès de divers éleveurs avant de conclure que l'élevage d'animaux reproducteurs de race limousine constituerait un bon investissement. L'appelant a suivi le modèle utilisé à Top Meadow Farms — une entreprise aujourd'hui rentable, si je comprends bien — afin d'organiser ses nouvelles activités. Tout d'abord, il a investi dans son troupeau afin d'en accroître la qualité. Deuxièmement, il a investi dans les installations nécessaires à l'exploitation de reproduction. Troisièmement, il a cherché à établir une réputation solide dans l'industrie en exposant ses bêtes lors de foires. Finalement, l'appelant concentre maintenant ses efforts sur la vente de ses bovins par le biais d'une vente de production qu'il pense organiser dans un avenir rapproché. L'appelant a également trouvé de nouvelles sources de revenu telles que la vente d'embryons et de semence.

 

[50]     En ce qui concerne l'état des profits et pertes, on peut comprendre que l'intimée remette en question l'existence d'une ERP compte tenu que l'appelant subit des pertes depuis vingt ans. Je suis toutefois d'accord avec l'avocat de l'appelant sur le fait que le revenu brut tiré des activités agricoles était considérable durant les années en cause et provenait en grande partie de la vente de bovins. Les pertes de l'appelant de 1994 à 1997 étaient importantes, mais non excessives par rapport au revenu brut. En 1996 et 1997, le revenu était moins élevé parce que l'appelant avait décidé de ne pas vendre ses bovins en vue d'accroître son troupeau et, dans l'avenir, ses ventes. En outre, les dépenses engagées étaient plus élevées durant ces années en raison de l'ajout d'une étable d'exposition et de l'achat de nouvel équipement pour le transport du bétail aux lieux d'exposition et aux foires. L'appelant a témoigné que les installations nécessaires sont désormais en place et que les dépenses annuelles seront par le fait même réduites. Il a également déclaré qu'il serait bientôt en mesure de tenir une vente de production qu'il prévoit très rentable. Par ailleurs, il faut se montrer vigilant en analysant le tableau des dépenses agricoles. L'achat de bétail constitue la principale dépense. Lors du calcul des dépenses agricoles, il faut faire un redressement obligatoire de l'inventaire. Ce redressement vise à réduire ou à éliminer les pertes calculées selon la méthode de comptabilité de caisse résultant de l'achat d'inventaire (voir le bulletin d'interprétation IT‑526, Entreprise agricole — Méthode de comptabilité de caisse : redressements d'inventaire). Si l'on tient compte du redressement obligatoire, les pertes de l'appelant sont nettement inférieures à celles qui figurent au tableau.

 

[51]     Finalement, bien que l'appelant demeure à la ferme avec sa famille, il ne s'agit pas d'un cas où un professionnel de la ville établit une ferme en campagne comme passe-temps et subit des pertes considérables ce faisant.

 

[52]     Je conclus donc que de nombreux éléments témoignent de la nature commerciale de cette entreprise agricole et j'estime que l'appelant a satisfait au critère de l'ERP pour les années d'imposition en cause.

 

Principale source de revenu

 

[53]     L'intimée est d'avis que les pertes agricoles devraient être limitées à 8 750 $ pour chacune des années d'imposition en cause selon la formule établie à l'article 31 de la LIR. Les pertes seront restreintes en vertu de l'article 31 s'il est établi que le revenu de l'appelant, pour les années d'imposition en cause, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source de revenu.

 

[54]     Les capitaux investis, le temps consacré à l'activité et la rentabilité sont les facteurs cumulatifs qui détermineront si l'agriculture doit être considérée comme une « entreprise secondaire » visée par les dispositions relatives à la limitation des pertes agricoles. Aucun facteur n'est décisif. (Voir l'affaire Donnelly, précitée.)

 

[55]     Dans la présente cause, il ne fait aucun doute que l'appelant a consacré énormément de temps et une somme considérable à son exploitation agricole.

 

[56]     En ce qui concerne la rentabilité présente et future, l'appelant savait qu'il subirait des pertes durant les années d'imposition en cause en raison de la nouvelle direction donnée à son exploitation. Toutefois, à l'époque, l'appelant et sa femme s'attendaient à ce que les activités de reproduction deviennent rentables en l'an 2000. En fait, en l'an 2000 et au cours des six premiers mois de 2001, la ferme a réalisé des bénéfices après la déduction pour amortissement.

 

[57]     Si l'on compare le revenu brut tiré de l'emploi chez Armbro et le revenu agricole brut, on constate qu'en 1994 et 1995, le revenu provenant de l'agriculture est plus élevé. En 1996 et en 1997, le revenu d'emploi est plus élevé, mais l'appelant a déclaré qu'au cours de ces années, ses ventes de bovins étaient faibles puisqu'il gardait ses bêtes en vue d'accroître la qualité de son troupeau. Le produit de la première vente de production de Top Meadow Farms se situait entre 650 000 $ et 700 000 $. Il est donc raisonnable pour l'appelant d'espérer un profit substantiel lors de sa première vente de production (qui aura lieu dans environ un an). Les éléments de preuve présentés par l'appelant au sujet des nombreux prix remportés par ses bovins, lesquels devraient fournir une base solide à une vente de production fructueuse, montrent que cet espoir est raisonnable.

 

[58]     Selon moi, les faits de la présente cause s'apparentent plus à ceux dans l'affaire  R. c. Graham, [1985] 2 C.F. 107 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour a statué que le contribuable avait le droit de déduire la totalité de ses pertes agricoles malgré le fait qu'il occupait un emploi à temps plein ailleurs. Le contribuable, qui avait grandi à la ferme, avait un horaire de travail souple afin de pouvoir s'occuper de son exploitation porcine. Il prenait ses vacances, des jours de congé sans solde et échangeait des quarts de travail avec ses collègues pendant les périodes d'ensemencement et de récolte. Le juge Robertson a fait le commentaire suivant au sujet de l'affaire Graham dans l'arrêt Donnelly, précité, au paragraphe 19 :

 

[19]      En fin de compte, l'arrêt Graham est un cas d'espèce. Il est toutefois possible de tirer au moins une leçon de cette affaire. Il me semble que l'arrêt Graham s'apparente davantage à une affaire dans laquelle un agriculteur à temps complet est contraint d'aller chercher un revenu supplémentaire à la ville afin d'absorber les pertes subies à la ferme. L'agriculteur de deuxième génération qui est incapable de subvenir convenablement aux besoins de sa famille peut bien se tourner vers un autre emploi pour absorber des pertes annuelles répétées. Voilà le genre d'affaires dont les tribunaux ne sont jamais saisis. Vraisemblablement, le ministre du Revenu national a pris la décision de principe de reconnaître l'existence d'une expectative raisonnable de profit dans les situations où la famille d'un contribuable a toujours compté sur l'agriculture pour gagner sa vie, encore qu'avec un succès financier limité. Les mêmes considérations générales permettent d'accorder plus d'importance aux facteurs des capitaux investis et du temps consacré à l'agriculture en vertu de l'article 31 de la Loi, et d'accorder moins d'importance à la rentabilité. Je n'ai encore jamais vu d'affaire dans laquelle le ministre refuse à un tel contribuable le droit de déduire la totalité de ses pertes agricoles à cause de l'existence d'une autre source de revenu. C'est peut-être parce qu'il est peu probable qu'un éleveur de porcs comme M. Graham exercerait cette activité comme un passe-temps.

 

[59]     Je suis d'accord avec l'intimée qu'on ne peut faire abstraction du fait que l'appelant a subi des pertes pendant vingt ans, y compris durant les années en cause; toutefois, il ne me semble pas que ces pertes soient particulièrement déraisonnables dans les circonstances. Le contexte ne diffère pas tellement de celui des affaires Miller et Paquette invoquées par l'appelant, dans lesquelles des pertes avaient été subies pendant 13 et 14 années précédant les années en question. Dans l'affaire Hover, également citée par l'appelant, il a été reconnu que les périodes de démarrage sont plus longues pour des entreprises qui partent de zéro que lorsqu'un contribuable achète une entreprise en exploitation. En l'espèce, le contribuable a acquis des fermes qui nécessitaient un investissement considérable pour les rendre rentables. De plus, il est passé d'une exploitation vache-veau à une exploitation de reproduction. Même s'il s'agit d'entreprises de nature similaire, l'exploitation de reproduction nécessite des investissements en immobilisations différents.

 

[60]     Dans les circonstances, je suis d'avis que le nombre d'années de pertes n'est pas préjudiciable aux demandes de l'appelant. J'estime qu'il a fourni la preuve que sa principale source de revenu était l'agriculture ou une combinaison de l'agriculture et du revenu d'emploi chez Armbro pour les années d'imposition en cause.

 

[61]    Les appels sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant peut déduire des pertes agricoles de 48 725 $, 65 123 $, 85 968 $ et 77 214 $ pour les années d'imposition 1994 à 1997 respectivement et a droit à un crédit de taxe sur les intrants d'un total de 15 741 $ pour les périodes de déclaration trimestrielles allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2002.

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2004.

 

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 


ANNEXE A

 

 

Année d'imposition

Revenu agricole brut total

Revenu brut provenant de la vente de bovins

Dépenses agricoles totales *

Dépenses de main-d'œuvre

Achat de bétail

DPA

Revenu net (perte) avant redressement

Redressement pour inventaire

Perte agricole déclarée

Perte agricole redressée et maintenant déclarée (excluant les dépenses personnelles)

1994

 95 468 $

  81 908 $

291 449 $

14 342 $

25 520 $

30 000 $

(195 981 $)

145 000 $

(50 981 $)

(48 725 $)

1995

 92 560 $

  80 295 $

290 416 $

  9 672 $

14 650 $

27 252 $

(197 856 $)

129 650 $

(68 206 $)

(65 123 $)

1996

 65 320 $

  58 197 $

329 588 $

  9 336 $

43 392 $

26 350 $

(264 268 $)

167 050 $

(97 218 $)

(85 968 $)

1997

 46 325 $

  33 609 $

318 140 $

      0

30 572 $

      0

(271 814 $)

190 950 $

(80 865 $)

(77 214 $)

1998

108 848 $

  84 421 $

351 930 $

      0

30 141 $

      0

(243 082 $)

206 028 $

(37 054 $)

      0

1999

126 152 $

113 365 $

347 180 $

      0

28 124 $

      0

(221 027 $)

222 940 $

   1 912 $

      0

2000

117 649 $

  49 353 $

381 101 $

      0

  7 888 $

51 861 $

(263 452 $)

264 328 $

      875 $

      0

2001

(6 mois)

115 371 $

  61 554 $

101 048 $

     275 $

18 602 $

20 022 $

    14 323 $

      0

      0

      0

 

* Incluant le redressement obligatoire pour l'inventaire.


 



[1]           Il faut noter ici que la présente cause a été débattue avant que les décisions récentes de la Cour suprême du Canada soient rendues dans les affaires Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645 et Walls c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 684, dans lesquelles il fut décidé que le critère de l'ERP ne devrait pas être appliqué en vue de déterminer l'existence d'une source de revenu en vertu de la LIR. Le critère de l'ERP est toutefois spécifiquement mentionné dans la définition d'une activité commerciale au paragraphe 123(1) de la LTA.

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